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• • Articles et blablas - Page 108

  • Stéphanie Acquette, visionneuse

    Diaporama, de Stéphanie Acquette, se dérobe sous les pieds de l’auditeur qui pouvait s’attendre à un album léger et simplement nostalgique, comme l’illustre cette visionneuse que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.

    La Nordiste dévoile en ce début d’octobre un premier opus prometteur après une série de tournées sur la scène parisienne (Les 3 Baudets, le Pop In, le Supersonic, Les Étoiles…) et plusieurs théâtres de France (le Volcan, le Train-Théâtre, L’Adagio, l’Éden…).

    Coloré, cinématographique, imagé, pétillant, faussement léger et parfois même très grave : Diaporama propose une série de tableaux proposé par une chanteuse à l’écriture fine. Stéphanie Acquette sait aussi bien parler des départs sans retour avec ce je ne sais quoi de nonchalance et d’innocence ("Sans regret / Tu m’appelleras mais en vain / Je serai sur le chemin / Chemin sans destination", "Je m’en vais") que d’amour ("Dans l’insouciance") ou de regrets et d’occasions manquées ("On est passés pas loin / Ou presque / Mais c’est passé quand même / Notre opportunité", "D’un rien").

    N'oublions pas non plus "Mona", une chanson sur La Joconde, légère comme un verre d’Alka Selzer  : "Qui êtes vous par temps clair ?" se demande la chanteuse dans ce joli titre sous forme de dialogue imaginaire.

    Dans "La source", présent dans deux versions, Stéphanie Acquette se fait à la fois évanescente et songeuse, mélancolique aussi dans cette ballade au délicat souffle poétique : "J’ai verrouillé la mer / Les éléments calcaires / Plus rien n’est latent / Une guerre de cent ans / Saura nous défaire". Mais derrière le calme, ponte la tempête : "Tu as marqué la sécession /Tu as flambé les fondations". Cette guerre de cent ans est conviée de nouveau dans un autre morceau, parlant d’amour, d’absence, d’éternel retour et d’espoir ("Cent ans"). 

    Il ne manque plus que le fume-cigare, la coupe de champagne et le déshabillé qui va bien

    Bien dans son époque, la chanteuse parle dans "Jour Levant" de ces pays voisins en guerre que nous ne voulons pas voir ("Les paumes plaquées sur nos paupières / Nos fauves sur vos terres arasées." Cet Ibrahim à qui s’adresse le morceau est le symbole – et sans doute plus qu’un symbole – de ces conflits que Stéphanie Acquette poétise avec tact mais non sans rudesse : "Ibrahim dans tes fracas intimes / Ibrahim Ibrahim / Où la raison s’abîme / Le voile tâché de sang / la fosse au charnier et l’encens".

    Musicalement, "Une party"  est une jolie bossa nova – non sans un joli jeu de mot ("oh c’est beau ça") – et où le farniente côtoie la sensualité, si ce n’est l’érotisme : "Nos vacances ont du bon / Tous les trois ensemble en infusion… / Oh j’adore ça, vous aimer / D’un peu plus loin  d’assez près / Du haut de mon hamac".

    Sur une chanson aux teintes jazzy, "Lasse", Stéphanie Acquette se dévoile en femme fatale languide : "Je suis viscère, je suis suie / Près du miroir gris / Je penche de nacre à organdi / Dragué poudré, paupières mi-closes…" Il ne manque plus que le fume-cigare, la coupe de champagne et le déshabillé qui va bien.

    Le travail sur le texte (Juan Tabakovic est l'auteur de quatre titres, "Lasse", "Ma source", "Jour Levant" et "Une party) est d’autant plus remarquable que Stéphanie Acquette, une vraie révélation musicale de la scène française, écrit et chante avec justesse pour explorer nos vies égoïstes, non sans existentialisme : "Chacun pour soi / Pulvériser et scinder les atomes / Larguer les ardeurs monochromes / A croire que seul on n’est plus personne".

    Stéphanie Acquette, Diaporama, Sanctuaire Records / Inouïe Distribution, 2021
    https://stephanieacquette.com
    https://www.facebook.com/stephanieacquettemusic
    https://www.instagram.com/stephanie_aqt

    Voir aussi : "Experience rock of the Salator"

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  • À la recherche de l’idée perdue

    Le lecteur peut se leurrer en ouvrant cet étonnant livre de David Foenkinos, Qui se souvient de David Foenkinos ? (éd. Gallimard). La couverture annonce qu’il s’agit d’un roman, en dépit de la facture autobiographique racontant une période de page blanche qui a suivi la publication de son premier succès, Le Potentiel érotique de ma femme. "J'étais alors dans la promesse. Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné ? Depuis ce succès qui s'efface des mémoires, j'ai publié quatre autres romans et tous sont passés inaperçus. J'ai tenté d'analyser les raisons de mes échecs, mais il est impossible de comprendre pourquoi l'on devient invisible. Serais-je devenu médiocre ? Suis-je trop allé chez le coiffeur ?"

    Ainsi commence ce qui peut s’apparenter à une autofiction. Sauf qu’ici, il n’est pas question d’une autofiction sombre dans laquelle les récriminations le disputent aux ressassements et aux confessions les plus sordides . Non. Dans Qui se souvient de David Foenkinos ?, l’auteur de La Délicatesse opte d’emblée pour l’humour, et disons-le : ce livre est à la fois drôle, inventif et astucieux. L’auteur n’hésite pas à s’autocritiquer : "Était-ce la vie d’un écrivain ? Un écrivain à échecs, sûrement. Je me rappelle comment mon entourage s’enthousiasmait pour mes livres au tout début. J’étais un auteur Gallimard, le sang de Proust coulait dans mes veines… Déporté vers le néant littéraire, j’étais devenu décalé. Par rapport à quoi, ça je ne savais pas."

    Autodérision réjouissante

    Lorsque le récit commence, David Foenkinos est en proie à une série de crises dans sa vie : il vient d’avoir la quarantaine et ses projets artistiques battent de l’aile. Marié, père d’une adolescente, Victoria, légèrement tête-à-claque mais qu’une carrière de tenniswoman douée lui semble promise, l’auteur vit une crise de couple. Sa femme Laurence ne le supporte plus et se lasse de la voie sans issue de son écrivain de mari.

    Il y a bien ces voisins, les Martinez, un vieux couple fusionnel passionné de voyages mais pour le reste, David Foenkinos craint qu’il ne devienne bientôt qu’un inconnu dans le monde des lettres. Or, de retour en train de Suisse après un séjour pour se "régénérer", David Foenkinos a la certitude qu’une idée de livre lui a traversé la tête. Mais impossible de s’en souvenir. Il ne lui reste plus qu’à partir à la recherche de cette idée.

    Le thème de l’écrivain incompris et torturé par les affres de la création ("les affreux de la création" comme le chantait Serge Gainsbourg) est un poncif. Mais David Foenkinos le traite avec intelligence et humour, tout en faisant le portrait d’un homme – lui-même – se cherchant une place mais aussi l’amour. Car l’amour est présent dans ce roman parlant de littérature mais aussi de mort, comme l’écrit l’auteur. David Foenkinos croise tour à tour ces voisins attachants et bouleversants, la troublante Caroline ("[Elle] entrait dans ma vie parce qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle") et bien sûr Laurence, même si le couple qu'il forme avec elle n’en finit pas de mourir.

    Loin de faire l’autofiction d’un écrivain maudit, David Foenkinos fait preuve d’une autodérision réjouissante, même si cet humour peut être grinçant lorsqu’il est existentiel : "  Je venais de me diagnostiquer un amour et je savais par expérience les épuisements à venir. Quand on a deux cœurs en soi, les risques d'infarctus doublent."

    La solution à ce qui s’apparente à une dépression et à des doutes intérieurs, sera résolue au terme d’un nouveau voyage en Suisse pour retrouver la trace de cette idée – dont le lecteur ne saura rien. Là n’est pas le plus important : l’amour et la construction de soi, plutôt qu’un nouveau livre, auront le dernier mot. 

    David Foenikinos, Qui se souvient de David Foenkinos ?, éd. Gallimard, 2007, 179 p. 
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    http://www.gallimard.fr
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "A la place du mort"
    "Deux morts, deux divorces et autant d’histoires d’amour"

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  • Jolie bouteille, sacrée bouteille

    On sait que l’on peut faire un mauvais film avec une bonne idée, mais peut-on faire un film excellent avec une idée, sinon mauvaise, du moins improbable ? La réponse est oui, si l’on pense au dernier film de  Thomas Vinterberg, Drunk, avec la star mondiale Mads Mikkelsen dans le rôle-titre.

    Le réalisateur de Festen et théoricien du "Dogma 95", a fait en 2020 son grand retour avec cette comédie dramatique et sociale, sur fond de réflexions sur l’alcool et sur son importance sociale. Contre toute attente, Drunk a récolté pléthore de récompenses : les César, Oscar et BAFTA du meilleur film étranger, une coquille d’argent au Festival international du film de Saint-Sébastien en 2020, sans compter les principaux prix du cinéma européen (meilleur, film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur pour Mads Mikkelsen).

    Autant dire que Drunk est marquant en dépit de son pitch à bien des égards piégeux. Quatre amis danois, des quadragénaires et professeurs de leur État, se lancent, lors d’une soirée, dans une expérience folle – puisqu’il fait bien appeler les choses par leur nom : mettre en pratique une théorie selon laquelle l’homme naît avec un déficit d’alcool de 0,5 g/litre de sang. Pour retrouver un équilibre, chacun devrait absorber de quoi retrouver cette dose originelle. Les quatre amis décident donc de consommer régulièrement de l’alcool, mais avec une rigueur toute scientifique. Toutefois, l’expérience a ses limites et finit par déraper.

    On devine les écueils qui attendaient Thomas Vinterberg et sa famille d’acteurs et d’actrices : une suite de scènes de bitures (certes, qui existent), un discours convenu sur les ravages de l’alcool ou une comédie à la fois lourdingue et pleine de pathos. Rien de tout cela, cependant, dans Drunk.

    Le passage vers une folie provisoire et un état de transe

    C’est d’abord le petit groupe d’amis quadras qui intéresse le réalisateur danois, auscultant les blessures, le rêves brisés et les déchirures de ces amis, lancés dans une quête improbable du bonheur. La présence magnétique de Mads Mikkelsen y est pour beaucoup : on est bouleversés par Martin, ce professeur d’histoire qui a perdu la flamme et voit son couple couler. 

    Des critiques ont vu, à juste titre , Drunk comme une critique sociale du Danemark, pays paisible, poli et convenu que les quatre modestes professeur secouent en mettant en pratique une expérience autant improbable que choquante. Que l’on pense à cette scène où un professeur de philosophie encourage son élève à prendre quelques rasades d’alcool pour pouvoir affronter un examen et disserter sur Kierkegaard !

    Thomas Vinterberg est maître dans son art de filmer les scènes de boissons : bouteilles que l’on débouche, verres de vin blanc portés à la bouche, scènes de beuveries ou encore cette manière de pousser tel ou tel à à s'en servir encore un... Boisson sociale s’il en est, l’alcool devient aussi, dans la dernière scène électrisante où Mads Mikkelsen montre tous ses talents de danseur, un produit euphorisant permettant le passage vers une folie provisoire et un état de transe que les Grecs anciens n’auraient pas renié. 

    Placer l’alcool au cœur d’un film était un pari risqué. Il est réussi à plus d’un égard dans Drunk, jusque dans le choix musical, bien plus malin qu’il n’y paraît : les musiques traditionnelles danoises – prouvant la dimension sociale du long-métrage – côtoient un répertoire classique et en premier Tchaïkovski (La Tempête) et Schubert (la fameuse Fantaisie en fa mineur). Deux compositeurs  évidemment consommateurs d’alcool, voire qui avaient des problèmes avec la bouteille. 

    Drunk, comédie dramatique danoise de Thomas Vinterberg,
    avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang et Lars Ranthe, 2020 , 115 mn, MyCanal, Canal+

    https://www.hautetcourt.com/films/drunk
    https://www.facebook.com/theofficialmads
    https://www.canalplus.com/cinema/drunk/h/14878879_40099

    Voir aussi : "Lumineuse secte"

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  • Experience rock of the Salator

    Parlons rock, mais d’un rock beaucoup plus ambitieux que ne le laisse penser l’ouverture et la présentation de l'album Rock Da House de Salah Khaïli.

    Le batteur, auteur-compositeur-interprète propose avec son dernier projet musical un panorama passionnant de son univers, fruit de ses influences et de son travail dans la pop, le rock, le jazz ou la chanson française, comme de ses collaborations avec des figures majeures comme Étienne Daho, Tchéky Karyo, Axel Bauer, Sapho, Lucky Peterson ou Elli Medeiros. Autant dire que Rock Da House ne saurait se résumer à un de ces nombreux albums nostalgiques autant que régressifs, ce qu’il peut l’être par moment (le réjouissant "Rock That Shit"). En réalité, l’opus entend être une authentique expérience musicale pop et rock.

    Si Rock Da House commence à grand renfort de percussions primales, soutenues par un harmonica très blues, le séduisant "Trees In my Head" revendique une insolente fraîcheur, pour ne pas dire juvénilité. Ici, pourtant, le son rock se veut brut, avec ses guitares nerveuses, la voix franche de son chanteur (Salah Khaïli a amené avec lui pas moins de huit chanteurs et chanteuses anglo-saxons, argentin et cubain pour son projet) et bien entendu la batterie rageuse, nerveuse et explosive de celui que la scène internationale surnomme le "Salator".

    "My Son" est une ballade pop séduisante, à l’admirable construction mélodique et au texte tendre, portée par une voix veloutée aux accents de pop seventies. Tout aussi pop, "Blood Sweat And Tears" réjouira les oreilles grâce à un son extrêmement travaillé, à écouter un soir d’été indien en bonne compagnie.

    Cet album prouve que le rock est un animal à sang chaud, à la peau dure et beaucoup moins à l’agonie qu’on veuille bien le dire

    Il faut transgresser les règles, dit en substance le musicien dans un des morceaux ("Escape The Rules"), ce qu’il parvient à réaliser tout au long de cet album prouvant que le rock est un animal à sang chaud, à la peau dure et beaucoup moins à l’agonie qu’on veuille bien le dire.  

    À la recherche de sons pouvant régénérer son univers musical, Salah Khaïli n’hésite pas à aller voir du côté de l’électro-pop. C’est plutôt bien vu : "Flowers" s’inscrit bien dans son époque, tout comme "Love", aux accents funk.

    Au fur et à mesure que l’album se déploie, le rock du "Salator" se révèle comme bien plus complexe et mystérieux. Sensuel aussi ("My Best Friend"). On parlait des influences du batteur, producteur et compositeur : il ne faut pas oublier la world music, que Salah Khaïli s’approprie avec le lumineux "Kiko", nous transportant cette fois du côté de l’Amérique latine.

    "1983" pourra prendre à contre-pied l’auditeur. Morceau nostalgique et régressif renvoyant à la new-wave eighties ? Oui, mais pas seulement. Car dans ce morceau renvoyant à ces "souvenirs déchus",  Salah Khaïli propose un titre passionnant, sans doute le meilleur de l’opus, dans lequel il semble faire le lien avec des sons a priori irréconciliables : la pop, le rock, l’électro, l’urbain, voire même la chanson française. Finalement, "1983" aurait tout aussi bien se nommer "2021" ou, mieux, "83-21".

    Ce samedi 2 octobre, Salah Khaïli participera à la Nuit blanche de Paris, dans son projet Sk & Cool Jazz Édition, sur le parvis de la mairie du 14e arrondissement.  

    Salah Khaïli, Rock Da House, Salah Khaïli Music, 2021
    https://salahkhailimusic.com
    https://www.facebook.com/salah.khaili
    https://www.instagram.com/salah_salator_khaili

    Voir aussi : "Clou en plein cœur"

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  • Jodie Foster à la trace

    Il y a un peu plus de 40 ans, le 30 mars 1981, à Washington, un homme tirait sur Ronald Reagan. Le Président américain fraîchement élu était évacué d’urgence à l’hôpital. Il devait s’en sortir miraculeusement, auréolé de son image de survivant, presque de héros. Son porte-parole James Brady, le plus sérieusement atteint, sortira paralysé à vie. L’auteur de cette tentative d’assassinat se nomme John Hinckley. Il est arrêté aussitôt mais n’explique pas ce geste par des revendications politiques. La clé de son acte est une femme que l’Amérique connaît bien : l'actrice Jodie Foster.

    Clovis Goux revient, dans Chère Jodie (éd. Stock), sur cet événement qui a marqué le monde et l'Amérique. L’écrivain et journaliste retrace le parcours d’un homme perturbé, frustré et perdu. Mais ce roman richement documenté est aussi le portrait de l’Amérique du milieu des années 70 au début des années 80.

    Le livre de Clovis Goux commence par suivre Ronald Reagan dans cette journée pas comme les autres. Toutefois, il ne faut pas se tromper : ce n’est pas le Président qui intéresse l’auteur, même si l’Amérique est à une période charnière de son histoire. Les États-Unis viennent d’être humiliés en Iran suite à la Révolution islamique et le Président sortant Jimmy Carter est apparu comme un politicien trop prudent et peu à la hauteur des événements. C’est d’ailleurs lui que John Hinckley a pensé s’attaquer lorsqu’il a élaboré son projet fou d’attentat.

    Finalement, ce qui se joue ce 30 mars 1981 se trouve bel et bien dans la tête du tueur, et c’est la raison pour laquelle Clovis Goux suit à la trace cet Américain moyen, fils de bonne famille et rêvant d’une carrière de musicien. Sa vie prend un soudain virage en avril 1976 lorsqu’il découvre au cinéma le film de Martin Scorcese, Taxi Driver, avec Robert de Niro et surtout la toute jeune Jodie Foster. 

    Ce rêve porte un nom : Jodie Foster

    La comédienne, âgée seulement de 13 ans, joue le rôle d’une jeune prostituée à laquelle s'attache le mythique chauffeur de taxi Travis Bickle joué par Robert de Niro. La beauté et le magnétisme de l’actrice frappe John Hinckley : "Elle est là et le monde ne sera plus jamais le même. À cet instant précis, John Hinckley sait avec certitude que son existence a désormais un sens, que sa vie vaut d’être vaincu". Lui qui estimait ne rien valoir, être étouffé par son père, n’exister que pour une mère qu'il vénère, rater ses projets professionnels et artistiques et sa vie sentimentale, voit d’emblée une lumière et un rêve, et ce rêve porte un nom : Jodie Foster.

    Les cinq années qui suivent sont marquées par une obsession de plus en plus maladive : visionnages incessants du chef d’œuvre de Scorcese, collection d’articles de presse sur l’actrice, photos punaisées dans sa chambre, des centaines de courrier envoyés et même des coups de téléphone à l’intéressée. cette dernière tente de mettre une distance entre elle et ce fan qui lui paraît aussi inoffensif que détraqué.  

    Clovis Goux propose une passionnante plongée dans la folie d’un homme, qui est aussi la folie de l’Amérique des seventies. L’auteur ponctue l’odyssée de John Hinckley de chapitres bruts et parfois insoutenables sur l’ultraviolence américaine de ces années 70 : le massacre d'Ogden, l'affaire "Beth Doe" de White Haven ou les tueurs en série John Wayne Gracy, Rodney Alcala, Wayne Williams ou Ted Bunty.

    De très belles pages sont consacrées au cinéma et en particulier à Taxi Driver, proposant par exemple une lecture rarement faite sur la Palme d’Or 1976 : reprenant les propos du scénaristes Paul Shrader, il parle de "la fixation de Travis sur deux femmes, une qu’il peut avoir et l’autre qu’il ne peut pas avoir… Pour sortir de ce dilemme, il décide de tuer la figure paternelle de la bonne fille, qui est un politicien. Comme il n’y parvient pas, il chute et tue la figure paternelle de la mauvaise fille".

    Lorsque John Hinckley tire sur Reagan, sans doute pense-t-il à la figure inquiétante et salvatrice jouée par Robert de Niro. le libérateur d’Iris, la jeune prostituée. Toutefois, c’est bien Jodie Foster qui apparaît comme l’explication de son geste, comme il le lui écrit quelques heures avant son geste qui le conduira dans un hôpital psychiatrique : "En sacrifiant ma liberté et peut-être ma vie, j’espère te changer d’avis à mon sujet… Jodie, je te demande de regarder dans ton cœur et de me donner au moins la chance, avec cet acte historique, de gagner ton amour et ton respect."   

    Clovis Goux, Chère Jodie, éd. Stock, 2020, 335 p.
    https://www.editions-stock.fr

    Voir aussi : "Eva, mon amour"

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  • De l’art de composer

    Il y a du Zao Wou-Ki dans l’œuvre de Feng Xiao-Min, l’artiste mis à l’honneur par la galerie parisienne Opera Gallery. Et ce n’est pas en raison de la nationalité de l’artiste né en Chine, ni parce que le peintre a posé ses bagages en France depuis 1988.

    Comme son aîné, figure majeure de l’abstraction lyrique, Feng Xiao-Min compose des paysages mystérieux aux teintes savantes. "Même si mon sang est empli de l’esprit et du rythme des peintures et des lignes chinoises, j’ai été particulièrement frappé par les couleurs de la peinture occidentale", reconnaît l’artiste. Il est vrai que la maîtrise du geste est capitale pour la création de ces tableaux présentés dans l’exposition future proposée par la galerie parisienne Opera Gallery au titre révélateur de "Compositions". "Tout le monde peut faire de la peinture mais personne ne maîtrise la règle du seul trait de pinceau" disait le calligraphe et peintre du XVIIe siècle Shi Tao. 

    "Tout le monde peut faire de la peinture mais personne ne maîtrise la règle du seul trait de pinceau"

    Loin d’être un carcan, cette formation traditionnelle ancre la légèreté du geste de Feng Xiao-Min assure son envolée et surtout aiguise son sens de la composition. Si les couleurs, toujours choisies avec soin, s’étirent et se déclinent en douces nuances, en délicats jeux de transparence ou en mystérieuses silhouettes, une constante de toutes les œuvres de Feng Xiao-Min est une compréhension de l’art d’agencer les éléments. Toutes ses œuvres se nomment des "Compositions".

    Riche de sa formation classique, le peintre a su s’en libérer pour proposer des tableaux aux couleurs soyeuses et harmonieuses. Pour cette exposition, visible au 62 rue du faubourg Saint-Honoré du 30 septembre au 16 octobre, Feng Xiao-Min poursuit son exploration des grands formats en réalisant un triptyque de près de 4 mètre de large, plongeant ainsi le spectateur au cœur de son univers.

    L’exposition "Compositions" sera accompagnée d’un catalogue édité par Opera Gallery.

    Exposition "Feng Xiao-Min Compositions"
    Opera Gallery, du 30 septembre au 16 octobre 2021
    62 rue du faubourg Saint-Honoré, Paris
    https://fengxiaomin.com/fr
    https://www.operagallery.com
    https://www.facebook.com/OperaGalleryOfficial

    Voir aussi : "En première ligne"
    "Énergiquement fluide, intensément paisible"

    Feng Xiao-Min, Composition N° 8.9.20, acrylique sur toile, 210x260 cm, 2020

    feng xiao min,peintre,chine,opera gallery,paris,faubourg saint-honoré,peinture,exposition,spTenez-vous informés de nos derniers blablas
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  • Marguerite et Margot

    Pourquoi faire la fine-bouche devant ce conte moderne qu’est L'Aventure des Marguerite, sorti l’an dernier et que Canal+ propose en ce moment ?

    Le sujet du film, tiré d’une bande dessinée (Le temps des Marguerite de Vincent Cuvellier et Benoît Robin, éd. Gallimard), est assez classique en soi : un voyage dans le temps d’une jeune femme, prétexte à une série de situations mêlant anachronismes et aberrations spatio-temporelles. Mais là où le film de Pierre Coré étonne c’est de proposer deux voyages en un par : l’un dans le passé effectué par Margaux, une adolescente de 2018 catapultée en pleine seconde guerre mondiale, l’autre par son double de 1942, Marguerite, qui, dans le même temps, découvre, ébahie, la France du début du XXIe siècle.

    Les deux jeunes femmes, jouées par la même actrice, la pétillante Lila Gueneau, ont pour point commun de ne plus avoir de père : l’un a disparu dans la tourmente de la guerre tandis que l’autre est parti s’expatrier en Australie après un divorce. Les voyages des deux Marguerite a pour objectif la recherche de ces deux paternités.

    D’un côté l’ado tête à claque et de l’autre la jeune fille corsetée

    Véritable conte moderne, L’Aventure des Marguerite laisse paradoxalement de côté l’aspect magique : il est bien entendu question d’une étrange malle qui sera le médium de ces sauts spatio-temporels, mais elle est bien vite oubliée au profit des voyages initiatiques de deux jeunes filles mal dans leur époque, pour des raisons différentes.

    Dans le rôle des deux Marguerite – en réalité Marguerite et Margot – Lila Gueneau se révèle en actrice pouvant endosser parfaitement d’un côté l’ado tête à claque de ce début de millénaire et de l’autre la jeune fille corsetée dans un milieu et une époque difficiles.

    Clovis Cornillac et l’irrésistible et truculente Alice Pol se sortent plutôt bien de cette comédie qui se regarde avec plaisir, même si le film ne passe pas à côté de curiosité scénaristiques (on pense à l’évasion en avion). Du bon sentiment, rechigneront certaines et certains...

    Bon, d’accord. N’empêche que les histoires de voyages dans le temps transbahutent souvent leur lot de surprises faits d’anachronismes, d’aberrations et d’uchronie. Ajoutons à cela, pour L’Aventure des Marguerite, une réflexion sur la paternité. Voilà qui donne une comédie sympa, pour ne pas dire une jolie surprise. Sans oublier, une nouvelle fois, la révélation qu’est Lila Gueneau.

    Voilà qui est très satisfaisant, comme le dirait une Margot de son époque. 

    L'Aventure des Marguerite, comédie fantastique française de Pierre Coré,
    avec Clovis Cornillac, Alice Pol, Lila Gueneau et Nils Othenin-Girard, 2020, 89 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/l-aventure-des-marguerite/h/14280558_40099

    Voir aussi : "Ma Vivian, mon amour"
    "Lumineuse secte"

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  • Clou en plein cœur 

    Elle s’appelle Clou. Comme un clou : un  clou de charpentier, un clou de girofle ou le clou d’une magnifique soirée. Comme on voudra.

    Son album Orages, sorti il y a tout juste un an en 2020, frappe par sa fausse indolence. Pour son premier opus, Clou fait le choix de la simplicité tout autant que de l’efficacité : une chanson française mâtinée de pop avec des textes poétiques et percutants. "Et on fait le tour du cadran / Des heures et de jours que la vie nous tend… / Et on tient debout, mais ne nous demandez pas comment", chante-t-elle par exemple dans le titre "Comment", en parlant de ce "rêve", cette bombe à retardement, notre propre existence en somme. Il est encore question de vie et, dirions-nous, d’existentialisme dans le mélodieux "On avance" : "On aura beau nouer / Des alliances et des colliers à nos poignets / Et puis se marier / Et nos corps mélanger / Été après été / Si, si on avance, on avance / Malgré des nuances / On avance, on avance / C'est tout seul, tout seul".

    Comment vivre et comment être vrai, se demande la chanteuse de sa voix fragile ("Le faux comme une flèche qu’on décoche / Blesse ceux qui tenteraient une approche", "Jusqu’ici tout va bien") ? C’est avec la même douceur, que Clou fait le constat de la perversité du bien nommé Narcisse : "Tu es très malheureux je sais / Et bien des femmes t’ont brisé c’est vrai / Pourtant il est fier ton reflet / Et tu me donnes ma chance / Oh la jolie potence… / Narcisse, Narcisse tu es / Pervers, pervers tu me tues" ("Narcisse"). Il faut bien écouter les paroles de cette chanson pour comprendre la cruauté de cet amour manipulateur : "Fort tu sers les liens du désir / Et tu m’éloignes des miens, du plaisir / Quand tu tends ta main, une emprise / Et moi je ne voie rien".

    Fausse candeur désarmante

    Clou vise en plein cœur dans cet opus plus sombre qu’il n’y paraît, dans lequel la méchanceté et le jugement sont cloués au pilori avec une fausse candeur désarmante : "Facile de lâcher les mots / Essaye de regarder l’heure / Et de moquer mes nombreuses erreurs / Essaye de rabaisser mes valeurs / Essaye de casser mon cœur" (l’irrésistible "Si t’étais moi"). Elle rehausse également de rouge la colère qu’elle refuse de taire ("J'ai la rage pour être exact / Les dents comme des crocs de chiens / Je suis à deux doigts du diktat / Je fais le mal pour mon bien", "Rouge") mais sait aussi parler avec pudeur de la jalousie d’une adolescence en pleine construction : "À seize ans j’ai l’air de quoi / Vouloir ce que je n’ai pas… / L’audace et l’insouciance / Hélas ne s’apprennent pas / J’ai l’habitude, question d’habitude / Et non, je ne suis pas jalouse". L’auditeur sera touché par ce délicat portrait d’une jeune fille qui se cherche : "Mille fois remaquillée / Ado, je veux imiter / Des idoles, des poupées / Dont les silhouettes blanches / Noircissent mes idées" ("Jalouse").

    Comment assumer ses rêves et vivre pleinement ? C’est ce que Clou interroge à l’aide d’un refrain entêtant : "Et je voudrais que ma tête là / Cesse, cesse de tourner comme un manège de bois" ("Cesse cesse"). Faut-il pour cela "vivre comme au cinéma / D'un scénario de rien" ("Comme au cinéma") ? Cette déclaration d’amour pour le cinéma est aussi une invitation à imaginer son futur et jouer pleinement le rôle qu’on s’est écrit. "Et si c'est un mauvais, mauvais, je couperai la fin", décrète la chanteuse dans ce magnifique titre.

    Disons aussi que Clou fait de son album un éloge de la liberté, aussi brute, insaisissable et dangereuse qu’un orage, qu’elle chante dans "La tempête", un titre que l’on pourrait qualifier de naturaliste : " La tempête fait rage, et de l’eau glisse sur mon visage / Il y a mille nuages, que nul ne peut mettre en cage".

    L’opus se termine avec "Tomorrow", un étonnant et séduisant titre pop-folk en anglais, preuve que la chanteuse a plus d’une corde à son arc. De beaux lendemains, chante en substance Clou. Nous serions tentés de dire que les siens promettent d’être radieux, comme après un soir d’orage.

    Clou, Orages, Tôt ou tard, 2020
    https://www.facebook.com/cloumusic
    https://www.totoutard.com/artiste/clou
    En tournée en France, à partir du 7 octobre à Vaux-Le-Pénil,
    le 8 au Festival Deci-Delà à Santes, le 9 au Douze de Cergy
    et à La Cigale le 18 novembre

    Voir aussi : "Le retour de Zeitoun"
    "On ne meurt pas d’amour"

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