En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Nous sommes d’accord. Le roman épistolaire a connu son heure de gloire, mais n’est plus vraiment au beau fixe aujourd’hui. C’est pourtant ce genre choisi par Élisabeth Le Saux dans son dernier opus, Courir sur ton ombre (éd. Michalon).
Nous sommes à la fin des années 70. Anna Guibert, folle amoureuse d’Antoine, musicien de jazz, tue par passion la maîtresse de ce dernier. Condamnée, elle est emprisonnée dans la sinistre prison de Pontaniou. Là, elle écrit à Antoine, lui parle de leur histoire d’amour, de son manque, du vide de sa vie, de son désespoir, de la prison, mais aussi de création, d’art et de musique.
Bientôt, la raison l’abandonne. Antoine lui répond, avant que la correspondance prenne un tour nouveau, à travers une troisième personne surgissant dans la vie du jazzman.
Partitions
Courir sur ton ombre se compose de quatre parties – quatre "nocturnes", en référence aux terribles cellules mais aussi aux célèbres œuvres musicales. Les "partitions" I et II ont pour protagoniste principale Anna, correspondant avec un homme qu’elle a toujours aimé et pour qui elle a commis l’irréparable.
Entre les deux, le lien ne s’est jamais tout à fait rompu, si bien que l’échange épistolaire apparaît comme une suite d’éclats lumineux. Élisabeth Le Saux parvient à dessiner le caractère d’Anna et ses démons ("Je suis la Madone en extase dans les bras du sauveur"), avec comme interlocuteur un homme toujours amoureux et aussi paumé qu’elle.
À partir de la "Partition III", une autre correspondance s’ouvre, cette fois entre Anna et Antoine. C'est une autre relation, avec toujours la Bretagne et le jazz en filigrane.
Le livre se termine sur un "Finale" non sous forme de lettre mais de nouvelle. Avec la musique omniprésnete car, comme l’écrivait Anna, "je cours désormais sur ton ombre, Antoine, et la musique est là, toujours là, plus vaste que la vie".
"Qui n’est occupé à naître est occupé à mourir" : cette citation de Bob Dylan illustre à merveille le premier album de LeHache, Né ! Une vraie naissance musicale pour un auteur-compositeur qui s’est autant nourri de littérature et de poésie françaises (François Villon, Victor Hugo, Jack Kerouac ou Henry Miller) que de musiciens folks (Woody Guthrie, Yves Simon ou Bob Dylan, justement). D’autre noms peuvent être invoqués à l’écoute de l’opus de LeHache : Georges Brassens, Anne Sylvestre et même Bobby Lapointe.
Christian Le Hache, dans l’état-civil, a fait longuement infuser son art en se frottant à des projets tous azimuts, essentiellement dans la région Rhône-Alpes : Jazz avec Kayros (Jazz Clubs de Chalon sur Saône, Bourg En Bresse et Lyon), le collectif AFAG (Festival Un Doua De Jazz à Villeurbanne), l’électro-jazz avec le duo NH++ (Nuit de tous les jazz à Porte-Les-Valence), l’adaptation rock autour du répertoire de Bob Dylan avec Edith Grove (SMAC La Tannerie, Bourg En Bresse) ou encore la création du trio a cappella Cortex Sumus en 2011.
Né !, écrit avec son co-parolier Gérard Viry, sonne comme l’aboutissement d’un parcours artistique atypique que le musicien retrace à sa manière, faisant de son opus un autoportrait, riche de souvenirs (Jalousie, Honfleur), de confessions (Le jardin retrouvé) et de saynètes intimes, à l’instar de La revanche de L'Édredon ou de Mes Gauloises bleues.
Ces fameuses Gauloises bleues renvoient bien entendu aux cigarettes emblématiques de Serge Gainsbourg, à une époque où les préoccupations sanitaires n’étaient pas celles d’aujourd’hui, mais aussi à Yves Simon et à sa chanson Les Gauloises bleues. LeHache confie ceci : "Je pense à ces nuages de l'époque. Gainsbourg pour les nuages (mais il était plus Gitanes que Gauloises) et Yves Simon, bien sûr, référence majeure… Cependant Yves Simon évoque les Gauloises comme un jardin secret de jeunes gens. Dans Mes Gauloises Bleues nous [Gérard Viry et LeHache] évoquons plutôt un type devenu vieux, qui s'envole pour le dernier voyage."
Sincérité, simplicité et exigence
La mort n’est pas absente de cet album singulièrement nommé Né ! Cet premier opus frappe par sa sincérité, sa simplicité et son exigence. Guitare sèche et voix au grain âpre : nous ne sommes pas en terrain tout à fait inconnu avec ce chanteur qui a digéré de multiples influences tout au long de sa carrière, que ce soit Georges Brassens (Onde vagabonde), Hugues Aufray (Ce pays est à toi), Boris Vian ou Sanseverino (La jeune bouchère, Né !).
Le choix de l’acoustique permet à l’auteur-compositeur de laisser un boulevard à des mélodies parfois étonnantes de complexité, à l’instar de Jalousie, et surtout aux textes ("Mon petit doigt me dit qu’il n’est point spectaculaire / D’arpenter chaque jour les mêmes recoins de la terre / La vie fait des mystères mais d’une chose je suis sûr / J’aime le bout du nez au milieu de la figure", Né!).
Les chansons de LeHache sont teintées de couleurs pop-folk (Ce pays est à toi), manouches (La jeune bouchère) ou latinos (À force de lumières). Né ! Est un vrai album généreux et une invitation bienvenue à une France à la fois plurielle mais jamais amnésique de ses traditions musicales (le Gainsbourg, en filigrane de Mes Gauloises Bleues, nous l’avons dit) et même littéraires (Henry Miller).
Faux désinvolte et vrai troubadour contemporain à l’heure des Trente Piteuses, LeHache propose des déambulations et des voyages – intérieurs ou non – qui sont prétextes à des flux de souvenirs, quand ce ne sont pas des regrets (Honfleur). L’autodérision n’est jamais absente, lorsque par exemple le chanteur parle de lui-même ("Je sais rien faire de mes dix doigts / Quand je bricole je bousille / Si j’aide dans un chantier / Ça faire rire les filles / À mon âge avancé je suis célibataire / Car je cherche une femme qui aurait les goûts de ma mère", Le jardin retrouvé). Il sait aussi se faire touchant à l’évocation d’un premier amour, évanescent et éternel tout à la fois (Durance).
Dans cet opus à la folk aventureuse (Guapo), les introspections deviennent des cavalcades, avec la voix sans fard de LeHache, la guitare bien calée contre lui. Une naissance, certes sur le tard, d’un auteur-compositeur à suivre.
Quatre œuvres, enregistrées entre 2014 et 2021, composent Rites, l’album d’Olivier Calmel. L’opus est dominé par Rite Of Peace, une symphonie concertante créée par le chef d’orchestre Aurélien Azan Ziélinski à la Salle Pleyel.
Dire qu’Olivier Calmel se nourrit de nombre d’influences est un doux euphémisme, si l’on regarde son pedigree : jeune compositeur contemporain, Grand prix Sacem de la musique symphonique jeune compositeur, Grand Prix International Académie Charles Cros, Prix de composition au Concours national de jazz de la Défense ou Premier Prix Festival Jazz à Vannes. On peut être sûr que Rites est en soi une vraie expérience sonore, complexe, passionnante et déconcertante.
La première œuvre, Rite Of Peace est dominée par le violoncelle inspiré de Xavier Phillips auquel répond un orchestre dynamique et très cinématographique. Contemporaine, cette œuvre l’est assurément, grâce à l’ensemble Les Siècles. Cette formation unique au monde réunit des musiciens d’une nouvelle génération jouant chaque répertoire sur les instruments historiques appropriés. Dans le premier mouvement, "Atomic Peace", il y a du rythme, du mouvement et de la couleur, ce qui peut nous renvoyer au répertoire de Louis Aubert ? Il y a une sorte de puissance primaire jusqu'à une descente vers l'apaisement comme si le rite en question avait joué pleinement son rôle.
"Pieces of Human Right", plus lent et plus "ample", mahlérien en quelque sorte, est bercé par un chant orientalisant, dans un souffle romanesque pour ne pas dire romantique indéniable. Dans le troisième mouvement, intitulé "Cadence", le violoncelle de Xavier Phillips se fait obsédant. Cette partie, la plus contemporaine sans doute, est jouée avec un dynamisme tel qu’elle fait penser à une danse de sabbat.
La partie suivante, "Rite of Education", fait souffler de nouveau un vent oriental dans un mouvement qui nous entraîne dans un pays méditerranéen aux mille couleurs et parfums épicés, peut-être dans un mariage ou un souk. En tout cas la vie y palpite, non sans de sourds dangers, comme si le compositeur y mettait en musique une femme fatale.
Les sons orientaux – "égyptiens", précise le compositeur – se font plus apaisés dans "September 21". L’auditeur se trouve embarqué dans un désert tout aussi mystérieux, à telle enseigne que ces "Rites" qui peuvent être entendus comme une invitation au lâcher-prise, au voyage et à la méditation.
Qui a dit que la pop culture était incompatible avec la musique contemporaine ?
Un double concerto suit Rites Of Peace : les Rhapsodie fantasmagorique sur Docteur Jekyll et M. Hyde, pour saxophone alto, piano et orchestres à cordes. Olivier Calmel propose un opus des plus cinématographique sur les thèmes du double, de l’altérité mais aussi du mystère. Le Duo Portejoie-Lagarde et l’orchestre à cordes de la Garde républicaine, dirigé par Sébastien Billard, s’emparent avec passion et gourmandise de cet opus en quatre mouvements.
Les Rhapsodie fantasmagorique sur Docteur Jekyll et M. Hyde revêtent une facture plus classique et plus occidentale que les "Rites Of Peace". Plus pop aussi, dans le traitement d’un thème de science fiction. Le classique et le contemporain rejoignent le jazz pour ce qui pourrait bien avoir la facture d'une bande originale d'un film hollywoodien des années 50 ou 60 ("Récit").
Comme son nom l’indique, "Duel", la deuxième partie, se veut plus inquiétante en non sans suspense. On est bien là dans une démarche cinématographique, avec un orchestre symphonique des plus vivifiants. "Doute" frappe par sa sombre mélancolie. On sent l'influence de Ravel dans ce mouvement qui est le chant d'un désespoir et d’une plainte. Cette partie est contrebalancée par "Réconciliation", mêlant éclats lumineux, rythmes de jazz mais aussi de sourdes menaces.
Nous parlions de science-fiction. Elle est bien entendu présente dans la troisième œuvre de l’album, Call of Cthulhu. Rares sont les artistes à s’être mesurés à ce monument littéraire de Lovecraft. En trois parties ("Présence", "Emprise" et "Rédemption") et 6 mouvements, Olivier Calmel propose une relecture musicale de sa saga Cthulhu grâce au Quatuor A Tours de cors et à l’Orchestre de Musique des Gardiens de la Paix dirigé par Gildas Harnois.
Qui a dit que la pop culture était incompatible avec la musique contemporaine ? L’œuvre nous est présentée ainsi : "Call of Cthulhu est un concerto fantastique pour cors et orchestre qui propose de parcourir le mythe des Grands Anciens et d'approcher cette divinité plongée dans une léthargie profonde et capable d'entrer en contact avec les humains au travers de leurs rêves". Il y a un souffle primaire dans cette œuvre, jusque dans les titres des parties : "Dunwich", "Necronomicon", "R’lyeh" ou "Yog-Sothotheries".
Le premier mouvement commence par un récitatif, avant la mise en branle d'un orchestre aux couleurs chaudes, avec une densité sonore incomparable. Les forces telluriques se déchaînent dans une joyeuse et singulière sarabande ("Profonds, Shoggoths et autres Grands Anciens") avant que, dans "Necronomicon", le jazz ne rencontre des sons tribaux et le souffle contemporain dans cet étonnant morceau brassant des influences diverses.
La quatrième parie, "La démence qui vient de la mer", est une cavalcade donnant aux Cthulhu une âme en même temps que des élans menaçants. "Nul ne saurait décrire le monstre", prononce la récitante, Élise Cailloux-Lamorinière. La musique semble s'en charger à sa manière. "R’lyeh", plus calme, mais aussi plus naturaliste, donne vie aux créatures monstrueuses de Lovecraft "Dans sa demeure de Riley le défunt Cthulhu attend en rêvant". "Yog-Sothotheries" vient conclure cette œuvre unique, grâce à un mouvement plus joyeux et dansant. La SF fait place au conte naïf, dans lequel Darius Milhaud semble rencontrer le Carl Orff des Carmina Burana.
Rites se conclue avec Wood Music, un concerto pour quintette à vent et orchestre, avec le quintette ArteCombo et le Scoring Orchestra dirigé par Aurélien Azan Zielinski. Ce concerto grosso en trois mouvements, aux vagues symphoniques néoclassiques éclatantes est idéale pour conclure un album d'une grande cohésion.
Au 38, rue de Montpensier, dans une de ces vieilles ruelles du 1er arrondissement de Paris jouxtant le jardin du Palais Royal, le musée du Louvre et la Comédie française, avait lieu un Duel.
Il se déroulait dans une des plus anciennes salles de la Capitale, sous les ors et les dorures du Théâtre du Palais Royal. Les protagonistes ? Laurent Cirade et Paul Staïcu, de retour pour Duel 2, leur nouveau spectacle créé après une première tournée triomphale dans 36 pays. Les deux musiciens s’affrontent sur scène pendant pendant près d’une heure vingt à coup de violoncelle, piano, violon, mélodica, percussions et autres instruments parfois les plus insolites – scie, didgeridoo ou fil de pêche... L’objet de ce duel ? Faire rire. Mission réussie.
Dans un show efficace et millimétré, les deux compères, complices et adversaires le temps d’une représentation, détournent les codes du concert classique - costumes et nœuds de papillon inclus - pour en faire un spectacle comique, insolite et virtuose. Laurent Cirade le violoncelliste, a sévi dans le célèbre groupe comique multi-primé Le Quatuor, après plusieurs années à l’Orchestre National de France. Il est vrai que l’influence de cette formation burlesque est évidente dans Duel 2. L'autre duelliste est Paul Staïcu, compositeur et instrumentiste confirmé, avec à son actif plusieurs "Premiers Prix" en composition et jazz. C’est d’ailleurs dans le jazz que Paul Staïcu a notamment brillé en jouant aux côtés de Michel Portal, Steve Coleman, Winston Marsalis ou François Jeanneau. Excusez du peu.
Ces deux musiciens, qui ne sont donc pas venus de nulle part, construisent dans Duel 2 une série de numéros enlevés où la musique devient autant une arme (le spectateur apprendra d’ailleurs comment tuer avec un violoncelle !) qu’un jouet que deux grands gosses – surdoués – convoitent jusqu’à s’entre-déchirer - pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Dans cet affrontement (presque) muet des deux musiciens, les scénettes s’enchaînent sans temps mort. Le non-sens et le burlesque sont la règle et nous renvoient au célèbre duo de Charlie Chaplin et Buster Keaton dans Limelight (Les Feux de la Rampe, 1952).
L’imagination de Laurent Cirade et Paul Staïcu, sans oublier celle de la metteuse en scène Agnès Bourry, décline à l’infini le détournement des instruments et des répertoires de musique. La surprise peut surgir à tout moment : jouer du piano dans un transat, cuisiner puis déguster un violoncelle ou élever au biberon un violon. Le pouvoir de sex-appeal du violoncelle (que l’on connaissait depuis les célèbres clichés de Kiki de Montparnasse par Man Ray) est aussi raconté avec succès, jusqu’à la "naissance" d’un violon bien encombrant.
Les moments de poésie ne sont pas oubliés : une variation sur le thème de Carmen, au piano, violoncelle et didgeridoo, fait partie de ces moments de grâce, tout comme l’interprétation tendue et inspirée de Walk on the Wild Side de Lou Reed.
Laurent Cirade et Paul Staïcu multiplient les références au classique, au jazz, à la pop, au rock, au reggae, au contemporain, au RnB, au disco et à la soul pour détourner quelques grands compositeurs et musiciens - et tout cela au service du rire. L’auditeur attentif pourra reconnaître, entre autres, Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, les Beatles, Luigi Boccherini, Ludwig van Beethoven, Georges Bizet, Carlos Santana, Ennio Morricone (dans une scène loufoque inspirée des westerns spaghetti), Charlie Chaplin, les Village People, Johann Strauss, Charles Gounod, les Bee Gees, Sergueï Prokofiev, Vladimir Cosma, Johannes Brahms, Lou Reed ou Barry White.
Nos duellistes font non seulement un magnifique hommage au patrimoine musical mais contribuent aussi à le désacraliser. Tout cela n’est pas sérieux, semblent nous dire les deux artistes sur scène. Mais la musique l’est-elle réellement ?
C’est le succès cinéma et musical du moment : le film La La Land déverse des étoiles plein les mirettes à des millions de spectateurs et d’auditeurs. Du jamais vu depuis des années : la comédie musicale, un genre complet, difficile et ingrat que l’on disait passer de mode, revit sur grand écran grâce au réalisateur américano-canadien Damien Chazelle et ses interprètes Emma Stone et Ryan Goslin. Les comédiens forment le couple le plus glamour que l'on ait vu depuis longtemps. Il faut dire qu'ils se connaissent bien : avant La La Land, ils avaient déjà joué ensemble dans Crazy, Stupid, Love (2011) puis dans dans Gangster Squad deux années plus tard.
La comédie musicale était réapparue épisodiquement ces dernières années, soit en reprenant des concepts qui avaient fait leur preuve (Chicago), soit en revisitant le genre, avec plus ou moins de réussite (Moulin Rouge). La La Land suit une autre voie : celui de la création originale comme de l’hommage aux grands classiques des années 30 à 50. Il y a cinq ans, c’était ainsi que Michel Hazanavicius avait écrit son chef d’œuvre The Artist, avec Ludovic Bource pour la musique.
Pour La La Land, le compositeur Justin Hurwitz a bâti une bande originale sur mesure. Les auditeurs retrouveront l’ambiance du film, avec des morceaux déjà anthologiques, composés avec soin et interprétés avec amour par des acteurs et chanteurs inspirés.
L’album s’ouvre par le majestueux Another Day of Sun, au souffle coloré inoubliable. Dans la grande tradition des comédies de Fred Astaire et de Gene Kelly, les chœurs deviennent des personnages et des interprètes à part entière, à l'image aussi de Someone in the Crowd. Malin et magicien, Justin Hurwitz n’imite pas, pas plus qu’il n’est dans l’hommage transit du répertoire chrooner des années 50 (A Lovely Night). Le musicien va naturellement piocher du côté du jazz (Mia & Sebastian’s Theme, Summer Montage / Madeline), du free jazz (Herman’s Habit), mais aussi du classique (Planetarium) et de la pop. Ainsi, ne peut-on pas voir dans City Of Stars un peu de Coldplay et leur tube A Sky Full Of Stars. John Legend, dans un second rôle notable, propose un titre pop-rock avec Start a Fire, une parenthèse plus contemporaine mais moins convaincante.
La La Land est une pure merveille musicale et assurément déjà un classique, aux mélodies entêtantes (Engagement Party) et qui vous redonnent le smile : "Ba da da… I think about that day / I let him at a Greyhound Station / West of Santa Fé / We were seventeen, but he was sweet and it was true / Still I did what I had to do / Cause I just knew..." ♫♪♫ La la la...
Justin Hurwitz, La La Land, Interscope Records, 2017
Je vous parlais il y a quelques mois de Fatbabs et de sa bande de potes qui nous proposait son EP Holidays, réjouissant et, dirions-nous, estival. Le producteur et beatmaker enfonce le clou avec son album Music Is For Kids, tout aussi festif et créatif. Un opus rafraîchissant et ensoleillé pour nous, les gamins que nous sommes tous. Ça tombe bien : il fait beau et nous sommes enfermés chez nous. "Si j’avais le temps / Je ferais rien / Si j’avais le temps / Je le ferais bien / C’est jamais le moment" (A quoi tu penses ?). Cela ne vous parle pas ?
Pour son nouvel opus, Fatbabs a su s’entourer, et même de bien s’entourer. Il propose des featurings à la pelle pour un album souriant :Naâman, Sizzla, Demi Portion, Soom T, Jahneration, Marcus Gad, Volodia, Kenyon, Naë, Françis, Scars, Mardjenal, Cheeko, D’Clik, Mood Supachild, Joey Larsé, Rachel Lacroix, Jazz P, MC Kaur, Floretha, Madeline et Adil Smaali. Vingt invités pour un premier album réellement ambitieux.
Le résultat ? Une pop décomplexée matinée d’urbain (Life is Child, avec Madeline en featuring), d’électro (Inspiration, CelestialDance avec Floretha et Joey Larsé), de rap (Like A Melody, avec Naâman et Mood Supachild ou Woman avec Jazz P., MC Kaur ou Demi Portion) et même de reggae (Close To Me avec Jahneration, Look Out avec Sizzla et Relate avec Marcus Gad.
"Si j’avais le temps / Je ferais rien / Si j’avais le temps / Je le ferais bien"
Oui, du reggae également. Il faut dire que depuis 2012, Fatbabs est le beatmaker fétiche de Naâman, figure emblématique du reggae français. Il produira d’ailleurs ses trois prochains albums, dont un en Jamaïque.
On en saura jamais trop remercier Fatbabs pour ses titres merveilleux de rythme, de soleil, à l’exemple de Music Is For Kid, qui donne son nom à l'album, ou encore et surtout du fantastique morceau Sad Owl, avec Rachel Lacroix dont on découvre l’immense talent.
On retrouve dans Music Is For Kids le titre Keep on Rollin avec Naâman et Demi Portion, qui était déjà présent dans le EP Holidays. Au sujet de ce mini-album, j’avais déjà souligné tout l’aspect festif du titre sautillant Lalala, présent également ici. Comme si Fatbabs avait rameuté pour l’occasion sa bande de potes, Naâman, Jahneration, Volodia, Kenyon, Mardjenal, Francis, Cheeko, D’click et Scars.
Vrai album de fusion, Music Is For Kids est une ouverture généreuse au monde, à l’instar de Look Out avec Sizzla et Relate avec Marcus Gad : énergie, plaisir et passion. Fatbabs dit à sa manière que la musique est pour les grands enfants que nous sommes.
L’amour et la colère : voici les propositions tonitruantes de Davy Kilembe dans un nouvel album finalement bien plus intimiste et délicat qu’il n’y paraît au premier abord.
Alors, oui : cet artiste à,la carrière déjà bien remplie (en trio il y a vingt ans, avant d’entamer une carrière dans le jazz puis dans des premières parties pour Francis Cabrel, Tété, Arthur H, Cali, Sanseverino ou Tryo, sans oublier des récompenses – Prix du Centre de la chanson, Talent France Bleu, Prix Charles Trenet, Prix du Public de Trois Baudets"Vive la reprise") aborde des sujets contemporains et engagés : la migration et les doubles racines (Souleumane), ou le terrorisme religieux nourri par la confusion et la perte d'identité (L'homme qui portait la bombe). Pour autant, ce qui marquera très certainement l’auditeur ce sont la tendresse, la bienveillance et l'amour présents aux quatre coins de ces Chansons d'amour et de colère. La vie, l’humanité et la passion affleurent sans cesse, quand elles ne dévalent pas à gros bouillon de cet opus attachant : "Les sourires que je vois de vous / la confiance que je vous voue / Entre nous surtout pas de sexe / Pour les bisous ce sera la joue" dans cette très originaire histoire de rupture (Voudriez vous devenir mon ex).
Ces chansons d'amour sont celles d'un artiste dont on devine aisément le cœur de guimauve (Je suis son prisonnier, Voudriez vous devenir mon ex), et dans lesquelles il se livre avec pudeur, quand ce n’est pas avec autodérision (Timide, Les bonnes résolutions, Mes ennuis).
Car l’humour est bien présent dans un album qui s'annonçait comme un opus oscillant entre coups de sang et coups de cœur, ceux d’un grand ado un peu perdu (Mes ennuis) et volontiers nostalgique (La 4L à Momo).
Musicalement, Davy Kilembe fait le choix d'une chanson française puisant dans la world (Je suis son prisonnier), le reggae (Timide), la folk (Unique dans l'univers, Voudriez vous devenir mon ex), le rock (Les bonnes résolutions), ou le jazz et le brass band (le grinçant Yapadam).
On s’arrêtera particulièrement sur le duo réussi avec Cécile Hercule, racontant l’histoire d’un couple qui s'accroche en dépit de tout (Ça tiendra) , mais aussi sur Unique dans l'univers, qui est un hommage singulier à Ferdinand Cheval le créateur du célèbre Palais de Hauterive.
Étrange album : avec Pelerinaj, Érol Josué transporte l’auditeur du côté des Caraïbes dans une musique mêlant avec bonheur world , électro, pop, chanson, jazz… et vaudou haïtien.
Oui, vaudou. Car Érol Josué, chanteur, danseur, conteur, chorégraphe, anthropologue mais aussi prêtre vaudou ("houngan"), fait de son opus aux 18 titres un vrai pèlerinage (d’où le titre de l’album) dans un pays riche, coloré, bruyant, complexe mais aussi blessé. C’est ainsi que l’on doit comprendre le titre créole "Je suis grand nèg" qui est aussi le chant d’un haïtien portant la voix de son peuple et des cinq piliers de ses souffrances : division, colonisation, division, évangélisation et corruption.
À l’image de ce pays, c’est le syncrétisme musical qui domine dans cet album riche, solide et cohérent. Syncrétisme car la place du religieux est bien présent, que ce soit dans les chœurs de "Mitolo", dans l’harmonium de "Pèlerinaj fla vodou" ou encore dans cette reprise folk et créole de l’"Ave Maria" de Gounod ("Palave Maria").
Chanteur, danseur, conteur, chorégraphe mais aussi prêtre vaudou
Érol Josué a pris son temps pour cet album personnel a plus d’un égard. La voix du chanteur s’envole avec grâce ("Badji") tout en se jouant de tous les registres : douleur ("Je suis grand nèg"), retenue ("Tchèbè tchèbè"), tendresse ("Avelekete"), sans jamais renier les traditions musicales haïtiennes ("Kafou", "Kase tonèl").
Le travail sur les sons est remarquable dans cet opus balançant sans cesse entre traditions et modernité. Pour "Gede Nibo" c’est du côté du jazz que s’aventure Erol Josué dans une musique métissée qui ne fait pas l’impasse sur les sons caribéens. "Sim goute w" est sans doute aussi le meilleur exemple de cette pop-folk teintée de musique traditionnelle… à moins que ce ne soit l’inverse. Quant à "Ati sole", on est dans cette musique vaudou mâtinée de sons rock, au service de l’identité haïtienne. L’électro n’est pas en reste ("Rèn sobo","Ati sole"), pas plus que ces recherches de sons inattendus, que ce soit des riffs de guitares ou des claquements de fouets ("Erzulie").
L’auditeur s’arrêtera assurément sur le morceau "Kwi a". Tout est là : l’efficacité de l’orchestration, le texte en créole et les percussions irrésistibles de justesse et de subtilité. Envoûtant, Pelerinaj l’est jusqu’aux dernières notes de "Kase tonèl", aux rythmiques envoûtantes. Sans oublier ces chœurs qui font toute la richesse d’un album bigarré, dense et ambitieux.