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  • Erika Lust : "Un porno éthique et féministe est possible"

    Voilà une singulière et inédite rencontre que propose Bla Bla Blog. Il s’agit de celle avec Erika Lust, réalisatrice, productrice (ERIKALUST), photographe et auteure. Sa spécialité ? Le porno, mais un porno où le féminisme serait au cœur. Cette artiste et intellectuelle, aussi engagée que provocatrice, a bien voulu répondre à nos questions.  

    Bla Bla Blog – Bonjour, Erika. Vous portez plusieurs casquettes – réalisatrice, photographe, productrice, écrivaine, essayiste, féministe engagée, spécialiste du porno. Vous-même, comment vous définiriez-vous ? 

    Erika Lust – Bonjour Bla Bla Blog. Oui, je pense que j'ai plusieurs casquettes, mais avant tout, je dirais que je suis une réalisatrice de films, car c'est ainsi que j'ai commencé ma carrière. Tout a commencé avec un film que j'ai réalisé en tant qu'étudiante en master d'études de genre il y a plus de 20 ans, The Good Girl. J'ai essayé de partir du cliché du film porno avec le livreur de pizza, mais en axant toute l'intrigue sur le point de vue féminin et le désir féminin. Je dirais que j'étais déjà une féministe convaincue à l'époque, mais ce film et son succès m'ont servi de tremplin pour produire et écrire d'autres films, et même pour m'essayer à la photographie. 

    BBB – Vous avez beaucoup écrit et filmé autour de la pornographie, et en particulier de la pornographie féminine. Ce concept peut surprendre. Comment le définiriez-vous ? Et surtout, qu’est-ce qui différencie le porno masculin du porno féminin ? 

    EL – Je pense que le point important dans mon école de pensée est de se demander comment un porno éthique et féministe est possible, plutôt que de faire strictement la différence entre le porno "masculin" et le porno "féminin". Une chose qui m'a aidée dans mon travail, c'est de croire vraiment que le porno peut être féministe. Chez ERIKALUST, nous avons prouvé qu'il pouvait l'être depuis 20 ans maintenant. Nous sommes habitué.es à ce que le porno gratuit en ligne soit rempli de jeux de pouvoir fatigants qui ne mettent en avant que des organes génitaux - féminins - et des parties du corps, mais pas le plaisir des femmes. Le porno réalisé avec des valeurs féministes vise essentiellement à montrer une représentation authentique de la sexualité humaine. Le "porno féministe" vise à montrer des adultes consentants qui parlent avec respect de leurs désirs et de leur sexualité dans le cadre d'une relation sexuelle égalitaire, où le consentement mutuel et affirmatif est clairement montré comme une priorité au lieu de normaliser les simulations de coercition ou d'abus. 

    BBB – Le féminisme semble, chez vous, indissociable de la représentation du plaisir féminin. C’est un concept relativement nouveau, il me semble. Est-ce à dire que le porno en est encore à ses balbutiements ?  

    EL – Je ne pense pas que le porno en soit à ses débuts. En revanche, je pense que lier porno et féminisme est un phénomène plus récent, que l’on doit au féminisme pro-sexe, dont je me revendique. Longtemps, on avait cette idée que féminisme signifie anti porno, et anti travail du sexe au sens large. Ce n’est pas ma conviction. Pour moi, se contenter de rejeter un contenu qui existe déjà (le porno masculin mainstream) sans y apporter un regard féminin, c’est nier le désir sexuel des femmes. Elles aussi aiment parfois regarder du sexe, et aimeraient aussi voir leurs propres désirs représentés à l’écran. C’est ce que j’aimerais pouvoir leur offrir, à elles et aux hommes qui ont tout à gagner à se représenter la sexualité autrement.

    BBB – Vous avez écrit ceci : "Pour de nombreuses personnes, qu'elles en soient conscientes ou non, le porno est leur principale source d'éducation sexuelle". Ce constat éloquent ne vous rend-il pas triste ?

    EL – C'est un constat triste mais réel. En l'absence d'une éducation sexuelle adéquate et actualisée, le porno est devenu la principale source d'éducation de nos enfants, que cela nous plaise ou non. Nous ne pouvons pas empêcher les enfants de trouver ces sites, alors au lieu d’ignorer ce fait, éduquons-les. Si nous parlons franchement du porno avec eux, cela devient immédiatement moins honteux et ouvre le dialogue, ce qui permet un apprentissage sain et actif.

    "Le porno a sa place dans le cinéma d'aujourd'hui"

    BBB – Mal-aimé et déconsidéré en raison de ses représentations crues du sexe, qu’est-ce que le porno peut-il toutefois apporter dans le domaine de la culture comme dans la société ?

    EL – Je pense que le porno a sa place dans le cinéma d'aujourd'hui. En fait, la plupart des gens ont normalisé la présence de scènes de sexe, même les plus crues, dans le cinéma grand public. À condition que les films aient une qualité cinématographique et un regard à la fois bienveillant et inclusif, je pense que le contenu pornographique peut faire travailler l'imagination, susciter des fantasmes et alimenter le désir chez les adultes consentants qui le regardent. Dans le cas du porno féministe et inclusif, il peut apporter une meilleure représentation des sexualités dans leur spectre large, et aider à la fois les femmes à se réapproprier leurs propres désirs, et les hommes à mieux comprendre et réaliser quels sont ces désirs spécifiques, parfois distincts des leurs. 

    BBB – Depuis le début du mouvement MeeToo, voyez-vous des changements importants dans le milieu porno et dans la représentation du sexe au cinéma ? 

    EL – Bien sûr ! Ce mouvement s'est produit en même temps dans l'industrie du cinéma grand public et du cinéma pour adultes. Le mouvement MeToo a eu un impact énorme sur notre industrie, et ceux qui ont violé le consentement, tout comme à Hollywood, ont été écartés et ont dû remettre en question leur place au sein de l'industrie. Je pense que MeToo a eu un effet positif considérable en inspirant les gens, en particulier les femmes du monde entier, à remettre en question les dynamiques du pouvoir patriarcal et à élever la voix pour dénoncer les abus sur leur lieu de travail, que ce soit sur les plateaux de tournage d'Hollywood ou dans n'importe quel autre bureau de n'importe quel autre secteur d'activité. Il y a eu une poussée puissante pour se soutenir mutuellement et cesser de normaliser l'abus de pouvoir, principalement par les hommes sur les femmes, qui concerne malheureusement tant de personnes dans les différentes couches de la société dans laquelle nous vivons, et pour créer une prise de conscience et une responsabilisation à cet égard.

    BBB – Parlons séduction et vie amoureuse. Depuis MeeToo, est-ce que la drague est devenue, selon vous, has been ? 

    EL – Je ne le pense pas, et heureusement ! Je dirais que les codes de la drague ont évolué vers un mieux : vers plus de consentement et de respect mutuel. C'est ce que j'essaie de montrer dans mes films. Malheureusement, force est de constater que dans de nombreux secteurs, et sur de nombreux tournages, il y a encore beaucoup de machisme dans la manière dont la séduction est représentée. Et pourtant, demander la permission, respecter, offrir sans insister : c'est tellement plus sexy que de forcer ! Sur ma plateforme XConfessions, où je crée du porno à partir des fantasmes et des demandes de mes consommateur⸱ices, beaucoup d'entre elles et eux m'ont indiqué qu'ils trouvaient très excitant que les acteurs aient des échanges consensuels, qu'ils demandent le consentement de leur partenaire ou qu'ils décrivent ce qu'ils veulent faire à l'autre avant de le faire, pour laisser la place au « non ». D'ailleurs, chez ERIKALUST, nous mettons toujours à disposition des coordinateurs d'intimité, qui sont chargés de veiller à ce que le consentement et le respect mutuel soient respectés tout au long des scènes tournées par les performeurs, avant, pendant et après chaque tournage. 

    BBB – Pour conclure, la pornographie peut-elle être engagée, pour ne pas dire intello ?

    EL – Oui, bien sûr, c'est politique. La pornographie est politique, même si elle ne veut pas l'être, même si elle n'a peut-être pas l'intention de l'être. Mais elle l'est, parce que la pornographie contient des messages sur la façon dont nous nous comportons. Et parce que la pornographie est politique, nous pouvons l'utiliser comme un outil pour raconter d'autres récits. Nous pouvons l'utiliser pour que les femmes puissent s'émanciper en voyant d'autres femmes prendre du plaisir. Sans une représentation inclusive du sexe, les femmes risquent de découvrir leur sexualité sous une approche violente et dominatrice, tandis que les hommes font l'expérience d'une sexualité marquée par la pression de la performance. Ce n'est qu'en redonnant au porno son caractère éminemment politique et son potentiel transformateur pour la société que nous pourrons lui rendre ses lettres de noblesse, en montrant à l'écran des sexualités libres, multiples, belles, féminines, respectueuses, des corps réalistes et des individus de tous âges, dans le respect permanent de chacun. Je suis convaincue que tout le monde gagne à regarder du porno éthique !

    BBB – Merci, Erika.

    EL – Merci, Bla Bla Blog !

    https://erikalust.com

    Voir aussi : "Union TV : un nouveau média pour une nouvelle révolution sexuelle"
    "Adrineh Simonian comme à la maison"

    Photo : © Clara Ruiz

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  • Niki

    Les Cramés de la Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Niki. Il sera visible du 30 octobre au 5 novembre 2024. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 5 novembre 2024 à 20H30.

    Paris 1952, Niki s’est installée en France avec son mari et sa fille loin d’une Amérique et d’une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki se voit régulièrement ébranlée par des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l’enfer qu’elle va découvrir, Niki trouvera dans l’art une arme pour se libérer.

    Niki, biopic français de Céline Sallette
    avec Charlotte Le Bon, John Robinson (IV) et Damien Bonnard, 2024, 98 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1490 
    https://www.wildbunchdistribution.com 
     
    Voir aussi : "All we imagine as light"

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  • Oui, je suis la sorcière

    La puissance, l'âpreté et l’ambition caractérisent dès les premières notes cet opéra oublié de Camille Erlanger, La Sorcière, drame composé en 1919. Sur un livret d’André Sardou, d’après une pièce de son père Victorien Sardou, La Sorcière avait déjà connu une première vie au théâtre grâce à Sarah Bernhardt qui incarna avec succès le rôle-titre en 1903. La Sorcière version opéra est proposée cet automne par b.records, avec un riche coffret de présentation, notamment un guide d’écoute bien documenté.    

    Disons tout de suite que cet opéra rarissime séduit à la fois par son classicisme, ses lignes mélodiques, son discours humaniste mais aussi sa fureur. Nous sommes ici dans une facture vériste qui a beaucoup séduit le public mélomane du début du XXe siècle. Avoir ressorti cet opéra tombé complètement dans l’oubli est bienvenu, tant la figure de la sorcière a perdu son souffre pour devenir l’incarnation de la femme libre et persécutée. Voilà qui fait de ce théâtre chanté une œuvre particulièrement d’actualité.

    La sorcière Zoraya est au cœur d’un récit où se mêlent le mystère, la superstition, la magie, l’amour, la séduction, la jalousie et finalement la mort, sur fond d’Inquisition dans l’Espagne catholique du début du XVIe siècle. Dans cet opéra représenté en 1912 à l’Opéra-Comique, non sans un franc succès, il faut voir et écouter La Sorcière comme un étrange clin d’œil. Voilà une œuvre qui s’attache à parler de l’amour entre un chrétien et une musulmane, un message d’amour, de tolérance et de paix écrit par un compositeur… juif – et ce, deux années avant le déclenchement de la première guerre mondiale.

    L’histoire prend comme ligne conductrice celle de l’obscurantisme religieux autour d’une figure devenue hyper moderne, celle de la sorcière, incarnée par Zoraya. Elle est connue pour sa grâce, sa beauté fatale mais aussi sa bonté et sa douceur naturelle. La sorcière musulmane est incarnée par l’impressionnante Andreea Soare à la présence magnétique, portant à bout d’un bras un opéra incroyable de puissance. Enrique (Jean-François Borras), chef des archers de Tolède, croise Zoraya. Il en tombe amoureux (ce qui est l’occasion d’une brûlante déclaration dans la scène 2 de l’acte II). C’est le début d’un sombre engrenage qui mène tout ce beau monde vers les turpitudes de la tristement célèbre Inquisition espagnole et vers un  sinistre bûcher. 

    La musique se fait implacable et les voix masculines semblent écraser de leur puissance l’une des principales victimes

    Nous voilà dans un drame amoureux des plus traditionnels : mariage arrangé contre passion amoureuse, rejet de la société, brutalité du pouvoir. Cette fois, à l’instar de Tosca ou de Carmen, une autre héroïne espagnole, c’est une femme indépendante qui se bat pour sa liberté et pour l’homme qu’elle aime (scène 2 de l’acte III), même si c’est le prix est une autre femme – Joana, promise à Enrique. Intrigue amoureuse inextricable.

    L’auditeur se laissera sans aucun doute séduire par les tensions mélodiques dont l’amateur d’opéra durant la Belle Époque était particulièrement sensible. À ce sujet, on trouvera dans le coffret de La Sorcière un texte éclairant sur les évolutions de l’opéra à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec l’influence de Wagner. Michele Niccolai parle d’un profond renouvellement en France de ce que l’on peut nommer le "théâtre musical" : leitmotiv, naturalisme lyrique, mélange de tradition ancienne et de modernité. La virtuosité vocale n’est pas recherchée ici mais plutôt la mise en musique des émotions, lorsque par exemple Zoraya tente de convaincre Enrique de fuir avec elle en Afrique, à l’insu de Joana (scène 2 de l’acte II).

    L’auditeur contemporain sera sans doute frappé par les deux derniers tableaux qui renvoient à d’autres scènes, celles du roman italien Le Nom de la Rose, à ceci près que nous sommes devant un tribunal de l’Inquisition espagnole du XVIe siècle. Obscurantisme religieux, justice expéditive et tortures judiciaires font face aux passions humaines, à l’amour, à la folie (la simple d’esprit Afrida) mais aussi à la terreur. La musique se fait implacable et les voix masculines semblent écraser de leur puissance l’une des principales victimes – à savoir la sorcière Zoraya.  "L’amour est plus forte que la crainte", chante-t-elle lorsqu’on l’accuse d’envoûtements et de "rapports impurs avec Don Enrique".

    Rarement une œuvre lyrique aura été aussi brutale (l’opéra date pourtant des premières années du XXe siècle). Il y a du Vérisme italien dans cette pièce au naturalisme puissant. Certaines critiques de l’époque ont comparé à juste titre le Grand Inquisiteur Ximénès avec le cruel Scarpia du Tosca de Puccini : "Ces aveux, la malheureuse ! / Sous la menace de vos tenailles !", chante la malheureuse Zoraya, une autre Tosca, femme forte et victime, acculée, désespérée et sidérée ("Non… c’est vrai… c’est vrai…"). "Nous la brûlerons après vêpres !" s’exclame, implacable, l’Inquisiteur dans un air de triomphe.

    Le second tableau du dernier acte, plus court, est aussi celui qui a sans doute le plus marqué les esprits : un bûcher, un public venu assister à l’exécution d’une sorcière et une Zoraya plus passionnée d’amour qu’elle ne l’a jamais été. La tension est à son paroxysme dans cette dernière partie. Compositeur classique, Camille Erlanger n’en fait pas moins œuvre de modernité dans ces scènes à l’expressionnisme qui a dû marquer les spectateurs du début du XXe siècle. Les chanteurs et chanteuses semblent cernés par la densité de l’orchestre et des chœurs de la Haute École de Musique de Genève, tout comme Zoraya et Enrique sont écrasés par le destin cruel et inéluctable.

    En ressortant La Sorcière d’Erlanger, b.records ressuscite un opéra passionnant et représentatif du courant musical français du début du XXe siècle, sur un sujet qui n’a jamais été aussi actuel. Féministe avant l’heure, osons le dire. Et impitoyable.  

    Camille Erlanger, La Sorcière, livret d’André Sardou d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou,
    Orchestre et Chœur de la Haute École de Musique de Genève, dirigée par Guillaume Tourniaire, b•records, coll. Genève, 2024 
    https://www.b-records.fr/la-sorciere
    https://www.andreeasoare.com
    https://www.hesge.ch

    Voir aussi : "L’indicible en musique"

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  • La Marionnette

    Dans La Marionnette, Catherine Armessen, médecin et romancière, traite dans ce roman noir d'un sujet de société de plus en plus mis sous les feux de l'actualité : la manipulation dans le couple. Il faut préciser que l'auteur avait déjà traité de la manipulation - au sein d'une secte cette fois - dans un de ses précédents livres, Manipulation.

    Camille, le personnage principal, tombe amoureuse, au début du roman, d'Alexandre, un gynécologue réputé et au charme ravageur. La romance idyllique devient cependant un véritable enfer pour la jeune femme au caractère pourtant bien trempé. Écrasée par un homme sûr de lui et manipulateur, un pervers usant tour à tour de la séduction, de l’humiliation et de la violence, Camille se voit perdre son libre-arbitre et sa confiance. Elle se retrouve isolée dans un enfer qu'elle va finalement chercher à fuir grâce à l'aide de quelques personnes de son entourage.

    Ce roman noir passionnant se lit d'une traite et vaut sans doute beaucoup de documentaires et d'essais sur la manipulation tant les rouages de cette perversité sont décrits avec précision et subtilité.      

    Catherine Armessen, La Marionnette, éd. Feuillage, 300 pages, 2008
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2013/06/09/27367402.html
    https://www.catherine-armessen.fr
    https://editionsfeuillage.fr/Marionnette/La-Marionnette.html 

    Voir aussi : "Confessions d'un jeune Romancier"

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  • No escape from Reality 

    Il est probable que ce film vous ait échappé. Sorti trop discrètement, Reality de Tina Satter, avec Sydney Sweeney dans le rôle titre, mérite d’être découvert. Long-métrage atypique d’un peu moins d’une heure et demie – une rareté dans le paysage ciné et télé, avec des films parfois interminables et dont la longueur n’est pas synonyme de pertinence.

    Reality compte l’histoire vraie de Reality Winner, linguiste hyperdouée que la Défense américaine a recruté après son service dans l’US Air Force pour ses connaissances du pachtoune, du dari et du farsi. Une fonctionnaire au-dessus de tout soupçon, aux faits d’armes incontestables, mais qui intéresse le FBI. Le 3 juin 2017, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, une équipe d’agents fédéraux viennent la cueillir chez elle afin d’éclaircir des zones d’ombre. La conversation commence sur un ton badin.

    Pourquoi regarder ce film ? Il y a d’abord l’aspect historique. Reality Winner n’est certes pas la lanceuse d’alerte la plus connue. Discrète, encore en prison à l’heure de la publication de cette chronique (elle devrait être libérée en novembre 2024), elle n’a pas suscité la même fièvre que celles entourant les Edward Snowden, Julian Assange ou Chelsea Manning.   

    Un étonnant huis-clos presque intimiste

    L’Affaire Reality est pourtant essentielle sur l’ingérence russe lors de la Présidentielle américaine de 2016 qui a vu la défaire d’Hilary Clinton et la victoire du populiste américain.

    L’autre qualité de Reality, bien plus essentielle, est son traitement cinématographique. La réalisatrice Tina Satter a tourné le film dans la propre maison qu’occupait reality Winner au moment des faits. Sydney Sweeney (que l’on a vue dans la série Euphoria et dans  Once Upon a Time… in Hollywood), endosse avec un talent indéniable le rôle de cette jeune fonctionnaire surdouée, hypersensible et amoureuse des animaux. Après un échange badin avec deux inspecteurs du FBI, les défenses de Reality Winter commencent à se fissurer et dévoilent une jeune femme paumée, aux comportements entre l’inconséquence, la maladresse et le réel engagement militant.

    Le dernier coup de force de ce film formidable est le choix de faire jouer par les acteurs et actrice de ce film la transcription exacte de l’interrogatoire – sans rien cacher sur les informations censurées par les services officiels américains.

    En résumé, voilà un "petit film" qui revisite avec talent et originalité l’espionnage grâce à un étonnant huis-clos presque intimiste. Ajoutez à cela l'interprétation incroyable de Sydney Sweeney. Voilà qui devrait vous convaincre de découvrir ce petit bijou venu des USA.

    Reality, drame américain de Tina Satter,
    avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton et Marchánt Davis, 2023, 82 mn, DVD et Blu-ray

    https://store.potemkine.fr/dvd/3512394005815-reality-tina-satter

    Voir aussi : "Pleure, ô pays bien-aimé"

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  • Nous nous sommes tant séparés

    Dans la production littéraire de David Foenkinos, l’un des auteurs français les plus célèbres et les plus bankables – si l’on me permet cette expression – son roman Nos Séparations est sans doute l’un des moins cités. Osons le dire : il y a un peu de dédain pour ce livre qui précède immédiatement La Délicatesse et qui suit une période relativement calme après le succès incroyable du Potentiel érotique de ma femme quatre ans plus tôt.

    Écrit à la première personne, Nos Séparations raconte la vie sentimentale et amoureuse des plus compliquées de Fritz. Jeune Parisien cultivé, le jeune homme décroche un stage inespéré aux éditions Larousse. Céline Delamare, qui le recrute, montre d’abord un visage distant mais le jeune diplômé lui plaît. Or, dans sa vie privée, Fritz file le grand amour avec Alice. Entre les deux, les choses roulent, jusqu’à ce qu’elle lui présente ses parents et sa sœur, Iris. 

    Nous voilà dans un Foenkinos, un bon Foenkinos.
    Très bon ? N’exagérons pas

    Pas de doute, nous voilà dans un Foenkinos, un bon Foenkinos. Très bon ? N’exagérons pas ! En tout cas, ce roman sur les amours et les séparations successives d’un Parisien un peu paumé ne dépayseront pas le lecteur familier de l’auteur français.

    Il y a du social autant que du sentimental et de l’érotique dans ce séduisant livre. Voilà un Parisien de la fin des années 2000 devant se faire une place au soleil autant qu’une place dans un lit – ou plusieurs. Intellectuel instable ? Cœur d’artichaut ? Sans doute les deux. Mais l’auteur fait une large place à ces femmes qui traversent la vie de Fritz, que ce soit Céline, Iris, Lise et bien sûr Alice.

    Car c'est Alice qui est au cœur de sa grande love story. Une jolie histoire d’amour faite de séparations et de retrouvailles. Jusqu’où et surtout jusqu’à quand ? Ces deux-là sont-ils faits pour vivre ensemble malgré les différences et les désaccords ? C’est ce que lecteur découvrira, au terme d’un long voyage intime et professionnel où il sera question de repas partant en cacahuètes, de vendeurs de cravates et de plusieurs passages par le cimetière.   

    David Foenkinos, Nos Séparations, éd. Gallimard, 2008, 224 p.
    https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072767692-nos-separations-david-foenkinos
    https://www.facebook.com/david.foenkinos

    Voir aussi : "L’art de la collection"
    "David Foenkinos, son œuvre"

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  • Élégies pour Fauré

    Pour les 100 ans de sa mort, Gabriel Fauré méritait au moins cette splendide intégrale des œuvres pour piano solo. Laurent Wagschal s’est collé à ce monument qui est proposé en coffret chez Indésens. La maison de disques vient ainsi marquer – et combien ! – l’événement classique de cette année, après un essentiel des œuvres pour piano par Laurent Wagshall et l’intégrale des œuvres de Fauré pour piano et violoncelle avec Pauline Bartissol et toujours Laurent Wagschal.

    Grâce à des captations lumineuses, le pianiste français met à l’honneur un compositeur trop souvent restreint à son Requiem, certes magnifique. Les œuvres pour piano solo sont présentées en 4 CD par ordre chronologique de composition, un choix intelligent.  

    L’auditeur découvre ou redécouvre la virtuosité et la fraîcheur d’un maître en musique de chambre, avec d’abord sa rare Sonate en fa majeur n°5 mêlant classicisme mozartien (Allegro ma non troppo et Menuet) et romantisme très XIXe siècle (Final). Dans le livret, Laurent Wagschal cite Beethoven et Haydn. À l’époque, Gabriel Fauré a tout juste 18 ans.

    Le premier CD offre un bel aperçu des œuvres de jeunesse du compositeur, très influencé par ses pairs, que ce soit Chopin (Mazurka N 8), Bach (Prélude et Fugue en mi mineur) ou Schubert (les Impromptus op. 25 et op. 31), avec cependant, déjà, un solide tempérament, à l’instar de l’imagée et virtuose Gavotte N 14. L’auditeur retrouvera tout l’esprit de la musique française de la fin du XIXe siècle, avec en particulier la délicate et irrésistible Romance n° 3 ou encore la Ballade op.19 exceptionnellement longue – près de 14 minutes, alors que la quasi-totalité de ses pièces ne dépasse pas 7 minutes.

    Une première Barcarolle, celle en mi bémol majeur op 25, certes pas la plus connue, vient ponctuer le premier CD de l’Intégrale, balayant les années d’apprentissage et de jeunesse de Fauré qui parvient vite à imposer son style : romantisme tout en retenue, fluidité des compositions et fausse légèreté que l’on retrouve aussi bien dans le 2e Impromptu op.31 que la pathétique 1ère Nocturne op. 33.

    Le style "faurien" s’épanouit dans le deuxième disque du coffret de cette intégrale mémorable. Nocturnes et Barcarolles se taillent la part du lion. Peu avare en virtuosité gratuite comme le souligne le livret de présentation, le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse, sans sacrifier le sens de la mélodie ni la mélancolie affleurant à chaque note, à l’instar de la poignante 5e Nocturne op. 37. La deuxième Valse-Caprice en ré bémol majeur vient apporter de la fraîcheur toute romantique, mais non sans ombres tristes. 

    Qui dit Barcarolles dit Fauré. Le deuxième disque en propose trois, à savoir les 2e, 3e et 4e, respectivement op. 41, 42 et 44. Fauré excelle dans le sens de la mélodie comme dans ses compositions fluides, servies par les doigts gracieux de Laurent Wagschal mais aussi avec ce sens de la rondeur. L’auditeur ne pourra rester indifférent à sa poignante interprétation de la célèbre Pavane op. 50. Une vraie belle redécouverte.

    Le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse

    Le troisième CD du coffret s’intéresse aux années fastes de Fauré. Dans ces années 1890, il est dans la plénitude de son art, reconnu comme musicien important et peut se consacrer à ses compositions plus librement, mais aussi à de prestigieuses responsabilités comme directeur du Conservatoire de Paris. Laurent Wagschal se penche sur sa 4e Valse-Caprice au piano en la bémol majeur op. 62. Derrière le romantisme, on sent aussi poindre la modernité dans cette pièce ambitieuse. Ce disque propose également des Nocturnes – dont l’ample n°6 et la sombre n°7 –, les magnétiques Barcarolles op. 66 et op. 70, mais aussi les Pièces brèves op. 84 et des Thèmes et Variations op. 73. Les 11 variations et son thème solennel frappent par leur concision (de 40 secondes à moins de 2 minutes) et par leur précision – pour ne pas dire efficacité. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec émotion sur les VIIIe et IXe Variations toutes en délicatesse. Dans ce 3e CD, impossible de ne pas passer à côté de la transcription pour piano de deux moments de son opéra Pelléas et Mélisandre (Prélude, la fameuse Sicilienne et la lugubre Mort de Mélisandre). C’est un compositeur nourri par le Symbolisme qui s’exprime à travers ces trois mouvements où l’onirisme le dispute à la mélancolie. Amour, mort, nature et immortalité se fondent dans une œuvre incroyable. Le troisième album du coffret se termine par ses Huit Pièces brèves op. 84. Guère plus de deux minutes pour ces charmantes compositions au classicisme très musique française. Le sens de la mélodie est là. La délicatesse (Capriccio) et le romantisme aussi (Adagietto, Allégresse). On voit entend même le vénérable compositeur faire œuvre de jeunesse et de fantaisie (l’Improvisation à la fraîcheur intacte ou la bien nommée Fantaisie, justement). Il propose également un hommage à Bach dans deux fugues ressemblant autant à des exercices pour piano qu’à des… pastiches.

    Le quatrième et dernier CD s’intéresse aux dernières compositions de Fauré alors que ce dernier, à l’instar de Beethoven, perd progressivement l’audition. Barcarolles et Nocturnes dominent cette dernière partie. Fauré s’y épanouit en majesté (7e Barcarolle op. 90), mais la modernité surgit aussi, ce qui vient contredire l’image d’un compositeur réduit à une musique française néo-classique – et pour certains vaguement ennuyeuse. Que l’on pense à cette Impromptu n°4 en ré bémol majeur op. 91, aux volutes rêveuses et mélancoliques ou à la 8e Barcarolle op. 96 à la fois virtuose et gaillarde dans sa jeunesse et que Laurent Wagschal vienne servir avec la même fraîcheur. Modernité aussi dans cette étonnante et joueuse 5e Impromptu op. 102 ou cette sinueuse 10e Barcarolle. C’est dans les Nocturnes que la mélancolie du vieux Maître transparaît le plus (9e 10e et 11e Nocturne) mais aussi dans la somptueuse 9e Barcarolle op. 101.  

    On a souligné la brièveté des pièces brèves de Gabriel Fauré. En voici un nouvel exemple avec ces Neuf Préludes op. 103, dont la plus longue dépasse tout juste les trois minutes. Laurent Wagschal propose un jeu tout en contrastes : raffinement et clarté debussyenne dans le Prélude n°1, fantaisie dans le n°2, élégance retenue dans le n°3 en sol mineur ou délicatesse mélodieuse dans la n°4. Dans ces Préludes, l’ombre de Bach ne pouvait pas être absente. On la retrouve dans la n°6 en mi bémol mineur. 
    Fauré nous devient familier et proches grâce à ces Préludes aux mille accents, surprenant l’auditeur par leur variété et parfois leur fausse nonchalance (la 8e en ut mineur) ou au contraire leur touchante pudeur (la 9e en mi mineur qui vient clore ces Neuf Préludes).

    Le coffret se termine sur des œuvres crépusculaires, singulièrement plus longues (12e et 13e Nocturnes). Ces Nocturnes et Barcarolles tardives sont celles d’un compositeur toujours inventif, ne tournant jamais le dos au modernisme.

    Avec ce magnifique coffret, à offrir pour les fêtes, Laurent Wagschal offre un des plus beaux hommages à Gabriel Fauré dont nous fêtons cette année les 100 ans de la mort. 

    Laurent Wagschal, Fauré – Complete Works, Laurent Wagschal (piano), Indésens Calliope, 2024
    https://laurentwagschal.com
    https://www.facebook.com/laurentwagschal
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Fauré, cent ans après toujours jeune"
    "Fauré 2024"

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  • All we imagine as light

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film All we imagine as light. Il sera visible du 23 au 29 octobre 2024. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 22 octobre 2024 à 20H.

    Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.

    Grand prix au festival de Cannes 2024.

    All we imagine as light, drame indien de Payal Kapadia
    avec Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadamhttps, 2024, 104 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1489
    https://www.condor-films.fr/film/all-we-imagine-as-light

    Voir aussi : "Les Graines du figuier sauvage"

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