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• • Articles et blablas - Page 228

  • Une bibliothèque contre la guerre

    delphine minoui,daraya,syrie,bibliothèque,guerre civile,daesh,terrorisme,bachar-el-hassad,damas,reportage,essaiLa journaliste Delphine Minoui a sorti il y a un an l’un des meilleurs reportages sur la guerre civile qui ravage la Syrie depuis 2011. Les Passeurs de Livres de Daraya (éd. Seuil) est une enquête passionnante autour de ce qui pourrait s’apparenter à un micro-événement au sein d’un des plus importants conflits du Proche-Orient : la création par des résistants syriens au régime de Bachar-el-Assad d’une bibliothèque à partir de livres récupérés dans les décombres de Daraya, dans la banlieue de Damas.

    À partir de 2013, sous un une apocalypse de feu, de bombes et de balles, quelques soldats rebelles récupèrent des milliers de livres abandonnés par leurs propriétaires. Drôle d’idée, et surtout initiative un peu vaine dans un pays qui ne parvient même pas à compter ses dizaines de milliers de morts. Et pourtant, rapidement, cette forme de résistance devient capitale pour ces hommes qui, pour la plupart, n’ont jamais eu d’intérêt particulier pour la lecture – et pour cause : le régime des Assad muselle depuis plusieurs dizaines d’années la vie intellectuelle du pays. Les ouvrages recueillis sont destinés à revenir à leurs propriétaires une fois la paix venue. Mais, en attendant, ils sont rassemblés dans une bibliothèque clandestine.

    Victor Hugo, Saint-Exupéry, la philosophie et des ouvrages de développement personnel

    Dans un lieu farouchement protégé, car symbole de la résistance syrienne, les lecteurs-soldats mènent une guerre idéologique – qui est aussi pour beaucoup d’entre-eux la découverte de la liberté d’expression. Et l’on découvre grâce Delphine Minoui, qui a interrogé ces résistants via Skype et WhatsApp, d’étonnants et émouvants témoignages. Ces jeunes hommes, que rien ne prédestinait ni aux armes ni à la lecture, parlent de leur bibliothèque et des ouvrages qu’ils protègent et lisent avec ardeur. La journaliste révèle les auteurs et les types de livres consultés, et souvent interdits par le régime de Bachar-el-Assad : Victor Hugo, Saint-Exupéry, de la philosophie, de la théologie, des sciences et, plus étonnant, des ouvrages de développement personnel.

    De chapitre en chapitre, Delphine Minoui retrace les vies minuscules d’Abou el-Ezz, Ahmad, Hussam ou Ustez, des destins brisés plongés malgré eux dans la grande histoire qui est en train de se faire. Au cœur du carnage syrien, ces hommes luttent pour retrouver des jours meilleurs, avec une bibliothèque qui leur indique des chemins en pointillé.

    Delphine Minoui, Les Passeurs de Livres de Daraya, éd. Seuil, 2018, 158 p.
    Le blog de Delphine Minoui

  • Rencontre avec Odrylane, les plus celtes des Alsaciens

    Il y a quelques mois de cela, Bla Bla Blog avait consacré une chronique sur Odrylane, un groupe strasbourgeois parti s’aventurer sur les chemins d’une world music où se mêlent le rock, la pop, le hip hop mais aussi la musique traditionnelle celte.

    Voilà qui ne pouvait qu’aiguiser notre curiosité. Bla Bla Blog a interrogé Quentin Bangert, Guillaume Levy et Valentin Descourvières, trois des quatre membres d’Odrylane (leur quatrième comparse est Piel Benoît). Nous les avons interrogés à l’occasion de la sortie de leur premier album.

    Bla Bla Blog – Voulez-vous vous présenter et parler de votre rencontre ? De quand date-t-elle d’ailleurs ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Je suis Quentin et je joue la guitare classique. Nous étions à la fac de musique avec Guillaume dans la même promo. Un jour je lui ai proposé de venir chez moi pour jammer ensemble car je savais qu'il faisait du bouzouki. On a composé et enregistré des morceaux pour s'amuser et dans le cadre des cours et comme ça marchait très bien on a décidé de créer un groupe. La création du groupe a eu lieu en 2015 et avec Guillaume nous nous sommes rencontrés en 2012.

    (Guillaume Levy) – Comme l’a dit Quentin on s’est rencontré et on est devenu amis en 2012. Dans les projets musicaux de la fac on galérait un peu à jouer ensemble par moment (rire). Mais bizarrement quand on a jammé ensemble en 2015 ça a fait un déclic. C’était trop cool de jouer ensemble, jouer avec Quentin m’a beaucoup appris sur la musique.

    (Valentin Descourvières) – Alors, moi, c’est Valentin, le violoniste du groupe. En fait, on vient tous de la faculté de musicologie à Strasbourg et c’est de là qu’on s’est connus. Je me rappelle avoir fait irruption dans le studio de répétition où se trouvaient Guillaume et Quentin, parce que le son du bouzouki m’intriguait. À l’époque, ils avaient déjà fait quelques concerts sous le nom d’"Odyssée", mais cherchaient encore des musiciens pour améliorer la qualité de leurs compositions. Je suis resté pour écouter, et, au fil de la discussion, on est partis sur une petite improvisation et j’ai été adopté. Quelques mois plus tard, on a changé de nom pour Odrylane, et on a dû trouver un nouveau percussionniste pour remplacer l’ancien. C’est comme ça que Piel a rejoint l’aventure.

    BBB – Racontez-nous votre manière de travailler ? Qui compose ? Comment sont partagés les rôles ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Nous composons tous les deux, Guillaume et moi. Lors de la création de composition on cherche toujours un équilibre entre mélodie et accompagnement et cet équilibre se fait naturellement. Parfois Guillaume ramène une idée ou alors c'est moi. Parfois, on cherche une atmosphère ou un caractère particulier. Ça dépend vraiment de notre humeur, du lieu et de ce que l'on écoute.

    (Guillaume Levy) – Quand on joue ensemble on se complète et on arrive à embellir le jeu de l’autre. Nos visions sont a priori complémentaires. C’est toujours génial quand l’un de nous ramène une mélodie et que l’autre plaque les accords et que ça créer quelques chose ou on se dit : "Woow !" Après, on le joue un petit moment en boucle et c’est parti. On l’amène à Valentin et Piel afin qu’ils mettent en valeur les morceaux avec leurs idées.

    BBB – On ne peut parler de votre travail sans évoquer vos influences.

    Odrylane (Quentin Bangert) – Il n'y a aucune frontière dans ce que j'écoute et dans mes influences. J'essaye d'écouter et de découvrir la musique de tous les horizons. Mais à la base, j'écoutais du rock, du métal principalement.

    (Guillaume Levy) – Comme Quentin mes goûts sont éclectiques on peut trouver de l’intérêt dans tous les genres. Ça dépend des moments et de ce que l’on recherche. Cependant mes préférences restent le pagan folk/celtique et le métal.

    (Valentin Descourvières) – Piel, lui, vient du hard rock et touche beaucoup à la musique progressive. Quant à moi, je suis issu du conservatoire et ai donc à la base une formation classique de laquelle j’ai quelque peu… dévié.

    BBB – Il y a aussi la Bretagne. Si je vous dis que le rock celtique est dans vos gènes, est-ce que j’exagère ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Dans les gènes je ne sais pas, mais dans les musiques traditionnelles de cette région, les danses, les légendes, il y a quelque chose d'attirant.

    (Guillaume Levy) – Grave ! Les sonorités et les légendes sont fascinantes… En live, quand on arrive à faire danser les gens c’est génial, un de ces jours faudra quand même qu’on apprenne la jig, l’Hanter dro …

    (Valentin Descourvières) – Dès qu’on parle de rock celtique, on pense immédiatement à la Bretagne où cette part du folklore est vraiment marquée. Alors oui, évidement, c’est une musique qui nous parle et qui nous influence énormément, au même titre que la musique irlandaise par exemple. Maintenant, de là à dire que c’est dans nos gènes… J’imagine qu’on aimerait bien !

    BBB – Et pourtant, vous venez d’Alsace...

    Odrylane (Quentin Bangert) – Ja, Prima.

    (Guillaume Levy) – Ah yo, mais il faut avouer que nos paysages sont inspirants (la vue du haut du Château du Hohenbourg est magnifique) et il y a des légendes sympa en Alsace.

    (Valentin Descourvières) – Oui en effet ! On y est même un peu disséminer (50% Bas-Rhin, 50% Haut-Rhin…). Mais nous nous basons à Strasbourg pour répéter, pour des raisons pratiques.

    BBB – Odrylane pourrait-il d’ailleurs un jour s’intéresser au répertoire alsacien traditionnel (Bloosmusik, Guggenmusik ou le Cabaret alsacien), pour le revisiter à la mode pop-rock ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Pourquoi pas un jour.

    (Guillaume Levy) – Qui sait, si quelque chose attire notre attention un de ces jours. Mon grand-père était accordéoniste dans un groupe de musique alsacienne. Il tournait bien, en plus.

    (Valentin Descourvières) – Je ne pense pas que ce soit au programme. À vrai dire, on n’en est pas très friand, et personnellement, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé…

    BBB – Parlez-nous de ce nouvel album, mais aussi des instruments que vous utilisez.

    Odrylane (Quentin Bangert) – Nous avons réalisé l'enregistrement avec nos propres moyens. Il y a juste le mix et le mastering qui ont été réalisés par Maxime Kolb du Krnoyz Studio. Dans cet album, j'ai joué de la guitare, du banjo et du piano. Valentin a joué du violon et Piel de la batterie.

    (Guillaume Levy) – De mon côté j’ai joué du bouzouki, de la flûte irlandaise, de la basse… C’était vraiment chouette de tester nos morceaux avec les possibilités qu’offre le studio. Doubler les grattes à Quentin pour la puissance, faire des harmonies de violons, inverser des roulements de batterie ... Maxime à fait un super travail.

    "On nous compare souvent à Manau, évidemment"

    (Valentin Descourvières) – On a eu énormément de chance pour la réalisation de cet album. Ça faisait deux ans qu’on faisait des concerts dans tous les coins de l’Alsace et que tout l’argent qu’on gagnait partait dans une caisse commune. On hésitait à investir dans un disque. On a eu besoin de mettre notre musique sur un disque, donc on s’est lancés dans ce projet et on a commencé à enregistrer de notre côté en sachant que les fonds qu’on avait accumulés ne suffiraient pas à préparer une sortie d’album digne de ce nom. Un ami nous a alors suggéré de lancer un financement participatif pour monter le projet, conseil qu’on a très bien fait de suivre, puisque a obtenu la somme de 1000 € en un jour pour financer le pressage, les droits de diffusions et la promotion de l’album… On n’en revenait pas. Sans ce soutien on n’aurait jamais pu le sortir aussi vite…

    BBB – J’aimerais que vous nous parliez d’une chanson étonnante de cet album : Le Diable. J’imagine que cette chanson a son histoire. D’abord, où l’avez-vous écrite ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – C'est Guillaume qui a écrit cette chanson lorsqu’il était en vacances dans le sud. D'autres chansons ont également leurs petites anecdotes très marrantes, mais qu'il nous faut garder secrètes…

    BBB – Impossible aussi de ne pas faire référence à Manau et à la Tribu de Dana, avec cet autre titre, Sous les Étoiles.

    Odrylane (Quentin Bangert) – Cette chanson a mis beaucoup de temps avant de prendre sa forme actuelle. Mais le fait que tu cites Manau ça nous fait bien plaisir car c'est une grande influence pour nous.

    (Valentin Descourvières) – On nous compare souvent à Manau, évidemment. Particulièrement avec ce titre. C’est vrai que c’est un peu eux qui ont réussi à faire revivre cette musique en France, toute en la modernisant. Finalement, on a un peu la même démarche, même si seul ce titre est autant marqué par l’influence hip-hop.

    BBB – Qu’écoutez-vous aujourd’hui ? Que trouve-t-on dans votre playlist à chacun ?

    Odrylane (Quentin Bangert) Irfan/ The Eternal Return et j'ai découvert un groupe de post rock coréen qui joue sur des instruments traditionnels asiatiques : c'est Jambinai.

    (Guillaume Levy) – Saltatio Mortis, We Drink Your Blood (Powerwolf cover), Hedningarna, Räven ou Heilung, Krigsgaldr

    (Valentin Descourvières) – Globalement, je dirais qu’on y trouve beaucoup de style différents, allant du métal à la musique du Moyen-Âge, en passant par la musique du monde, le jazz, l’électro ou encore le rap !

    BBB – Et y a-t-il un titre "honteux" que vous aimez écouter ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Oui, j'aime bien Pakito c'est de la techno, A night to remember.

    (Valentin Descourvières) – Récemment, pour une raison mystérieuse que je ne saurai expliquer, j’ai branché La danse des canards, mais ne le criez pas sur les toits par pitié !

    BBB – Quel est le dernier livre et le dernier film que vous avez lu et vu ?

    Odrylane (Quentin Bangert) – La nature dans ma vie de Sarah Marquis

    (Guillaume Levy) – Home de Yann Arthus Bertrand

    (Valentin Descourvières) – En ce moment, j’essaie d’avancer dans le Coran, parce que j’estime que ça fait partie de la culture générale, mais j’avoue avoir quelque peu abandonné … Quant au dernier film, c’est complètement hors contexte, mais il s’agit du Dîner de Con

    BBB – Quelle est votre prochaine actualité après la sortie de cet album ? Des concerts ? Des tournées?

    Odrylane (Quentin Bangert) – Nous allons refaire des photos pour mieux représenter l'univers du groupe, et il se peut que nous puissions jouer à Tours dans un festival. Et surtout la création de nouveaux morceaux…

    (Valentin Descourvières) – À l’heure actuelle, on est tous plus ou moins en vacances. On a quelques concerts de prévus, nous avons joué notamment au festival du Summerlied, le 19 août à Ohlungen. Mais même si on ne présente pas beaucoup d’actualité, je sens que le besoin de composer à nouveau va se faire sentir prochainement.

    BBB – Merci d’avoir répondu à nos questions.

    Odrylane (Quentin Bangert) – Merci et à bientôt.

    (Guillaume Levy) – Merci à la prochaine !

    Odrylane, Odrylane, 2018
    http://odrylane.fr

    Voir aussi : "Breizh'n roll"

  • Été Arte

    Cet été, comme l’an dernier, la chaîne Arte propose sur Instagram sa série de l’été. Un feuilleton à la fois intime et rafraîchissant dans lequel l’internaute et lecteur suit les pérégrinations d’Olivia. Une Olivia qui balance entre deux hommes, Julien et surtout Abel.

    Rien de tel que deux mois de vacances pour faire le point. Deux mois de totale liberté, mais qui vont être marqué par un événement tragique : le décès Suzanne, sa grand-mère. Olivia à Florac, le village de son enfance. La jeune femme y découvre un secret que cachait la respectable vieille dame.

    Ce mélodrame, à suivre sur Instagram, suit les traces d’Olivia, dans un récit où se mêle histoire d’amour, féminisme et secrets de famille.

    Été, de Thomas Cadène, Joseph Safieddine & Camille Duvelleroy,
    dessin & couleur : Erwann Surcouf,
    musique de Santoré, ARTE / Bigger Than Fiction

    https://www.instagram.com/ete_arte/?hl=fr

    Voir aussi : "Cet @ete"

  • Clara Luciani, La Femme libérée

    J’étais curieux de découvrir Sainte Victoire, le premier album de Clara Luciani, l’ex soliste de La Femme. Présenté comme un opus qui ferait date, allions nous retrouver cette électro-pop fiévreuse et sophistiquée du groupe récompensé il y a quatre ans aux Victoires de la Musique ?

    Oui et non. À la faveur de son premier album, Clara Luciani s’est complètement libérée pour livrer une œuvre moins électro que pop et chanson française, écrite à la perfection : dit autrement, un magnifique bijou.

    Sainte Victoire est une pépite riche d’inventions musicales comme d’univers personnels. Il commence par une ode au combat d’une femme combative dans un monde dur : "Et toi / Qu’est-ce que tu regardes / T’as jamais une femme / Qui se bat / Suis moi / Dans la ville blafarde / Et je te montrerait comme je mords / Comme j’aboie / Prends garde / Sous mon sein la grenade" (La Grenade). De même, dans Drôle d’Époque, Clara Luciani se met à nu autant qu’elle confie à son public ses interrogations sur la manière d’être femme aujourd’hui : "Qu'est-ce qu'on va faire de toi ? / Tu marches même pas droit / Tu à l'allure de ton père / Les cheveux en arrière / T’as pas l'air, t’as pas l'air, t’as pas l'air d’une femme / D’une femme / Où sont passés tes seins / Ta cambrure de félins ? / Tantôt mère nourricière / Tantôt putain vulgaire / Conduis toi, conduis toi, conduis toi comme une femme… / Moi j'ai pas l’étoffe, pas les épaules, pas les épaules / Pour être une femme de mon époque / On vit vraiment une drôle d'époque." Si, ici, une guitare accompagne la voix délicate de Clara Luciani, là c’est un piano qui appuie le bouleversant, et tout aussi personnel, chant d’adieu, Dors : "Dors, dors / Il n’y a rien à voir ici / Rien à regretter / Dors, dors / Je viendrai bientôt auprès de toi me coucher."

    Dans une toute autre veine, les fans de Metronomy retrouverons une reprise de The Bay que Clara Luciani propose dans une adaptation française à la fois fidèle à l’originale – joyeuse, tropicale et électrique – et beaucoup plus convaincante, moins minimaliste et surtout d’une très grande classe : "Bienvenue sur la baie / On est si bien sur la baie / Les femmes sont nues / Les hommes aussi / Rien à se cacher / Rien à se cacher / Et le jus de fruits / Entre leurs doigts / Vient se glisser" (La Baie).

    L'influence de Françoise Hardy est flagrante

    La pop de l'ex La Femme est matinée de rock (le rythmé et fiévreux Comme toi) mais aussi de pop folk dans laquelle l’influence de Françoise Hardy est flagrante. On pense bien sûr à Monstre d’amour qui était aussi le titre du premier EP de Clara Luciani, sorti l'an dernier. Ce titre, l’un des meilleurs de son album, semble faire la fusion entre l’électro-rock et les sixties, avec cette noirceur et cette mélancolie d’une élégance rare, et qui est aussi un hommage à Gainsbourg et à L'Amour monstre de Pauwels : "C'est comme si j'étais devenu un monstre d'amour / Mes jambes flanchent, mon cœur est lourd / Je finirai par l'étouffer dans tout ce velours / J'ai beau hurler mes cris sont sourds / Dis moi, dis moi pourquoi je sombre / Dans des eaux, dans des ombres / Dans lesquelles je me noie."

    Clara Luciani offre avec Les Fleurs un exemple de titre aussi délicat et subtil qu’une pétale de rose. Cette chanson est un hymne à la simplicité autant qu’une introspection sur la difficulté d’exister : "Quand tout me lasse / Quand tout est dégueulasse / Quand rien ne vaut la peine / Pas même moi / Je pense aux fleurs / Qui sont parfaites / Qui n'ont pas d'autre rôle que de l'être" (Les Fleurs).

    La chanteuse sait aussi jouer de l’humour et de l’autodérision dans On ne meurt pas d’amour ("Je suis rouillée jusqu’à l’os / Faut changer les rouages / Ou jeter à la casse mon appareillage") ou dans ce bilan caustique d’une rupture sentimentale qu'est La dernière Fois ("Prends une photo de moi / photocopie-la trois fois / Encadre-la au-dessus de ton piano droit / Entre tes parents et un certificat / C’est la dernière fois que tu me vois."

    L’album se termine avec Sainte Victoire, un slam en forme de coup de poing et surtout auto-portait d’une artiste qui revendique sa pugnacité et son envie de vivre : "Je suis armée jusqu’aux dents / Sous mon sein : une grenade." La boucle est bouclée sur une merveille d'album. Une vraie victoire.

    Clara Luciani, Sainte Victoire, Initial Artist Services, avril 2018
    En concert : le 26 août au Festival Les Solidarités de Namur (Belgique),
    le 30 août à la Cour du Château de Bulle (Suisse),
    le 28 septembre à La Nouvelle Vague (Saint Malo)

    https://www.difymusic.com/clara-luciani

    Voir aussi : "Vingt-sept ans à la limite"

  • L’ennui avec les princesses

    Stella Tanagra, la petite princesse de l’érotisme, est de retour, cette fois dans un roman, Les Dessous de l’Innocence (éd. Tabou). On l’avait laissée avec Sexe primé, des nouvelles à la fois efficaces et aventurières, parvenant à décliner l’érotisme sous toutes ses variantes, le déflorant, le libérant et le faisant exploser et gicler de manière la plus inattendue qui soit : un vrai exercice de style par une auteure qui s’annonce comme une des plumes prometteuses de la littérature érotique.

    Dans son premier roman, Les Dessous de l’Innocence, Stella Tanagra nous parle d’une autre princesse des temps modernes, Tilda Lornat. Cette jeune professeure spécialisée, à qui rien ne manque apparemment, ne respire que pour son Thomas, un militaire souvent en mission et la laissant (trop) souvent seule dans une belle mais froide demeure bourgeoise. L’ennui avec les princesses c’est que le bovarysme n’est jamais très loin : "Les jours sont longs lorsque l’on est institutrice dans un établissement pour enfants handicapés… Cette vie aurait pu être une romance idyllique. Tous les ingrédients y sont.

    Tilda rêve sa vie plus qu'elle ne vit son rêve, qui semble n’être qu’un triste conte de fée au cours de journées rythmées par l’attente du soldat parti à la guerre et quelques travaux ménagers : "La première impression donne le ton de la suite des événements. Elle n’omet donc aucune infime dorure à reluire. Cendrillon danse avec son balai pour qu’incessamment son hall parqueté puisse accueillir son corps étendu et trémulant sous les coups de reins du prince charmant aux allures de bad boy." Le conte de fée n’en est finalement pas un : "La table est tapissée d’une nappe rouge. Le service disposé brille sous l’éclat du feu de cheminée se reflétant des verres aux couverts. Même les chandelles trônent aux abords de la table. Tilda a toujours voulu être cette princesse. Cela dit, les contes de fées n’ont jamais sous-entendu que la princesse peut avoir une libido débordante, ni indiqué la manière de l’assouvir."

    Tilda rêve sa vie plus qu'elle ne vit son rêve

    Ses fantasmes viennent égayer des journées mornes, fantasmes de plus en sophistiquées et qui, bientôt, vont prendre corps en la personne d’un séduisant kiné, Edgar. Il arrive ce qui devait arriver dans la vie de cette "petite fille modèle..."

    Stella Tanagra use de sa langue tonique, un mélange de verdeur, de lyrisme et de descriptions triviales, pour entrer dans l’intimité de Tilda et de ses étreintes de succube : "À l’image d’une pucelle, elle arpente avec exaltation, les plaisirs de la chair. Son corps ressuscité répond aux provocations de son amant de quelques coups de reins réflectifs." Les dialogues secs et empruntés entre les personnages sont ceux de simulacres sociaux auxquels répondent la seule vérité qui soit : celle des corps qui se cherchent, qui se plaquent les uns les autres et qui se livrent sans artifice, loin des conventions sociales. "Sous le joug de diktats ancestraux réduisant les rôles sociaux des hommes et des femmes, Tilda se meurt étouffée sous ses désirs qui ne devraient rien avoir d’interdit."

    Stella Tanagra ouvre la dernière partie du livre avec le retour du soldat que Tilda n’attendait plus. Après La Belle au Bois Dormant – quoique bien réveillée après les baisers d’Edgar – c’est Lady Chatterley accueillant son héros de soldat, un "colosse au pied d’argile" brisé et peinant à assouvir les fantasmes de sa femme. Reste à savoir qui jouera le rôle du garde-forestier... À moins que la jeune femme ne doive se résoudre à fermer la parenthèse de ses intercades...

    Les Dessous de l’Innocence se déflore d’abord doucement, dans une torpeur érotique et tropicale. Le lecteur se coule dans la vie paresseuse et languide d’une jeune professeur assaillie par ses pulsions et ses fantasmes. Puis, par paliers successifs, Stella Tanagra parvient à électriser son premier roman et à faire monter la pression, jusqu’à un dernier chapitre épicé comme seule elle sait le faire.

    Stella Tanagra, Les Dessous de l’Innocence, éd. Tabou, 2018, 160 p.
    http://stellatanagra.com

    Voir aussi : "Ma chair et tendre"

  • Également chez Hexagone

    Retrouvez également le bloggeur dans le magazine Hexagone, le magazine trimestriel de la chanson.

    Pour le numéro de cet été, je signe une première chronique sur le dernier album de Barcella.

  • Alice Zeniter et les trois âges de la vie

    alice zeniter,harkis,algérie,guerre d’algérie,immigration,racines,rivesaltes,joncquesFresque familiale, roman somptueux qui se lit d’une traite et autopsie contemporaine sur le thème du déracinement, L’Art de perdre d’Alice Zeniter (éd. Flammarion) est à placer parmi les très grands livres français de ces dernières années, un livre qui pourrait d’ailleurs sous peu devenir un classique.

    Classique est du reste l’agencement de L’Art de perdre, un agencement qui arrive paradoxalement à désarçonner le lecteur : en structurant son roman en trois parties, correspondant aux trois personnages de son récit – le grand-père Ali, le père Hamid puis sa fille Naïma – Alice Zeniter compose une histoire à trois voix, dans trois époques et avec trois membres d’une même famille, les Zekkar. Cette composition adroite donne une épaisseur et une vie indéniables à l’histoire d’une famille ballottée par l’Histoire.

    Ali est le patriarche de cette saga familiale, un ancien journalier misérable devenu, par un coup du destin incroyable, propriétaire terrien, exploitant fortuné et notable respecté. Cela se passe dans l’Algérie française des années 40 et 50. Autour de lui, tournent une famille soudée et un village hors du temps. Lorsque les premiers soubresauts de la guerre d’indépendance algériennes éclatent, Ali, qui a porté les armes du côté des Forces Françaises Libres pendant la seconde guerre mondiale, hésite sur la conduite à tenir. Le FLN pousse la population à rejeter l’occupant français. Sauf que le respectable dignitaire kabyle est tiraillé entre son statut d’ancien combattant, "la conservation de ce qu’il a acquis," son mépris pour les résistants du FLN (des "bandits"), les histoires de rivalités entre clans du village et aussi la pression de l’Histoire. Pour Ali, il est dit que la France ne laissera pas tomber l’Algérie, si bien que c’est moins par conviction que par pragmatisme qu’il devient "harki," un harki finalement moins engagé que pris au piège d’une guerre sale. À la fin du conflit algérien, cette posture et ce refus de s’aligner du bon côté lui vaut d’être un paria dans son pays, menacé de mort, et de devoir émigrer en France.

    "Le racisme, cette forme avilie et dégradée de la lutte des classes"

    La partie suivante du roman ("La France froide") est écrite sous l’angle d’Hamid. Elle est consacrée à ces déracinés de l’Algérie française, d’abord au camp de Rivesaltes, puis celui de Jouques dans les Bouches-du-Rhône, avant une installation qui sera définitive dans la froide et humide Orne. Alice Zeniter fait du fils d’Ali celui qui se détache de ses racines, les rejette loin de lui, établit une coupure avec sa famille et se marie avec Clarisse, une attachante et douce Française. Le silence, les non-dits et la souffrance muette ("C’est facile pour vous, les épargnés,"écrit l’auteure, reprenant un dialogue d’Arnaud Desplechin) constituent le cœur de son expérience d’enfant immigré. Hamid est le portrait admirable de densité de fils de harki intégré, communiste et incapable de penser au retour vers l’Algérie : "Il se dit parfois que s'échapper prend plus de temps que prévu, et que s'il n'a pas fui aussi loin de son enfance qu'il le souhaiterait, la génération suivante pourra reprendre là où il s'est arrêté." Dans les années 70 et 80, Hamid, comme son père d’ailleurs, font également l’expérience du racisme, cette "bêtise crasse [qui] est la forme avilie et dégradée de la lutte des classes [et] est l'impasse idiote de la révolte."

    Le retour vers le pays des origines sera finalement fait lors de la génération suivante, avec Naïma. C’est l’objet de la troisième partie du livre, "Paris est une fête." La Guerre d’Algérie est lointaine et ce pays est une contrée à la fois étrangère et magnétique pour la petite-fille d’Ali. Que faire de ses racines ? La jeune Parisienne bobo travaille dans une galerie d’art contemporain et vit une relation très indépendante avec un homme marié. Que de chemin familial depuis Ali, le grand-père et patriarche qu’elle a connu toute petite et qui n’a rien voulu dire de son passé ! À cela s’ajoute l’histoire qui resurgit, via cette fois les attentats terroristes en France. La route vers ses racines, Naïma le fera à travers un voyage professionnel, inattendu et bouleversant. Elle y trouvera des réponses, des questions mais aussi des visages, semblant boucler, contre toute attente, la boucle de son histoire familiale.
    Alice Zeniter, loin de faire un récit de harkis, a écrit une fresque passionnante sur ces hommes et ces femmes coincées entre deux pays.

    L’Art de perdre a été couronné par un très mérité Prix Goncourt des Lycéens en 2017. Le titre du roman, choc et énigmatique, s’éclaire grâce aux vers de la poétesse américaine Elisabeth Bishop : "Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître. / J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes, / des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays. / Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre." Naïma, l’extraordinaire personnage féminin de L’Art de perdre, l’expérimentera dans sa chair après son premier voyage en Algérie : "Elle ne veut plus partir d’ici. Elle veut absolument rentrer chez elle."

    Alice Zeniter, L’Art de perdre, éd. Flammarion, 2017, 507 p.
    Page Facebook d'Alice Zeniter

    Voir aussi :"L'été avec Albert Camus"

  • "Étélectro" et Beauté sauvage

    C’est une électro estivale que je vous invite à découvrir avec le premier EP de Beauté Sauvage, The Sound of the Waves.

    Impossible de ne pas se laisser enrouler dans les vagues synthétiques de ce single langoureux. Les flux et les reflux de la mer accompagnent un album pop, chill et minéral (The Sound of the Waves).

    Zen attitude requise pour le duo parisien mené par Jay-b Bricklear, aux manettes d’un mini-album au son french touch, électro-pop et funky (Sunset). Les voix chaleureuses accompagnent un EP parfait pour accompagner ces chaudes et paresseuses journées d’été. 

    Leur premier EP est disponible sur Soundcloud.

    Beauté Sauvage, The Sound of the Waves, Beauté Sauvage, juillet 2018
    Disponible sur Soundcloud

    Page Facebook de Beauté Sauvage

    Voir aussi : "Nouvelle vague"