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Les miscellanées, ou mélanges, sont un genre littéraire à part entière qui a fait les beaux jours de nombreux lecteurs et qui a été redécouvert au début des années 2000 (on se souvient de l'excellent Les Miscellanées de Mr Schott).
La revue papier et Internet McSweeney (fondée en 1998, nous apprend le 4e de couverture) s'est donnée pour mission d'allier textes sérieux (fictionnels et d'investigation) et publications humoristiques : "un rêve de pierre ou plutôt de bois pétrifié", reconnaît avec dérision le rédacteur en chef Dave Eggers. Ce mélange, Le plus drôle de McSweeney's, est proposé au lecteur français qui découvrira sans doute, par la même occasion, ce journal hors du commun.
Ces miscellanées, on l'aura compris, font la part belle à l'humour, souvent noir, au non-sens anglais (bien que McSweeney's sévisse aux États-Unis), aux incongruités et à l'absurdité, utilisant à foison détournements, pastiches, créations littéraires jouant sur l'anachronisme ou listes sans queue ni tête.
Au menu de ces réjouissances, on retiendra la thèse argumentée sur l'impossibilité technique du compacteur d'ordures de l'Étoile de la Mort dans Star Wars, le commentaire sociologique décalé (et imaginaire) de Noam Chomsky et Howard Zinn sur la première partie du Seigneur des Anneaux, une liste comparant les noms des personnages de la trilogie de Tolkien avec ceux de meubles Ikea, le rejet de la pension d'invalidité de Grégor Samsa, le personnage de La Métamorphose de Kafka, les commentaires d'ateliers d'écriture, toujours imaginaires, au sujet de l'Ulysse de James Joyce puis de l'Odyssée d'Homère, treize consignes d'écriture discutables, un chapitre sur les parodies d'En Attendant Godot (par exemple En attendant En attendant Godot, Université de Reed, 1974), un extrait de la biographie de Steven Seagal, un conte érotique intitulé Chuck Norris et Moi, des biographies caviardées où le réel se mêle à la fiction (Harrison Ford, Samuel L. Jacskson et Arnold Schwarzenegger) ou de multiples listes parfaitement inutiles, quoique souvent très bien vues.
Ce joyeux mélange ravira ceux pour qui la littérature ne doit jamais abandonner l'humour et la fantaisie. En préface, le rédacteur de McSweeney's le dit autrement : "Nous vous encourageons à suivre cette impulsion, et à ne jamais cesser de rêver, même si vos rêves se changent en oiseaux qui ne peuvent voler, ou explosent en vol, comme frappés par la chevrotine." Et Dave Eggers de conclure ainsi, avec un flegme un rien britannique : "La chasse c'est top."
À l'origine du Royaume, l'imposant et exceptionnel récit d'Emmanuel Carrère, il est question d'une crise de foi de ce dernier.
L'auteur de La Moustache (1986) et de L'Adversaire (2000) y dévoile sans fard son passé de chrétien croyant convaincu, d'ancien pratiquant sincère et admirateur des textes sacrés du nouveau Testament, au point de les avoir commentés plusieurs années. Emmanuel Carrère rappelle aussi qu'il a participé à la traduction de l'Évangile de Marc pour La Bible de Bayard (1995). J'écris "passé de chrétien" car Emmanuel Carrère s'étend sur la crise intérieure qu'il a dû surmonter, une "mise à l'épreuve" comme il l'écrit, mêlant fascination pour les textes bibliques et incompréhension du message évangélique, cette histoire de résurrection n'étant pas la moindre des aberrations : "Ces textes... je les trouve toujours magnifiques, je les trouvais déjà délirants... Ils enseignent un dédain de l'expérience, du témoignage des sens..."
À cela, s'ajoutent une angoisse existentielle qui a conduit l'auteur sur le divan d'une psychanalyste mais aussi des expériences personnelles traumatisantes. À ce sujet le lecteur ne pourra qu'être happé par ces vingt pages terrifiantes sur une ancienne nounou croyante et délirante, digne de figurer dans le film La Main sur le Berceau ! Au bout de cette crise personnelle, Emmanuel Carrère choisit de ne pas de tourner le dos à la religion catholique ou à sa foi ; il choisit par contre de la comprendre, de revenir aux racines du christianisme et de se faire homme de raison – et d'agnostique : "Pas de dolorisme, pas de culpabilité mal placée. Ne pas se flageller. Commencer par être bienveillant avec soi-même. Tout cela est plus cool, et me convient mieux... Ce que j'appelle être chrétien, ce qui m'a fait lui répondre que oui, j'étais chrétien, cela consiste simplement, devant le doute abyssal qui est le sien, à dire : qui sait ? Cela consiste, au sens strict, à être agnostique. À reconnaître qu'on ne sait pas, qu'on ne peut pas savoir." Croyant et agnostique (sic), il choisit, dans Le Royaume, un des ouvrages les plus remarqués de 2014, de se faire historien, exégète mais surtout enquêteur.
Commence alors une nouvelle partie de ce récit, passionnant comme un roman. L'auteur assume d'ailleurs complètement son statut de romancier, bien utile pour remplir les trous dans cette histoire compliquée et lacunaire du paléochristianisme, ponctué de crises souvent violentes.
La trame de son nouveau récit suit les traces de Luc, personnage éminemment important du Nouveau Testament, auteur de l'Évangile qui porte son nom mais surtout des Actes des Apôtres. Ce Macédonien lettré, de culture hellénique et attiré par la culture juive (mais sans doute pas juif lui-même), a suivi dans ses voyages autour de la Méditerranée une figure capitale du Christianisme, Paul. Ce dernier, Emmanuel Carrère en fait l'une des figures principales de son livre. L'ancien bourreau de la jeune secte admiratrice de Jésus, devenu lui-même chrétien suite à une révélation en Syrie (les visions du chemin de Damas, voir en illustration de cet article une peinture du Caravage), s'avère complexe, mystérieux, trouble et complexe dans ses motivations. Pour l'auteur, Paul (anciennement Saul) était certes citoyen roman mais n'était sans doute pas juif comme il le prétend, au contraire des autres piliers du christianisme naissant que sont Pierre ou Jacques, l'un des frères de Jésus. Entre l'ancien persécuteur romain et les ex apôtres, les désaccords vont vite se faire jour, d'abord au bénéfice des prestigieux témoins de Jésus. Emmanuel Carrère explique aussi les accusations d'antisémitisme de Paul qui ne s'est pas gêné pour faire endosser par les autorités juives l'accusation de la mort de Jésus (juif lui aussi, rappelons-le), pourtant exécuté par les autorités romaines (une thèse, contestée, de l'historien Hyam Maccoby).
Les désaccords entre Paul d'une part et les deux anciens apôtres vont rapidement dégénérer au point de voir au cours du premier siècle une rupture saillante entre juifs chrétiens (adeptes de Pierre, Jacques mais aussi de Jean de Patmos) et paléochrétiens évangélisés au cours des campagnes de Paul et de ses disciples à travers l'Europe et le Moyen-Orient. Le torchon brûlera pour de bon lors de la diffusion de l'Apocalypse de Jean qui est, dit Emmanuel Carrère, moins un texte eschatologique sur la fin du monde, ou une critique contre Néron (le fameux 666) et les Romains païens qu'une attaque contre... les paléochrétiens pauliniens.
Cette hypothèse en croise d'autres dans ce récit riche et bien documenté. À ce sujet, l'auteur revendique son métier et sa liberté d'écrivain. Moins exégète que romancier, il ouvre des voies intéressantes au sujet de tel ou tel personnage ou telle ou telle scène de la Bible : Luc n'aurait-il pas rencontré Marc (appelé également Jean-Marc ou Yohanan Marcus), l'auteur du premier Évangile ? Ce même Marc ne serait-il pas le jeune homme présent sur le Mont des Oliviers que les soldats chassent et qui s'enfuit en courant, nu ? Le deuxième témoin d'Emmaüs, avec Cléophas, ne serait-il pas Philippe, un disciple qui aurait non seulement facilité "l'enquête" de Luc mais qui lui aurait également confié par écrit les paroles brutes de Jésus captées lors des trois ans de son ministère (la source Q) ? D'autre part, Luc, en plus de ce texte capital, ne se serait-il pas fait à la fois historien et romancier pour écrire son Évangile ? Emmanuel Carrère s'y arrête longuement et commente l'œuvre de Luc, l'Helléniste. Il pointe du doigt, ça et là, incohérences, facilités de langages ou trouvailles stylistiques : "Luc parfois se contente de copier Marc [qui a déjà publié son Évangile], mais la plupart du temps … il dramatise, il scénarise, il romance... pour rendre des scènes plus vivantes."
Au cœur de ce travail littéraire, il y a bien sûr la motivation religieuse et le prosélytisme. Emmanuel Carrère appuie à ce sujet l'importance de cette source Q qui est commun à l'ensemble des Évangiles (à l'exception de celle de Jean, la plus littéraire, la plus ancienne, la plus travaillée mais certainement aussi la moins fidèle à l'histoire). Dans cette source Q, figurent des textes célèbres : des paroles du Sermon sur la Montagne, la parabole du berger et de ses cent brebis, des invitations à la pauvreté, des aphorismes... Ce qui fait dire à l'auteur du Royaume qu'un lecteur, s'il oublie le contexte de cette source, peut être sidéré "par son originalité, sa poésie, son accent d'autorité et d'évidence, et que hors de toute église il prendrait place parmi les grands textes de sagesse de l'humanité, aux côtés des paroles de Bouddha et de Lao-Tseu." Des paroles sages, qui sont cependant contrebalancées, ajoute l'auteur plus loin, par ce qu'écrit Luc faussement qualifié de "policé" et "trop bien élevé" : "Qui vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu'à sa propre vie ne peut être mon disciple" ou "Je suis venu jeter le feu sur la terre. Comme je voudrais qu'il soit déjà allumé !" Des paroles que Paul aurait pu dire (si tant est qu'il ne les a pas dites)...
Emmanuel Carrère se fait exégète mais aussi historien lorsqu'il trace un portrait saisissant du bassin méditerranéen au Ier siècle : la ville de Rome, foisonnante, dangereuse et fascinante, l'occupation romaine dans ses provinces, les luttes d'influence, les roitelets juifs (étonnant Hérode Agrippa Le Jeune !), la société juive chauffée à blanc, les crises religieuses, les brigandages et autres extorsions organisés à grande échelle par les autorités romaines, la cohabitation des religions sur fond de tolérance romaine jusqu'à ce que le christianisme menace de saper les bases de la société romaine. Il s'arrête aussi sur ces personnages historiques qui, à leur manière, ont influer sur le cours de l'Église : quelques disciples et apôtres de Jésus bien entendu, mais aussi l'historien Flavius-Josèphe, les empereurs Néron, Vespasien, Titus ou Domitien ou encore le philosophe stoïcien Sénèque. À côté de ces personnages antiques, Emmanuel Carrère nous parle de personnages ou de faits contemporains, sans craindre anachronismes ou comparaisons inhabituelles dans de tels essais : révolutionnaires communistes ou Philip K. Dick en premier lieu.
On ressort du Royaume soufflé par ce voyage vers les sources d'une religion vieille de deux mille ans. L'érudition, la passion, la liberté de ton d'Emmanuel Carrère font de ce récit à la fois autobiographique et historique un ouvrage important, accessible à tous quelque soit leur conviction religieuse et qui se lit d'une seule traite, comme un roman. Un roman qui remue et qui ne fait pas l'impasse sur de longues digressions tour à tour enflammées, révoltées, comiques, voire triviales. On pense ainsi à ces dix pages savoureuses sur l'intérêt de l'auteur pour les vidéos pornos sur Internet, ce qui fait dire à la femme de l'auteur, malicieuse et complice : "Quand même, il a bon dos, saint Luc!"
"Du lointain passé, le temps s'en est allé. En ces temps où ont disparu les longs bavardages nocturnes, elle revient parfois, l'odeur âcre qui coule au cœur de la vie.
Alors, le talon aiguille, rouge d'une passion ardente, dit d'une voix méprisante : que sais-tu de l'amour?"
Amateurs de guides de voyage, ce carnet de route sur l'Iran est pour vous.
Un voyage en Iran, dans le pays des ayatollahs, de la puissante République islamique chiite : étrange destination, me direz-vous. C'est pourtant ce qu'a entrepris Philippe Bichon, qui se surnomme lui-même le Grobecroqueur (il est l'auteur de plusieurs guides en Égypte-Syrie, en Inde et au Tibet).
Pourquoi l'Iran ? Alors que vient de se terminer une des plus longues batailles diplomatiques de ces dernières années, l'accord sur le nucléaire iranien, l'ancien royaume perse est en passe de s'ouvrir au monde, via notamment le tourisme. Dans son dernier numéro, le magazine Carto fait un focus sur le nouvel engouement de cette destination depuis l'arrivée au pouvoir de Hassan Rohani (2013). Ainsi, nous apprenons que le tour-opérateur Clio a enregistré 40 % de réservations supplémentaires entre mai et décembre 2013, qu'entre 2003 et 2013 le nombre de visiteurs a triplé dans la République des mollahs et que les retombées économiques y ont crû de 7,4 % en 2014.
Mais revenons à ce carnet de voyage de Philippe Bichon. Ce dernier y relate son périple touristique en Iran, durant l'été 2008, alors que ce pays était en pleine crise nucléaire, derrière Mahmoud Ahmadinejad. Mieux qu'un livre, le Globecroqueur nous offre une restitution plus vraie que nature de son cahier de route : dessins, aquarelles et croquis reproduits, journal fidèle imprimé à laide d'une police de caractère de type manuscrite ("au nom prédestiné de "Philippe"", précise l'auteur), insertion de témoignages (avec leurs traductions) d'Iraniens ou de voyageurs ayant croisé le chemin du baroudeur, ouvrage agencé en deux parties afin de retrouver l'esprit des deux cahiers originaux reliés en fin de voyage chez un artisan de Téhéran.
Au final, l'objet que le lecteur découvre est un bijou graphique, élégant, original : une rareté éditoriale. Le contenu est à l'avenant : avec précision et passion, le Globecroqueur nous fait vivre en détail les étapes de son périple d'un mois dans un pays moins connu pour ses joyaux touristiques que pour ses crises internationales.
Les cinq semaines de voyage nous font découvrir tour à tour Shiraz et le mausolée de Shah-e-Cheragh, son bazar ou la mosquée Jameh Ye Atigh, Persépolis et ses vestiges antiques, Kerman et le bazar Vakil, Rayen et sa citadelle en pisé, Mahan et le Aramgah-e Shah ou le mausolé du derviche Ne'matollah Vali, Yazd et la Jameh Masjed (Mosquée du Vendredi), classée au Patrimoine mondial de l'UNESCO, son Musée de l'Eau ou ses badgirs (citernes d'eau), Kharanaq et son étonnant minaret vacillant, Meybod et sa citadelle en ruine ou Ardakan, ville typique en pisé. Il nous fait également visiter par procuration Kashan et son caravansérail ou ses "historical houses" (la Khan-e Abbasin, la Khan-e Borujerdi ou la Khan-e Tabatabai), les villages typiques comme Abyaneh ou Cham, un site consacré au zoroastrisme, religion antique tolérée par la République islamique.
Huit jours de ce voyage sont consacrés à Ispahan, ville mythique perse qu'un vers du XVIe siècle surnommait "la moitié du monde". Cette mégapole d'un million et demi d'habitants regorge de merveilles sur lesquelles s'arrête longtemps le Globecroqueur : Naqsh-e-Jahan, la plus grande place du monde après celle de Tien Anmen (512 mètres sur 160), le bazar d'Ispahan, la mosquée du Shah, le palais Chehel Sotun, celui de Hasht Behesht (Huit Paradis), la medersa Chahar Bagh, la mosquée Jameh, les rives de la Zayandeh ou le quartier arménien de Jolfa avec la cathédrale de Vank. C'est surtout à Ispahan que se révèle l'art perse des fresques, des miniatures, de la faïence ou de la mosaïque.
Le voyage du Globecroqueur se termine par la capitale, Téhéran : ville moderne, foisonnante et passionnante avec le palais de Sa'd Abad, l'ancienne résidence du Shah (avec les fameuses bottes de bronze, symboles de la chute de l'ancien régime), la Tour Azadi commémorant en 1971 les 2500 ans de l'empire perse, l'Iran Bastan, le musée archéologique de Téhéran, le bazar, la Shah Masjed ou les excursions vers le belvédère surplombant Téhéran, non loin du Tochal et ses 3964 mètres de haut.
Mais Philippe Bichon n'est pas ce baroudeur "bouffeur de kilomètres" – comme un de ces touristes français qu'il croise et qui n'hésite pas à dire tout le mal qu'il pense des journaux de voyage ! – mais un homme ouvert et curieux, avide de comprendre la société iranienne. Ce n'est pas la moindre des qualités de ce carnet de route que de faire oublier l'image obscurantiste de l'État chiite. Certes, les tchadors, les Pasdaran (Gardiens de la Révolution), les affiches de propagande montrant côte à côte Khomeiny et Khameney, les arrestations pour cause de voile pas assez couvrant et les interdictions religieuses absurdes existent et choquent le voyageur occidental. Mais ce que le lecteur français découvre c'est la véritable facette de la société iranienne : l'hospitalité, l'ouverture d'esprit, la générosité et la soif de liberté. Le Globecroqueur n'est pas avare en détails sur les anecdotes de ses voyages et sur la vie quotidienne des Iraniens qu'il rencontre : la cuisine locale (le byriani, le tacheen, le dough ou les glaces dont les Iraniens sont friands), la passion nationale pour le pique-nique, la musique, réprimée par les ayatollahs mais paradoxalement omniprésente, les bornes de solidarité, les problèmes administratifs et la vie sociale particulièrement riche.
Et derrière cette vie riche, il y a aussi et surtout ces Iraniennes et ces Iraniens croisés, que ce soit Saleh, Mahmud, Azadeh, Hediye, Amir, Samar, Rassoul, Nasim, Narguess ou Hamid. Les témoignages que beaucoup ont laissé dans le carnet de voyage du Globecroqueur est un supplément d'âme à ce guide qui est une vibrante invitation à découvrir l'Iran, ses joyaux, sa culture et ses habitants.
Depuis quand n'a-t-on pas vu de polar français au caractère aussi bien trempé que L'Été meurtrier ?
Les raisons de ce succès cinématographique de ce film de 1982 tient d'abord au scénario adapté du roman de Sébastien Japrisot, qui l'avait d'ailleurs écrit pour Jean Becker. Convaincu par le livre, le réalisateur releva le défi.
L'autre ingrédient capital de ce long-métrage noir et sulfureux tient son actrice principale. Isabelle Adjani tenait là l'un de ses plus beaux rôles : femme fatale autant que meurtrie, celle que l'on surnomme "Elle" se sert de son physique pour faire tourner les têtes des hommes du village et fomenter une vengeance contre un village qu'elle hait plus que tout. Star au zénith, Isabelle Adjani qui recevra un César pour ce rôle, est entourée dans L'Été meurtrier d'acteurs qui font plus que tirer leur épingle du jeu. Suzanne Flon sera elle aussi récompensée pour son rôle de "Cognata". Citons aussi Alain Souchon, Pin-Pon dans le film, le pompier sans histoire et naïf qui va devenir le jouet de l'érinye provinciale. Un autre second rôle brille par sa présence, François Cluzet (Mickey), qui tournait là son cinquième film.
Mais en dehors de ces brillants personnages, de cette histoire de souffre, de pleurs et de sang, de son actrice glamour au sommet de son art, soulignons l'autre grande qualité du film : la plongée dans un village provençal ordinaire des années 70, avec des habitants simples, bien loin de certains archétypes du polar à la française qui inonde petits et grand écrans. C'est en cela aussi que le caractère bien trempé de L'Été meurtrier détonne.
L'Été meurtrier, film de Jean Becker, avec Isabelle Adjani, Alain Souchon, Suzanne Flon et François Cluzet et Michel Galabru, 1982, 130 mn
Il avait été question dans ce blog d'une représentation pour le moins "cavalière" de l'ancien roi d'Espagne Juan Carlos, en fâcheuse posture (Ines Doujak, Not Dressed for Conquering / Haute couture). Cette sculpture avait subi les foudres du pays et nombre de citoyens hispaniques s'étaient élevés contre cette œuvre (voir cet article)
Or, il est encore question de censure ici, et de nouveau dans un pays démocratique. Et là encore, cette création a des visées politiques. L'artiste en question se nomme Makoto Aida. L'objet du délit est une vidéo présentée au Musée d'Art Contemporain de Tokyo (MOT) dans lequel l'artiste imite le premier ministre japonais Shinzo Abe, mais également une bannière verticale sur laquelle figurent des revendications politiques : recrutement de plus de professeurs et allègement des cartables. "Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas une oeuvre politique. Il n'y a pas un mot ni une expression qui vise plus particulièrement le régime actuel ou tel parti. Ce ne sont que des remarques d'ordre général à l'attention d'une structure nommée ministère de l'Education", s'est défendu Makoto Aida, par ailleurs connu pour ses créations engagées et volontairement provocatrices.
Rien de très choquant en comparaison de son homologue de Barcelone. Sauf que le MOT a fermement invité l'artiste a enlever ou modifier ses œuvres jugées critiques par le gouvernement, et qui ont été ensuite relayées par le musée public.
S'attaquer en BD à un peintre de l'envergure du Caravage est à la fois excitant et casse-gueule. Comment un dessinateur contemporain peut-il se réapproprier la vie et surtout l'œuvre graphique d'un géant de la peinture, décrié à son époque et admiré de nos jours ? C'est le pari de Milo Manara, un pari gagné avec maestria.
Le premier tome de cette aventure littéraire commence aux 21 ans du jeune Michelange Merisi, originaire du Caravage, un village de la région de Bergame. Nous sommes en 1592. Faire l'impasse sur les jeunes années du futur peintre maudit tient au fait que l'on sait peu de ses années d'apprentissage à Milan. Celui que l'on surnommera Le Caravage s'est déjà fait déjà connaître par "l'élégance et la légèreté" de quelques œuvres de jeunesse (Vénus, Cupidon et les deux satyres). Mais la bande dessinée de Manara passe sous silence cette période.
Elle choisit de mettre en scène le peintre lorsqu'il arrive à Rome, une Rome ressuscitée, glauque, dangereuse et fascinante. C'est dans cette ville que Michelange Merisi côtoie les puissants et ses futurs mécènes, les ateliers d'artistes mais aussi la frange de la société – indigents, marginaux, petits filous, grands criminels et prostituées. Le Caravage a puisé dans son inspiration auprès des rejetés de tout bord. Au final, il a été souligné combien ses peintures brillent par leur réalisme noir, leur naturalisme, le sens du mouvement et du détail et aussi leur sensualité – une sensualité d'ailleurs très présente dans cette BD.
Parce qu'il s'agit d'un biopic, le lecteur aurait pu craindre que cette bande dessinée ne soit centrée que sur les démêlés de l'artiste avec la justice de son époque. Milo Manara ne cache certes rien des crimes dont on a pu accuser Le Caravage, autant à l'aise dans les palais archiépiscopaux que dans les bordels romains, et souvent prompt à se battre. Cependant, le principal intérêt de cette biographie graphique est de montrer le travail du peintre, ses inspirations et le contexte de ses tableaux les plus célèbres. Et la magie opère !
Non content de se réapproprier les tableaux les plus fameux du Caravage, en les reproduisant sur planches avec fidélité, Milo Manara ressuscite le peintre dans son atelier mais aussi ses modèles : le Jean-Baptiste au mouton devient le jeune protégé Mario Minniti ; la Vierge Marie du Repos pendant la fuite en Egypte prend vie sous la forme d'une prostituée, Anna, qui posera également pour un autre de ses tableaux La Mort de la Vierge.
Plus qu'une simple BD, Ce Caravage fera référence en ce qu'il constitue une excellente introduction à un artiste majeur de la peinture occidentale.