Musique ••• Chanson ••• Eva Marchal, 88
La débandade
C’est un sujet très culotté auquel se sont attelés le scénariste Jim (Une Nuit à Rome, Une petite Tentation, Héléna) et le dessinateur Louis Chabane (Héléna, Si seulement, Mesrine, l’Évasion impossible).
En deux tomes, L’Érection raconte une soirée de décembre a priori banale mais tournant à l’empoignade conjugale. Arrêtons-nous sur le titre provocateur de cette BD : "C’est un bonheur rare d’avoir dans sa bibliographie un album s’appelant L’Érection", confie Jim dans l’entracte qui clôt le premier tome.
Le terme d’entracte n’est du reste pas galvaudé pour cet album en deux volumes écrit comme une pièce de boulevard en sept actes et comme une comédie de mœurs se situant dans l’appartement bourgeois d’un couple de quadras, Léa et Florent.
Nos deux bobos, toujours amoureux après 25 ans de vie commune, invitent un couple d’amis, Alexandra, blonde pimpante quadra elle aussi, et son ami Jean-Fabrice. C’est l’anniversaire de Léa, qui fête ses 48 ans. Les enfants ont été casés chez les grands-parents pour l’occasion. La soirée débute d’une manière classique : "Discussion réglée comme du papier à musique : un tiers enfants, un tiers potes, un tiers séries TV."
Après un premier couac lors de la remise des cadeaux d’anniversaire, Léa s’aperçoit que Florent a une érection alors qu’Alexandra leur apprend qu’elle et Jean-Fabrice sont sur le point de se séparer. Pour éteindre la scène de ménage qui commence après le départ des amis, Florent apprend à Léa une autre surprise de taille…
Les auteurs de L’Érection ont réussi le tour de force de créer sur les 128 pages de cette BD passionnante une comédie de mœurs à la fois grave et désopilante. Le sujet est classique : une crise de couple dégénère en cataclysme domestique, avec son lot de rebondissements, de portes qui claquent, de dialogues ciselés et de personnages complètement en déroute.
Le premier tome et ses trois premiers actes installent les quatre protagonistes et l’enjeu qui va anéantir en quelques instants un couple fusionnel et admiré. Les certitudes s’écroulent, la confiance n’est plus qu’un lointain souvenir et les reproches pleuvent : "Je ne simule jamais, je t’assure, jamais ! Tout au plus… je t’encourage..." lance un moment Léa, avec une belle assurance, auquel Florent répond, sans se démonter :"Tu m’encourages à finir, je t’encourage à commencer..."
Le deuxième tome voit l’intrigue s’accélérer, avec de nouveaux enjeux, de nouveaux personnages et de nouveaux décors, mais avec toujours la même contrainte de temps et d’espace : une nuit de décembre, dans un immeuble haussmannien. On retiendra notamment, dans ces quatre derniers actes, la désopilante scène du pyjama d’Alexandra et la rencontre avec les petits voisins du dessus.
Jim et Louis Chabane réalisent un magnifique bijou de bande dessinée, écrite et dessinée avec efficacité, précision, intelligence et un humour féroce. S’inspirant des théâtres de boulevard, ils autopsient avec sagacité et pertinence un sujet intarissable : les conflits entre les hommes et les femmes. Les auteurs citent à ce sujet, en exergue du deuxième tome, une citation de José Artur : "La guerre des sexes n’est pas prête de s’éteindre. Il y a trop de complicité avec l’ennemi."
Jim et Louis Chabane, L’Érection, livres 1 et 2, éd. Grand Angle, 2016, 68 p. et 70 p.
Une nuit à Rome from Jim / Thierry Terrasson on Vimeo