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Kuy Delair performe ses textes à la Galerie La Poïèsis des Arts (Paris, 4e). Cet événement, commencé en mars, proposera deux dernières représentations les 20 et 27 avril à 20 heures.
Dieu est fou d’Éros est une lecture-performance, un genre hybride alliant la lecture de l’écrivain et la performance contemporaine. Certains éléments du théâtre sont également convoqués. La lecture-performance de l’artiste propose de s’interroger sur les tabous sociétaux, en alliant ces thèmes a priori antinomiques : l’auto-fiction, l’érotisme, le sacré et la folie.
Dans la verve de l’auto-fiction, Kuy Delair se met en scène dans ses poèmes. En voulant marier érotisme et religion, Kuy Delair entend s’inscrire dans la tradition ancestrale du paganisme, et à créer, comme le dit elle-même, "une esthétique de l’érotico-mystique."
Un féminisme dans tous ses états
Voilà ce qu’elle en dit : "L'esthétique érotico-mystique dynamise ma pratique transdisciplinaire de la poésie. Prenant ses racines dans l’Éros mythologique, je conçois cette esthétique comme le fondement de ma pratique artistique. Dans le paganisme hellénique, Éros est originellement appelé Dieu Amour. Il est l’alliance d’un désir spirituel (fusion) et organique (fertilité). Il assume la dualité unifiée de la matière (érotique) et du spirituel (mystique). Le mythe théogonique, visant à l’explication du monde, place Éros comme le moteur de l’Etre, de l’être en création." Mais ces traditions antiques, ne seraient-elles pas des pratiques mortes et enterrées en 2018 ? Pour Kuy Delair, elles sont au contraire plus modernes qu’on ne le croit : "Le mysticisme contemporain est la possibilité d’un au-delà laïc, il est également l’ascétisme de ma pratique artistique ; la discipline du corps dans la genèse de son expressivité."
La démarche artistique de Kuy Delair ne vient pas de nulle part. La performeuse, poétesse et intellectuelle navigue entre Montréal, New York et Paris et a pu se faire entendre sur les ondes de France Culture. Femme de lettres, pianiste, musicienne, performeuse mais aussi enseignante à la Sorbonne, son approche des traditions païennes est celle d’une femme d’aujourd’hui, engagée dans une forme de féminisme dans tous ses états, et qui plonge ses racines plusieurs milliers d’années plus tôt.
Un étonnant retour aux sources par une païenne qui ne laisse pas indifférent.
Après Héléna, la blonde incendiaire de la bande dessinée éponyme de Jim et Cabane, voici Marie, la brune fatale d’Une Nuit à Rome (éd. Grand Angle), que Jim a scénarisé et dessiné de A à Z.
Comme pour Héléna, il est question dans cet ample et élégant album d’un amour contrarié, d’une femme insaisissable, de rendez-vous et du temps qui passe, inexorable et cruel.
Que Jim se soit cette fois attelé au scénario et au dessin n’est pas anodin : comme il le confie dans sa préface, ce personnage de Marie ne vient pas de nulle part, preuve à l’appui... Voilà qui fait d'Une Nuit à Rome - une variation contemporaine sur le thème du badinage, du romantisme et de l’infidélité - une œuvre personnelle.
Raphaël est le narrateur de cette histoire de retrouvaille à Rome. Quelques jours avant ses quarante ans, il reçoit par la Poste une K7 VHS vieille de vingt ans. Il y découvre – ou redécouvre – une petite amie de cette époque, Marie Galhanter, née le même jour que lui.
Une connerie de gamin
La vidéo lui rappelle une ancienne promesse qu’ils s’étaient faits : passer la nuit de leur quarantième anniversaire ensemble, à Rome. Un numéro de téléphone accompagne cet envoi. Or, Raphaël vit en couple avec Sophia, dont il est très amoureux. Il n’aurait donc aucune raison de respecter "une connerie de gamin, comme on en a tous fait…" Sauf que cette VHS balaie toutes les certitudes qu'il avait. En Italie, Marie ne pense elle aussi qu’à ce futur rendez-vous, à Rome. Aura-t-il lieu, vingt-ans après leur promesse ?
Jim déplie sur 238 pages une histoire amoureuse élégante, poignante et sensuelle. Les années passent, les rêves sont mis sous le boisseau mais les amours ne disparaissent pas totalement. Ils peuvent se fossiliser ou au contraire s’affranchir et exploser des années plus tard… Mais à quel prix…
La nuit à Rome est celle de toutes les folies. Des folies que Raphaël et Marie peuvent ou pas s’offrir et qui permettront de remettre, quelque part, les pendules à l’heure. Fort intelligemment et avec une pertinence qui élève Une Nuit à Rome au rang des BD géniales.
Jim termine son album par deux épilogues qui font basculer les destins de Marie et de Raphaël vers un questionnement sur nos promesses à honorer. Jim nous interroge. Raphaël et Marie, c’est un peu lui. C’est un peu nous.
Jim, Une Nuit à Rome, Intégrale, éd. Grand Angle, 2016, 238 p.
Artiste parisienne basée à Berlin, Cleo T., alias Clémence Léauté, a construit une œuvre mixant médias, alias et performances scéniques. Il faut dire que la jeune femme peu se targuer d’un pedigree déjà impressionnant : formation universitaire en lettres modernes et histoire de l’art, comédienne au Théâtre National de Chaillot, artiste européenne naviguant entre Paris, Berlin et Florence, Cleo T. fait se télescoper les références à Malévitch, Plotin, Frida Khalo ou Pasolini. Un drôle de zèbre qui voit "l'art comme un flux sans cesse en mouvement."
Après 120 concerts en Europe et au Canada, des festivals internationaux (SXSW, The Great escape, CMJ NewYork, Solidays) Cleo T. continue d’explorer un terrain musical singulier. Mais l’actualité immédiate de Cleo T. est la sortie de son nouveau clip, Shine, ce 11 avril.
Drôle de zèbre
Paru en 2013, Songs of Gold & Shadow, son premier album, déployait un univers glamour et décadent à la Lady Gaga : une pop de chambre sublimée par la production maîtrisée de John Parish/PJ Harvey. Le nouvel album And Then I Saw A Million Skies Ahead fait résonner une pop éclatante, qui dépasse le cadre de l’expérience musicale. Onze ballades postmodernes composent cette œuvre où se croisent gospel et songwriting, instruments du monde et électro.
Véritable œuvre d'art contemporaine, l'expérience convoque la poésie et la danse, l'art vidéo et les arts numériques.
Shine ouvre cet opéra moderne, deuxième album hybride et singulier élaboré entre Paris et Berlin. Rêverie sonore et visuelle, Shine orchestre électro minimale et cordes classiques, révélant la tonalité onirique, glamour et engagée de l'album. Unique, Shine c'est la rencontre de la pop et la recherche artistique. Cleo T. a sans doute le chaînon manquant entre deux univers qui se tenaient jusque-là à bonne distance.
C’est une artiste que Bla Bla Blog a croisée à plusieurs reprises, via ses œuvres, et qui mérite que l’on s’y intéresse. Sophie Proença a grandi entre la France et le Portugal et vit et travaille à Bordeaux. Elle expose aussi bien à Paris (prochainement pour SALO VI à Paris) qu’à Dallas ou Lisbonne.
Le travail de Sophie Proença est à chercher dans son travail sur le noir et blanc, et dans sa manière de décortiquer et démantibuler avec précision les corps, pour en faire des matière organiques ou minérales. Lorsque des jambes, des pieds ou des sexes apparaissent, ce sont des organes noueux, désarticulés ou à la raideur cadavériques. Le corps peut aussi devenir végétal. "Les doigts deviennent filiformes, crochus, les pieds se tordent, mains et pieds tels que les trace Sophie Proença peuvent se superposer, évoluer parfois vers une forme prodigue, à la manière de troncs d'arbres d'où sortent de nouvelles pousses, de façon mal contrôlée, croirait-on", écrit Paul Ardenne au sujet de son travail.
Odilon Redon et Amadeo de Souza-Cardoso
Sophie Proença nous invite dans un voyage intérieur et organique, où pulsions de vie et de mort sont traitées avec précision dans des créations au noir et blanc que l’artiste ne cesse de décliner avec subtilité, à l’exemple d’Odilon Redon qu’elle affectionne. Amadeo de Souza-Cardoso, autre grand chercheur de l’art moderne, à la croisée de l’impressionnisme, du cubisme, du fauvisme et du futurisme, est aussi cité par Sophie Proença : rien d’étonnant pour cette artiste d’origine portugaise, installée en France comme son brillant compatriote.
Comme Amadeo de Souza-Cardoso, Sophie Proença s’impose comme une graphiste aux dessins puissants, parfois coups de poing (comme ces détails anatomiques pour l’exposition SALO V), mais toujours d’une grande finesse d’exécution.
Le noir et blanc est, pour le moment, l’univers de Sophie Proença. Passera-t-elle à la couleur, comme son aîné Odilon Redon ? La question mérite d’être posée et son parcours risque bien d’être scruté avec la plus grande attention.
Pourquoi ne pas convenir que le trip hop va comme un gant au duo Otis Stacks, dont le nouvel album Fashion Drunks vient tout juste de sortir ?
Bien que ce mouvement né dans les années 90 ne soit pas entièrement disparu (son fer de lance, Tricky, a sorti son 17e album Ununiform l’an dernier), le trip hop n’a plus son audience passée.
Otis Stacks est un duo formé du producteur danois Just Mike (Dafuniks) et du chanteur californien Elias Wallace, deux artistes réunis et engagés dans un travail artistique solide et assumé : une voix puissante au service de titres au flow hip hop imparable. Et voilà comment Otis Stacks a su transcender les frontières créer un axe Danemark – États-Unis, se jouant des spécificités européennes ou américaines. La connivence entre le Danois Just Mike et le Californien Elias Wallace est indéniabe dans un album où la fusion est reine.
Les deux compères excellent dans la langueur raffinée de titres aux vagues électroniques et aux voix savamment posées (Ever Felt). Aux titres résolument pop (Little Pretty), funk (9th Street) vient répondre d’autres au son très rap, à l’exemple tu titre phare, Sorry, sur le thème de la dispute, de l’incompréhension et du pardon : "I'm sorry for the things that i said on the phone / Ignored when you told me to leave you the heck alone / I'm sorry if i acted a little kid no, no / I'm sorry for this."
Un trip en trip hop tout à fait étonnant et hors du temps par un groupe sans frontière.
C’est à la médiathèque de Montargis, le vendredi 13 avril à 18 heures, que se tiendra la prochaine séance du café philosophique de Montargis. Un cadre exceptionnel pour une séance exceptionnelle, dont le sujet a été choisi par les utilisateurs de l’établissement public. Au terme d’un vote étalé sur plusieurs jours au sein de la médiathèque, ses usagers ont choisi de débattre de ce sujet : "Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?"
Le thème de la mort est essentiel en philosophie, comme le soulignait Albert Camus. Essentiel et absurde. La conscience et même l’appréhension de la mort est d’abord ce qui caractérise l’homme. Les rites funérailles ou le deuil font l’objet du plus grand soin dans toutes les sociétés humaines. Et pourtant, cette mort nous effraie, et nous serions tentés de l’éloigner de nous pour privilégier nos instincts de vie. Face à cette mort absurde et inéluctable, faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ? Masquer la mort est-elle tenable dans notre existence ? Et de quelle mort parlons-nous puisqu’il semblerait que la mort soit toujours celle de l’autre ? Comment penser la mort ?
Ce sont autant de points qui pourront être débattues lors de la séance du vendredi 13 avril 2018, à partir de 18 heures à l’Atrium de la Médiathèque de Montargis.
2018 marque les 50 ans de mai 68. Mais cette année, le cinéma fête le cinquantenaire d’une autre révolution, cinématographique celle-là. C’est en effet le 2 avril 1968 qu’est sorti aux États-Unis 2001 : L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick. Rappelons que Bla Bla Blog avait consacré par le passé un hors-série sur ce cinéaste exceptionnel. Cette fois, nous ferons un focus sur ce film de science-fiction majeur à travers le passionnant essai de Roberto Lasagna (2001 : L’Odyssée de l’Espace, éd. Gremese), complet et richement illustré.
Il y a cinquante ans tout pile, donc, sortait ce fameux 2001, film de SF spectaculaire autant que fable métaphysique sur la destinée humaine. Réflexion géniale, travail cinématographique à la perfection rarement égalée, coup de poing visuel et véritable révolution artistique, c’est peu de dire que Stanley Kubrick a réussi là un coup de maître qui fait que 2001 n’a jamais vieilli. Le réalisateur disait de ce film qu’il le considérait comme son plus réussi : "J’ai essayé de créer une expérience visuelle, qui contourne l’entendement et ses constructions verbales, pour pénétrer directement l’inconscient avec son contenu émotionnel et philosophique. J’ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience, comme la musique."
Roberto Lasagna spécialiste et critique cinématographique italien consacre tout un essai à 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Il en explique la genèse, la fabrication, l’histoire et en fait une exégèse qui ravira les cinéphiles et spécialement les amoureux de Kubrick. L’auteur rappelle à quel point le huitième film du réalisateur américain a marqué à plus d’un titre. Pour la première fois, en effet, Stanley Kubrick entend, après le succès de Docteur Folamour, ne plus être dépendant des studios hollywoodiens. Il vit désormais en Angleterre et choisit les studios londoniens de la Metro-Goldwyn-Mayer qu’il transforme en véritable laboratoire pour créer un film de science-fiction qu’il veut d’un réalisme absolu.
La plus ahurissante ellipse du cinéma
Mais à ce réalisme du décor et des vaisseaux spatiaux vient répondre un discours scientifique pointu et pensé avec Arthur C. Clark (sa nouvelle écrite pour l’occasion, La Sentinelle). 2001 est aussi un manifeste au langage cinématographique époustouflant de créativité, cette "sémantique des images" dont parle Roberto Lasagna : le fameux monolithe noir, l’os devenu arme préhistorique se transformant en navette spatiale dans la plus ahurissante ellipse du cinéma, le personnage et supercalculateur HAL ou la dernière séquence psychédélique jusqu’à l’apparition du fœtus astral.
Roberto Lasagna revient de manière très pertinente sur le contexte de la SF en 1968 : à ce titre, 2001 sera le premier véritable film de space-opera doté d’effets spéciaux réalistes : "Grâce à une rigueur scientifique nouvelle pour l’époque, Kubrick souhaitait prendre ses distances des space operas des années cinquante dont la crédibilité était proche de zéro. Afin d’éviter que les planètes et les vaisseaux spatiaux ne ressemblent à des maquettes à petite échelle, il fit fabriquer de grands modèles avec une précision méticuleuse, puis les filma avec une caméra Panavision 65mm qui permettait une très haute définition."
Délaissant le langage des dialogues au profit de l’écriture visuelle ("46 minutes de dialogues sur les 139 de la durée totale du film"), Kubrick ne fait cependant pas de son 8e film une simple œuvre spectaculaire. L’émotion et l’éblouissement sont bien au cœur de son film. Mais ce qui le caractérise 2001 est une ambition philosophique et métaphysique : "La machine narrative – en réalité presque une non narration – n’est pas seulement belle à contempler : c’est une machine significative, où l’observateur, comme l’astronaute Bowman, sont invités à se poser des questions. Après tout, le cadrage de l’os qui se transforme en vaisseau spatial – le raccord le plus célèbre du film et peut-être de toute l’histoire du cinéma – exige un effort d’interprétation spécifique."
Un trip sans LSD
Arthur C. Clark et Stanley Kubrick interrogent l’intelligence humaine et artificielle, la persistance des instincts, le culte de la technologie, le destin de l’espèce humaine ou le concept de vérité et de révélation, comme le conceptualise brillamment Roberto Lasagna.
Au-delà de la première séquence, "À l’aube de l’humanité," celle sur la lune ou celle de l’affrontement entre HAL et ses collègues astronautes humains, le spectateur qui découvre 2001 restera sans doute d’abord marqué par le dernier voyage de David Bowman vers Jupiter, "un trip sans LSD" comme le remarque malicieusement l’auteur et aussi, cinématographiquement parlant, "une union impensable entre cinéma expérimental et cinéma grand public…"
C'est dans cette dernière partie du film, sans doute, que divergent le plus les interprétations : voyage dans le passé ou le futur ? Macrocosme ou microcosme ? Visions de Bowman ou de son double ? Réflexion phénoménologique sur la perception ? On peut saluer dans l’essai de Roberto Lasagna les références artistiques éclairant les intentions de Kubrick : Ivan le Terrible de Eisenstein, le Christ du Jugement dernier de Michel-Ange ou Ulysse de James Joyce : "Comme chaque chapitre du plus grand roman du XXe siècle est écrit dans un style particulier, le film de Kubrick semble être un voyage dans l’histoire du cinéma, qui commence par le muet (la partie préhistorique africaine), se poursuit par la comédie musicale (les vaisseaux dansant la valse de Strauss), et arrive au parlant (la partie faite de dialogues qui a pour protagoniste le scientifique Floyd), il revisite divers genres à la façon de la science fiction (le duel David/Hal n’est-il pas le passage biblique du défi David/Goliath ?) et se termine par un morceau lysergique de pur cinéma underground."
Un argument supplémentaire pour voir et revoir 2001 : L’Odyssée de l’Espace, et le redécouvrir grâce au regard affûté et passionné de Roberto Lasagna.
Roberto Lasagna, 2001 : L’Odyssée de l’Espace, éd. Gremese, coll. Les meilleurs films de notre vie, 96 p. avril 2018 2001, L'Odyssée de l'Espace (2001: A Space Odyssey) de Stanley Kubrick, avec Keir Dullea, Gary Lockwood et William Sylvester, Etats-Unis, 1968, 139 mn