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Ère de l’information ou ère de la crédulité ?
Le dossier que la revue Pour la Science consacre à la désinformation sur les réseaux sociaux est de ceux que l’on souhaite promouvoir. L’enquête menée par l’équipe de chercheurs italiens menée par Walter Quattrociocchi au Laboratoire de sciences sociales computationnelles à Lucques (école MIT des hautes études) s’est intéressée à la manière dont sont diffusées les informations fausses et les théories conspirationnistes les plus aberrantes. Les exemples en la matière ne manquent pas : traînées de condensation d’avions destinées à manipuler le climat voire les populations (chemtrails), liens entre vaccins et maladies, attentats du World Trate Center, l’alunissages d’Apollon 11 en 1969, et cetera. Ces théories fumeuses ne pourraient être qu’anecdotiques si l’on oubliait leur influence parfois désastreuse : l’affaire du "Pizzagate" en pleine élection américaine, imaginant un réseau de pédophilie auquel aurait été liée Hillary Clinton, a contribué à perturber l’électorat américain particulièrement volatile.
L’équipe de Walter Quattrociocchi a passé à la moulinette plusieurs millions de données d’internautes italiens entre septembre 2012 et février 2013, alors que ce pays était en pleine campagne électorale : un contexte idéal pour étudier à la loupe les comportements de citoyens lorsqu’ils sont en présence de sources classiques, alternatives et politiquement influentes.
L’article du magazine scientifique rappelle qu’Internet a révolutionné la manière dont mes citoyens sont informés – et mésinformés. Trois facteurs fondamentaux expliquent la désinformation. L’analphabétisme fonctionnel, tout d’abord, qui est cette incapacité à comprendre un texte : cela concerne près de la moitié des Italiens ou Français âgés de 16 à 65 ans. Un autre facteur est le "biais de confirmation", autrement dit la propension que nous avons à rechercher des informations qui viennent étayer et confirmer nos goûts et nos préjugés. Le dernier facteur est celui, inédit depuis la naissance des réseaux sociaux type Facebook ou Twitter, d’une information numérique directe, sans contrôle ni vérification préalable avant diffusion. Ce dernier facteur est considéré par nombre de spécialistes comme une menace particulièrement dangereuse, ce qui fait dire ceci à Walter Quattrociocchi : "On fait souvent l’hypothèse que l’être humain est rationnel, mais l’étude quantitative de ces phénomènes indique plutôt le contraire" !
La première conclusion de l’étude sociologique montre que les trois sources étudiées (classiques, alternatives et politisées) ont, dans leur propagation et leur diffusion (nombre de likes, de partages ou de commentaires) des statistiques similaires. Autre similitude : la polarisation des internautes sur les sources d’actualité qu’ils ont l’habitude de suivre. Autrement dit, une personne suivant des actualités scientifiques réagira peu ou pas du tout à des sources alternatives – et inversement. Une première distinction apparaît lorsqu’il s’agit d’étudier les trolls, ces messages parodiques dont l’objectif est de perturber volontairement une discussion (par exemple, la mise en relation de la fièvre Ebola avec des photos de chatons). Il apparaît que ces trolls suscitent d’abord des réactions de la part des internautes suivant les sources d’informations alternatives : "Parmi les 1279 utilisateurs classés comme une orientation bien définie, 55 % de ceux qui ont cliqué "J’aime" sur les trolls considérés sont des amateurs de sources alternatives, contre 23 % et 22 % respectivement pour les amateurs de sources classiques et de mouvements politiques." Walter Quattrociocchi pointe du doigt un paradoxe frappant : "Les internautes les plus attentifs à la prétendue manipulation perpétrée par les médias orthodoxes sont les plus enclins à interagir avec des sources d’informations intentionnellement fausses." Dit autrement, les pourfendeurs de la manipulation sont aussi ceux les plus enclins à être manipulés !
Mais qu’est-ce qui différencie les sources d’information scientifiques et celles provenant de médias alternatives ? La première est que l’information scientifique fait référence à des travaux et des auteurs précisément tracés. Par contre, les articles conspirationnistes s’appuient sur des machinations secrètes, ourdies par des individus puissants mais jamais clairement identifiés. D’autre part, alors que les sources scientifiques s’appuient sur des faits empiriques, ceux appartenant à la sphère conspirationniste trouvent des explications simples – pour ne pas dire simplistes – à des phénomènes complexes. Internet, on le sait, est une caisse de résonance formidablement puissante et est un véhicule efficace, pour le meilleur, mais aussi pour le pire (voir à ce sujet le graphique Matteo Pavanati au sujet des complots diffusés sur Facebook).
Comment désintoxiquer et empêcher la diffusion de fausses informations ? Walter Quattrociocchi considère qu’essayer de convaincre que les chemtrails (les fumées d’avion dangereuses) n’existe pas est vaine. L’interaction des utilisateurs d’une même sphère est si présente que tenter de convaincre un conspirationniste produit l’effet inverse de celui recherché. D’une manière générale, chacun tendra à ignorer tout ce qui ne conforte pas leur propre préjugé ("biais de confirmation"). De plus, précise le chercheur italien, plus une discussion sur un post est longue plus elle aboutira à "une dégénérescence négative."
Dans ce même dossier de Pour la Science, Gérard Bronner, professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot salue les travaux de ses confrères italiens comme les analyses, confirmant d’autres études sociologiques. S’agissant des moyens d’empêcher la mésinformation et la désinformation, il compare l’attrait pour le conspirationnisme avec la croyance à des mouvements sectaires, ajoutant que s’affranchir d’une secte est toujours possible, "sous les coups de boutoir de la réalité." Oui, dit-il, il convient d’apporter la contradiction face à des visions du monde simplistes et erronées, même si c’est un travail de longue haleine. L’entreprise est d’autant plus ardue lorsque des hommes de pouvoir comme Donald Trump parviennent à réveiller "des préjugés enfouis" chez des électeurs : le manichéisme, la peur ou la croyance en solutions simplistes. On sait que le Président américain s’est habillement servi de médias alternatifs sur les réseaux sociaux pour diffuser des informations susceptibles de déstabiliser son adversaire démocrate. Walter Quattrociocchi a cette conclusion frappante : "Ne faudrait-il pas cesser de parler de l’ère de l’information et parler plutôt de l’ère de la crédulité ?"
Walter Quattrociocchi, "Désinformation sur les réseaux sociaux",
in Pour la Science, février 2017, pp. 20-32
Page Facebook Complots faciles pour briller en société
© Matteo Pavanati