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Cripure est le personnage central de ce roman phare des années 30. Un personnage complexe, cultivé, pathétique et à la vie misérable. À travers cet homme, Louis Guilloux, auteur breton prolifique, trace le portrait féroce d'une petite société de notables de l'arrière alors que la Grande Guerre bat son plein.
Monsieur Merlin, surnommé Cripure, est un professeur de lycée cultivé, littérateur adoré par quelques rares élèves, méprisé et jalousé par beaucoup. C'est dans ce climat délétère que tout va se liguer contre Cripure qui va finir par tout perdre, jusqu'à son honneur.
Un grand roman féroce qui n'épargne personne, tombé dans l'oubli, à l'écriture soignée mais audacieuse. À découvrir.
Voilà un genre musical et une époque qui passent complètement sous les radars. Le Moyen Âge. Une période injustement méprisée car mal connue, riche pourtant de chefs d’œuvres mais aussi et surtout de créations musicales que l’Ensemble Apotropïk propose de découvrir dans son magnifique album Bella donna, qui se veut une restitution et une découverte d’un vaste patrimoine musical encore méconnu. Le luthiste Clément Stagnol l’explique de manière passionnée et passionnante en présentation de l’album.
Cet opus propose un mélange d’œuvres la plupart en vieux français du XIIe au XVe siècle, d’artistes divers, relativement méconnus – Comtesse de Dia ou Beatritz de Dia (fin du XIIe siècle), Bernard de Ventadour (v. 1125-v,1200), Guillaume Dufay (1397-1474) ou, plus célèbre, Guillaume de Machaut (v. 1300-1377) – mais le plus souvent anonymes ("Santa Maria amar", "Isabella").
Cet album a été pertinemment partagé en trois parties, "Tempérance", "Charme" et "Tourment", donnant à cet opus une bonne cohérence, en dépit des sources disparates, s’étalant quand même sur cinq siècles !
Un fil conducteur relie ces œuvres : celui de la figure féminine, qu’elle soit artiste (Beatriz de Dia) ou modèle célébrée, chantée, honorée, désirée, voire méprisée ("O cruel donna"). "Le pari de cet enregistrement est de donner voix à ces femmes, de façon plus ou moins détournée… Il s’agit de mettre en lumière (ces femmes), les faisant passer du rang d’objet à ce lui de sujet", explique Geneviève Brunel-Lobrichon.
Chantée, honorée, désirée, voire méprisée
Quoi de plus logique, alors, que de faire commencer cet album par le sobre et délicat "A chantar m’er de so qu’eu no volria" de la Comtesse de Dia, avec ces paroles qui traversent les siècles et qui touchent encore : "Je veux savoir, mon cher et bel ami / Pourquoi vous m’êtes si farouche et endurci" (les paroles sont traduites en français moderne).
Après un instrumental du troubadour Bernard de Ventadour ("Can l’erba fresc"), l’Ensemble Apostropaïk propose un chant religieux galaïco-portugais à la Vierge Marie, "Santa Maria leva", une manière aussi de marquer l’imprégnation profonde de la religion dans les arts du Moyen Âge, avec les deux figures marquantes dans la représentation féminine que furent Eve et s. Marie. Plus étonnant sans doute, le cantiga "Santa Maria amar" conte un miracle autour d’une abbesse tombée enceinte suite à un méfait du diable. "Nous devons beaucoup aimer…" répète le chant telle une litanie.
Parmi les compositeurs connus, figure Guillaume de Machaut, dans le magnétique "Honte, paour, doubtance de meffaire", véritable illustration de la courtoisie médiévale – mais aussi du patriarcat : "Fidélité, amour et loyauté garder. / Tels sont les points que dans son cœur garde une dame / Qui de son honneur veut faire bonne garde". L’auditeur sera sans doute frappé par cette autre œuvre du chanoine français : "Phyton, le merveilleux serpent", étonnant chant faisant d’une femme éconduisant l’amoureux un monstre, mais un monstre plaisant et qui s’amuse du tourment.
Autre compositeur masculin, Guillaume Dufay propose, après une longue introduction, un chant d’amour assez classique : une femme refuse le mariage qu’on lui impose et préfère mourir que voir son amoureux disparaître – condamné à mort. L’amour humain est encore présent dans l’album, parfois sous la forme de critiques. Inconstances, tromperies, dédains de la femme : tel est le sujet du chant tiré du Codex de Chantilly de la fin du XIVe et du début du XVe siècle, alors que la courtoisie en est à son chant du cygne.
L’auditeur sera tout autant touché par cette complainte qu’est "Fortune, trop as vers moy grant tort" : "Il n’en est aucun qui croisse en réconfort / Et mon triste cœur tu l’as mis à la torture".
Et si les dames du temps jadis n’avaient pas si changées que cela ?
Bella donna, Ensemble Apostropaïk, La Belle Abbesse, 2023 Clémence Niclas (voix et flûtes à bec médiévales), Louise Bouedo (vièle à archet), Marie-Domitille Murez (harpe gothique), Clément Stagnol (luth médiéval) https://www.editionsdesabbesses.com https://www.apotropaik.eu
Incroyable film que ce Tár, un drame dans lequel Cate Blanchette propose un de ses meilleurs rôles, jusqu’à être multi-primée à la Mostra de Venise aux Golden Globes 2023 et aux BAFTA 2023. Il est vrai que le personnage de Lydia Tár, chef d’orchestre (imaginaire) impose sa présence à la fois géniale et pathétique.
Le film commence par une longue interview de la maestro – le terme de "maestra" étant rejeté par l’intéressée elle-même dans le film. La conductrice montre toute ambition musicale, sa connaissance encyclopédie et son amour insatiable pour la musique classique. Elle s’apprête d’ailleurs à diriger la Cinquième symphonie de Mahler. Or, femme cheffe d’orchestre dans un monde masculin, Lydie Tár se montre pour le moins peu perméable aux discours wokistes, comme le prouve la séquence très tendue de sa masterclass à la Juilliard School.
Une scène hallucinante et qui aura des répercussions pour la suite de l’histoire. En attendant, Tár continue son bonhomme de chemin entre une jeune assistante dévouée et admirative, une compagne reléguée au rôle de mère au foyer et de premier violon dans un orchestre de Berlin, sans oublier une fillette harcelée à l’école et, bientôt, une jeune cheffe d’orchestre retrouvée morte. Des rumeurs de harcèlement commencent à se propager autour de Lydie Tár.
Figure anti-féministe dans un milieu d’hommes
Les fans de musique classique goutteront avec un plaisir non dissimulé cette plongée dans un monde traditionnellement fermé – pour ne pas dire, parfois, élitiste. Les références aux compositeurs, aux musiciens et aux grandes directions d’orchestre (Karajan, Bernstein pour ne citer qu’eux) parsèment le film de Todd Field.
Tár, portrait nerveux d’une femme, a été inspiré par la cheffe Marin Alsop qui n’a pas manqué de s’insurger contre cette figure anti-féministe dans un milieu d’hommes. Le long-métrage se déploie relativement lentement (plus de deux heures et demie quand même) pour laisser entrevoir – et entrevoir seulement – les capacités de manipulation d’une femme sûre de son pouvoir.
Les scènes à Berlin dévoilent la manière dont Lydie Tár gère son environnement – sa femme, sa fille, une élève de cette dernière, ses collègues de travail, les musiciens et musiciennes de son orchestre, sans oublier l’énigmatique assistante, Francesca (Noémie Merlant), que l’on aurait préféré voir mieux campé. Mais il est vrai que la présence de sa responsable est étouffante. Le film se termine par un dénouement à la fois inattendu, amer et caustique, au cœur d’un orchestre asiatique. Impossible ici de dévoiler quelle œuvre elle dirige. Impitoyable et monstrueux.