Umberto Eco, un mélange (20/02/2016)
Umberto Eco disait : "Celui qui ne lit pas, arrivé à soixante-dix ans, n’aura vécu qu’une vie : la sienne. Celui qui lit en aura vécu au moins cinq-mille". L'intellectuel, universitaire, essayiste, romancier et journaliste italien, décédé le 19 février 2016, vouait une vénération absolue pour la connaissance et la littérature. Jean-Christophe Buisson, du Figaro, était allé à sa rencontre il y a cinq ans, à Bologne, et parlait des rayonnages faramineux de sa bibliothèque personnelle de Bologne. Eco y conservait plusieurs dizaines de milliers d'ouvrages, conservés avec amour.
Umbero Eco est mon auteur fétiche, et cela depuis des années. Il risque bien de le rester encore quelque temps. Pour ce billet, et parce que je tenais à parler de lui, j'ai choisi de compiler un mélange de critiques sur quelques-uns de ses principaux livres.
L’Oeuvre ouverte
Avec cet essai, paru en 1964, le jeune Umberto Eco s'ouvre les voies de la notoriété en s’intéressant à l'art d'avant-garde, au langage, à l'information, au signe et à la communication. Dans cette étude, austère et aride pour certains passages (notamment sur la différence entre information et communication), l'auteur italien s'avère passionnant dans sa vision de l'ouverture des œuvres d'art (modernes et contemporaines). Il est surtout convaincant dans son approche des romans de James Joyce : il parvient à montrer pourquoi les livres Ulysse et Finnegans Wake ont révolutionné la littérature en même temps qu'ils se situent dans la droite ligne de la culture occidentale. Il nous fait découvrir en quoi s. Thomas d'Aquin peut être considéré comme une référence capitale dans l'oeuvre de Joyce. Un essai lumineux.
Umberto Eco, L’Oeuvre ouverte, éd. Seuil, Point, Essais, 314 p.
Le Nom de la Rose
Le Nom de la Rose, son premier roman (1982), qui est aussi son plus célèbre, a comme vampirisé le reste de sa production romanesque. Un moine franciscain et son jeune secrétaire sont chargés de résoudre les mystères de crimes qui ensanglantent un monastère. Il semble que ces meurtres ont pour origine l'imposante bibliothèque des lieux. Un polar médiéval devenu un classique qui est aussi un plaidoyer pour la tolérance et le savoir. Reste cette question que le lecteur peut se poser : qu'est-ce que la rose ? La bibliothèque de l'abbaye ? Un livre en grec tant convoité ? La jeune fille rencontrée et aimée par Adso de Melk ? Ou tout simplement la vie terrestre ?
Umberto Eco, Le Nom de la Rose, éd. Grasset, 543 p.
Le Pendule de Foucault
En 1988, vingt ans avant Dan Brown et son Da Vinci Code (mais en plus subtil et plus ambitieux), le célèbre auteur italien proposait une relecture originale de la religion et des sciences occultes. L'histoire ? Trois amis italiens travaillant dans l'édition décident, par amusement, d'imaginer un vaste complot mené par une société secrète pour la domination du monde. Bientôt cette supercherie les dépasse complètement : et s'ils n'avaient pas réveillé des forces souterraines à force de les inventer ? La lecture de ce livre est quelque chose d'assez unique, une vraie expérience en soi - pour peu que l'on dépasse les cinquante premières pages. Un must.
Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, éd. Grasset, 543 p.
À reculons, comme une écrevisse
Sémiologue et romancier internationalement connu, Umberto Eco était également connu en Italie pour être un observateur attentif du monde contemporain. Ce livre est un recueil d'articles qu'il a publiés de 2000 à 2005. Avec un sens aigu de l'analyse, Ce spécialiste des signes, qui se fait aussi intellectuel engagé contre Berlusconi, interroge notre monde dit "post-moderne" : les néo guerres, le terrorisme, la paix mondiale, la dernière chance de l'Europe, l'intolérance ou la manipulation médiatique de Silvio Berlusconi. Un ouvrage intelligent et engagé qui appel au sursaut de l'intelligence et de la tolérance pour sortir des nouvelles barbaries.
Umberto Eco, À reculons, comme une écrevisse, éd. Grasset, 420 p.
La mystérieuse Flamme de la Reine Loana
Voici un roman peu connu du maître italien mais qui mérite d'être redécouvert. La mystérieuse Flamme de la Reine Loana (2004) nous prouve qu'Umbero Eco n'était pas cantonné à la littérature scientifique. Nous suivons le personnage principak, Yambo, qui se trouve amnésique suite à un choc. Pour retrouver son passé, il part quelques jours dans la demeure de son grand-père où il a passé une partie de son enfance durant le fascisme italien et la seconde guerre mondiale. Là, Yambo découvre les lectures qui berçaient son enfance et son adolescence. Cette production d'Eco a été fraîchement accueilli à sa sortie. C'est injuste car voici un roman émouvant et érudit à la fois sur les thèmes de la culture populaire, des remords, des blessures de l'enfance, du sens de l'honneur et de l'idéal féminin. Seul regret : la fin du livre a tendance à tourner en rond.
Umberto Eco, La mystérieuse Flamme de la Reine Loana, éd. Grasset, 489 p.
Le Cimetière de Prague
Le quatrième de couverture de ce livre paru en 2010 induit le lecteur en erreur en plaçant Le Cimetière de Prague dans la droite lignée du Nom de la Rose. En réalité, cette sixième production romanesque a bien plus de points communs avec Le Pendule de Foucault, fabuleux roman traitant avec maestria d'un complot universel des Templiers. Il est question dans Le Cimetière de Prague d'un complot imaginaire : celle de Juifs réunis un soir dans un cimetière de Prague et se mettant d'accord pour dominer le monde. Un thème hautement sulfureux qui a fait polémique en Italie. Le narrateur principal, Simon Simonini, brillant faussaire et antisémite notoire, raconte son travail de rédacteur qui aboutira à "l'évangile" antisémite des Protocoles des Sages de Sion. À la fois extraits de journaux intimes et de lettres, cette production littéraire s'apparente aux romans-feuilletons du XIXe siècle. Bien plus baroque que dans ses livres précédents, et non sans audace, Umberto Eco multiplie chausse-trappes, fausses pistes destinées à perdre le lecteur (qui est qui ?), conspirations fumeuses mettant en scène jésuites, franc-maçons, sectes diaboliques et d'authentiques personnages historiques (Alexandre Dumas, Garibaldi, Dreyfus ou le jeune Sigmund Freud). Un roman intéressant qui n'est sans doute pas le meilleur de notre plus brillant écrivain européen mais qui a le mérite de démonter avec talent la manière dont se créent des légendes comme celle des Protocoles de Sion.
Umberto Eco, Le Cimetière de Prague, éd. Grasset, 551 p.
Confessions d'un jeune Romancier
Le quatrième couverture de ce nouvel essai d'Umberto Eco est trompeur et risque fort de conduire nombre de lecteurs dans l'erreur. Sans doute parce que c'est plus vendeur, l'éditeur présente Confessions d'un jeune Romancier (2013) comme d'une sorte de vade-mecum pour écrivain en herbe. C'est faire insulte à Umberto Eco, tant cet essai est moins un manuel pratique pour jeune écrivain en quête de succès, qu'une brillante présentation de la carrière de "jeune" romancier d'Umberto Eco (seulement sept romans à son actif, en comptant Le Cimetière de Prague publié après les conférences à l'origine de ce livre). Il y livre également sa vision du roman dans l'histoire de la littérature tout en répondant à quelques questions essentielles : comment lui vient son inspiration ? Quelles sont les contraintes de ses romans ? Quels sont les liens entre les intentions de l'auteur et les interprétations du(des) lecteur(s) ? Quelle est la réalité et la vérité des personnages romanesques (une question moins anodine qu'il n'y paraît) ? En quoi la sémiotique peut-elle s'intéresser aux personnages fictionnels ? Eco termine cet essai par une partie étonnante et passionnante sur la place des listes dans son œuvre comme dans la littérature en général. Finalement, voilà un essai passionnant qui confirme qu'Umberto Eco reste l'un des plus passionnants intellectuel et artiste de notre époque.
Umberto Eco, Confessions d'un jeune Romancier, éd. Grasset, 232 pages
22:26 Écrit par Bruno Chiron | Tags : eco, umberto eco, essai, roman, chroniques | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |