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• • Articles et blablas - Page 303

  • Montargis la Chinoise [3] : "Dans mes bras, monsieur le maire de Montargis !"

    Après la mort de Mao, qui se souvient de la place qu'a occupée Montargis dans la naissance du parti communiste chinois ? Sans doute d'abord les protagonistes eux-même, et à commencer par Deng Xiaoping. Lors de son retour en France en 1975, cette fois en visite officielle, l'ancien étudiant souhaite revoir Montargis et "[y] manger des croissants" ! Ce voyage emprunt de nostalgie n'aura jamais lieu mais son ancien employeur, la multinationale Hutchinson, retrouve la trace de son passage dans les années 20 (voir l'article précédent). Il s'agit d'une fiche archivée. Par ailleurs, Deng Xiaoping n'aura de cesse de rappeler l'importance de cette petite ville du Loiret dans l'Histoire de la Chine moderne. 

    En 1982, la France, socialiste depuis un an (et avec des ministres communistes au gouvernement), forme de grands espoirs au sujet de ce gigantesque pays, "sur le point de s'éveiller". Ce dernier est en passe de respirer après plusieurs décennies de guerres civiles, d'une révolution culturelle terrible, de programmes politico-économiques lancés à la hussarde et de purges au plus haut sommet de l'État. Des millions de morts ont accompagné la mue de cette région du monde. Deng Xiaoping, l'ancien petit ouvrier de Montargis est à la tête de l'État et s'apprête à le moderniser contre vents et marées. Le "Socialisme à la chinoise" se voit mâtiner d'un libéralisme a priori contre-nature, ce qui ne semble pas troubler outre-mesure le pragmatique Deng : "Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, le plus important est qu'il puisse attrape des souris", affirme-t-il avec conviction. 

    Un voyage officiel est organisé en cette année 1982, rassemblant maires de grandes villes et industriels influents. Deng Xiaoping met une condition à ce voyage : que parmi les invités crânement présents figurent Max Nublat, le modeste maire (communiste) de Montargis. La journaliste Sylvie Braibant raconte avec verve et talent cet événement digne d'un film :  "Max Nublat (...) fit sa petite valise, grimpa dans l'avion réservé à l'imposante suite française, fut placé un peu derrière les autres. Après l'atterrissage et alors que tous s'apprêtaient à descendre, des officiels chinois pénétrèrent dans la carlingue, très affairés, et demandèrent à tout le monde de se rasseoir, à l'exception de "Monsieur le maire de Montargis". Très étonné, et même légèrement inquiet, il passa donc devant tout le monde : au bas de la passerelle, sous une banderole de bienvenue déployée à son nom, une somptueuse limousine attendait. Il fut embarqué toutes sirènes hurlantes vers le Palais impérial. Là, les portes s'ouvrirent les unes après les autres. Dans la dernière pièce, un homme attendait tout sourire et les bras ouverts. Deng Xiaoping dit "dans mes bras Monsieur le maire de Montargis" et il serra bien fort contre lui un Max Nublat au bord d'une double apoplexie, physique et psychique."

    Ému et nostalgique, Deng Xiaoping se souviendra longtemps d'anecdotes survenus cinquante ans plus tôt à Montargis : l'apprentissage de la valse dans un dancing, La Gloire (devenu un hôtel et restaurant étoilé), un PV récolté pour le non-fonctionnement du feu rouge d'un vélo ou le souvenir d'une collègue d'atelier aux yeux de couleurs différentes : "Impossible qu'il ne soit pas allé à Montargis", témoignera le maire de l'époque après coup.

    Trente années se sont passées depuis cet événement diplomatique. Après la mort de Deng Xiaoping en 1997, les relations étroites entre la Chine et Montargis ne sont pas laissées lettre morte, loin s'en faut. Difficile à placer sur une mappemonde, la petite ville du Loiret tente cependant de cultiver cet héritage, non sans arrière-pensée économico-touristique. Timidement, des initiatives se font jour pour capitaliser sur les relations sino-montargoises : circuit touristique, musée de la Chine au 15 rue du Tellier (anciennement 15 rue du Pont de l'Ouche, un site qui avait servi de résidence à de jeunes Chinois), manifestations culturelles sous l'égide d'une ambitieuse association Amitiés Chine-Montargis et de sa charismatique présidente, Peiwen Wang.   

    Comment conclure cette série d'article sur les liens hors normes qui unissent une modeste ville française et une superpuissance ? Peut-être en évoquant un dernier protagoniste.

    René Dumont, candidat aux élections présidentielles de 1974, était le fils de la directrice du collège du Chinchon, un des lieux d'accueil d'étudiants chinois.  Du même âge que Deng Xiaoping, "l'homme au pull-over rouge" se lia d'amitié avec Cai Chang, agronome réputée et future vice-présidente de l'Assemblée nationale de son pays. Plus de cinquante ans après la venue de Li Shizheng, venu en France étudier l'agronomie, c'est René Dumont qui entreprend plusieurs voyages en Chine sur le même sujet. Il constate là-bas les évolutions agricoles de la réforme agraire chinoise de 1949, non sans naïveté ni aveuglement d'ailleurs ("Saluons le dévouement des dirigeants chinois à l’intérêt national et à celui des travailleurs", écrit-il). Il en retire des enseignements sur l'agronomie marxiste ("Une autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure, sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine"). Il en vient à affirmer, en utopique patenté, ses convictions sur la nécessité d'une révolution mondiale... écologique. 

    Ce voyage d'un Montargois dans le pays de Deng Xiaoping, avec en arrière-fond l'agronomie chère à Li Shizheng, peut être lu comme un formidable pied de nez du destin. C'est aussi une manière fascinante de boucler la boucle de cette aventure humaine, sur fond de révolutions.

    Un remerciement particulier à Peiwen Wang

    Sylvie Braibant, "De Montargis à Pékin : le grand bond en avant", janvier 2013
    Jérôme Perrot, "Montargis, l'étape secrète de la Révolution chinois",
    Humanité Dimanche, 16-22 octobre 2014
    Régis Guyotat, "Montargis, berceau de la Chine nouvelle",
    Le Monde, 9 septembre 2006 
    Alexandre Moatti, "René Dumont : les Quarante ans d'une Utopie",
    La Vie des Idées, 11 juillet 2014
    Association Amitié Chine-Montargis
    Musée de la Chine, 15 rue Tellier, Montargis

    Voir aussi les deux articles précédents :
    Montargis la Chinoise [1] : Naissance d'une idée
    Montargis la Chinoise [2] : Deng Xiaoping et d'autres jeunes gens ambitieux

  • Montargis la Chinoise [2] : Deng Xiaoping et d'autres jeunes gens ambitieux

    Il existe une photographie historique des années 20 illustrant ce qu'a pu être la naissance du parti communiste chinois à Montargis. Ici, la grande histoire rejoint la petite histoire, comme il a été dit dans l'article précédent.

    Sur ce cliché, une vingtaine de jeunes Chinois posent dans un jardin. On trouve parmi eux Cai Hesen et son amie Xiang Jingyu. Il y a aussi Li Fuchun, Cai Chang et Ge Jianhao, la propre mère de Cai, en fuite de son pays pour avoir refusé la tradition des pieds bandés. Des commentaires ont situé cette photo au sud de Paris, voire à Fontainebleau. En réalité, c'est bien à Montargis que ce cliché a immortalisé la scène, et plus précisément au Jardin Durzy, toujours visitable. 

    C'est là, au coeur de ce modeste parc, que le théoricien historique Cai Hesen ainsi que son amie Xiang Jingyu, font part à Montargis de leurs thèses "pour sauver la Chine et le monde". Nous somme dans les journées des 6 au 10 juillet 1920. Ceux qui étaient jusqu'alors de paisibles étudiants expatriés se révèlent des idéalistes passionnés, près à changer le monde. Révolutionnaire, le Mouvement Travail-Etudes l'est à plus d'un titre. Non contents de se former à des techniques modernes destinées à développer leur pays, de jeunes hommes et de jeunes femmes (la mixité étant là aussi nouvelle) découvrent aussi, dans le pays qui les accueille quelques temps, la liberté, l'expression politique mais aussi les idées marxistes qu'ils vont assimiler et chercher à développer dans leur pays : "Sans la France, je ne sais pas dans quelle obscurité nous serions" affirmait ainsi le théoricien Chen Duxiu

    Le 13 août 1920, soit un mois après les discours de Durzy, Cai Hesen fait part à Mao Zedong, de sa proposition de créer un parti communiste ambitieux, révolutionnaire, uni et organisé (cette lettre est consultable sur ce lien). "Mon vœux c'est que tu prépares notre Révolution d'Octobre", écrit-il à son ami : dictature du prolétariat, appui de la Russie léniniste et "aspect internationaliste" sont les jalons de ce programme politique. Il est à noter que cette idée intervient six mois avant le congrès de Tours qui voit la scission de la SFIO française et la naissance du parti communiste français. A la demande de son ami Cai, Mao, qui n'a jamais quitté la Chine, lui adresse une carte postale. Sur celle-ci, visible dans le Musée de la Chine de Montargis, le futur Grand Timonier indique son accord pour la création d'un parti communiste chinois. Un an plus tard, en juin 1921, se réunit à Shanghai le premier congrès du PCC. 

    Mais un autre personnage fait son apparition dans cette histoire. 

    Deng Xiaoping a tout juste 16 ans lorsqu'il vient lui aussi se former à Montargis. Jeune homme issu de la petite bourgeoisie de son pays, il est recruté en 1922 puis en 1923 dans l'usine Hutchinson qui retrouvera trace de son passage des décennies plus tard, sous le nom de "Teng Hi Hien". L'ouvrier est fiché comme un employé jugé peu fiable : "A refusé de travailler. Ne pas reprendre" ! (voir la photo ci-joint)

    Le voyage en France du futur dignitaire marque profondément ce jeune homme gai et agréable, qui est passé par la Normandie avant de découvrir la misère des ouvriers du Creusot. Au cours de ses études à Montargis, il fait une autre rencontre décisive : celle de Zhou Enlai, conquis lui aussi par les idées marxistes... mais aussi grand amateur de tennis.   

    Pendant le séjour de Deng,  Cai Hesen et Xiang Jingyu sont retournés en Chine afin de se lancer dans la lutte de leurs idées. Mais ils sont arrêtés, torturés et exécutés en 1928 et 1931.

    La suite de l'aventure communiste chinoise appartient à quelques-uns de ces jeunes Chinois ambitieux et profondément marqués par leur séjour dans cette petite ville du Loiret : Deng Xiaoping, le futur dirigeant de la Chine moderne, Chen Yi, ministre des affaire étrangères sous le Général de Gaulle ou Li Fuchun, qui deviendra vice-premier ministre et théoricien de la Chine moderne. 

    Des décennies plus tard, on se souviendra du passage de ces hommes et de ces femmes à Montargis...

    Suite et fin ici...

  • Montargis la Chinoise [1] : Naissance d'une idée

    Pourquoi Montargis est-elle la plus chinoise des villes françaises, au point d'être reconnue jusqu'à Pékin ?

    Un visiteur qui débarque dans cette modeste sous-préfecture du Loiret pourrait être étonné par des plaques touristiques en français et en mandarin, disséminés dans différents endroits de la ville, balisant un parcours touristique consacré à ce pays lointain. D'autres traces d'une influence chinoises existent : une place Deng Xiaping en face de la gare SNCF de la ville, la statue en bronze de Li Xiao Chao représentant  "L'enseignant, dit Monsieur le Maître" sur la place du Patis, le petit musée de la Chine inauguré en septembre dernier par Liu Yandong, vice-présidente de la République populaire de Chine et numéro trois du régime, sans compter le nouvel an chinois, qui est fêté ce week-end en grande pompe. Dans son édition du 16 au 22 octobre 2015, L'Humanité Dimanche soulignait, de son côté, la tradition déjà ancienne de l'apprentissage du mandarin à Montargis, plaçant cette ville en tête dans la Région Centre  pour l'apprentissage de cette langue. L'association locale "Amitié Chine-Montargis" est une preuve supplémentaire de liens hors du commun qui relient Montargis et un pays de plus de 1,3 milliards d'habitants. Mais, au fait, pourquoi cet engouement pour ce pays lointain, dans une ville où les communautés asiatiques se montrent plutôt discrètes ?

    L'histoire de cette relation est si exceptionnelle que le bloggeur – lui-même montargois – ne pouvait pas ne pas y consacrer plusieurs articles.

    Nous sommes au début du XXe siècle. À l'époque, dans la Chine impériale, pauvre et aux structures sociales archaïques ("médiévales", diraient certains), Li Shizeng, issu de la grande bourgeoisie chinoise, se rend en France afin d'y étudier l'agronomie. Paris est son premier port d'attache mais le jeune homme, de santé fragile, décide de s'en éloigner et de s'installer à la campagne.

    Il choisit Montargis, peu éloignée de la capitale en raison du chemin de fer et qui offre en plus l'avantage d'abriter l'École Pratique d'Agriculture du Chesnoy (l'actuel Lycée agricole du Chesnoy). C'est dans cet environnement propice que Li Shizeng créé à partir de 1912, grâce à la municipalité locale, mais aussi avec le soutien de son ami Sun Yat-sen, premier Président élu en 1912, un système révolutionnaire, le Mouvement Travail-Etudes.

    Novateur et avant-gardiste, le philanthrope voit dans cette organisation le moyen de former et d'éduquer de jeunes intellectuels de son pays. La France est en pointe dans l'agronomie, raison pour laquelle plusieurs centaines de Chinois rejoignent ce pays et la petite ville du Loiret. Tout est organisé pour favoriser l'intégration de ces jeunes gens, hommes et femmes (cette mixité est déjà en soi une vraie révolution !) : accueils dans les écoles de la région, hébergements chez l'habitant, recrutements dans des entreprises et des usines locales (dont Hutchinson). Certains ne repartiront d'ailleurs jamais.

    Mais ce qui n'aurait pu être qu'une histoire locale rejoint la grande Histoire. Une grande Histoire dont les protagonistes se nomment Cai Hesen, Xiang Jingyu, Chen Yi, Li Weihan, Li Fuchun, Zhou Enlai ou Deng Xiaoping et dont l'objet est la naissance du parti communiste chinois à Montargis...

    La suite ici...

  • Lectures au bout de la nuit

    Les insomniaques sont sans doute tombés au moins une fois sur l'émission télévisée Voyage au bout de la Nuit. Un véritable OVNI : sur D8, tous les jours, à partir de trois heures du matin, se produit en effet cette émission littéraire, sans doute la plus originale du PAF.

    Le concept de ce programme culturel est d'une simplicité évangélique. Dans un décor minimaliste, une personne, installée sur un divan confortable, lit une œuvre littéraire. Tout simplement.

    Ici, pas de commentaires autres qu'une présentation succincte de l'ouvrage, pas de présentateur jouant les Monsieur Loyal, pas de montages sophistiqués et pas d'auteurs invités (à l'exception de quelques artistes venant faire de temps en temps quelques piges : l'essayiste Philippe Meyer, l'acteur, auteur et réalisateur romancier Michael Cohen ou encore... Nabilla !).

    Pour Voyage au Bout de la Nuit, le cahier des charges est réduit à sa plus simple expression : un livre, un plan quasi fixe et un comédien, ou plus précisément une (jolie) comédienne.    

    Les artistes mis à l'honneur ne sont souvent pas des inconnus : Victor Hugo, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Conan Doyle ou Louis-Ferdinand Céline, dont le roman le plus célèbre a donné le nom à cette émission. 

    Aux sceptiques qui pourraient dire que Voyage au bout de la Nuit aurait plutôt mérité de se nommer Voyage au bout de l'Ennui, le bloggeur rappellera que ce divertissement culturel fait partie des programmes  historiques de D8 et pourrait bien s'ancrer définitivement dans notre paysage télévisuel. Une telle idée – un livre, une présence, une voix – est si simple que le miracle opère, même si aller au bout de chaque programme de lecture s'avère ardu. 

    De grands chefs d'œuvre de la littérature mondiale sont dépoussiérés et trouvent une autre vie et de petits joyaux oubliés sont dévoilés, par la grâce et le glamour d'une présence chaleureuse et apaisante.  

    À trois heures du matin, les insomniaques peuvent en tout cas trouver le plus intelligent et le plus séduisant spectacle qui soit à cette heure de la nuit. Culte, sexy et fascinant.

    Voyage au Bout de la Nuit, tous les jours sur D8, à partir de 3 heures

  • Le langage trahit-il la pensée ?

    montargis,café philo,loiretLe café philosophique de Montargis proposera sa prochaine séance le vendredi 30 janvier 2015, à partir de 19 heures, à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée, à Montargis. Le débat proposé portera sur cette question : "Le langage trahit-il la pensée ?"

    Il sera d'abord question au cours de cette séance d'une définition du langage et de son rôle. Le langage n'est-il qu'un simple véhicule de la pensée ? Peut-on dans ce cas là parler de "trahison" ou, au contraire, de "traduction" de la pensée ? Doit-il être vu uniquement dans une acception sociale, comme moyen de communication avec autrui ? Le langage peut-il avoir sa propre "vie", sa propre logique ? 

    Ce sont autant de questions qui pourront être débattues avec les participants du café philo, le vendredi 30 janvier, à 19 heures, à la Brasserie du Centre commercial de la chaussée à Montargis. La participation sera libre et gratuite.

    http://cafephilosophique-montargis.hautetfort.com

  • Bienvenue chez les ploucs

    Il y a quelques années, je tombais sur Cul-de-Sac le premier roman sombre et teinté d'humour noir d'un certain Douglas Kennedy (voir sur ce lien). 

    Ce polar marquant et culte, adapté au cinéma en 1997 par Stephan Elliott (Bienvenue à Woop Woop), a été republié en France en 2008 sous une nouvelle traduction et avec un nouveau titre, Piège nuptial. Et c'est la version bande dessinée que j'ai eu le plaisir de découvrir il y a peu. 

    L'histoire de ce piège démarre par la virée de Nick, un Américain en mal de voyage, parti découvrir  le bush australien. Il prend en stop Angie, une jeune et jolie autochtone, partie quelques semaines hors de son village, Wollanup, 53 habitants, ancienne cité minière abandonnée, perdue dans le désert (il faut faire 700 kilomètres pour trouver la première habitation). 

    Les deux routards sympathisent, voyagent, flirtent (beaucoup) et passent une première semaine dans une relative insouciance, avant que Nick ne se réveille du jour au lendemain dans une cahute, à Wollanup. Là, il apprend que ce village pauvre et poisseux, peuplé en majorité d'habitants en rupture de ban – de ploucs pour dire les choses autrement ! – va devenir son univers. Et pour cause : il a été marié à Angie, après avoir été kidnappé, drogué et amené à Wollanup. Personne ne tient à ce qu'il parte, à commencer par sa (nouvelle) femme qui a le plein soutien de sa famille, les "notables" de cette bourgade paumée. Nick ne peut compter que sur lui-même, mais aussi de la sœur d'Angie qui souhaite comme lui fuir au plus vite cet endroit. 

    Christian de Metter a mis en image, avec talent, l'histoire de ce piège nuptial cauchemardesque. Les personnages baignent dans une ambiance glauque où l'humour noir est présente. Graphiquement, le travail sur les visages et les postures des personnages est remarquable. Et le lecteur qui connaissait déjà la version roman de Douglas Kennedy, découvrira avec plaisir l'adaptation BD, très cinématographique, qu'en a fait Christian de Metter.

    Christian de Metter, Piège nuptial, éd. Casterman 2012, 122 p.
    Douglas Kennedy, Cul-de-sac, éd. Folio, 292 p.
    Piège nuptial, éd. Belfond, 2008 (nouvelle traduction) 

    Voir aussi le forum sur le jeu interactif Wild is The Wind consacré
    à la petite ville imaginaire de Wollanup : http://wild-wind.forumactif.org

  • Le beauf à géométrie variable

    Durant les années 70, le dessinateur Cabu créait l'un de ses personnages les plus célèbres, le beauf. Le beauf, raccourci de "beau-frère", est ce personnage bedonnant et moustachu, caricature du Français moyen, un homme veule, stupide, raciste et bourré de certitudes (et aussi chanté avec férocité par Renaud).

    Après les attentats des 7 et 9 janvier 2015, qui ont vu l'assassinat du célébrissime dessinateur, cette triste créature a comme fait irruption dans notre actualité. Les beaufs ont montré de multiples visages consternants ces dernières semaines.

    Cela a commencé par les réseaux sociaux et les appels à la haine dès le lendemain des meurtres à Charlie-Hebdo, des discours que n'auraient pas renié la créature antipathique du génial et engagé Cabu (qui prévoyait d'ailleurs de créer un personnage plus contemporain, le fils du beauf). 

    Les beaufs se sont également manifestés pendant et après la Marche républicaine du 11 janvier. Ce pouvait être ceux se bousculant pour être sur la photo officielle des chefs d'Etat. Ceux affirmant la main sur le cœur être "Charlie"  le dimanche à Paris, avant de condamner le journal satirique le lendemain dans leur pays. Ceux criant au complot instrumentalisé (par les Américains et "vous savez qui...") . Ceux considérant que la sécurité du pays devraient passer par une restriction des libertés individuelles, voire de la liberté de la presse – qui a quand même été, rappelons-le, l'une des grandes victimes de ces événements. Ceux prenant ombrage des caricatures de la revue satirique le 6 janvier, avant de devenir des "Charlie" le 8 puis de retomber dans un discours prônant le délit de blasphème le 14. Ceux demandant que les "musulmans modérés s'expliquent" et désavouent ces actes, comme si l'on avait demandé en 2011 que les "catholiques modérés" – voire les blancs de souche – désavouent le carnage de Anders Behring Breivik en 2011  !

    Le beauf se tapit derrière tous ces visages. Il est à géométrie variable mais a pour dénominateur commun une bêtise et une pensée à court terme qui pourraient devenir explosifs si l'on n'y prend garde. La plus grande victoire des "fous de dieu" serait de voir notre pays s'enfoncer dans des affrontements idéologiques, attisés par les beaufs de toute origine et de toutes religions. À deux ans des élections présidentielles, le cynisme est grand pour de futurs candidats et candidates de profiter du "Je suis Charlie" pour avancer leurs billes : union derrière un étendard politique rassurant, nationalisme, lutte contre l'immigration, lois sécuritaires.  

    Une page blanche s'ouvre aujourd'hui après ces attentats et bien malin qui sait ce qu'il en ressortira : le chaos ou la grande réconciliation ? La crispation derrière des idéologies religieuses ou l'œcuménisme républicain ? Le courage de la liberté ou l'abandon public à quelque beauf politique ? 

    Christopher Caldwell, journaliste au Weekly Standard, rappelait qu'au lendemain du 11 septembre 2001, les Américains avaient réagi à l'attentat contre les tours jumelles par une union sacrée nationale, récupérée ensuite à des fins politiques et avec les conséquences que l'on sait : Patriot Act, guerre en Afghanistan ou guerre en Irak. Gageons que le beauf cher à Cabu ne rechignerait pas à ce glissement. Après l'appel unanime du "Je suis Charlie" (en écho au "Je suis Américain" du 11 septembre) , le journaliste américain nous appelle, nous, Français, à user de la seule arme qui vaille aujourd'hui : la raison. 

  • Que trouve-t-on dans Charlie ?

    Comme on pouvait s'y attendre, le numéro 1178 de Charlie Hebdo, numéro historique après l'attentat du 7 janvier 2015 puis la marche républicaine du 11 janvier, s'est arraché dans les kiosques. Mais au fait, qu'y trouve-t-on ?

    Les habitués de la revue, exceptionnellement moins fournie que les numéros précédents (8 pages au lieu de 16), peuvent retrouver les rubriques et les dessinateurs qui leur sont familiers, y compris Cabu, Wolinski, Charb, Honoré et Tignous – tous décimés le 7 janvier dernier sous les balles de terroristes djihadistes. La "Vie des jeunes" de Rihad Sattouf est aussi là, tout comme le strip de Charb, "Maurice et Patapon", les planches pleines de libibo et de jolies poupées de Wolinski et la fameuse dernière page "Les couvertures auxquelles vous avez échappé".  

    La verve, le talent, la provocation et l'humour potache sont bien présents, au point que ce numéro peut être qualifié "d'excellent Charlie Hebdo" (du moins c'est l'opinion du bloggeur).

    La couverture de ce numéro a été commenté à multiples reprises (y compris sur ce site). Elle a pu susciter incompréhension, émotion ou exaspération. La figure de Mahomet pleurant, avec à la main un panneau "Je suis Charlie", reste emprunt d'émotion et de dignité, même si le "Tout est pardonné" en titre peut offrir plusieurs grilles de lecture.

    L'éditorial ne pouvait s'ouvrit que sur le rappel d'une semaine folle qui a vu la plus décriée de nos revues devenir une figure de ralliement universel pour la liberté d'expression et la laïcité : "Les millions de personnes anonymes, toutes les institutions, tous les chefs d'État et de gouvernement (...) qui, cette semaine, ont proclamé « Je suis Charlie » doivent savoir que ça veut dire aussi « Je suis la laïcité »". Pour ceux qui en doutaient encore, la revue assume ce combat, qu'elle a payé au prix fort. Et Gérard Biard ne manque pas de rappeler que pendant des années, Charlie Hebdo s'est trouvé bien seul dans ce combat (avec le trop fameux : "je condamne... mais"). Pas d'angélisme donc - y compris après la communion républicaine du 11 janvier - mais une vigilance accrue ("Nous ne sommes pas dupes") et avec, en conclusion, une demande faite au pape : "Nous n'acceptons que les cloches de Notre-Dame sonnent en notre honneur que lorsque ce sont les Femen qui les font tinter" ! 

    Les articles de ce numéro exceptionnel sont autant d'éclairages sur l'attentat qui a ensanglanté le journal : Jean-Yves Camus traite des thèses fumeuses du complot qui fleurissent sur le net, destinées à dédouaner l'islamisme et à charger un pseudo complot judéo-américain ; une enquête de Laurent Léger nous parle des failles de l'antiterrorisme ; un article poignant de Sigolène Vinson s'attache à Lila, le cocker mascotte de la revue, rescapée elle aussi de la tuerie du 7 janvier ; un autre de Sylvie Coma est un cri à la vie et au courage, après la mort de ses amis de Charlie ("Crever, c'est assez chiant comme ça, pour qu'en plus on ait la trouille") ; Antonio Fischetti, Patrice Pelloux, Zineb El Rhazoui et Jean-Baptiste Theret  offrent également des témoignages émus et des des vibrants hommages à leurs amis assassinés ce 7 janvier 2015. Signalons également une lettre de Mathieu Madenian adressée à Charlie, une double page illustrée consacrée à la marche républicaine (avec ce cri de la flamme du soldat inconnu : "Je bande !") et un coup de projecteur de Solène Chalvon sur l'attentat contre Charlie vu de l'étranger.

    Il y a surtout ces articles et ces dessins qui prennent aux tripes car ils sont autant de testaments. Les caricatures hilarantes de Cabu : l'arrivée de gamins du "9-3" débarquant dans un camp djihadiste, d'anciens soldats de Dieu devant se reconvertir à Pôle Emploi ou le pape en train de donner la communion à des divorcées. Les planches colorées et littéraires de Wolinski, imaginant le sort réservé aux otages du djihad si ceux-ci ne doivent plus être rançonnés. Les personnages esquissées de Charb, reconnaissables entre tous avec leurs yeux globuleux et leur air perdu. Les dessins d'Honoré, superbes de réalisme et de sensibilité. Les caricatures bourrées d'humour noir de Tignous.

    Et puis, il y a ces deux autres articles. Le premier est une interview de Charb datant du 11 septembre 2011, juste après l'incendie des locaux de Charlie Hebdo, et dans laquelle il invite à faire disparaître des discours l'expression de "musulman modéré". Le second est un billet de Bernard Maris (Oncle Bernard) : "Quand « Charlie » avait 20 ans" retrace la ligne éditoriale du journal créé par Cavanna (disparu il y a un an, presque jour pour jour) : "La politique de Charlie est non violente et non haineuse. Elle est gaie."

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