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Après une dizaine d'année de travail, et après avoir abandonné le projet plusieurs fois, Régis Bezannier est le créateur d'une adaptation en bande dessinée de Candide ou l'optimisme, de Voltaire.
L'illustrateur a voulu d'abord travailler avec un scénariste prestigieux (et combien !) mais surtout, son objectif est de rendre ce texte plus attractif a un public qui pourrait être réfractaire à ce genre de lecture (ce fut le cas pour le dessinateur au moment de l'étudier au lycée).
Le texte quasi intégral du fameux représentant du siècle des lumières trouve une nouvelle jeunesse en BD, grâce à un dessin en noir et blanc à la fois "sobre, doux et subtil." (Magazine Virgule).
Cette bande dessinée est uniquement disponible en auto-édition (papier ou numérique) sur le site Thebookedition .com
Régis Bezannier et Voltaire, Candide, éd. Thebookedition, 2015, 134 p. Thebookedition .com
Pour jouer Lulu, rôle phare de l'opéra le plus célèbre du XXe siècle, combien de sopranos auraient le coffre de s'y frotter ? Or, non content d'avoir relevé le gant pour la Monnaie de Bruxelles en 2012, Barbara Hannigan mérite de voir son interprétation devenir une référence légendaire.
Lulu, l'opéra dodécaphonique en trois actes d'Alban Berg (le dodécaphonisme étant cette technique inventée par Arnold Schoenberg donnant une importance comparable aux douze notes de la gamme chromatique, rejetant de fait toute tonalité), écrit en 1935 et resté inachevé par le compositeur (le troisième acte a été terminé par Friedrich Cerha), conte le destin de Lulu. Celle que l'on nomme et surnomme également Eva, Mignon, Nelly ou Lilith est une beauté légendaire, une femme fatale, "un ange exterminateur" et la "la putain la plus raffinée qui ait jamais ruiné un homme" comme le dit un de ses amants et victimes.
La cruauté de l'amour est au centre de cet opéra, non exempt d'humour noir. Un prologue en anglais présente au spectateur (symboliquement représenté sur scène) cette "vraie bête, sauvage et belle [que l'on ne verra] qu'ici". Lulu, jouée avec ardeur et juste démesure par une Barbara Hannigan complètement habitée par son rôle, passe d'homme en homme tout au long de ces plus de trois heures de spectacle.
Séduite par un artiste (interprété par Tom Randle, peintre devenu photographe dans cette version de 2012), Lulu provoque une crise cardiaque mortelle de son mari qui la surprend. Le photographe devient son mari et se suicide de jalousie en apprenant la vie amoureuse tumultueuse de sa femme. Le Dr Schön (Dietrich Henschel), directeur d'un journal, est témoin de cette mort et craint pour sa réputation, alors qu'il s'apprête à se fiancer. Puis, c'est lui-même qui tombe dans les bras de Lulu à la fin d'acte I, sous les yeux complices et jaloux et son fils Alwa (Charles Workman) – qui pense par ailleurs que cette femme ferait un très beau sujet d'opéra ! Dans l'acte II, le Dr Schön est devenu le nouveau mari de Lulu mais sombre lui aussi dans la jalousie ("Voilà donc le soir de ma vie : la peste à domicile", auquel la belle répond : "Tu as sacrifié tes vieux jours, tu as reçu ma jeunesse en échange" ). Il constate que sa femme séduit la comtesse Gräfin Geschwitz (Natasha Petrinsky), sorte de double positif de Lulu : "Elle ne peut pas vivre d'amour car sa vie est amour". Schön perd tout contrôle de lui-même, s'enflammant pour son épouse tout en la suppliant de se suicider pour le bien de tous : "Sans le savoir tu transformes en criminels les gens qui t'entourent". Mais Lulu refuse, prend le revolver que lui tend son mari et le tue. Arrêtée, la criminelle parvient à s'enfuir grâce au fils de Schön. Le couple se retrouve à Paris. Devenu proxénète (acte III), Alwa est entretenu par Lulu. La prostituée terminera sa triste carrière de séductrice sous la lame de Jack L’Éventreur (Dietrich Henschel, de nouveau). Son amie fidèle et sacrifiée, la comtesse Geschwitz ne parvient pas à la défendre et est tuée elle aussi par le serial-killer.
Drame terrible, l'opéra dodécaphonique et expressionniste de Berg, dirigé par Paul Daniel, prend l'allure d'un spectacle rock et sexy grâce à la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. L'inventivité est omniprésente dans cette version contemporaine : un décor monstrueux composé d'un escalier encadré de toboggans surréalistes, une cage de verre omniprésente, des animaux empaillés, les costumes à l'avenant, l'omniprésence du travestissement, les projections vidéo, des scènes de ballet, des figurants par dizaines peuplant la scène. Le baroque, l'inventivité, la démesure revendiquée et la folie servent les chanteurs, Barbara Hannigan en premier lieu.
Parler d'interprétation exceptionnelle à son sujet n'est pas exagérée. La soprano canadienne se donne corps et âme dans Lulu. Elle incarne ce personnage jusqu'à la démesure, se faisant tour à tour séductrice, romantique, danseuse, junkie, prostituée, bourreau et victime sacrifiée sur l'autel du plaisir. Alwa chante au cours du deuxième acte un hymne à cette femme condamnant chaque homme qu'elle séduit : "Je vois ton corps comme une musique. Ces chevilles un grazioso. Ces rondeurs un cantabile. Ces genoux un misterioso. Et le puissant andante de la volupté." Un aria qui pourrait tout autant s'adresser à Barbara Hannigan, une Lulu pour l'éternité.
Alban Berg, Lulu, dirigé par Paul Daniel, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, avec Barbara Hannigan, Dietrich Henscheln, Charles Workman, Natascha Petrinsky, Pavlo Hunka, Tom Randle, Ivan Ludlow, Rosalba Torres Guerrero et Claude Bardouil, Bel Air Classiques, 2014 http://www.barbarahannigan.com
Les Simonnet (Marthe et Jean-Marc de leurs prénoms) ont élu domicile dans le Gâtinais où ils poursuivent avec opiniâtreté une démarche artistique à la fois exigeante, originale et ouverte au public – ouverture qui n'est pas le fort, loin de là, de beaucoup d'artistes contemporains.
Le travail des Simonnet repose sur des créations autour de modules basiques aux formes douces, harmonieuses, mathématiquement et techniquement maîtrisées.
Le cercle, le cylindre ou le tore constituent la base élémentaire de modules reproductibles et déclinables à l'infini, jusqu'à former des constructions parfois monumentales. Les jeux de combinaisons de ces modules – qui sont conçus en un moulage polyester travaillé par les artistes dans leur atelier – donne naissance à des constructions si naturelles et si évidentes, qu'elles en deviendraient presque vivantes : "Elles auront leur originalité propre tout en étant ontologiquement reliées entre elles par une structure, une ossature qui les innerve. Ce pourra être une surface courbe, une division, une ramification, un gonflement, un soulèvement... La multiplication des modules de base, si ceux-ci sont bien pensés, n’aboutit pas à une monotone répétition de type industrielle, mais au contraire, génère une grande variété de formes" expliquent les deux artistes.
C'est en dehors de toutes les modes, et avec une liberté constante, que les Simonnet offrent au public la possibilité de "jouer" avec leurs créations. Il peut se les approprier sans parti pris. La manipulation, l'éphémère, la combinaison illimitée et l'imagination laissée aux spectateurs explique pourquoi leurs créations sont difficilement définissables : œuvres d'art, objets architecturaux, mobiliers urbains ou jeux pour enfants ? Sans doute tout cela à la fois, et sans doute plus encore. "Si longtemps présentée comme individuelle pour des raisons plus mercantiles que créatives, la création devient objectivée, raisonnée ludique et potentiellement collective", explique Jean-Marc Simonnet sur leur site Internet.
Les Simonnet poursuivent indéfiniment leur travail et prouvent leur grande forme comme leur foi dans leur approche des formes modulaires : "Le monde qui nous entoure n’est-il pas le résultat d’une infinité de combinaisons ?"
Après l'album "Chaleur humaine" (voir cet article "La reine Christine"), Christine and the Queens, l'une des artistes de l'année 2014, traverse l'Atlantique.
C'est aux Etats-Uni qu'Héloïse Letissier poursuit sa carrière avec le même premier album, qui a été réécrit en anglais pour le public américain. Dans cet album made in US, deux titres originaux ont été ajoutés, dont Jonathan et No Harl Is Done, avec le rappeur Tunji Ige.
Les fans de Christine and the Queens ne seront pas dépaysés par le clip, épuré et basé sur une chorégraphie qui est la marque de fabrique de l'artiste nantaise.
Les compagnies aériennes KLM et Lufthansa ont retiré les enregistrements de l'artiste des playlists proposés dans leurs avions.
Cette décision fait suite aux protestations de voyageurs (combien ? mystère...), ulcérés, semble-t-il, par les positions engagées (même si elles peuvent être critiquables) de Valentina Lisitsa.
Où il est encore question de liberté d'expression.
J'avais parlé il y a quelques semaines du premier tome de Caravage, la bande dessinée de Milo Manara consacrée au génie de la Renaissance, et le maître du clair-obscur ("Le Caravage ressuscité en BD"). Milo Manara a su rester fidèle à la biographie (par moment lacunaire) de l'artiste italien tout en "dépeignant" l'environnement du Caravage, des palais de mécènes richissimes aux bas-fonds de la cité pontificale, en passant par les ateliers d'artistes.
Cette bande dessinée, élégante, passionnante et sexy, présente en plus l'avantage de faire découvrir ce peintre maudit, un "bad boy" considéré aujourd'hui comme un maître incontesté de la peinture occidentale.
C'est de manière tout à fait méritée que la revue Historia lui a décerné le Prix Historia de la bande dessinée 2015, pour sa "fiabilité historique, son scénario, son originalité et son graphisme". Et le magazine d'ajouter : "Ce que le jury récompense, c'est autant une excellente BD d'histoire qu'une extraordinaire œuvre d'art", dit la revue pour expliquer son choix.
Il a déjà été beaucoup raconté de ce Liberati, d'Eva, le "roman vrai" de sa compagne Eva Ionesco, réalisatrice, actrice, égérie des nuits parisiennes, ex mannequin-enfant, symbole vivant des excès de l'underground parisien, lorsque la pédopornographie pouvait s'afficher en public sans susciter plus de remous que cela. C'est justement les pages consacrées à la carrière scabreuse d'Eva (surnommée par certains "Baby Porno"), entraînée par sa propre mère Irina Ionesco, qui ont valu à Eva, la réputation d’œuvre sulfureuse pour lecteurs avertis.
Mais l'ouvrage de Simon Liberati vaut bien plus que cela, car Eva est d'abord un grand livre d'amour, construit autour d'une femme flamboyante, libre et blessée, racontée par un Simon Liberati au bord de la rupture lorsqu'il entame sa relation avec elle. Entre ces deux personnes, qui se sont croisées à plusieurs reprises depuis 25 ans, l'auteur traduit moins l'ensorcellement d'Eva sur lui que l'évidence d'un lien indéfectible ("pour toujours, jusqu'à ce que la mort nous sépare"). La passion entre ces deux êtres intelligents et cabossés par la vie signent pour eux une résurrection et une revitalisation. En cela, Simon Liberati signe une œuvre poignante sur l'amour, un amour sincère, sans concession, sans artifice, rugueux, no limit. Tout au long des pages, l'auteur clame son admiration indéfectible pour Eva Ionesco, devenue ces dernières années une réalisatrice reconnue (My Litttle Princess).
Mais ce roman sur une femme adorée est aussi un livre sur le livre.
Page 97, l'auteur entraîne le lecteur dans l'aventure de l'écriture d'Eva, qui s'achève d'ailleurs avec les dernières corrections du manuscrit. Simon Liberati avoue avoir voulu créer non pas une biographie "mais une vie, au sens où l'entendait l'Antiquité". Cette vita d'Eva, en réalité une autofiction – qui n'est pas sans rappeler par certains aspects Le Livre brisé de Marcel Doubrowski, en moins sombre, certes – suit le parcours à la fois monstrueux et fascinant d'Eva Ionesco au cœur des nuits parisiennes où l'on croise Christian Louboutin, Pierre et Gilles ou Roman Polanski.
Loin d'être un panégyrique (Liberati a d'ailleurs admis publiquement que la vraie Eva n'a pas apprécié certains passages du livre qui lui sont consacrés), le "roman" Eva dépeint avec cruauté le destin hors du commun d'une enfant transformée par sa propre mère en mannequin, objet commercial de photos et de films érotiques voire pornographiques. Vulgaire bête de foire, égérie d'un certain "art" pédopornographique, rebelle passionnée, victime instrumentalisée par des adultes sans vergogne (et d'abord par sa mère Irina Ionesco), actrice consentante d'excès en tout genre (relations sexuelles dès son plus jeune âge, alcools, drogues dures, tournages de films pornos), Eva Ionesco se révèle bien plus complexe qu'elle n'y paraît. Simon Liberati fait finalement d'Eva Ionesco la maîtresse de son propre destin, certes au prix de souffrances indélébiles et de dépressions chroniques.
Livre d'un amour d'airain, Eva parle aussi de rédemption (ou de double rédemption si on embrasse l'auteur) que Liberati déroule avec lyrisme, à coup de phrases amples et élégamment scandées. Le lecteur quitte Eva avec regret mais aussi une forme de soulagement : cette femme libre et apparemment apaisée est devenue l'actrice de sa propre existence jusqu'à faire elle-même de sa destinée une œuvre de fiction, pour le coup au cinéma (My Little Princess). Simon Liberati achève cette confession – sans doute l'un des plus beaux ouvrages de cette rentrée littéraire – par ce passage tout en délicatesse et en pudeur : "À cette distance tu mesures à peu près vingt-cinq centimètres... Tu descends, tes talons de Lilliputienne claquent sur le ciment mouillé et voilà que tu grandis une nouvelle fois jusqu'à prendre tout l'espace".
Le Livre brisé fait partie de ces ouvrages que l'on n'oublie pas de sitôt. Une vraie claque !
Ce roman, de fait une autofiction, commence en 1985. Parler d'autofiction est d'autant plus pertinent que le terme a été inventé par Serge Doubrovsky lui-même à la fin des années 1970 pour son roman Fils.
Dans Le Livre brisé, l'auteur, professeur de philosophie, entame un récit romancé qui entend relater ses amours, "dans une version fin de siècle de La Nausée". Au fur et à mesure de l’écriture chaotique de cette œuvre, sa femme, Ilse, une jeune Autrichienne de vingt ans sa cadette, intervient en tant que lectrice attentive et sévère. Elle met au défi son mari d’écrire la vérité crue de leur couple qui, à l’époque, bat déjà de l’aile. Doubrovsky s’exécute, se refusant à cacher les secrets de ses relations avec Ilse : les femmes qu’il a connues avant elle, leur rencontre, les mésententes au sujet des enfants, les frustrations d’Ilse, la violence ou l’alcool.
Alors que Doubrovsky entame le dernier chapitre de son livre, Ilse meurt subitement. "Un livre comme une vie se brise" écrit-il, en proie à une douleur qui frappe au cœur le lecteur. Comme en écho à cette vie déchirée, la dernière partie de son autofiction, poignante et inoubliable, se déroule pour parler d’un deuil insupportable, de la culpabilité et de son amour indéfectible pour sa femme. Un ouvrage magistral et superbe qui vous glace le sang. Ilse, comme rendue à la vie, nous devient proche et nous bouleverse. Il faut noter aussi le style inimitable de l’auteur : vivant, déstructuré, constitué de phrases courtes, de répétitions, de lapsus et de jeux de mots.
Auteur trop rare, Serge Doubrovsky a frappé un grand coup lors de la sortie du Livre brisé en 1989. Un livre scandaleux qui est aussi le récit d'un auteur pris au piège de son propre livre, "un livre monstre". A l'époque, le très flegmatique Bernard Pivot s'en prend même à l'auteur, dans son émission Apostrophe : "Vous avez poussé votre femme au suicide... [Mais] je ne dis pas que vous l'avez tuée sciemment". Ce à quoi, Doubrovsky rétorque : "Il a fallu me traîner, me sortir de mon lit pour venir jusqu'ici." La réaction cinglante de Pivot ne se fait pas attendre : "Vous voulez que je me mette à pleurer?"
Serge Doubrovsky, Le Livre brisé, éd. Grasset, 542 p.