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Rechercher : jazz

  • Elise Bertrand, ultra moderne romantique

    Les Lettera Amorosa, qui donnent son nom au premier album d’Elise Bertrand, marquent la découverte d’une nouvelle venue dans la musique contemporaine.

    La maison de disques Klarthe Records a eu la bonne idée de sortir les premières œuvres de la jeune compositrice et violoniste, et en premier lieu cet opus 10 que sont le quatuor avec flûte "Lettera amorosa". Elise Bertrand a mis en musique le recueil éponyme de René Char, que l’écrivain présentait ainsi dans son épigraphe : "Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux bois et à la poésie ; couple aux prises avec tout le risque, dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps brutal ; dans ce poème il n’est question que de vous".

    En dépit de sa facture contemporaine, les quatre mouvements de ces "Lettera" laissent percevoir une tradition classique comme le montre leur titre : "Chant d'insomnie", "Badinerie, Scherzando", "Aria, Adagio", "Rondo Alla Toccata, Vivo". Le romantisme est également présent dans ce "Chant d’insomnie" élégiaque, mais Elise Bertrand sait aussi jouer d’une liberté légère, à l’instar du deuxième mouvement et son étonnante badinerie. Plus sombre et lancinant, le mouvement "Aria, adagio" est une déambulation dans la douleur amoureuse, nappant cette partie d’un certain mystère. Ce mystère, Elise Bertrand vient y mettre fin avec la quatrième partie, "Rondo Alla Toccata, Vivo".

    Hormis ces "Lettera Amorasa" qui donnent son nom à l’album, la compositrice proposent d’autres premières œuvres. Le "Quasi Variazioni, Op. 7", le plus long morceau du disque, est une création à la sombre beauté commençant par un piano mystérieux avant de s’épanouir dans des variations – ou des "quasi variations" pour reprendre le titre du mouvement – qui peuvent se lire comme des appels à la liberté et à l’amour. Il y a un instinct sauvage dans le piano de Dana Ciocarlie qui oscille entre élans sauvages et une délicatesse toute romantique – et même romanesque, dirions-nous.

    Pour la "Sonate pour violon et violoncelle, Op. 8", Elise Bertrand est au violon . Elles est accompagnée par Hermine Horiot au violoncelle. On peut parler d’un ultra-moderne romantisme se jouant du mystère, de l’audace dans l’écriture mais aussi un combat incessant se déroulant en deux temps. Les deux mouvements naviguent entre séduction, répulsion et attirance, à l’instar du 2ème mouvement, plus long, plus aventureux.  

    Un aplomb certain

    L’auditeur sera sans doute surpris de trouver dans Lettera Amorasa une œuvre sacrée, l’opus 2 "Impressions liturgiques", avec Caroline Debonne et Ionel Streba. Elise Bertrand ne cache pas son admiration pour le Requiem de Maurice Duruflé et déploie ces "Impressions liturgiques" avec une simplicité déconcertante et un panel de couleurs, en dépit de la brièveté de l'opus : un "Introït" mystérieux, un "Lux Aeterna", lumineux, un "Supplicatio" très ancré dans la tradition du XXe et un "In Paradisium" presque debussyen.

    Caroline Debonne et  Joë Christophe sont aux manettes des trois mouvements du "Mosaïque, op. 4". La compositrice se montre là encore audacieuse : ça virevolte, ça s’égaye et ça s’enjoue ("I, Prélude et adagio"). Il y a une grâce certaine dans la manière dont Elise Bertrand impose son univers ("II. Expressivo"), y compris dans la concision – on oserait parler d’efficacité. L’auditeur gouttera avec intérêt et curiosité le délicat "Postlude" aux couleurs chaudes et méditerranéennes, comme si le peintre Matisse s'était penché au-dessus des épaules de la jeune compositrice.        

    L’album se termine paradoxalement avec l’opus 1, qui est constitué de 12 Préludes à la facture plus tonale et, dirions-nous, plus classique. Elise Bertrand les interprète elle-même au violon. Elle dédie ces préludes au compositeur Nicolas Bacri, son professeur de composition. Elle dit ceci de son premier opus : "Reflets d’une première période aux diverses facettes, les Préludes évoluent déjà vers une matière sonore où la poétique musicale personnalise mon langage musical."

    Comme pour la plupart de ces œuvres de jeunesse, ces préludes sont brèves (le plus court fait cinquante secondes et le plus long un peu plus de deux minutes). Il y a des accents debussyens (le premier prélude, "Rêveur") voire romantiques (le 2e prélude, "Scherzando") dans ces déambulations musicales. Elise Bertrand sait même se faire mystérieuse, nous ne pas dire envoûtante (3e Prélude, "Misterioso"). L’auditeur retiendra sans doute le romanesque prélude n°5 "Simplice", semblant s’inscrire dans la tradition classique européenne du XIXe siècle. Il y a tout autant du Satie dans l’"Andante" du prélude n°6, avec sa délicatesse rêveuse, contrastant avec le n°7 et ses rythmes de jazz ("Jazz Rhapsody, Vivo").

    "Au loin" et son onirisme (le prélude n°8) semble s’ébrouer de la tonalité classique et harmonique pour aller vers des élans plus contemporains. On pourrait en dire autant du 9e prélude, "Lento Espressivo", auquel vient répondre le 10e, "Furioso", à la belle expressivité. Le prélude n°11 ("Largo") frappe par le choix d’Elise Bertrand d’en faire une lente marche funèbre traversée par des éclats lumineux, avant d’aller vers une lente ascension toute métaphysique. L’album se termine avec le prélude n°12 ("Calme"), plus long et dans lequel la compositrice semble faire une mue définitive vers une écriture plus contemporaine. Un répertoire où la musicienne se meut avec créativité, sensibilité mais aussi un aplomb certain.   

    Elise Bertrand, Lettera Amorosa, Klarthe Records, 2022
    https://elise-bertrand.fr
    https://www.facebook.com/elise.bertrand.musique
    https://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/lettera-amorosa-detail

    Voir aussi : 
    "Camille Pépin, sans coup férir"
    "Concertant et déconcertant"
    "Album univers"

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  • Rammstein en version classique par le Duo Jatekok

    Adapter en version acoustique et classique Rammstein, le groupe de rock metal allemand le plus emblématique de la scène mondiale : voilà un  projet qui ne pouvait qu’interloquer Bla Bla Blog. C’est le Duo Jatekok, formé par les pianistes Nairi Badal et Adélaïde Panaget, qui s’est attelé à la tâche.

    À bien y réfléchir, le projet a du sens si l’on pense à l’intrusion de sons symphoniques chez Rammstein ("Mein Herz Brennt" ou "Ohne Dich"). De plus, les fans du groupe allemand savent que les deux pianistes assurent depuis 2017 leur première partie. Ce pont entre deux courants musicaux, a priori aussi antinomiques que le metal et le classique, est à saluer. Le résultat est ce Duo Jatekok plays Rammstein, un passionnant album de reprises qui sort cette semaine. Un opus qui ravira autant les fans du groupe de rock que les familiers du classique – deux mondes qui peuvent d’ailleurs parfois se confondre.

    Précisons aussi que le Duo Jatekok est l’auteur de trois enregistrements classiques et contemporains. Le premier, Danses, rassemble des œuvres de Grieg, Barber, Ravel et Borodine et le deuxième, Boys, propose des créations de trois hommes – comme son nom l’indique : Poulenc et sa sonate pour deux pianos, Points on Jazz de Dave Brubeck et trois pièces de Baptiste Trotignon.

    Impertinentes, précises et virtuoses, Nairi Badal et Adélaïde Panaget adaptent donc cette fois Rammstein pour leur nouvel enregistrement, à travers des revisites balayant toute la carrière du groupe, depuis leur premier album Herzeleid ("Seemann") jusqu’au Rammstein 2019 ("Puppe", "Diamant"), en passant par le fameux Sehnsucht  de 1997 ("Klavier", "Engel") ou Mutter ("Mutter", "Mein Herz Brennt") en 2001.

    Les musiciennes du Duo Jatekok étincellent dans ce projet instrumental (il manque évidemment, dans ces reprises, le texte des morceaux, que l'auditeur pourra retrouver dans les albums originaux ou live), projet qui séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique – qui pourront y trouver une porte d’entrée vers un des groupes les plus célèbres de la scène metal internationale. 

    Ce projet séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique

    La sonorité brute de Rammstein laisse place dans cet opus à une facture classique ou néoclassique, à l’image du fameux "Engel". Le duo met en valeur l’écriture harmonique et mélodique que l’interprétation originale très rock de Rammstein efface pour le moins.  

    Nairi Badal et Adélaïde Panaget entendent pour autant respecter l’esprit de Rammstein, que ce soit l’insouciance inquiétante de "Puppe" avec ces explosions de sons pianistiques, la puissance sombre de "Mein Herz Brennt" ou la ballade "Ohne Dich", une des chansons phares du répertoire de Rammstein sur le deuil, la mort et la solitude.

    L’inquiétant "Klavier" est, quant à lui, peuplé de fantômes, de portes ouvertes sur le mystère et d’une étrange pianiste. Les musiciennes de Duo Jatekok en font une lecture très contemporaine, onirique, mais non sans ce rythme dingue, servi par leur virtuosité remarquable.  

    "Frühling in Paris" est à saluer comme une superbe composition sur le souvenir d’une histoire d’amour ("Oh non je ne regrette rien / Wenn ich ihre Haut verließ / Der Frühling blutet in Paris"), l’un des plus beaux morceaux de album, lumineux et au souffle romanesque incroyable. Le titre est habité d’éclairs mélancoliques, à la tristesse insondable. L’influence d’Edith Piaf est évidente dans ce qui sonne comme un hymne à la France.

    "Mutter", lui, démarre doucement avant de trouver une puissance assez fidèle à Rammstein. Nairi Badal et Adélaïde Panaget font de ce morceau en hommage aux mères un bouleversant chant mêlant les regrets et la rancœur. Parlons aussi de "Diamant", sorti en 2019, qui a droit aussi à une revisite. Cette histoire d’amour toxique devient une ballade romantique très fidèle au titre original tout en retenue, mais son sans trouvailles sonores ni ce romantisme noir singulièrement plus présent dans cette version que dans l’original.

    Le morceau "Ausländer", inspiré par Prokofiev, parle de la découverte de l’étranger et de l’étrangère ("Ich bin Ausländer / Mi amore, mon chéri"). Le Duo Jatekok en fait une fantaisie plus romantique, mais tout aussi légère. Romantisme aussi, mais cette fois sombre, avec l’étonnante et bouleversante adaptation de "Seemann", un chant funèbre que les fans de Rammstein connaissent bien.

    L’album se termine avec "Sonne", tout aussi classique, adapté comme une marche lente et douloureuse, à l’image de l’œuvre originale, avec ces éclairs jazz qui en font un étourdissant voyage musical. 

    Duo Jatekok plays Rammstein, Vertigo, 2022, sortie en mai 2022
    https://duojatekok.com
    https://www.facebook.com/DuoJatekokOfficiel
    https://www.instagram.com/duojatekok
    http://www.rammstein.com
    https://www.rammsteinworld.com

    Voir aussi : "No Dames, no drames"

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  • Haut Suzane

    Cet été, c’est l’artiste que l’on a sans doute le plus vue sur les scènes de France. Suzane, 28 ans, à peine découverte grâce à son EP éponyme, ne s’est pas ménagée et remettra ses vacances à un peu plus tard.

    Le quotidien La Provence (édition du 28 août 2019) a fait le compte : 32 festivals, soit 10 de plus que ses homologues Clara Luciani, Therapie Taxi ou Eddy de Pretto, 15 de plus qu’Orelsan et 9 de plus que Boulevard des Airs. On a ainsi vu la native d’Avignon aux Vieilles Charrues, au festival de Poupet en Vendée ou au festival de jazz de Montreux.

    L’ascension de Suzane a été pour le moins spectaculaire. En quelques mois seulement, la jeune chanteuse est devenue une figure sur laquelle la scène française peut compter, et alors même qu’on ne lui doit pour l’instant qu’un EP – avant un album déjà attendu avec impatience.

    Suzane c’est d’abord un look : combinaison bleue et noire et coupe au carré impeccable. Dans la lignée de Jain, la chanteuse est immanquable grâce à un uniforme sobre et néanmoins hyper moderne. Uniforme n’est du reste pas un terme galvaudé tant l’artiste se révèle comme une soldate engagée et féministe.

    Soldate engagée et féministe

    Dans SLT, l’un des quatre titres de son premier EP, Suzane parle de saynètes brutes dénoncées avec force depuis les raz-de-marée de #Metoo ou #Balancetonporc : la drague de rue, le harcèlement sexuel au travail ou les insultes sexistes sur les réseaux sociaux ("Souffle, sois prudente / Marche dans le couloir d'à-côté / « T'es une pouffe », c'est devenu courant / De l'entendre trois fois par journée / Un gentil peut devenir méchant / Faut pas croire aux Disney / Bats-toi fillette"). Disons-le tout de go : les hommes ne sont pas ménagées dans cet EP écrit avec les tripes (L’Insatisfait).

    L’auditeur ne devra pas passer à côté d’Anouchka, un titre aussi fin et délicat que ne l’est cette "poupée russe." Délaissant l’électro-pop rythmée, Suzane choisit cette fois une orchestration sobre donnant tout son aspect romanesque à ce magnifique hommage à cette troublante jeune femme : "La plus belle fille du lycée / N'est jamais accompagnée / Et sa famille ce demande pourquoi / Pourquoi les garçons pleurent / Ils pleurent en secret / Leur ego se meure / Sur leurs joues trempées / Alors les garçons pleurent / Font des simagrées / Quand Anouchka passe / Sans les regarder."

    Dans son premier mini-album, Suzane fait également son autoportrait sous la forme de dialogues au sujet de son rêve "irréaliste" d’être musicienne ("Qu'est-ce que tu veux faire plus tard / Ah, tu veux être chanteuse ? / Et pour vivre tu fais quoi ? / Ah, donc tu es serveuse / Derrière ton bar en bois / Sauf pendant les heures creuses / Tu rêves de l'Olympia /D'exister devant la foule curieuse"). Un projet mené de haute lutte, au prix de combats contre vents et marées. Pari réussi.

    La tournée estivale de Suzane n’est pas tout à fait terminée car cette semaine, le 5 septembre, l’ancienne serveuse devenue en quelques mois artiste incontournable sera à Veyras, en Suisse, aux côtés de Maître Gims. L'ascension continue. Jusqu'où ?

    Suzane, Suzane, Wagram Music / 3ème Bureau, 2019
    https://www.facebook.com/suzanemusique

    Voir aussi : "La Femme libérée"

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  • Ainsi chantait Zarathoustra

    Il y a au moins deux manières de parler d’Anahita, l’album de la musicienne franco-iranienne Ariana Vafadari.

    La première est de parler du texte tiré de l’Avesta, issu de la tradition sacrée de Zarathoustra, vieille de près de 3700 ans : "Anahita rêve du temps où son village était vert. Le ventre d’Anahita est vide et sec comme les arbres desséchés du village. Anahita parcourt le monde en errance dans les déserts et les terres en feu. Désespérée, Anahita prie la grande déesse tutélaire dont elle porte le nom, la déesse des eaux et de la fécondité célébrée dans cette prière zoroastrienne. Elle prie à nouveau dans une incantation aux Eaux Divines. Après avoir répondu aux tourments d’Anahita, la déesse prend vie en elle. Cette incantation apaise la jeune femme qui sera dès lors plus sereine. Anahita se met en marche vers la source sacrée au confins du désert. Anahita arrive devant la Montagne de Nikbânou en Iran, la montagne s’ouvre sur une grotte, la source apparaît : « L’eau est là ! »"

    L’autre manière est de s’arrêter sur les 10 morceaux de cet album peu commun, en ce qu’il mêle récits millénaires, musique actuelle et une voix de mezzo-soprano unique, avec un savant mélange de pop, de musique traditionnel, de jazz, de classique et de contemporain : une vraie passerelle entre cultures occidentales, orientales et persanes. Tout au long de l'album, la chanteuse est accompagnée de Julien Carton au piano et aux arrangements, de Driss El Maloumi à l'ud, de Leïla Soldevila à la basse, et d'Habib Meftah Boushehri aux percussions.

    Ce qui nous fait dire qu’Anahita n’a pas la facture d’un simple album de world music est le parti-pris de la musicienne de servir les textes de l’Avesta, une compilation de textes sacrés zoroastriens, et de mettre en musique les paroles de Zarathoustra. Un parti-pris intellectuel et mystique autant qu’artistique, si l’on pense au dépouillement extrême de certains morceaux ("Anahita", "Le chant de l’eau"), ou au contraire aux arabesques instrumentales du titre "Sur les pas", capable de mêler modernité et traditions classiques.

    Un pays de conteurs, de légendes et de fillettes au cœur pur

    L’album aux sons polyphoniques nous transporte des siècles plus tôt, dans un pays de conteurs, de légendes et de fillettes au cœur pur ("Le rêve d’Anahita", "Anahita"). La musicienne choisit la retenue et les sons traditionnels pour raconter un voyage initiatique qui n’est pas sans résonance contemporaine sur notre environnement ("L’arbre"). Outre le piano ("Âtash", "Sur les pas"), Ariana Vafadari fait le choix d’instruments traditionnels (ud, percussions) pour cet opus résolument intemporel. Pour le morceau "Tchak Tchak", Ariana Vafadari a invité le percussionniste Habib Meftah Boushehri dans un morceau envoûtant qui narre celui de l’arrivée au but de l’aventure initiatique : "l’eau".

    En fermant les yeux, l’auditeur se laissera happer par la mélancolie et l’onirisme de "Rôyâ" d’"Ardvi Sura" et d’"Incantation" : "zénitude" garantie, même si l’artiste aurait très certainement à redire sur ce terme certainement trop contemporain.

    Produite par Ariana Vafadari et Vincent Joinville, cette création musicale a été jouée en mars dernier au Musée du Quai Branly, avec la participation de Fanny Ardant en récitante.

    Ariana Vafadari, Anahita, Quart de Lune, 2020
    https://www.arianavafadari.com
    https://www.facebook.com/arianavafadari.mezzo
    "Ariana Vafadari au Musée du Quai Branly"

    Voir aussi : "Maya Kamaty, la diva du maloya"

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  • Marc Hévéa, incorrigible optimiste

    Optimiste, Marc Hévéa l’est, sans aucun doute, comme il le dit dans la chanson qui ouvre son album Insolites solos. Le titre du morceau ? "Le métier d'optimiste", comme de bien entendu… Le chanteur fait l’éloge d’un combat souvent perdu d’avance contre la morosité ambiante : "C'est de l'orfèvrerie du travail d'artiste pas facile le métier d'optimiste" mais qui peut s'avérer un joli piège à filles".

    Insolites Solos fait partie de ces opus faussement légers et "feel good", plus mélancoliques qu’il n’y paraît, à l’instar de "J'ai aimé notre rencontre", une jolie ballade délicieusement vintage, nostalgique délicate et capable de faire briller les yeux.

    Marc Hévéa est capable de prendre l’auditeur à contre-pied, à l’exemple de "Y'a quelqu'un derrière", une vraie étrangeté schizophrène : "Y a un type qui parle dans ma tête et ce type qui parle c'est moi. Rien à voir avec mon enveloppe... Ce type qui me parle dans ma tête n'a pas la voix de ma voix. Il n'a pas non plus la tête de ma tête. Alors quand tu vois ma tête tu ne sais pas tout de moi".

    Musicalement, Marc Hévéa surprend son monde par sa capacité de s’affranchir de toute étiquette, que ce soit "Me dézapper les idées ", un titre engagé, enlevé et a capela sur la société de consommation, "Tous les deux complices", une chanson d'amour et de fusion sur un rythme jazz, le bien nommé "Le blues eh oui", dans la droite ligne de Sinclair ou encore le gospel ("Gospel", tout simplement). 

    Marc Hévéa surprend son monde par sa capacité de s’affranchir de toute étiquette

    L’auditeur s’arrêtera avec un mélange de curiosité et d’admiration sur "Les mots croisés", une jolie chanson d'amour cruciverbiste : "Un seul mot supposé nous met le feu sans artifice . Celui que tout le monde espère le cœur serré les bras croisés." Comment faire d'une partie ordinaire et à priori peu sexy une très belle déclaration sensuelle ? Marc Hévéa a peut-être la réponse : "J'aimerais qu'on sonne ensemble comme deux voyelles complémentaires... Mais tisser nos êtres jusqu'à en faire des êtres verticalement horizontalement. J'aimerais tellement."

    La chanson est le terrain de jeu du musicien occitan, à l’instar de "Ma chanson ne t'intéresse plus" où la musique est le témoin cruel autant que la preuve d’une rupture amoureuse : "Mes chansons ne te n'intéressent pas / Mais je les écris toujours pour toi... un jour je t'en enchanterai une".

    Plus sombre encore, "Alors voilà je suis mort" s’écoute comme les confidences d’un mort, à la manière du "Moribond" de Jacques Brel, moins caustique mais mêlant un certain nihilisme à une réflexion existentialiste : "Je sais tout ce que j'ai tant voulu savoir...  Plus de problèmes entre l'être et l'avoir", dit-il, la gorge nouée.

    Ce titre sur la mort est immédiatement contrebalancé par cette autre chanson sur la fin, "Homme sweet homme", cette fois plus blues. Le chanteur, se projetant dans l’au-delà, se déclare prêt à replonger vers la vie : "Hommes, femmes venez profiter de mon âme d'occasion", chante-t-il.

    L'album se termine avec "Rien de plus", une samba sur une relation qui est aussi une "évidence", une "chance" et une "destinée" : "Notre amour est là ça fait si longtemps que j'attends ça pas question de le laisser s'éteindre en restant planter là". 

    Marc Hévéa, Insolites Solos, Bloc Notes, 2021
    https://marchevea.com
    https://www.facebook.com/MarcHeveaMusic

    Voir aussi : "Comme un grand océan de rock"
    "Pauline Croze a la solution"

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  • Les Variations ”Gouldberg”

    "Il est génial et c'est nous qui l'avons !" Ainsi pouvait se résumer l'état d'esprit de la Columbia lorsque le jeune Glenn Gould, 22 ans en 1955, signa avec avec la major américaine pour son premier disque. Un premier disque qui, au début, laissa perplexe ses producteurs. 

    Le musicien canadien s'était déjà fait remarquer lors de concerts, autant pour ses choix musicaux hétéroclites et assumés (des compositeurs élisabéthains côtoyaient Beethoven, Webern et, déjà, Bach) que pour sa présence physique reconnaissable entre toutes lors de ses interprétations : position basse sur son siège, virtuosité, jeu non legato, visage hypnotisé, concentration telle que l'artiste allait jusqu'à chantonner durant ses propres exécutions – ce qui n'ira pas sans donner des sueurs froides aux ingénieurs du son !

    Devenu un des poulains de la Columbia, Glenn Gould devait enregistrer le premier de ses nombreux enregistrements. Quelle œuvre allait être choisie par le musicien ?

    Si le pianiste ne montrait pas beaucoup d'intérêt pour le répertoire romantique, il n'était pas absurde de penser qu'il allait jeter son dévolu sur Beethoven ou Bach. Et si c'est effectivement ce dernier qui fut choisi, ce fut pour une œuvre peu enregistrée jusqu'alors : les Variations Goldberg. La surprise était manifeste.

    Ces 30 variations sur un aria (cataloguées sous la référence BWV 988), exercice pour clavier datant des années 1740, étaient destinées selon la légende au jeune Johann Gottlieb Goldberg, claveciniste doué et élève de Jean-Sébastien Bach. Cette série de courts thèmes et variations ne suscitaient pas l'enthousiasme au sein de la Columbia. Qui s'intéressait au début des années 50 à ces Variations Goldberg, du reste peu enregistrées et surtout mal connues du public ?

    Mais, les producteurs plièrent. On ne pouvait déjà rien refuser au jeune Glenn Gould.

    Contre toute attente, ces trente-deux arias et variations suscitèrent l'enthousiasme critique et surtout public. Les ventes de disques explosèrent. Glenn Gould devint instantanément une star. Comme le commenta son compatriote Norman Snider, "Si une lycéenne possédait un disque de musique classique parmi des enregistrements de Dave Brucecks ou du Trio Kingston, c'était sans doute les Variations Goldberg" ("Indeed, if a college girl had one record of serious music among the Dave Brubecks and Kingston Trios, it was likely to be the Goldberg Variations"). 

    Cette référence à quelques standards de jazz n'est pas anodin. Virtuose, Gould offrait un nouveau souffle à cette œuvre austère, lui donnant du rythme et même, diront certains, du swing. La relecture des Variations Goldberg hérissa le poil de nombreux puristes mais le public ne s'y trompait pas, qui fit un triomphe au pianiste au point de le rendre légendaire.

    Mais l'histoire des "Variations Gouldberg" ne s'arrête pas là. 

    26 ans plus tard, dans la dernière année de sa vie, Glenn Gould offrit une nouvelle version de cette œuvre devenue culte et célèbre grâce à lui. Il choisit cette fois une interprétation lente, sombre et contemplative, plus longue de 13 minutes que l'enregistrement de 1955 ! Le jeune homme impétueux des premières années avait laissé place à un homme mûr, plus intériorisé et d'abord soucieux de comprendre l'essence même de Bach. 

    Ces deux enregistrement éloignés dans le temps, l'un débutant et l'autre clôturant une carrière exceptionnelle, offrent deux visages diamétralement opposées d'un même morceau. Deux visages, deux chefs-d'œuvres, mais un seul interprète. 

    Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1955), Sony Classical
    Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1982), Sony Classical

  • Le retour de Zeitoun

    Sorti au début de l’été, le dernier album de Frédéric Zeitoun, J’aimerais, est une occasion en or de découvrir un artiste complet et à la carrière incroyable : auteur, parolier, chroniqueur à la radio et à la télé, comédien mais aussi chanteur bien dans son époque, sachant aussi bien manier sa plume dans l’encre bleue délicate que dans le vitriol.

    Au vu du pedigree du personnage, l’auditeur ne sera pas surpris de découvrir un album s’inscrivant dans le registre d’une chanson française classique alliant écriture soignée des textes et orchestration traditionnelle. Frédéric Zeitoun propose une production attrayante et élégante : piano, accordéon, cordes ou guitares et non sans accents orientaux ("Vivre vivre").

    De quoi est-il question dans cet album dont la sincérité est indéniable ? "J’aime tout le monde" proclame par exemple Frédéric Zeitoun sur un air de jazz manouche, dans ce qui apparaît comme l’aveu d’un vrai gentil : "J'ai envie d'embrasser / À bouche que veux tu / Mes ennemis d'hier / Et même des inconnus / Rancunier de nature / Je deviens écolo / Et la terre est si belle".

    À ce morceau altruiste autant qu'amoureux vient en écho cet autre titre, "J’aimerais", que l’on pourrait qualifier comme une prière pour soi, chacun et autrui : "J’aimerais que les points sur les i ne soient plus jamais dans la gueule. J’aimerais qu’on respecte la vie pas seulement dans un linceul…. Au conditionnel improbable, j’aimerais tant et tant de choses, magnifiques et invraisemblables, comme une terre jonchée de roses".

    L’aveu d’un vrai gentil 

    Vrai album humaniste, J’aimerais parle de vie ("Les pires mensonges") d’épanouissement mais aussi d’amour ("Tant que tu es là").  C’est aussi "Apprends à désobéir", une adresse destinée au fils du chanteur ("Apprends à désobéir / Ne ploie jamais sans réfléchir / C’est ton onzième commandement / Comme les dix premiers / Souviens-t-en."). C’est encore "Vivre vivre", un morceau sur "l’urgence" de vivre et de "dire aux gens qu’on les aime tant". Frédéric Zeitoun entend parler de son expérience : "Est-ce le privilège de l’âge ? / Les années nous rendent plus sage / Je sais le bonheur bien fragile / Je sais tout ne tient qu’à un fil". "Parenthèse" parle, lui, de lâcher prise : "Prendre un pari sur l’inconnu" pour "imposer" son histoire et "préférer le risque aux regrets" pour se laisser diriger par son cœur seul.

    Homme de son époque, Frédéric Zeitoun règle également ses comptes avec notre époque corsetée et un peu trop sérieuse. C’est le sujet de "Rire de tout" : "Les temps se font dures… régime sans sucre et sans sel, régime sans sexe et sans gluten". Contre "la pensée unique" et le prêt à penser, l’artiste propose une chanson contre les censures de tout poil et pour l’impertinence.

    En parlant de chanson, celle "sans chanteur" propose, sur un thème assez classique, de faire s’exprimer une chanson attendant son interprète ("Facile à habiller un piano seul me suffirait."), son public et le succès ("Pourquoi elle et pas moi ?"). "La chanson sans chanteur" a du sens pour un parolier qui a signé pour une pléthore d’artistes.

    Citons aussi cet autre titre, "La vie sur son visage" qui est le portrait d’un vieil homme à Lisbonne, durant l’été 2019. Il s’agit du portrait d’un bel homme aux cheveux blanc portant fièrement "la vie sur son visage", chante Frédéric Zeitoun qui dédie cet extrait à Gérard Davoust.

    Le musicien ne pouvait pas terminer mieux son album que par le morceau "En mieux", une chanson autobiographique merveilleuse qui résume l’état d’esprit d’un artiste hors-pair : "À l’éternelle question / Si c’était à refaire... / Je réponds sans ambages en regardant les cieux / Je ferais tout pareil mais en mieux".

    Frédéric Zeitoun, J’aimerais, Roy Music, 2021
    https://fredericzeitoun.fr
    https://www.facebook.com/fred.zeitoun

    Voir aussi : "Souvenirs de Piednoir"

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  • Laura Perrudin en perspective

    Dès l’ouverture de Perspectives & Avatars, le 3e album de Laura Perrudin , l’auditeur sait que la musicienne va nous entraîner dans un chemin rarement emprunté.  "The W World", qui introduit le 3e opus de l’artiste rennaise annonce une pop inventive, alliant jazz, chanson et musique électronique, parfois survitaminée ("Major Allegory Of Norm").

    L’artiste dit s’appuyer sur un concept d'écriture où chaque chanson est un personnage, un avatar. Elle est accompagnée de featurings qui élèvent d’un niveau supplémentaire son projet musical : Krismen, Mélissa Laveaux, Ian Chang, Clément Lemennicier, Becca Stevens, Emel Mathlouthi, Dylan James, a Low Woodwind Trio, sans oublier Philippe Katerine.

    Dans le droit "Fil" de Camille, Laura Perrudin choisit à la fois l’inventivité et la classe, sachant aussi bien manier l’audace que la délicatesse ("Light Players"), sans mégoter sur des moments planants.

    Elle ose même le trip-hop dans "Follow Stone", qu’elle développe avec la participation décalée et sarcastique de Philippe Katerine ("Push Me"), dans une critique de la société contemporaine avide de notations et de réseaux sociaux : "Grade ? Grade ? Grade ? Give a grade ! Give a grade ! / Push me ! Push me ! Push me ! Push me ! Push !… Un ressenti ? / Une petite note ? / Pousse moi ! / Pousse mon bouton ! / Content ? Mi-content ? / Mi-pas-content ? / Pas content ?"

    Pour "Well, They Lied", Laura Perrudin fait le choix d’une pop-folk planante : "Evil tough blue in the sky / Just to think I'm gonna die /  Under that light that's so tight", alors que "Game Over" fait figure de titre urbain et hip hop (et même trip-hop), cinglant et sombre, grâce au flow endiablé de Krismen et Ian Chang.

    Dans le droit "Fil" de Camille

    Dans "From One Dark Side To Another", nous voilà dans un titre lui aussi planant - et électronique, pour un vrai voyage intergalactique. "Country Townie Bird" est un titre électro folk lui aussi éthéré et léger, porté autant par la voix de Laura Perrudin que par celle de son nouvel invité, Clément Lemennicier.

    Le timbre de voix de Laura Perrudin semble s’enrichir autant que devenir de plus en plus virtuose au fur et à mesure de l’album, avec le bien nommé "MetaSong", dans lequel la Rennaise surfe élégamment sur la vague de Camille. La chanteuse rennaise est en featuring avec Emel Mathlouthi ("Am I supposed to be beautiful? / Am I supposed to mean something? / Am I supposed to be understood? / Or just to be entertaining?").

    "Le refuge de la couleur" est le seul morceau en français. Interprété avec Morgane Houdemont sur un magnifique texte aux teintes parnassiennes : "J'habille le monde et ses confins / Mais chaque nuit j'épargne la lune / Mais me le direz-vous enfin / Une couleur, en suis-je une ?"

    Mais arrêtons-nous deux secondes sur "Something To Lose", avec Dylan James & a Low Woodwind Trio. Ce morceau électro et rap, mâtiné de sons d’un autre monde, est une revisite du conte de La Fontaine "Le Chien et le loup", et une réflexion sur la dialectique de la liberté et de la prospérité : "- So they keep you fastened ? / You can't run where / you want to run ? / - Not always but never mind. / Follow me and unwind / But I was already far / With all my reborn reason / Venerating again / The deep dry greedy taste / Of my sacred freedom".

    "Sacred freedom." "Liberté chérie" : c’est tout le message de ce titre autant que d’un album d’une très belle créativité. 

    Laura Perrudin, Perspectives & Avatars, Laurent Carrier Diffusion, 2020
    https://www.lauraperrudinmusic.com
    https://www.facebook.com/lauraperrudin
    https://ffm.to/perspectives-avatars

    Voir aussi : "Qui connaît Roxane Arnal ?"

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