Nous avions croisé Nathalie Cougny dans ses voyages, ses créations et ses réflexions autour de l'amour : les relations hommes femmes, la fidélité ou la drague sur Internet (Amour et Confusions..., Sex&love.com, aux éditions Sudarènes)... C'est également d'amour dont il est question dans son dernier livre, Dis, pourquoi tu m’fais du mal ? (éd. Sudarènes), ou plutôt de non-amour ou du "mal amour" infligé aux enfants. Ajoutons qu'il s'agit bien plus qu'un livre, puisque la démarche de l'auteure s'inscrit dans un combat et une sensibilisation contre la maltraitance infantile. Conférences et rencontres ont accompagné la publication de cet ouvrage et d'autres actions d'ampleur sont à venir.
La sortie de son essai (le 2 mars dernier) coïncidait avec la présentation par le gouvernement du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants, une démarche honorable mais qui souffre dans notre pays d'une certaine idée de l’éducation : "une fessée n’a jamais fait de mal à personne", "qui aime bien châtie bien" ou "moi aussi j’ai reçu des corrections quand j’étais petit et ça ne m’a pas fait de mal."
Nathalie Cougny brosse en quelques pages éloquentes une histoire de l'éducation violente, des préceptes terribles de l'Ancien Testament ("Lorsqu'un homme a un fils rebelle et révolté, qui n'écoute ni son père ni sa mère s'ils lui font la leçon, alors son père et sa mère s'empareront de lui et l'amèneront aux anciens de la ville, à la porte de sa localité... et tous les hommes de sa ville le lapideront et il mourra", Deutéronome) aux propos singulièrement apaisés d'un s. Paul que l'on imagine souvent beaucoup plus rugueux ("Enfants, obéissez en tout à vos parents, voilà ce que le Seigneur attend de vous. Parents, n'exaspérez pas vos enfants de peur qu'ils ne se découragent").
La première grosse surprise de ce livre vient du rappel des travaux de Sigmund Freud. Le psychanalyste a pu observer au cours de ses études à la morgue de Paris des cadavres d’enfants qui avaient été "massacrés par leurs parents" : "Dans sa pratique de médecin, il observe puis raconte dans des publications scientifiques que ses patientes névrosées évoquent des violences sexuelles qu’elles ont subies, bien souvent de la part du père ou d’un autre parent proche…" Cette constatation sera accueillie par une désapprobation générale. On ne s’attaque pas impunément à un modèle familial multiséculaire. "La théorie dite de la « séduction » sera finalement abandonnée par le fondateur de la psychanalyse et par ses disciples, au profit de la désormais célèbre théorie de l’œdipe, beaucoup moins inconvenante puisqu’elle renvoie sur l’enfant l’initiative d’un rapport libidinal, voire prédateur, à ses parents."
Voilà sans doute le cœur du problème : la violence domestique, et particulièrement celle infligée aux enfants, s'inscrit dans l'histoire sombre de nos mentalités. L'auteure rappelle qu'en 1991 le très officiel Ministère de l’Éducation Nationale a cru bon de rappeler l'interdiction des châtiments corporels à l'école élémentaire... qui étaient pourtant hors-la-loi depuis 1887, mais toujours pas interdits au sein des familles.
Grâce aux nombreuses sources citées (études, rapports officiels, articles de presse ou interview), Nathalie Cougny trace un tableau saisissant de cette violence à géométrie variable, bien plus présente qu'on ne le croie, même si elle est bien souvent cachée au sein de la famille. Seulement 25 % d'actes délictueux arrivent sur les bureaux de la police et de la justice. L'auteure énumère tout au long de son essai des chiffres glaçants : 98 000 victimes de maltraitance dont 78 000 dans des situations à risque, 52 000 signalements transmis à la justice, plus de 250 homicides de nourrissons de moins de 1 an, 20% des appels au 119 concernent des agressions sexuelles, une fille sur huit et un garçon sur dix sont victimes d'abus sexuels avant l'âge de 18 ans, 180 à 200 bébés secoués chaque année et 4 millions de victimes d'incestes en 2015.
En Europe, la France et la Grande-Bretagne se distinguent par une certaine frilosité à adopter des modèles éducatifs où la coercition représente l'alpha et l'oméga, bien loin en tout cas des pays nordiques, et en particulier de la Suède : "[En Suède, un mouvement dans les années 50] entraînait en 1958 l'interdiction des châtiments corporels à l'école. Puis en 1979, cette interdiction était étendue à tous les éducateurs, y compris aux parents.Plus aucun enfant n'est mort des suites de violence familiale (alors qu'il en meurt 2 par jour en France)." Ce qui a été considéré par un laxisme par certains commentateurs a eu des conséquences donnant à réfléchir : Le criminologue F. Estrada a étudié les tendances de la délinquance juvénile en Europe depuis 1945 : "Les études sur les rapports provenant du Danemark et de la Suède indiquent que les jeunes d'aujourd'hui sont plus disciplinés que les jeunes des années 1970. Le pourcentage de jeunes de 15 à 17 ans condamnés pour vol a diminué de 21 % entre 1975 et 1996, le pourcentage de jeunes qui consomment de l'alcool ou qui ont goûté à la drogue a également diminué régulièrement depuis 1971, les pourcentages de suicides et de condamnations pour viol chez les jeunes ont aussi diminué entre 1970 et 1996."
Il serait bon, dit en substance Nathalie Cougny, que les citoyens et les décideurs usent de leur raison autant que de leur cœur pour prendre à bras le corps cette violence contre les enfants et les adolescents qui prend des aspects bien différents, des plus tristement ordinaires (la fessée, le harcèlement scolaire ou l’aliénation parentale) aux plus terribles (incestes, pédophilie ou prostitution).
Comment agir contre cette violence ? Il est aussi difficile de lutter contre les mentalités que contre les préjugés. La thérapie contre la pédophilie est-elle possible ? Voilà ce qu'en dit Nathalie Cougny : "Comme pour l’ensemble des paraphilies, nous pensons que le dogme de l’invariabilité des attirances sexuelles n’est pas fondé. En effet, chez le sujet sain, les attirances sexuelles varient parfois considérablement au cours de l’existence. Si certaines préférences sexuelles restent inchangées tout au long de la vie, beaucoup d’autres évoluent de manière parfois radicale."
Quant aux victimes, surmonter la violence subie pendant ses jeunes années est possible. Donner des mots aux maux, faire le lien entre ses symptômes et ses traumatismes, se faire accepter comme victime, affronter son ou ses agresseurs pour mieux sortir de cette victimisation : les personnes ayant subi des traumatismes et des abus doivent mener un combat ardu. Au bout du compte, la résilience est possible, comme la reconquête de sa liberté.
Nathalie Cougny, Dis, pourquoi tu m’fais du mal ?
Mettons fin aux maltraitances faites aux enfants, éd. Sudarènes, 2017, 202 p.
www.nathaliecougny.fr
"Mes hommes"
"En corps troublé"
"Homo erectus on line"
Rencontre et signature à la librairie L'Oeil Écoute, Paris 6e
le vendredi 7 avril de 18h30 à 20h30