Musique ••• Chanson ••• Eva Marchal, 88
1, 2, 3 Leïla !
On retrouve Leïla Huissoud avec bonheur, telle une copine ou une petite sœur, avec sa sensibilité, ses blessures mais aussi une joie de vivre teintée de mélancolie.
La maladresse, son dernier opus, écrit et composé après la crise sanitaire, est un voyage intime d’une musicienne attachante et lucide sur les difficultés du métier d'artiste. En parlant de voyage, l’auditeur sera cueilli dès le début de l’album avec le périple en train qu’est "Avant Nantes". On imagine Leïla Huissoud en passagère d’un TER en direction de la Loire-Atlantique. C’est avec tendresse que la musicienne slame sur ses voisins et voisines dont elle imagine la vie et le quotidien : "Les collégiens, les salariés, les lycéens, les habitués quotidiens du train… Les Bouchers, des médecins, des techniciens spécialisés, des gens biens qui vont au travail. C’est un beau début de journée".
Si un seul terme convient le mieux à Leïla Huissoud c’est bien celui d’humaniste. La chanteuse le prouve avec la tendre et triste "Lettre aux paumés". Elle offre un hommage aux gens de peu, aussi discrets que pudiques dans leur malheur : "Quand ils s’offrent c’est à la nuit / Ils ont lâché la rancœur / Leur douceur ne vient pas du joli / Mais de béances à l’intérieur".
Avec "Jolies frangines", un titre de son précédent album Auguste, Leïla Huissoud avait prouvé qu’elle était une chroniqueuse incroyable de l’enfance. Elle le prouve encore avec "L’ascenseur" et, mieux, avec le diptyque que forment "Soleil 1, 2, 3…" et "1, 2, 3 Soleil !" Ce jeu des cours de récréation est un joli fil conducteur pour parler d’amour, de séduction, d’attachement et d’espérance ("Soleil 1, 2, 3…"). Est-ce une bonne idée que de tomber amoureux, se demande-t-elle ? N’est-ce pas risquer de souffrir ? "1, 2, 3 Soleil !" y répond par une déclaration enlevée jazzy : "Si vous saviez comme je vous aime quand je mets mes lunettes de sans-gêne / On dira que je vous surveille / 1, 2, 3 Soleil ! / Messieurs, dans mes bras !" Décidément, les jeux de l’amour et du hasard restent un sujet éternel d’inspiration.
Accompagnée de sa seule guitare, Leïla Huissoud fait de "Mon spectacle s’appelle…" se veut une confession sur la difficulté de se livrer au public et d’être l’objet d’une critique : "En haut de la bio, on lit ‘grosse merde’ ou ‘la moisie’, j’hésite encore". Introspective, l’ex-candidate de The Voice (nous sommes en 2014) revendique sa liberté et sa force de caractère : "Mon credo c’est d’en faire le moins / L’errance c’est un beau chemin".
La qualité d’écriture de Leïla Huissoud est non seulement évidente mais en plus insolente
La qualité d’écriture de Leïla Huissoud est non seulement évidente mais en plus insolente. Il faut bien écouter ses paroles, à l’instar de "La ligue des justiciers", avec Théo Bonneville en featuring, le touchant portrait d’un homme heureux, libre, léger ("Ouais j’me sens bien"), mais aussi hymne à l’amitié et au bonheur.
L’auditeur sera sans nul doute touché par l’un des meilleurs titres de l’opus, "À tes amours". Ce morceau a été écrit comme une adresse à toutes ces femmes, ces "demoiselles, ces amantes, ces amours et ces chagrins", qui ont changé à jamais l’homme qu’elles ont aimé - d'un amour certes éphémère. "Derrière un grand homme, il y a ces drames et ils ressemblent à vos prénoms" chante-t-elle. Nostalgie ? Non, plutôt un hommage aux histoires d’amour passées qui forment, construisent et rendent meilleur. "Si vous saviez comme il est beau à se cramponner à demain". Merci qui ? Voilà qui rend les ruptures moins douloureuses.
À l’instar de PR2B et sa superbe "Lettre à P." (Rayons Gamma), la jeune chanteuse propose une jolie déclaration à son père ("Lettre au père") avec piano et voix. Au milieu de la chanson, elle lui lance une invitation à remonter la pente et reprendre le chemin de la vie ("Mais bordel qu’est-ce que ça fait mal de voir son héros s’effondrer / Putain, papa, tu peux tomber / Putain, papa tu sais être con et même des fois t’as pas raison / Merci de nous avoir tout tombé… / Allez, le daron, c’est pas trop tard".
Il est encore question d’enfance dans "Chanson éducation" dans lequel la musicienne dit merci à ses professeurs, en dépit de son caractère brouillon et de son talent artistique que des enseignants et enseignantes ont su voir. Mais il est aussi question de ces autres professeurs, ces "éducateurs par l'impudeur", qu'ils s'appellent Ferré, Brassens ou leprest. Et là, la magie opère. En quelques mots, Leïla Huissoud parvient à travers un portrait d’elle-même, elle, l’artiste attachante, la "chianteuse", comme elle s'est surnommée elle-même : "Éducation par l’impudeur / Et pas plus balèze qu’un loser / je reprendrais bien un petit bout de cœur / Inadaptée, inarrêtable, indispensable, incapable / Habilement abîmée / Violemment emportée par les vents détournés / Par les tourments des gens."
Leïla Huissoud chante pour ces autres femmes, ses sœurs, celles qui semblent être "une déception déguisée en fille" et dont la maison devient, hélas, un refuge ("Déguisée en fille"). Dans une langue poétique, dense et toujours subtile, l’artiste parle de ces femmes invisibles, mises de côté, alors qu’elles devraient avoir accès à leur place, aux mouvements, à la liberté et sans être la cible de clichés (fragilité, hystérie, folie). Bref, à la violence.
"La maladresse", qui donne son titre à l’opus, est une confession sous forme de slam. Le désenchantement est là. Leïla Huissoud s’y dévoile sans fard. C’est le morceau d’une jeune femme parlant de son "intérieur de carcasse, une colocation sans terrasse". Qu’est-ce qu’un artiste, s’interroge la chanteuse ? Comment se construire face au public ? Comment recevoir ce qu’il offre ? Comment aimer sans maladresse ? Leïla Huissoud se livre avec une lucidité d’autant plus désarmante lorsque sa voix fragile se brise. "Je me suis pas calmée / Je me suis juste cramée".
Et si l’on disait que La maladresse s’écoute comme un album de consolation ? Un opus qui se termine par "Les chansons tristes" qui ne le sont finalement jamais complètement. La chanson : un sujet qui est un grand classique de la chanson française, justement. Voilà qui pose d’emblée Leïla Huissoud comme une des grandes artistes de la scène actuelle.
Leïla Huissoud, La maladresse, French Flair, 2024
https://www.leilahuissoud.com
https://www.facebook.com/LeilaHuissoudofficiel
https://www.frenchflairmusic.com/product-page/le%C3%AFla-huissoud-la-maladresse
https://www.youtube.com/watch?v=fVHwatwxrJw
https://tinyurl.com/4arx9h7v
Voir aussi : "Comme un ouragan"
"Une certaine PR2B"
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