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• • Articles et blablas - Page 3

  • Coin de paradis en enfer

    Comment filmer l’indicible ? Comment montrer l’horreur ? Ces questions ont été posées après la découvert des chambres à gaz d’Auschwitz et des tueries de masse pendant la Seconde Guerre Mondiale, avec la mort d'un peuple sous forme de funeste projet industriel à grande échelle.

    Pour La Zone d’Intérêt, adaptation du roman de Martin Amis, Jonathan Glazer a choisi de faire un pas de côté, en s’intéressant aux bourreaux, en l’occurrence le tristement célèbre chef de camp Rudolf Höss. Les dignitaires nazis le nomment à la tête d’Auschwitz pour y créer un centre de mis à mort que l’officier nazi va rendre redoutablement efficace. Il y travaille avec zèle, pour ne pas dire enthousiasme. Sa femme et ses cinq enfants le suivent et, contre toute attente, vont parfaitement s’adapter à cet environnement. La maison familiale jouxte directement le camp de la mort et la vie familiale suit parfaitement son cours chez les Höss en dépit des tueries qui ont lieu à quelques mètres du domicile. On y vit, on y mange, on y dort, on y joue, on y invite des amis. 

    Vie de rêve dans l’endroit le plus terrifiant de l’histoire humaine

    Grâce à un dispositif technique complexe et bien pensé – des caméras tournaient en continu et une équipe de tournage intervenaient peu et faisaient confiance à l’improvisation des incroyables acteurs (Christian Friedel et l’extraordinaire Sandra Hüller en premier lieu) – La Zone d’intérêt figure parmi les plus grands films s’étant intéressés à la Shoah.

    Pourtant, on ne voit aucun mort pendant les plus de 100 minutes du film. La priorité est laissée au son – des cris, des coups de feu, des hurlements de déportés – et des indices – la couleur rouge en plein écran alors que Hedwig Höss parle de son jardin, des cendres déposées sur un parterre et des discussions froides sur l’administration du camp. Il y a aussi le visage terrorisé de la domestique des Höss, les sombres menaces pesant sur elle et que l'épouse de Rudolf Höss, sans oublier la fuite soudaine de Madame Höss Mère que l’on imagine ne supportant plus les fumées, les cris et les odeurs.

    Le film est remarquable par ses choix narratifs : le tournage d’une résistante polonais en caméra thermique, le flash forward vers le Musée d’Auschwitz de nos jours et l’incroyable confession de l’administrateur du camp à sa femme après une fête officielle nazie : voyant les convives s’amuser, Höss pense à la meilleure manière de gazer une foule d’individus dans une salle haute de plafond. Sa femme, elle, loin de s’offusquer, s’impatiente de revoir son mari et de poursuivre sa vie de rêve dans l’endroit le plus terrifiant de l’histoire humaine. Un lieu qu'elle adore pourtant et où elle aura passé les moments les plus heureux de sa vie. Édifiant !    

    La Zone d’intérêt, drame anglais, polonais et américain de Jonathan Glazer,
    avec Christian Friedel et Sandra Hüller, 2023, 105 mn

    https://www.film4productions.com/productions/2023/zone-interest
    https://boutique.arte.tv/detail/la-zone-d-interet

    Voir aussi : "Homicide ?"

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  • À l’écoute de tes pièces, Clara...

    Mieux que jouer, Sophia Vaillant nous fait découvrir Clara Schumann dans une intégrale de son œuvre pour clavier (moins deux Scherzi que la musicienne avait déjà enregistrés en 2017) : polonaises, caprices, romances, variations, préludes et fugues. N’en jetez plus.

    Clara Schumann a été, pendant des années, indissociable de son mari Robert Schumann. Interprète, égérie, admiratrice, célébrité influente, la compositrice Clara Schumann, comme beaucoup de femmes artistes est pourtant tombée aux oubliettes en tant que compositrice. Depuis quelques années – et Bla Bla Blog s’en est fait régulièrement l’écho – les musicologues, spécialistes et interprètes permettent de découvrir et redécouvrir des femmes artistes ignorées, oubliées et souvent méprisées. Les choses changent et c'est heureux ! Clara Schumann a laissé une cinquantaine d’œuvres au total. On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, à commencer par Franz Schubert, Robert Schumann ou Frédéric Chopin. 

    C’est du reste ce dernier nom qui vient tout de suite en tête à l’écoute des quatre Polonaises op. 1 qui ouvrent le triple album. À l’époque de leur écriture, Clara Schumann – ou plutôt Clara Wieck – n’a que… 10 ans ! Moins révolutionnaire que son homologue polonais, ces pièces séduisent par leur légèreté, leur gaieté et leur insouciance, servies par une Sophie Vaillant impeccable dans le rythme comme dans les couleurs données à ces éclatants morceaux, avec en particulier une dernière Polonaise en do majeure particulièrement espiègle. Le nom de Chopin revient encore dans les Valses romantiques op. 4 en do majeur. Après une introduction sombre, elles virevoltent et s’épanouissent. Il faut ici encore saluer Sophia Vaillant dans une interprétation tendue, sérieuse et nous entraînant dans un paysage musical aux nombreux recoins. Il semble que la pianiste et la compositrice nous prennent par la main.  

    Les Neuf Caprices en forme de valse op. 2 ont été composés plus tard, au début de l'adolescence de la musicienne. Nous sommes entre 1831 et 1832. Elle n’a que 12 ans mais quelle maîtrise, déjà ! Ces Caprices enlevés, élégants et aux lignes mélodiques élaborées ont été composées, nous dit le livret, pour les salons de la bonne bourgeoisie allemande. "La compositrice a voulu s’imposer avec brio dans cette société masculine". Mais aussi pour impressionner un certain Robert Schumann, de neuf ans son aîné, qui lui donne des cours de piano. On pense au dernier et court Caprice en ré bémol majeur, ressemblant à l’expression d’un émoi dissimulé.

    C’est à son futur mari qu’elle dédicace la Romance variée op. 5 en do majeur. Parfaite illustration du romantisme, Clara Wieck, future Schumann, semble assumer complètement ses sentiments pour celui qui va devenir son mari, au prix cependant d’un procès, plus tard, avec son propre père. En attendant, l’innocence, l’espièglerie et la joie d’être amoureuse rejaillissent dans cette romance incontournable. Sophie Vaillant affronte avec vaillance les nombreux pièges techniques de cette pièce alliant raffinement, simplicité et virtuosité.

    La déclaration amoureuse pour Robert Schumann est plus évidente encore dans la Romance des Quatre Pièces Caractéristiques. Cette dernière œuvre, op. 5, d’une incontestable modernité (L’Impromptu Le Sabot, très naturaliste ou l’étonnante Scène fantastique du Ballet des revenants, gothique avant l’heure), viennent conclure un premier CD revenant sur les premières années décidément prometteuses d’une future très grande de la musique classique. 

    On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, Schubert, Chopin ou Robert Schumann

    C’est une Clara Schumann endiablée qui surgit du 2e CD grâce à la brillantissime Toccatina en la majeur de ses Soirées musicales op. 6. Elle se révèle en compositrice audacieuse et ambitieuse, tout en restant bien ancrée dans le Romantisme de son époque (Notturno en fa majeur). Pourtant, Clara future Schumann n’a que 16 ans. Ses sentiments pour Robert sont intacts et exprimés ici avec un mélange de passion, de langueur et de mélancolie (Mazurka en sol mineur). Restons dans ces Soirées musicales semblant organisées dans un de ces salons aristocratiques et bourgeois de 1836. Clara Schumann propose sa mélancolique Ballade en ré mineur avant une courte Mazurka en sol majeur et une Polonaise gracieuse aux belles lignes mélodiques, grâce à une Sophia Vaillant cavalant avec plaisir sur ces partitions exigeantes.  

    L’auditeur sera captivé par l’irrésistible Variation de concert op. 8 Sur la cavatine du Pirate de Bellini. La passion de la compositrice pour l’opéra italien est évident. Mieux, cette variation vaut à la jeune femme une reconnaissance officielle et publique. Le morceau est servi par une Sophia Vaillant incroyable de fraîcheur et de virtuosité pour cette pièce aussi complexe que lumineuse.

    Le 2e CD est complété par Trois Romances sans parole op. 11. On pourra retrouver dans la 2e Romance le thème initiale de la Sonate n°2 de Robert Schumann qui y verra un message, partagé à sa future compagne : "À l’écoute de ta Romance, j’ai entendu une nouvelle fois que nous devions devenir mari et femme." Message bien reçu.

    On avance dans le temps avec le 3e CD et ces Trois Pièces Fugitives op. 15 composées entre 1840 et 1844. Clara Schumann a un peu plus de vingt ans et voit sa vie sentimentale et maritale s’éclaircir après le procès gagné contre son père. Elle se montre ici d’une grande mélancolie (le Larghetto et l’Andante expressivo). Sophia Vaillant semble s’effacer derrière des partitions dans lesquelles pointe une grande tristesse, ne prenant toutefois jamais le dessus (Scherzo).

    Les Préludes et fugues op. 6 renvoient inévitablement à Bach et à son Clavier bien tempéré (Fugue en si bémol majeur). Les notes se déploient avec la même technicité (Fugue en ré mineur), densité (toutes durent moins de 2 minutes 50) et tonicité (Fugue en sol mineur). Il y a pourtant je ne sais quoi de moderne dans cette exploration de préludes et fugues écrites en plein XIXe siècle romantique (que l’on pense au Prélude en si bémol majeur ou celui en ré mineur).  

    La pièce la plus longue de ce 3e disque, mais aussi du coffret, sont ces somptueuses Variations sur un Thème de Robert Schumann op. 20. Écrites en 1843, elles sont une déclaration d’amour à Robert Schumann. L'idylle entre eux est toujours là, ancrée et solide comme un roc. Toutefois, le musicien voit sa santé décliner. La compositrice a-t-elle l’intuition à l’époque qu’il mourra trois ans plus tard ? Elle propose en tout cas autant une œuvre pleine de tristesse et de nostalgie qu'un tombeau funèbre et un hommage au grand artiste et complice qu’est son mari. Sophia Vaillant propose un enregistrement de ces Variations faisant répondre mélancolie et réconfort, force et désespoir. Il s’agit sans doute là d’une des pièces phares de cette importante compilation Clara Schumann.  

    Trois Romances op. 21 viennent clôturer ce coffret. Certes moins joueuses, elles restent élégantes, virtuoses et d’une folle modernité.

    Mieux que de nous faire découvrir – ou peut-être redécouvrir – Clara Schumann, Sophia Vaillant nous fait entrer dans son intimité et dans son cœur. Elle nous fait d’elle une amie. À l’écoute de ses pièces, nous sommes moins seuls.

    Clara Schumann, Un destin romantique, Sophia Vaillant (piano), 3 CD,
    Indésens Calliope Records, 2024

    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    http://www.sophiavaillant.com/bio.html
    https://www.facebook.com/sophiavaillant

    Voir aussi : "Nuit et lumières chez les Schumann"
    "1842, année romantique"

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  • La Cache

    Les Cramés de la Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film La Cache. Il sera visible les jeudi 03, dimanche 6 et lundi 7 avril. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 8 avril à 20H30.

    Christophe, 9 ans, vit les événements de mai 68, planqué chez ses grands-parents, dans l’appartement familial à Paris, entouré de ses oncles et de son arrière-grand-mère. Tous bivouaquent autour d’une mystérieuse cache, qui révélera peu à peu ses secrets…

    La Cache, comédie dramatique française de Lionel Baier
    avec Dominique Reymond, Michel Blanc, William Lebghil, 2025, 90 mn

    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1539
    https://filmsdulosange.com/film/la-cache

    Voir aussi : "Yōkai, le monde des esprits"

     

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  • Un autre regard sur Philip Glass

    Dès les premières notes de cet album de b•records, nous sommes indéniablement chez Philip Glass, compositeur américain du courant répétitif américain. Il s’agit d’un enregistrement public d’un concert à la Cité de la Voix de Vézelay, le 11 janvier 2024.

    Another Look at Harmony date de 50 ans déjà mais l'œuvre reste d’une très grande modernité. L’ensemble  Les Métaboles en propose ici la quatrième partie, complétée par une œuvre du XVIIIe siècle, le Canone a 16 all’ unisona d’Andrea Basily. Il faut remercier Léo Warynski d’avoir su dénicher un opus méconnu et peu joué du compositeur américain. Il précède de quelques années son opéra Einstein on the Beach dont Another Look at Harmony serait une "sorte d’esquisse".  

    Chez Glass, les boucles mélodiques, écrites pour chœur et orgue, s’étirent patiemment – pour ne pas dire religieusement. On croirait entendre une œuvre chamanique que l’orgue incroyable de Yoan Héreau vient éclairer de manière métaphysique (Section 2). Rien d’étonnant finalement pour une œuvre enregistrée à Vézelay, l’un des plus grands centres religieux d’Europe.

    Il y a de l’épique et de l’aventure dans cette manière de travailler les sons, les voix, leurs textures. On aurait tort de s’arrêter sur le terme de "minimalisme" souvent utilisé lorsque l’on parle de Philip Glass. Au contraire, la richesse est là, dans ces intonations et ces variations parfois intimes de répétition d’un même motif (Section 3). 

    Une œuvre méconnue d’un compositeur qui l’est tout autant

    L’ensemble des Métaboles et l’orgue de Yoan Héreau se complètent harmonieusement (Section 5) dans cet opus du milieu des années 70 que Léo Warynski apparente moins à la culture new age de cette période qu’à l’école de Notre-Dame des XIIe et XIIIe siècles. N’oublions tout de même pas la grande modernité de cette pièce, éclatante et sombre dans la longue Section 6. Elle précède cette capricieuse et très classique "pastille" de 16 secondes par Yoan Héreau, avant  la huitième et dernière section où l’orgue vient accompagner l’ensemble des Métaboles. Philip Glass fait de ce mouvement un hommage au répertoire liturgique occidental : orgue éclatant, envolées des voix et enthousiasme joyeux. Glass, parfois dédaigné en France, prouve qu’il est un compositeur contemporain mais aimant et connaissant ses classiques.

    L’album se termine assez singulièrement par une œuvre méconnue d’un compositeur qui l’est tout autant. Léo Warynski a choisi un canon du compositeur italien Andrea Basili (1705-1777). Son magnifique Canone a 16 all’ unisona est une œuvre classique jamais éditée ou enregistrée jusqu’alors. Cela en fait sa rareté. En incluant un compositeur du XVIIIe siècle dans un programme contemporain,  Léo Warynski et Les Métaboles entendent renouer deux époques et deux styles a priori diamétralement opposés mais qui viennent se rejoindre naturellement. 

    Philip Glass, Another Look, Les Métaboles,
    dirigé par Léo Warynski, Yoan Héreau (orgue), b•records, coll. Trio Xenakis, 2025

    https://www.lacitedelavoix.net/actualite/another-look-le-nouveau-disque-des-metaboles
    https://lesmetaboles.fr/fr/boutique/disque/another-look
    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Trio percutant"

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  • Le cinéma sur le divan

    Films de famille (éd. Borromées), l’essai de Philippe Collinet, un "psychanalyste cinéphile", se veut "une tentative de nouer le cinéma et la psychanalyse dans le cadre familial". Dans cet essai mixant science psychanalytique et art cinématographique, quelques questions essentielles se posent : "Qu’est-ce qu’une famille ?", "Le père a-t-il encore un nom ?", Qu’est-ce qu’une sexualité libérée ? Quels liens peuvent exister entre les pères, les mères, les fils et les filles ? Et les orphelins et orphelines ? Quant aux femmes, où en sont-elles suite aux différentes vagues de révolutions féministes ? Voilà de vastes et passionnants sujets décryptés grâce au cinéma, de Charlie Chaplin à Nanni Moretti, en passant par Claude Sautet, François Ozon ou Brigitte Bardot.

    Une brève histoire du cinéma donc, avec le rappel des inventions techniques, sans oublier l’évocation capitale des films publicitaires ou des films d’amateur rendus possibles grâce à la popularisation des caméras, via la vidéo : "L’intention première est de filmer pour garder en mémoire le souvenir des événements, des lieux, des membres de la famille." Et c’est là que le psychanalyste parle : "L’histoire familiale ne se filme pas, ne se découpe pas, ne se monte et ne se projette pas sans une autocensure inconsciente et cachée. Le refoulement est naturel et réflexe." Autre genre évoqué, celui du film d’auteur : "Le cinéaste et ses inventions (...) peuvent faire avancer et approfondir les concepts de la psychanalyse et peut-être modifier parfois l’écoute des patients sur le divan dans la cure."  Film d’art et d’essai et documentaire peuvent s’alimenter à cet égard mutuellement, comme le montrent les premières œuvres d’Arnaud Desplechin La vie des morts et La Sentinelle : "La poésie et l’opéra, écoutés en silence, ménagent des entractes intenses de partage familial. On reste en famille, une famille mise en actes sur une autre scène, la vraie".

    L'auteur fait le focus sur plusieurs films, objets de chapitre à part. La première œuvre commentée est The Fabelmans de Spielberg, "le cinéaste de la jeunesse", formidable portrait familial autour du cinéma. Quel autre film pouvait commencer aussi bien cet essai ? "Sam (...) prend conscience que le cinéma a des effets inattendus dans sa famille et au lycée où les réactions des amis ou rivaux sont à l’opposé de ce qu’il attendait".

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma, on trouvera dans l’ouvrage de Philippe Collinet des pages documentées sur la structure familiale, sa définition, le système du patriarcat et sur les "complexes familiaux" qui fait l’objet d’un chapitre, tout comme les autres parentalités (homoparentalité, adoptions, GPA ou coparentalités). Le complexe d’œdipe n’est pas non plus oublié. 

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma

    La culture cinématographique de Philippe Collinet impressionne dans cet essai dédié à la psychanalyse. James Dean, Xavier Dolan – très présent dans l’ouvrage – ou François Truffait côtoient Pasolini, Maurice Pialat ou Julia Ducourneau ("l’enfant terrible du cinéma au féminin", présente avec ses deux films majeurs, Grave et Titane).

    Le chapitre intitulé "Le complexe de la sexualisation" s’intéresse aux questionnements de féministes radicales au sujet des questions de genre et de sexe ("Il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’homme et de femme" écrivait M. Witting). L’auteur insiste sur son refus de souscrire à de tels extrémismes qui ne reflètent qu’une minorité de femmes : "La psychanalyse rencontre peu de femmes aussi radicalisées, sur le divan", rappelle-t-il avec raison. Pour appuyer ses propos, là encore Philippe Collinet évoque plusieurs films : Petite fille de Sebastien Lifshitz (2020), Laurence anyways de Xavier Dolan (2012) et Masculin, Féminin de Jean-Luc Godard (1966).

    Les cinéphiles trouveront matière à découvrir des films moins connus, que ce soit Mon roi de Maïwenn (2015), le film néo-zélandais L’Âme des guerriers de Lee Tamahori (1994) ou Maria’s lovers d’Andreï Kontchalovski (1984).

    Philippe Collinet propose une section consacrée aux enfants, le cinéma s’étant très tôt intéressé à eux. Que l’on pense au Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) ou Cendrillon (1950). Les parents (avec le chapitre "Les parents terribles") ne sont pas en reste , avec quelques grands films : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973), Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) ou Le Fils du désert de John Ford (1948).

    Le rôle des femmes et des mères n’est pas absent. Jean Eustache ouvre la marche avec son chef d’œuvre, certes daté, La Maman et la putain (1973), Tout sur ma mère de Pedro Almodovar (1999) ou Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978).

    On peut remercier Philippe Collinet de ne pas avoir oublié Citizen Kane d’Orson Welles qui est sans doute à classer parmi les trois plus grands films de l’histoire du cinéma, sinon le plus grand.

    Non sans malice, l’auteur consacre un chapitre à "la grande famille du cinéma", une allusion lancée parfois avec emphase (Jane Moreau) mais aussi moquée pour son entre-soi. Finalement quel autre art que le cinéma pouvait aussi bien parler de la famille ?

    Philippe Collinet, Films de famille, Complexes familiaux, 2024, éd. Borromées, 260 p. 
    https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/films-de-famille

    Voir aussi : "Un pied dans la porte pour le manipulé"

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  • Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette

    2025 marque le centenaire de la naissance de Pierre Boulez, décédé en 2016, il y a moins de 10 ans. Le documentaire Pierre Boulez - Le chemin vers l'inconnu, visible sur Arte propose de revenir sur ce géant de la musique, tour à tour décrié, acclamé, incompris ou admiré. C’est singulièrement d’Allemagne que nous vient ce document passionnant. Thomas von Steinaecker propose de parler de Pierre Boulez, le déchiffrer et expliquer son importance.

    Qui est Pierre Boulez ? La question se pose d’emblée. Que de chemins parcourus entre ce jeune homme originaire de la Loire et ce personnage qui a fait se déplacer les foules lors de ses concerts et est devenu le personnage central de la musique du XXe et du début du XXIe siècle.

    Révolutionnaire est le mot qui revient le premier en tête lorsque l’on évoque le compositeur. le pianiste Pierre-Laurent Aimard évoque à ce sujet une conversation entre le jeune Boulez et son maître Olivier Messiaen au sujet de la musique sclérosée d'après-guerre. D’emblée, Messiaen voit en Boulez celui qui va renverser la table et bousculer un art qui se remettait à peine des années 30 embourgeoisées et des années 40 de sinistre mémoire. L'intuitionn était la bonne. En quelques dizaines d’années, Boulez transforme la France musicale comme personne avant lui.

    "Secret"

    Le documentaire explique en quoi Boulez a dominé son époque comme peu d’artistes avant lui. La comparaison avec Mozart peu étonner. Or, si elle est critiquable c’est sans doute paradoxalement en raison de l’apport bien plus fondamental de Boulez à son époque, tant du point de vue stylistique que culturel.

    Des grandes œuvres sont évoquées, à commencer par Le Marteau sans maître (1855), "une révolution" dit le chef d’orchestre François-Xavier Roth. Rythmes, finesse des sons (ce qui n’est a priori pas la première chose qu’un auditeur retiendrait à la première écoute), écriture précise sans cesse "remise sur le métier" (Notations, Pli selon pli) et surtout complexité d’interprétation pour les interprètes.

    En 2025, l’œuvre de Boulez est entrée dans le patrimoine, avec respect et admiration mais aussi beaucoup d’incompréhension et de perplexité. Le documentaire nous fait entrer aussi au cœur d’une époque remuée par les révolutions, les expérimentations (l’apport de l’électronique via, notamment, l’Ircam) et le désir de changer le monde pour le meilleur – l’humanisme, la créativité, l’intelligence.

    L’autre domaine dans lequel Boulez a excellé est dans l’orchestration. Après ses jeunes années de création contemporaine, il se révèle en chef d’orchestre incroyable, y compris dans le répertoire classique et romantique : précis, sensible, intelligent, révolutionnaire (La Tétralogie de Wagner mise en scène par Patrice Chéreau à Bayreuth, en 1976). Ses versions de Mahler (la 2e Symphonie notamment) font parfois dire que beaucoup préfèrent largement le conducteur d’orchestre au compositeur novateur.

    Le documentaire de Thomas von Steinaecker aborde peu l’aspect privé de l’artiste. C’est un "homme secret" est-il dit. Le voile est cependant levé discrètement sur son ancien secrétaire particulier, Hans Messner, qui a sans doute été le soutien le plus important de la vie du musicien. On n'en saura pas plus et peu importe. L’œuvre de Boulez est si importante qu’il faut s’en contenter et c'est déjà énorme.   

    Pierre Boulez - Le chemin vers l'inconnu,
    documentaire allemand de Thomas von Steinaecker, Arte, 2025, 54 mn

    https://www.arte.tv/fr/videos/115573-000-A/pierre-boulez-le-chemin-vers-l-inconnu

    Voir aussi : "Pierre Boulez : Mort d'un géant"

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  • Je suis un être humain

    Quel contraste entre Eraserhead, le premier long-métrage surréaliste et un brin foutraque du  tout jeune David Lynch et cet Elephant Man, son deuxième film, acclamé par le public et la critique, sans toutefois avoir récolté les récompenses qu’il aurait mérité – aucun oscar, pas même celui du meilleur maquillage, prix qui ne sera créé du reste qu’un an plus tard…

    Or, à y réfléchir de plus près, cet homme éléphant n’est pas aussi éloigné que le bébé difforme et monstrueux d’Eraserhead. On oserait presque dire qu’il semble en être un prolongement. Ajoutons aussi que les deux films ont été tournés en noir et blanc, un noir et blanc somptueux pour Elephant Man grâce au travail de Freddie Francis.

    Que de différences entre le long-métrage de 1980, Grand Prix du festival d’Avoriaz et César du meilleur film étranger, et Eraserhead ! A sa sortie, le scénario linéaire, chronologique et clair d'Elephant Man fait taire de nombreuses critiques échaudées par son précédent opus indépendant surréaliste et psychanalytique.

    Pour Elephant Man, le réalisateur américain a choisi de s’intéresser à l’histoire vraie de John Merrick (en réalité Joseph Merrick), joué par John Hurt, recueilli par le docteur Frederick Treves (Anthony Hopkins). Être né difforme, Merrick est exhibé dans des foires, très populaires à la fin du XIXe siècle. L’homme éléphant trouve asile dans l’hôpital où travaille Treves, en dépit des critiques de ses pairs. Très vite, Merrick s’avère ne pas être le monstre qu’il paraît. Il est aimable, d’une grande gentillesse et très cultivé. Bientôt, il devient une célébrité, s’attirant la sympathie d’une actrice renommée.  

    Un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux

    Qui sont les monstres ? Voilà la question qui traverse ce film devenu un grand classique du cinéma. Cet homme que la nature a rendu physiquement difforme ? Son propriétaire qui l’exploite sans vergogne ? Les spectateurs - on oserait même ajouter ceux du film - qui viennent contempler le "monstre" pour goûter à une peur excitante ? Ou bien le Dr Treves, comme il le dit lui-même ? C’est pourtant à ce dernier que l’homme éléphant doit une nouvelle existence presque normale, entouré de médecins, d’aides-soignantes dévouées et d’admirateurs et admiratrices. Lorsque ce dernier, pourchassé dans le métro, clame cette phrase devenue culte, "Je ne suis pas un animal, je suis un être vivant !", il fait face à une horde de passants devenus eux-mêmes monstrueux. Le spectateur ne découvre l'apparence physique de l'homme éléphant qu’au bout de 25 minutes, suite à l’intrusion d’une aide-soignante  dans sa chambre. La jeune femme hurle de peur, peur partagée par l’homme monstrueux.

    Finalement, seule la comédienne  Madge Kendal, jouée par la superbe Anne Bancroft (Miracle en Alabama, Le Lauréat), et devenue son amie, apparaît comme la seule personne pure du film – avec John Merrick lui-même. 

    John Merrick, aussi effrayant qu’il soit (bravo au maquillage ahurissant de Christopher Tucker !), est d’abord un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux. L’abandon de sa mère est d’ailleurs le nœud de sa souffrance, sans doute autant que les humiliations et les coups de sa vie de bête de foire. 

    Le soulagement final de cette triste existence ne viendra que dans les dernières minutes, avec quelques plans oniriques – une marque de fabrique de Lynch – et la voix consolatrice de la mère de Merrick : "Rien ne meurt jamais", murmure-t-elle à son fils dans ce dernier moment devenu une délivrance. 

    Elephant Man, drame de Lynch David, avec Anthony Hopkins, John Hurt, Anne Bancroft,
    1980, 124 mn, StudioCanal 

    https://store.potemkine.fr/dvd/5053083211769-elephant-man-lynch-david

    Voir aussi : "Tête effaçable"

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  • Ewa, lève-toi

    La série The Eastern Gate sonne bizarrement et froidement en cette période marquée par les tensions entre Russie, Europe, OTAN et États-Unis.

    C’est de Pologne que nous vient cette création proposée par la plateforme Max. Nous sommes dans les six premiers mois de l’année 2021. La Russie n’a pas encore envahi l’Ukraine. Une équipe d’espions polonais est envoyée en Biélorussie suite au suicide d’une consule. On soupçonne une taupe d’y sévir à l’ambassade polonaise.

    Ewa Oginiec et son compagnon Skiner y sont dépêchés, en dépit d’une précédente mission qui a laissé l’agente blessée et traumatisée. Or, Skinner qui l'a précédée est enlevé par les services secrets biélorusses.

    La main de la Russie est derrière cette opération. Ewa rejoint la Biélorussie sous couverture officielle. La fausse consule enquête pour découvrir la taupe alors que les menaces grondent en Europe : tensions autour de Kaliningrad, menaces de déstabilisation sur la Pologne sous prétexte d’attentats et OTAN sur les dents. 

    Les menaces grondent en Europe

    La mini-série polonaise d’espionnage fait la part belle aux dissimulations, fausses identités et autres coups tordus. On sera agréablement dépaysé et surpris par le parti-pris de faire descendre ces agents de l’ombre de leur piédestal. Ewa est une femme meurtrie par les conséquences d’une mission ayant mal tourné  – ou plutôt ayant à moitié réussi. Impénétrable, froide et déterminée, elle embrasse ses couvertures avec talent – jeune étudiante transie d’amour, diplomate hautaine, fille de bar – mais non sans se mettre en danger.

    Derrière ces opérations à haut risques, ces "légendes" ou ces manipulations – et il y en a jusqu’au tout dernier épisode – se profilent des tensions politiques, bien réelles celles-là. Une Biélorussie en État sous-fifre de Moscou, une Russie inquiétante et menaçante et une Pologne se voyant en cible potentielle d’un pays dominé par un dictateur que personne ne nomme mais que tout le monde connaît...

    La fameuse "Porte de l’Est", illustrée par le titre éloquent du générique, fait référence au Couloir de Suwałki, une bande frontalière hautement stratégique et dangereuse. Elle sépare la Pologne et la Lituanie mais, surtout, elle est bordée par la Biélorussie, d’une part, et l'enclave russe de Kaliningrad. Autant dire qu'il s'agit d'un territoire de 85 kilomètres de long absolument explosif.   

    Voilà donc une série fictive passionnante, avec une actrice formidable (Lena Góra, déjà vue en France dans la série polonaise The King), sur fond de géopolitique, hélas d'actualité. Frissons garantis. 

    The Eastern Gate, série d’espionnage polonaise de Jan P. Matuszyński,
    avec Lena Góra, Karol Pochec, Bartlomiej Topa, 2025, saison 1, 6 épisodes, Max

    https://play.max.com/show/b307efb7-32fc-40be-97d7-da7f32e70e69

    Voir aussi : "Les maîtres du ghetto"
    "Mes parents étaient des espions communistes"

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