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Bellaciao : ce nom qui sonne comme le rappel d’un chant de résistance est aussi, dans la BD de Loustal et Fred Bernard, le diamant au centre de Bijou (éd. Casterman).
Découvert en 1907 en Afrique du Sud par un obscur chercheur, la pierre précieuse, tour à tour bague, sautoir, puis de nouveau bague, va passer de mains en mains, puis de cous en doigts, traversant le siècle et des dizaines de pays, avant d’atterrir, par le plus grand des hasards, en possession de la seule personne qui pouvait en être propriétaire.
Entre-temps, Bellaciao va connaître mille et une aventures : un aventurier amoureux, une aristocrate survivante du Titanic, une bourgeoise des années folles, l’actrice Greta Garbo, un mari volage et sa maîtresse, des voleurs et des voyous audacieux et plusieurs femmes hommes et femmes chanceux, généreux ou malchanceux. Bellaciao, ce joyau convoité et aimé, raconte à sa façon des destins individuels où se mêlent la chance, le destin, la convoitise mais aussi la grande histoire : la première guerre mondiale, l’entre-deux guerres, l’Occupation ou le 11 septembre.
Les auteurs ont construit leur roman graphique à la manière d’un album illustré : deux vignettes par page, aucune bulle, un texte narratif court et efficace et des dessins naïfs aux couleurs chaudes.
Avec Bijou, Loustal et Fred Bernard signent une BD qui, en parlant d’un objet précieux, racontent aussi toute la vanité de vies éphémères.
Pour ce nouvel ouvrage, Paul Pariente, qui ne dédaigne jamais le risque, choisit cette fois d’allier cuisine et poésie traditionnelle, grâce à la collaboration de Rose Poullot-Robin.
Cuisine en Poésie, qui a été préfacé par Georges Blanc, propose douze recettes de Paul Pariente que Rose Poullot-Robin illustre en vers. Pourquoi poésie et cuisine font si bon ménage ? Les auteurs le précisent grâce à deux courtes présentations se faisant écho l’une et l’autre : une histoire synthétique de la cuisine et une autre sur la poésie : "Voici aujourd’hui la poésie associée à des recettes de cuisine. Chaque poème les mets en valeur, profitez de ce moment unique pour apprécier l’œuvre du cuisinier mais aussi l’œuvre du poète !"
Voilà qui est "judicieux", pour reprendre un mot de Georges Blanc, le chef étoilé de Vonnas. Et il est vrai que l’alliance entre les recettes de Paul Pariente (la tarte aux quatre saveurs du pays viganais, la blanquette de veau à l’ancienne, le feuilleté cévenol, le petit sablé du Vigan, le gratin du docteur Brochet, la tarte à la brandade de morue et au foie gras, la truite en papillote "André Chamson", la pomme reinette en baluchon, les artichauts à la gantoise, l’escalope des camisards, la tourte de poulet de Bresse façon "Rose Poullot-Robin" et l’étonnant lapin rôti à la sauce à la réglisse) trouvent un écho à travers les textes d’une poétesse et femme de lettres qui a su mettre des mots sur les saveurs d’un chef, un chef qui a choisi de prendre des chemins de traverse pour faire partager sa passion : "La joie illumine le visage gracieux / De ces chefs où le temps a perdu sa victoire, / Où la cuisine est pour eux un hymne à la gloire, / Créant une œuvre d’art aux subtiles couleurs, / Mêlant à son bouquet la beauté et la flaveur."
Peut-être est-ce là, comme l’écrit Rose Poullot-Robin, "la recette d’une bonne journée."
C’est l’une des très grandes femmes de lettres du XXe siècle – à l’égal d’une Colette, selon Montherlant – mais dont la renommée peine à s’imposer. Marie Noël est oubliée, et c’est injuste. Il faut dire aussi que cette auteure bourguignonne (comme Colette, d’ailleurs), n’aura jamais bougé d’Auxerre et a cultivé une forme de discrétion tout au long de sa vie ("Et quand tu m’écouterais, / Quand tu suivrais à mesure / Tous mes gestes, tous mes pas, / Par le trou de la serrure… / Tu ne me connaîtrais pas"), discrétion qui lui a survécu, hélas.
Il est temps sans doute, de découvrir ou, pourquoi pas, de redécouvrir Marie Noël (1883-1967), récompensée en son temps de prestigieux prix (Académie Française, Société des gens de lettres ou Société des Poètes). Le Chant des Jours que publient les éditions Desclée de Brouwer, et dont le titre renvoie à ses Chansons, est une manière d’entrée en douceur dans une œuvre à la tonalité incomparable, tour à tour sombre, lumineuse, désespérée et aux éclats de lumière incroyables.
La romancière et essayiste Colette Nys-Mazure a compilé dans cet ouvrage une sélection de textes, toujours très brefs, pour rendre Marie Noël accessible au plus grand nombre : "Quoi de mieux qu’un livre de poche lu par bribes dans le métro, l’avion, à la pause-café ou dans un lit d’hôpital, glissé sous l’oreiller à la place du téléphone ?"
Le Chant des Jours c’est 365 jours avec Marie Noël, donc. Chaque mois de l’année correspond à une thématique abordée : la difficulté de se connaître soi-même, l’amour espéré et redouté, le repli et l’envol, la détresse et la confiance, la nature, les exigences de la création, le chez-soi, la solitude, le temps et la croyance. Une sorte d’almanach, donc, qui n’est pas sans rappeler cet autre : Almanach pour une jeune fille triste (2011, posthume).
Le choix éditorial a été de proposer des textes extraits de poèmes s’étalant sur plusieurs jours, à l’instar de Ronde : "Mon père me veut marier, / Sauvons-nous, sauvons-nous par les bois et la plaine, / Mon père me veut marier, / Petit oiseau, tout vif te laisseras-tu lier ?" (7-12 juillet).
L’humour et l’autodérision ("Je ris… Je me moque un peu de moi") est présent, sans pour autant que Marie Noël ne doute que l’écriture est ce qui la fait avancer, avec toujours le regard d’une femme croyante, pieuse (un procès en béatification est d’ailleurs en cours), mais d’une grande humilité.
Le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu
Cette grande solitaire ("Il se fait tard. Personne ne viendra plus maintenant…") se confie via des textes denses, qui chantent le dépouillement, les autres ou la nature, autant que le malheur, le désespoir ou la mort, "entre révolte et acquiescement", comme le souligne Colette Nys-Mazure. Et avec toujours une importance laissée au sacré et à la foi. Les passages choisis pour les premiers jours de février renvoient ainsi au Cantique des Cantiques ("Mon bien-aimé descend la colline fleurie / De blé noir, / Très lentement par les champs pâles… C’est le soir"), mais cette fois avec le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu ("Mon bien-aimé passa, voilé de rêverie, / L’âme ailleurs, / Sans rien me dire hélas ! Sans me voir, et j’en meurs"). L’amour apparaît chez elle comme un Souverain Bien inaccessible, et en tout cas pour lequel elle ne semble pas être destiné ("Dans l’Amour, si grand, si grand, / Je me perdrai toute / Comme un agnelet / Dans un bois sans route").
Cet amour inaccessible et finalement cette solitude qui l’a pesée toute sa vie ("J’ai tellement besoin d’un ami que je l’invente"), on le doit sans nul doute à une éducation rigide, tiraillée entre un père philosophe, agnostique et dur ("- Va prier le soleil pour que mon champ prospère. / C’est ta dot qui mûrit dans nos blés. / Oui, mon père") et une famille pétrie dans une culture catholique extrêmement rigide ("Sommes-nous au couvent ?" demande-t-elle avec une ironie mordante) : une éducation qui est pour beaucoup dans le parcours personnel et artistique de Marie Noël ("Famille d’autrefois en province, composée de gens qui retombent – les femmes surtout – indéfiniment les uns sur les autres"). L’auteure parle également d’une des grandes déchirures de sa vie : la mort prématurée de son jeune frère Eugène en 1904 ("Sœur, la chanson d’amour que tu savais naguère, / Celle où passe un oiseau, chante-la… / Oui, mon frère" fait-elle dire à cet enfant qu'elle ne cessera jamais de pleurer).
Artistiquement, le lecteur trouvera dans Le Chant des Jours des textes consacrés à son travail littéraire. Marie Noël l'appréhende comme une artisane à la recherche de la phrase parfaite, sans fioriture ("Ce que tu as dit en dix mots, tâche de le dire en sept. En trois si tu peux") mais aussi comme une poétesse en recherche perpétuelle ("Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie, le nid perdu de ma chanson").
Femme de lettres importante, mais aussi croyante tourmentée, Marie Noël résume elle-même ce qui pourrait définir son œuvre : "J’ai toujours pensé que pour découvrir dans un poète la source subconsciente de sa Poésie, il n’était que de noter les mots qui reviennent le plus fréquemment, les plus involontairement dans son incantation. Chez moi j’ai trouvé : chemin, noir, perdu, pâle, seul…" Il est à cet égard frappant que ce ne sont pas des termes ayant trait à la religion ou à Dieu qu'elle choisit. Profondément croyante, Marie Noël n’en retira finalement que peu de réconfort : "Dieu n’est pas un lieu tranquille," écrit-elle pleine d'amertume dans un texte que le lecteur trouvera singulièrement à la date du 25 décembre.
Je vous invite à un voyage dans les Caraïbes avec l’album virevoltant et irrésistible Circo Circo du groupe ¿Who’s The Cuban?
Mais qui sont au juste ces Cubains – ou plutôt ces franco-cubain ? Ce dernier terme serait en effet plus approprié. ¿Who’s The Cuban? est le retour sous un autre nom du combo Son Del Salón qui a donné plus de 500 concerts et produit trois albums. Les six musiciens reviennent sur scène pour ce nouvel opus, réalisé par Lucien Zerrad qui a choisi de revisiter à sa manière la musique cubaine.
Dès les premières notes, nous voilà entraînés dans un tourbillon de rythmes, de cuivres et de voix chaleureuses, nous invitant à un lâchage en règle, avec ou sans alcool.
C’est bien sûr au cœur de Cuba, bien sûr qu’il faut chercher le son de ¿Who’s The Cuban?. Le groupe y a puisé ses influences, non sans y ajouter par touches des influences pop ou rock (Todo lo hice). La musique métissée du groupe (Tukara) est une invitation à la danse et à la rencontre peau contre peau, joue contre joue, son contre son (El circo de la sombra).
Cela n’empêche pas ¿Who’s The Cuban? de proposer des plages mélancoliques (Cómo, Rosana et le sautillant Guagüita), à l’orchestration plus discrète, avec cordes plutôt que cuivres.
Avec Afro-Spleen, nous voilà du côté de l’afro-beat, dans un album dépassant les frontières des Caraïbes, lorgnant largement de ce côté-ci de l’Atlantique. Les Cubains savent puiser jusque dans le jazz, sans pour autant oublier leurs racines cubaines (Teología de Barra).
Dans Circo Circo, l’auditeur s’arrêtera sur les deux titres Domingo 1 et Domingo 2, faisant des ruptures de rythme et de la fausse nonchalance tout le sel et l’épice de ce court diptyque qui nous plonge dans les ruelles de La Havane. L’électronique et des voix féminines introduisent Domingo 2, avant que le morceau ne s’emballe au rythme des percussions créoles.
L’opus des ¿Who’s The Cuban? se termine avec Descarado, un morceau d’une belle densité rythmique, dans laquelle les cuivres tiennent le haut du pavé.