Anaëlle Tourret : "Il me tient toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux" (24/03/2025)

Dans la foulée de son deuxième album Perspectives concertantes, tout entier consacré à la harpe, Anaëlle Tourret a bien voulu répondre à nos questions. Découverte d’une artiste rare, passionnée et ambitieuse. 

Bla Bla Blog – Bonjour Anaëlle. Vous sortez en ce moment votre deuxième album, Perspectives concertantes, consacré à des œuvres pour harpes, votre instrument fétiche. Pouvez-vous nous raconter le lien que vous avez avec cet instrument à la fois très ancien et souvent mal connu ?
Anaëlle Tourret – La harpe est un instrument qui suscite toutes les curiosités : parmi les plus anciens instruments qui aient jamais existé, sa facture n'a eu de cesse d'évoluer au fil du temps, pour trouver son apogée au début du XXe siècle. Parallèlement, ses facettes sont multiples et d'une richesse insoupçonnée. On la retrouve au sein d'un orchestre, en partenaire chambriste, en récital soliste ou en concerto avec orchestre. Cette richesse des possibles est très certainement l'énergie qui m'anime le plus lorsque je songe à mon instrument. 

BBB – Avec la harpe, on pouvait s’attendre à des compositeurs classiques. Or, c’est le XXe siècle qui a votre préférence. C’est une envie de dépoussiérer le répertoire pour cet instrument ?
AT – Le XXe siècle a été le théâtre de toutes les plus grandes créations artistiques et musicales. L'instrument harpe en est également le miroir, suscitant par sa facture nouvelle l'intérêt de nombre de compositeurs qui, à la façon des musiciens les ayant précédés durant la période classique, ont su proposer des perspectives nouvelles sur le regard porté sur cet instrument et son répertoire.  Associée parfois à cette image de salon ou d'instrument féerique, celui des anges, il serait toutefois injuste de dénigrer ces symboles, partie intégrante de notre identité musicale.  Il me tient en revanche toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux dans les lectures qui nous sont amenées, et à la façon de ces maîtres du XXème qui ont su s'affranchir des ordres établis pour accéder à un autre ordre de réalité, il m'est apparu comme une évidence de rendre hommage à ce siècle de découvertes et innovations. 

BBB – Outre Debussy, vous avez choisi de vous intéresser à deux compositeurs du XXe siècle peu connus, Reinhold Glière et Ernst von Dohnányi. Pourquoi ceux-là ?
AT – Claude Debussy a été le réel précurseur pour la harpe moderne telle que connue aujourd'hui, avec ses Danses sacrée et profane qui constituent à présent un jalon de notre répertoire. Tout comme le Concerto pour harpe de Reinhold Glière, œuvre phare du répertoire concertant injustement méconnu ; le catalogue musical de Glière dépasse l'entendement par sa profusion et sa qualité. C'est l'exactitude de son propos sur l'écriture pour harpe qui m'a particulièrement touchée, exactitude ressentie à mon sens dans toute son œuvre compositionnelle et surtout dans son désir de transmission qui ne l'a jamais quitté - professeur de composition à Kiev puis Moscou durant toute son existence, il a formé et accompagné les plus grands compositeurs de cette époque. Le Concertino d'Ernst Von Dohnányi est le fruit d'un partage autour d'une amitié, celle avec la cheffe d'orchestre Bar Avni. C'est elle qui me fit découvrir cette pièce, que nous avons donnée une première fois il y a plus d'un an, et que nous avons associée aux Danses de Debussy. La connexion musicale entre ces deux œuvres apparut alors comme une évidence, et tout prit sens de façon extrêmement naturelle : Dohnányi n'eut de cesse durant toute son existence de repousser les limites compositionnelles pour les instruments, et la harpe ne fit pas exception. C'est le rôle de l'instrument concertiste qui est ici revisité, et un théâtre se jouant en deux tableaux : une virtuosité technique exigée pour l’interprétation avec des rythmiques très novatrices, mais également le rôle de l'orchestre qui s'avère presque soliste par endroits, accompagné par la harpe qui se fait tapis pour soutenir. Cet alliage à travers les siècles de ces trois compositeurs qui, chacun à leur façon, ont rebattu les cartes de l'écriture pour harpe, est absolument fascinant. 

"Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique"

BBB – Face à un orchestre symphonique, est-il plus difficile à une harpe de "dialoguer" que pour un instrument aux sonorités plus puissantes, tels que le piano ou le violon ?
AT – C'est ici je crois que toute la richesse de mon instrument intervient : car la harpe se fait au sein d'un orchestre l'interlocuteur idéal pour terminer la phrase d'une flûte, soutenir la voix d'un violon soliste ou adoucir des tessiture plus graves dans de grandes symphonies, elle se nourrit de toutes ces richesses pour irradier lorsqu'un concerto lui est dédié et fourmiller de tous les champs des possibles. 

BBB – Comment s’est fait le choix de travailler avec Vasily Petrenko et le NDR Elbphilharmonie Orchestra ?
AT – Lorsque le désir d'enregistrer ces œuvres se concrétisa, il m'est apparu extrêmement naturel d'envisager l'aventure en partie avec "mon" orchestre, phalange dont j'ai la joie d'être harpiste soliste depuis quelques années déjà. Le concerto de Glière s'avérait le choix idéal au sein de la programmation de la merveilleuse Elbphilharmonie, qui constitua en cela une première mondiale. Vasily Petrenko a répondu avec le plus grand des enthousiasmes à cette proposition de programme, et je n'aurais pu souhaiter meilleur partenaire artistique pour ce projet, tant son engagement et sa sensibilité pour ce répertoire furent sincères et exaltés.

BBB – Que diriez-vous à un ou une enfant pour l’encourager à découvrir la harpe et, pourquoi pas, en faire son métier ?
AT – Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique. Plus largement, il s'agirait de toujours repousser plus loin et plus larges les horizons possibles, toujours permettre à de nouvelles perspectives de s'établir, et de mesurer le cadeau pour un enfant de nos jours que celui de pouvoir aller au théâtre, au concert, à l'opéra, au ballet, au musée ou dans un gymnase, pour toujours s'inspirer de grandes figures artistiques qui ont su vibrer de leur passion par leur exigence et leur lumière. 

BBB – Quels sont vos projets pour 2025 et pour après ? Des concerts ? Des festivals ? Un autre album ?
AT – L'année s'annonce à l'image de la richesse permise par mon instrument : multiple, plurielle et à la croisée de plusieurs chemins artistiques. Des récitals solistes et chambristes me réjouissent, auprès de partenaires musicaux qui me font la joie de partager leur lumière : au Konzerthaus de Berlin avec le violoniste Brieuc Vourch, en soliste au Château d'Azay-le-Rideau pour les Concerts de Poche, en musique de chambre cet été pour les Festivals de Salon de Provence avec Éric Le Sage, Paul Meyer, Emmanuel Pahud ou le Festival la Clef de Voûte, pour le Printemps de Heidelberg, à Lausanne, à l'Elbphilharmonie de Hamburg...  Joie également de donner des pages de répertoire concertant au Brésil à l'automne prochain (Rio de Janeiro, Belo Horizonte) ainsi qu'en Allemagne la saison prochaine. Année enfin riche en symphonies, à Hamburg tout comme auprès d'orchestres qui me font la joie de partenariats privilégiés,- je pense à Paavo Järvi en Estonie, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris, Andris Nelsons...

BBB – Pour Bla Bla Bog, pouvez-vous nous donner vos derniers coups de cœur, en musique classique ou contemporaine, bien entendu, mais aussi en cinéma, série, livre ou exposition ?
AT – La lecture récente des Entretiens de Pierre Boulez avec Michel Archimbaud fut marquante, tout comme l'approfondissement de la découverte de l'œuvre de Romain Gary (sa dernière œuvre en particulier, Les Cerfs-volants). Une récente grande émotion artistique fut offerte par le corps de ballet de l'Opéra de Paris lors de leur production automnale du Lac des Cygnes de Tchaïkovski par Rudolf Noureev. 

BBB – Merci, Anaëlle. 

Anaëlle Tourret, Perspectives concertantes, Es-Dur, C2, 2024
https://www.anaelletourret.com 
https://www.instagram.com/anaelle_tourret/reel/DFXKDlgCWb...
https://www.c2hamburg.de/shop/de/ALL/Perspectives-Concert...

Voir aussi : "Perspectives de la harpe"

© Harald Hoffmann

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00:02 Écrit par Bruno Chiron | Tags : classique, musique classique, harpe, harpiste, anaelle tourret, itw, interview | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |