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Il est probable que ce film vous ait échappé. Sorti trop discrètement, Reality de Tina Satter, avec Sydney Sweeney dans le rôle titre, mérite d’être découvert. Long-métrage atypique d’un peu moins d’une heure et demie – une rareté dans le paysage ciné et télé, avec des films parfois interminables et dont la longueur n’est pas synonyme de pertinence.
Reality compte l’histoire vraie de Reality Winner, linguiste hyperdouée que la Défense américaine a recruté après son service dans l’US Air Force pour ses connaissances du pachtoune, du dari et du farsi. Une fonctionnaire au-dessus de tout soupçon, aux faits d’armes incontestables, mais qui intéresse le FBI. Le 3 juin 2017, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, une équipe d’agents fédéraux viennent la cueillir chez elle afin d’éclaircir des zones d’ombre. La conversation commence sur un ton badin.
Pourquoi regarder ce film ? Il y a d’abord l’aspect historique. Reality Winner n’est certes pas la lanceuse d’alerte la plus connue. Discrète, encore en prison à l’heure de la publication de cette chronique (elle devrait être libérée en novembre 2024), elle n’a pas suscité la même fièvre que celles entourant les Edward Snowden, Julian Assange ou Chelsea Manning.
Un étonnant huis-clos presque intimiste
L’Affaire Reality est pourtant essentielle sur l’ingérence russe lors de la Présidentielle américaine de 2016 qui a vu la défaire d’Hilary Clinton et la victoire du populiste américain.
L’autre qualité de Reality, bien plus essentielle, est son traitement cinématographique. La réalisatrice Tina Satter a tourné le film dans la propre maison qu’occupait reality Winner au moment des faits. Sydney Sweeney (que l’on a vue dans la série Euphoria et dans Once Upon a Time… in Hollywood), endosse avec un talent indéniable le rôle de cette jeune fonctionnaire surdouée, hypersensible et amoureuse des animaux. Après un échange badin avec deux inspecteurs du FBI, les défenses de Reality Winter commencent à se fissurer et dévoilent une jeune femme paumée, aux comportements entre l’inconséquence, la maladresse et le réel engagement militant.
Le dernier coup de force de ce film formidable est le choix de faire jouer par les acteurs et actrice de ce film la transcription exacte de l’interrogatoire – sans rien cacher sur les informations censurées par les services officiels américains.
En résumé, voilà un "petit film" qui revisite avec talent et originalité l’espionnage grâce à un étonnant huis-clos presque intimiste. Ajoutez à cela l'interprétation incroyable de Sydney Sweeney. Voilà qui devrait vous convaincre de découvrir ce petit bijou venu des USA.
Dans la production littéraire de David Foenkinos, l’un des auteurs français les plus célèbres et les plus bankables – si l’on me permet cette expression – son roman Nos Séparations est sans doute l’un des moins cités. Osons le dire : il y a un peu de dédain pour ce livre qui précède immédiatement La Délicatesse et qui suit une période relativement calme après le succès incroyable du Potentiel érotique de ma femme quatre ans plus tôt.
Écrit à la première personne, Nos Séparations raconte la vie sentimentale et amoureuse des plus compliquées de Fritz. Jeune Parisien cultivé, le jeune homme décroche un stage inespéré aux éditions Larousse. Céline Delamare, qui le recrute, montre d’abord un visage distant mais le jeune diplômé lui plaît. Or, dans sa vie privée, Fritz file le grand amour avec Alice. Entre les deux, les choses roulent, jusqu’à ce qu’elle lui présente ses parents et sa sœur, Iris.
Nous voilà dans un Foenkinos, un bon Foenkinos. Très bon ? N’exagérons pas
Pas de doute, nous voilà dans un Foenkinos, un bon Foenkinos. Très bon ? N’exagérons pas ! En tout cas, ce roman sur les amours et les séparations successives d’un Parisien un peu paumé ne dépayseront pas le lecteur familier de l’auteur français.
Il y a du social autant que du sentimental et de l’érotique dans ce séduisant livre. Voilà un Parisien de la fin des années 2000 devant se faire une place au soleil autant qu’une place dans un lit – ou plusieurs. Intellectuel instable ? Cœur d’artichaut ? Sans doute les deux. Mais l’auteur fait une large place à ces femmes qui traversent la vie de Fritz, que ce soit Céline, Iris, Lise et bien sûr Alice.
Car c'est Alice qui est au cœur de sa grande love story. Une jolie histoire d’amour faite de séparations et de retrouvailles. Jusqu’où et surtout jusqu’à quand ? Ces deux-là sont-ils faits pour vivre ensemble malgré les différences et les désaccords ? C’est ce que lecteur découvrira, au terme d’un long voyage intime et professionnel où il sera question de repas partant en cacahuètes, de vendeurs de cravates et de plusieurs passages par le cimetière.
Grâce à des captations lumineuses, le pianiste français met à l’honneur un compositeur trop souvent restreint à son Requiem, certes magnifique. Les œuvres pour piano solo sont présentées en 4 CD par ordre chronologique de composition, un choix intelligent.
L’auditeur découvre ou redécouvre la virtuosité et la fraîcheur d’un maître en musique de chambre, avec d’abord sa rare Sonate en fa majeur n°5 mêlant classicisme mozartien (Allegro ma non troppo et Menuet) et romantisme très XIXe siècle (Final). Dans le livret, Laurent Wagschal cite Beethoven et Haydn. À l’époque, Gabriel Fauré a tout juste 18 ans.
Le premier CD offre un bel aperçu des œuvres de jeunesse du compositeur, très influencé par ses pairs, que ce soit Chopin (Mazurka N 8), Bach (Prélude et Fugue en mi mineur) ou Schubert (les Impromptus op. 25 et op. 31), avec cependant, déjà, un solide tempérament, à l’instar de l’imagée et virtuose Gavotte N 14. L’auditeur retrouvera tout l’esprit de la musique française de la fin du XIXe siècle, avec en particulier la délicate et irrésistible Romance n° 3 ou encore la Ballade op.19 exceptionnellement longue – près de 14 minutes, alors que la quasi-totalité de ses pièces ne dépasse pas 7 minutes.
Une première Barcarolle, celle en mi bémol majeur op 25, certes pas la plus connue, vient ponctuer le premier CD de l’Intégrale, balayant les années d’apprentissage et de jeunesse de Fauré qui parvient vite à imposer son style : romantisme tout en retenue, fluidité des compositions et fausse légèreté que l’on retrouve aussi bien dans le 2e Impromptu op.31 que la pathétique 1ère Nocturne op. 33.
Le style "faurien" s’épanouit dans le deuxième disque du coffret de cette intégrale mémorable. Nocturnes et Barcarolles se taillent la part du lion. Peu avare en virtuosité gratuite comme le souligne le livret de présentation, le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse, sans sacrifier le sens de la mélodie ni la mélancolie affleurant à chaque note, à l’instar de la poignante 5e Nocturne op. 37. La deuxième Valse-Caprice en ré bémol majeur vient apporter de la fraîcheur toute romantique, mais non sans ombres tristes.
Qui dit Barcarolles dit Fauré. Le deuxième disque en propose trois, à savoir les 2e, 3e et 4e, respectivement op. 41, 42 et 44. Fauré excelle dans le sens de la mélodie comme dans ses compositions fluides, servies par les doigts gracieux de Laurent Wagschal mais aussi avec ce sens de la rondeur. L’auditeur ne pourra rester indifférent à sa poignante interprétation de la célèbre Pavane op. 50. Une vraie belle redécouverte.
Le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse
Le troisième CD du coffret s’intéresse aux années fastes de Fauré. Dans ces années 1890, il est dans la plénitude de son art, reconnu comme musicien important et peut se consacrer à ses compositions plus librement, mais aussi à de prestigieuses responsabilités comme directeur du Conservatoire de Paris. Laurent Wagschal se penche sur sa 4e Valse-Caprice au piano en la bémol majeur op. 62. Derrière le romantisme, on sent aussi poindre la modernité dans cette pièce ambitieuse. Ce disque propose également des Nocturnes – dont l’ample n°6 et la sombre n°7 –, les magnétiques Barcarolles op. 66 et op. 70, mais aussi les Pièces brèves op. 84 et des Thèmes et Variations op. 73. Les 11 variations et son thème solennel frappent par leur concision (de 40 secondes à moins de 2 minutes) et par leur précision – pour ne pas dire efficacité. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec émotion sur les VIIIe et IXe Variations toutes en délicatesse. Dans ce 3e CD, impossible de ne pas passer à côté de la transcription pour piano de deux moments de son opéra Pelléas et Mélisandre (Prélude, la fameuse Sicilienne et la lugubre Mort de Mélisandre). C’est un compositeur nourri par le Symbolisme qui s’exprime à travers ces trois mouvements où l’onirisme le dispute à la mélancolie. Amour, mort, nature et immortalité se fondent dans une œuvre incroyable. Le troisième album du coffret se termine par ses Huit Pièces brèves op. 84. Guère plus de deux minutes pour ces charmantes compositions au classicisme très musique française. Le sens de la mélodie est là. La délicatesse (Capriccio) et le romantisme aussi (Adagietto, Allégresse). On voit entend même le vénérable compositeur faire œuvre de jeunesse et de fantaisie (l’Improvisation à la fraîcheur intacte ou la bien nommée Fantaisie, justement). Il propose également un hommage à Bach dans deux fugues ressemblant autant à des exercices pour piano qu’à des… pastiches.
Le quatrième et dernier CD s’intéresse aux dernières compositions de Fauré alors que ce dernier, à l’instar de Beethoven, perd progressivement l’audition. Barcarolles et Nocturnes dominent cette dernière partie. Fauré s’y épanouit en majesté (7e Barcarolle op. 90), mais la modernité surgit aussi, ce qui vient contredire l’image d’un compositeur réduit à une musique française néo-classique – et pour certains vaguement ennuyeuse. Que l’on pense à cette Impromptu n°4 en ré bémol majeur op. 91, aux volutes rêveuses et mélancoliques ou à la 8e Barcarolle op. 96 à la fois virtuose et gaillarde dans sa jeunesse et que Laurent Wagschal vienne servir avec la même fraîcheur. Modernité aussi dans cette étonnante et joueuse 5e Impromptu op. 102 ou cette sinueuse 10e Barcarolle. C’est dans les Nocturnes que la mélancolie du vieux Maître transparaît le plus (9e 10e et 11e Nocturne) mais aussi dans la somptueuse 9e Barcarolle op. 101.
On a souligné la brièveté des pièces brèves de Gabriel Fauré. En voici un nouvel exemple avec ces Neuf Préludes op. 103, dont la plus longue dépasse tout juste les trois minutes. Laurent Wagschal propose un jeu tout en contrastes : raffinement et clarté debussyenne dans le Prélude n°1, fantaisie dans le n°2, élégance retenue dans le n°3 en sol mineur ou délicatesse mélodieuse dans la n°4. Dans ces Préludes, l’ombre de Bach ne pouvait pas être absente. On la retrouve dans la n°6 en mi bémol mineur. Fauré nous devient familier et proches grâce à ces Préludes aux mille accents, surprenant l’auditeur par leur variété et parfois leur fausse nonchalance (la 8e en ut mineur) ou au contraire leur touchante pudeur (la 9e en mi mineur qui vient clore ces Neuf Préludes).
Le coffret se termine sur des œuvres crépusculaires, singulièrement plus longues (12e et 13e Nocturnes). Ces Nocturnes et Barcarolles tardives sont celles d’un compositeur toujours inventif, ne tournant jamais le dos au modernisme.
Avec ce magnifique coffret, à offrir pour les fêtes, Laurent Wagschal offre un des plus beaux hommages à Gabriel Fauré dont nous fêtons cette année les 100 ans de la mort.
Les Cramés de la Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film All we imagine as light. Il sera visible du 23 au 29 octobre 2024. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 22 octobre 2024 à 20H.
Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.
Saluons cette excellente bande dessinée de Michele Botton au scénario et Marco Maraggi au dessin qui se sont attaqués à celui qui reste l’un des artistes les plus incontournables et les plus populaires de la deuxième moitié du XXe siècle (éd. Larousse).
L’américain Andy Warhol, pape du pop art, a vu ses œuvres archi diffusées, commercialisées, montrées et souvent copiées, faisant dire parfois qu’il est entièrement identifié au pop art.
Ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur de faire connaître l’artiste et l’homme, ce dernier étant souvent effacé derrière ses boîtes de soupe Campbell ou ses sérigraphies iconique autour du visage de Marylin Monroe.
Suivant la chronologie, les auteurs suivent la vie d’Andy Warhol de son enfance à Pittsburgh où le garçon timide se tenait à l’écart des autres enfants jusqu’à son décès en 1987, quelques temps après celui de son ami Jean-Michel Basquiat.
Pape du pop art
C’est avec la mention de biographie "non officiel et non autorisé" que se présente cette "bio graphie". Ce qui ne veut pas dire que Michele Botton et Marco Maraggi osent l’impertinence à tout crin et le fantasque. En réalité, voilà une sérieuse biographie qui se distingue autant par le soin de sa vulgarisation que par les dessins et les couleurs – très pop, justement.
L’introduction de l’ouvrage insiste sur le terme de "pop", justement, renvoyant au mot "populaire", ce qui dit beaucoup sur les intentions des artistes de l’époque, à commencer par Warhol lui-même. L'artiste ne cachait d'ailleurs pas son ambitieux de faire une oeuvre à la fois originale, populaire et commercialement monnayable. Réussite totale !
Le récit de son parcours, de l’école où il était sérieux, en passant par la publicité puis finalement la Factory, le lieu où il accueillait les artistes new-yorkais, dit beaucoup sur les intentions de Warhol : créer des œuvres et faire de l’argent.
L’artiste archi célèbre de son vivant, le plus commenté et imité depuis les années 60, reste toutefois un inconnu, tant Warhol s’est dissimulé derrière un personnage. Voilà une belle occasion de le découvrir, en attendant de se précipiter pour découvrir d’un nouvel œil ses œuvres entrées dans le patrimoine de l’humanité.
Des sophistes, les seuls textes et éléments nous sont donnés par leurs principaux adversaires (et en premier lieu Platon et Aristote) et par des auteurs postérieurs grecs ou romains.
Ces savants (sophistes en grec) que l’on a qualifié de "pseudo-philosophes" étaient versés dans l’art oratoire, la science du discours et aussi dans la pédagogie. Ces qualités vont jouer pour la postérité contre eux car, à partir de Socrate, leur adversaire le plus virulent, les sophistes vont être accuser de privilégier le discours au détriment de la pensée et de "pervertir la jeunesse" (la même accusation qui conduira Socrate à boire la ciguë !).
Ce recueil permet de réhabiliter le sophisme. Certains comme Critias, vont aussi tomber dans un ostracisme en raison de leurs choix politiques. Les sophistes ont repris du lustre depuis le XXe siècle et certaines de leurs idées sont apparues modernes : l’intérêt pour l’Être (Protagoras), la science du langage et le doute au sujet de la religion et des dieux (Prodicos). Ce premier volume permet en somme de redécouvrir un mouvement philosophique capital.