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• • Articles et blablas - Page 6

  • Petite bibliothèque et Grande Librairie

    Si vous avez déjà Le Mystère Henri Pick de David Foenkinos, ce n’est pas grave. Sinon, c’est encore mieux. L’adaptation en bande dessinée de l’un de ses livres les plus célèbres, Le Mystère Henri Pick (éd. La Boîte à Bulles) revient sur une de ses intrigues les plus singulières, naviguant entre un coin paumé de Bretagne et le Paris bobo et culturel. Pascal Bresson, au scénario, et Ilaria Tebaldini, au dessin, ont commis le tour de force d’adapter une histoire attachante à plus d’un titre, mêlant histoire d’amour, secret de famille et plongée dans la nomenklatura éditoriale parisienne.  

    L’une de ces intellectuelles, Delphine Despero, jeune éditrice chez Grasset, a le nez fin lors d’un week-end en Bretagne dans sa famille. Elle vient présenter à ses parents Frédéric Koskas, son ami et modeste écrivain. Au cours de son séjour, elle entend parler d’une bibliothèque municipale présentant un rayon de manuscrits refusés et déposés par des auteur⸱e⸱s. Elle s’y rend et tombe sur un roman dont le titre - Les dernières heures d’une histoire d’amour - l’indique. Lecture faite, Delphine sort convaincue qu’elle est tombée sur un best-seller. L’auteur, un certain Henri Pick, est connu dans la région comme un modeste pizzaiolo qui n'a jamais montré aucune âme d'artiste ou d'intellectuel. Il est décédé depuis. Alors que le roman fait le buzz, le mystère reste entier sur cet Henri Pick. Quel secret cachait-il ? Et surtout, est-il l’auteur du fameux roman ?

    Une belle histoire d’amour et d’artiste

    Évidemment, il est impossible d’en dire plus sur cette intrigue devenant vite une enquête menée par un journaliste du Figaro, aux faux-airs de Michel Houellebecq – Michel Houellebecq que l’on croise par ailleurs au début de la bande dessinée. Autre caméo, celui de David Foenkinos, l’auteur du roman, lui-même. Le lecteur attentif le trouvera au milieu du plateau de La Grande Librairie, alors que son animateur François Busnel prépare l’interview de la veuve d’Henri Pick.

    Cette histoire de manuscrit inédit devenu livre à succès s’intéresse aussi et surtout au choc des cultures entre le milieu feutré de l’édition et celui plus simple et sans prise de tête d’une petite ville à la campagne. Toutes ces personnes se croisent mais ont du mal à se comprendre, à l’image de l’interview pour La Grande Librairie.

    Pascal Bresson a réussi une belle adaptation du roman de David Foenkinos. Il a été aidé en cela par le pinceau d’Ilaria Tebaldini, croquant quelques figures réelles du monde des livres. Au réalisme, elle préfère appuyer sur les traits pour accentuer les expressions. Un soin particulier a été apporté aux paysages et décors – la Bretagne, Paris. Le lecteur se laissera prendre par ce qui est finalement une belle histoire d’amour et d’artiste.

    Pour celles et ceux qui avaient tout de même lu le roman de David Foenkinos, ne boudez pas votre plaisir et allez redécouvrir ce qui est sans doute l'uns des meilleures histoires de l'écrivain. 

    Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini, Le Mystère Henri Pick, éd. La Boîte à Bulles, 2024, 176 p.
    D’après un roman de David Foenkinos
    https://www.la-boite-a-bulles.com/album/670/content/53
    https://www.facebook.com/people/Pascal-Bresson-BD/100012233622350
    https://www.instagram.com/ilaria.tebaldini.art 
    https://www.facebook.com/david.foenkinos 

    Voir aussi : "La bibliothèque des auteur·e·s inconnu·e·s"
    "David Foenkinos, son œuvre"

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  • In vino veritas

    Soyons sérieux. Ces 50 histoires lunaires sur le vin n’ont pas pour ambition de dresser un tableau de l’œnologie, ni de faire une chronologie de l’histoire de la vigne et du vin, ni surtout de faire preuve d’érudition pour impressionner le lecteur ou la lectrice. Quoique ! En parlant d’érudition, Fabrizio Bucella n’en manque pas. Mais il la manie avec humour et dans un style enlevé. L’OVNI qu’il nous propose (Objet Vinicole Non Identifié, éd. Hachette) se veut avant tout une histoire d’amour sur une boisson vieille de plusieurs millénaires, souvent admirée autant que critiquée. Et aujourd'hui en danger à cause du réchauffement climatique. 

    L’ouvrage, illustré par Théophile Sutter ("L’Immortel"), propose cinquante chroniques sans ordre chronologie. Ces courts textes montrent que le vin a, de tout temps, suscité admiration, rejet, fascination et a réussi à devenir un marqueur de raffinement, de luxe, voire de signe extérieur de richesse. En tout cas, c'est un sujet de passion, pour ne pas dire de fascination pour ses amateurs et amatrices. Loin d’être un ayatollah de la dive bouteille, Fabrizio Bucella a choisi de parler du vin par le petit bout de la lorgnette.

    Chacune de ses chroniques n’aura de cesse d’intriguer : pourquoi Châteauneuf-du-Pape a-t-il interdit de survol de son territoire les soucoupes volantes ? (après tout, l’ouvrage se nomme OVNI…), James, Bond était-il un fieffé alcoolique – en plus d’être espion et tombeur de ces dames ? Napoléon buvait-il du Chambertin ? Comment l’église s’en est-elle prise aux charançons ?

    Rien de très sérieux a priori. Sauf que...

    "Comment parler des vins qu’on n’a pas bus ?"

    Sauf que Fabrizio Bucella propose aussi des chroniques à la fois courtes et pertinentes sur des sujets plus sérieux. Comment les Romains buvaient-ils leurs vins ? Pourquoi le roi Scorpion (roi égyptien vers 3200 av. JC) s’est-il fait enterrer avec 700 jarres de cet alcool princier ? Pourquoi le vin est-il d’abord arrivé en Europe ? Comment Bordeaux est-elle devenu la capitale de l’œnologie ? L’histoire est au cœur de ce livre. La science aussi. Fabrizio Bucella explique l’importance chimique de la levure dans la fabrication du vin. Il parle de l’apport capitale de Roger Dion dans la compréhension de l’œnologie. Plus étonnant encore, un chapitre sur l’umami explique en partie le succès quasi magique d’une boisson dont le succès n’a jamais été démenti.

    Jamais ? C’est là que l’auteur s’interroge. Réchauffement climatique oblige, le vin serait-il un danger ? Sans doute. En tout cas, il est à la croisée des chemins ("Est-ce la fin du vin ?").    

    Outre des planches mêlant considérations sérieuses ("Comment bien accorder les plats et les vins ?") ou pas ("Comment parler des vins qu’on n’a pas bus ?") et illustrations potaches (non sans jeux de mots et calembours), Le livre consacre plusieurs pages sur l’opéra et le vin (Faust, La Traviata ou La Bohême pour les œuvres les plus connues).

    Pas de prise donc de tête pour cet ouvrage savoureux. Les illustrations très pop et bourrées d’humour, elles aussi, font de ce livre une délicieuse en matière à l’approche des fêtes où le champagne coulera à flot, cela va sans dire. 

    Fabrizio Bucella & Théophile Sutter, OVNI Objet Vinicole Non Identifié, 50 histoires lunaires sur le vin,
    éd. Hachette Vins, 2024, 192 p.
    https://www.hachette-pratique.com/livre/ovni-objet-vinicole-non-identifie
    https://www.instagram.com/fabrizio.bucella
    https://www.facebook.com/prof.fabrizio.bucella
    https://www.instagram.com/theophilesutter

    Voir aussi : "Vins et vignobles, des Gaulois à la Ve République"

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  • Trio percutant

    Fascinant, culotté et exceptionnel que l’album Alliages, le premier du Trio Xenakis. Il a été enregistré en public le 15 décembre 2023 au studio de l’Orchestre National d’Île-de-France à Alfortville. Comme son nom l’indique, le Trio Xenakis nous emmène tout droit dans l’univers de la musique contemporaine. Adélaïde Ferrière, Emmanuel Jacquet et Rodolphe Théry, tous trois aux percussions, proposent un programme constitué de pièces représentatives de compositeurs actuels ayant tous en commun d’avoir bousculé l’espace sonore et de faire de la musique un matériau brut se permettant toutes les audaces.

    Prenez la première pièce, 24 Loops de Pierre Jodlowski. Il donne à écouter ici un ensemble de séquences s’empilant (le compositeur français parle "d’écriture cumulative"), donnant à cette pièce de 2007 une série de pulsations singulièrement vivantes – et non-dénuées d’humour.

    Autre compositeur français vivant, Philippe Hurel est présent dans ce programme avec Ritual Trios, datant de 2018, composé de "trois miniatures", comme le dit le musicien. Derrière l’apparent désordre sonore, Philippe Hurel propose trois pièces à l’écriture fine et épurée. À la facture orientalisante du Ritual Trio I succède une élégante ronde semblant rendre hommage à l’enfance (Ritual Trio II). La dernière miniature fait, elle, une large place au silence et à la méditation. Les rythmiques s’effacent, les sons s’éclaircissent et l’apaisement vient (Ritual Trio III).   

    Le Trio Xenakis démontre tout son savoir-faire dans l’art de construire des architectures sonores riches et vibrantes

    Plus connu, Steve Reich est présent dans un de ses exemples de musique répétitive, caractéristique dès les premières secondes. Marimba Phase a été écrit en 1967. Un morceau déjà ancien, donc, mais qui n’a pas pris une ride. Le Maître américain fait se succéder des séquences harmoniques sur plus de 17 minutes. La répétition n’est qu’apparente car, au fur et à mesure de la progression, des déphasages et des changements parfois infimes se produisent dans le rythme, donnant toute sa saveur et son intérêt à cet opus phare du courant minimaliste américain. Plus récent (1994), Nagoya Marimbas utilise des sons japonais (elle a été commandée et créée en 1994 pour l’inauguration d’une salle du conservatoire de musique de Nagoya), au service du même langage répétitif.

    Restons au Japon avec Yoshihisa Taïra (1937-2005), compositeur nippon naturalisé français. Trichromie, composé en 1992, ce sont les percussions au service d’un langage à la fois actuel et ancestral. Le Trio Xenakis, qui ne cache pas son amour pour cette pièce, s’en empare avec une énergie mystique. Yoshihisa Taïra prouve que la création contemporaine n’est surtout pas un genre tournant le dos au passé. Bien au contraire, elle s’y nourrit et y trouve même de nouvelles formes de langages sonores.

    Iannis Xenakis (1922-2001) ne pouvait pas ne pas être présent dans ce premier album d’un trio qui a choisi de se baptiser sous son nom. Précisions aussi que b.records propose avec le livret de l’album la reproduction d’une estampe du compositeur grec. Okho, écrit en 1989, autre œuvre emblématique du trio français, est joué ici sur des djembés. Cela donne à cet opus une puissance tribale incroyable. Là encore, le Trio Xenakis démontre tout son savoir-faire dans l’art de construire des architectures sonores riches et vibrantes.

    Clapping Music : quelle autre œuvre que celle-là pouvait conclure ce programme de musque contemporaine ? Steve Reich, de nouveau présent ici, fait de ce gimmick sonore popularisé dans les stades de football une singulière œuvre reprenant sa grammaire minimaliste. Tout à fait fascinant, d’autant plus que l’album est servi par une prise de son impeccable, en particulier dans les trois œuvres de Steve Reich.

    Alliages, Trio Xenakis, b•records, coll. Trio Xenakis, 2024
    https://www.b-records.fr/alliages
    https://www.facebook.com/trioxenakis/?locale=fr_FR
    https://www.singer-polignac.org/fr

    Voir aussi : "Touchés !"
    "Hanni Liang et les voix (féminines) du piano"

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  • Tout l’univers (de Tolkien)

    Les fans de Tolkien se précipiteront sans aucun doute sur ce volumineux dictionnaire – quitte à se le faire offrir pour les Fêtes. Cette édition du Dictionnaire Tolkien (éd. Bragelonne), refondue, révisée et augmentée, est la troisième édition, après celles de 2012 et 2019. À la tête de cet ouvrage, il y a Vincent Ferré, professeur universitaire et auteur de nombreux ouvrages sur l’auteur du Seigneur des anneaux. Il supervise également depuis vingt ans les traductions en français des œuvres de J.R.R. et Christopher Tolkien. Bref, un pedigree indispensable pour s’attaquer, sous forme de dictionnaire, à l’œuvre immense et géniale de Tolkien - mais aussi à son auteur. À ce titre, l’ambition de l’ouvrage est généreuse : "Ce dictionnaire rapproche le monde Secondaire (fictionnel, inventé) et le monde Primaire dans lequel J.R.R. Tolkien a vécu, comme étudiant, puis officier pendant la Première Guerre mondiale, enseignant à Oxford pendant trente-cinq ans et philologue, comme père ou comme lecteur… [De plus, il] entend renforcer les liens entre lecteurs et chercheurs, universitaires ou non."

    De A comme "Adaptations cinématographiques" à W comme "Joseph Wright", philologue anglais influent, en passant par "Bilbot", "Gandalf", "Modernité" ou… "Seigneur des Anneaux", les amoureux et/ou spécialistes de Tolkien trouveront dans ce dictionnaire de quoi nourrir leur connaissance d’un univers prodigieux, sans doute unique dans toute l’histoire de la littérature.  

    Parlons déjà de la vie de Tolkien mais aussi celle de sa famille. Il n’y a qu’à aller à la lettre "T" et ses nombreuses entrées autour de "Tolkien", que ce soit l’auteur ou les membres de sa famille ("Tolkien écrivain", "Tolkien illustrateur", "Tolkien, Adam Revel", "Tolkien, Arthur Reuel", "Tolkien, Baillie", "Tolkien, Christopher Revel", "Tolkien (née Bratt), Edith", "Tolkien, Hilary Arthur Reuel", "Tolkien, John Francis Reuel", "Tolkien, J.R.R. : enfance et jeunesse", "Tolkien, Mabel", "Tolkien, Michael Hilary Reuel", "Tolkien, Priscilla Mary Reuel"). Plusieurs items s’intéressent également aux inspirateurs de l’écrivain ("Owen Barfield"). En dépliant une à une les entrées, le lecteur trouvera quelques réponses à des interrogations singulières pour l’auteur du Seigneur des anneaux, devenu hyper-tendance et hyper moderne : "Conservatisme : Tolkien était-il conservateur ?" La question de la modernité de Tolkien fait du reste l’objet d’un autre article de Thomas Honegger ("Modernité"), alors que Vincent Ferré lui-même s’interroge sur l’influence du Moyen-Âge dans l’œuvre de l’écrivain britannique.

    Tolkien a créé de toute pièce un univers, avec ses mythologies ("Grande Vague", "Légendes et mythe(s), mythologie"), ses légendes ("Guerre de l’Anneau"), sa géographie ("Fleuves et rivières", "Forêts", "Montagnes" "Géographie imaginaire" sans oublier la "Terre du Milieu"), ses langues imaginaires ("Langues inventées") et même ses objets typiques ("Objets", "Herbe à pipe", "Vêtements"). Plus étonnant encore, on y trouve une entrée autour de l’"Économie en Terre du Milieu". 

    Certaines entrées sont de véritables écrits d’exégèse

    Les auteurs consacrent de nombreuses pages aux livres les plus emblématiques de Tolkien – Le Seigneur des anneaux, Le Hobbit, Le Silmarion – mais aussi aux nombreux ouvrages moins célèbres – "Feuille de Niggle", "Finn and Hengest", "Guerre des Joyaux" – sans compter un item sur les "Manuscrits et textes inédits" et un autre sur les "Poèmes de Tolkien". Les illustrateurs John Howe et Alan Lee ont également leur place – sans oublier l’item "Illustrateurs [de l’œuvre de Tolkien]".

    Le dictionnaires ne pouvait oublier les personnages créés par Tolkien, qu’ils soient connus (Gandalf, Golum, Bilbo, Saruman, Boromir, Sauron) ou non (Ælfwine, le trio Ainur, Valar et Maiar ou Tom Bombadil). Sans oublier les Ents, les Géants, les Hommes, les Orques ou les Elfes, un sujet constituant plusieurs entrées sur près de quinze pages auxquelles  il faut ajouter les personnages elfiques (les entrées "Elrond", "Galadriel", "Gil-galad").  

    Certaines entrées sont de véritables écrits d’exégèse, à l’instar d’"Épopée et dimension épique", "Philologie", "Allégorie et applicabilité" ou le long article sur "Beowulf" par David Ledanois ("Ce poème vieil-anglais représente l’une des plus importantes inspirations de Tolkien. Datant des VIIIe-XIe siècles, il est l’un des rares survivants d’une tradition narrative pré-chrétienne dont l’absence et la reconstitution étaient pour Tolkien sujets d’étude et de création"). Citons aussi cet étrange terme, "Eucatastrophe". On laissera au lecteur le soin de découvrir la nature de ce mot inventé de toute pièce par Tolkien himself. Un autre article s’intéresse à la question de savoir si le Seigneur des Anneaux, le Hobbit ou Le Silmarion sont ou non des ouvrages d’aventure ("Évasion, une littérature d’ ?"), à moins qu’ils ne s’apparentent au conté de fée ("Faërie"). Bien entendu, la fantasy n’est pas oubliée.

    On sera surpris par certaines entrées a priori décalées, à l’instar de "Boisson et sociabilité". D’autres thématiques, plus ou moins développées, ont droit à leurs entrées : "Religion", "Grâce", "Liberté", "Temps", "Libre-arbitre", "Corps et apparences", "Destin [Le]", "Devoir [Le]", "Héroïsme", "Orgueil", "Politique", "Providence" ou encore  "Échec" ("L’échec, inscrit par Tolkien au cœur de la subcréation [sic] et des créatures, s’apparente à un destin, en dépit d’interactions problématiques avec le libre arbitre").

    L’influence de Tolkien dans la culture pop n’est pas oubliée : "Culture populaire", "Contes de fée", "Fan", "Jeunesse", "Jeux de rôles grandeur nature", "Jeux vidéo". Qui dit culture pop dit "adaptations cinématographiques" (au passage, Peter Jackson a son entrée), un sujet longuement détaillé et critiqué, parfois de manière cinglante. Citons aussi – parce que ce sont des sujets actuels – une entrée consacrée à Tolkien et à l’environnement ("Lectures écocritiques : Tolkien et l’écologie") et une autre autour du féminisme ("Lectures féministes et gender studies"). Plus inattendue mais finalement logique étant donnée la popularité de Tolkien, le lecteur trouvera un article sur les "Parodies" qui ont essaimé.

    Voilà un ouvrage de référence, très impressionnant et très riche. Le lecteur trouvera sur plus de 800 pages de quoi se régaler et s’instruire sur un des plus grands auteurs du XXe siècle.

    Bref, comme nous le disions, voici une excellente idée de cadeau pour les fêtes de fin d'année. 

    Vincent Ferré, Dictionnaire Tolkien, éd. Bragelonne, 2024, 816 p.
    https://www.bragelonne.fr/catalogue/9791028113056-dictionnaire-tolkien
    https://www.tolkiendil.com/tolkien/sur-tolkien/dictionnaire-tolkien
    https://www.jrrvf.com

    Voir aussi : "Tolkien breton"
    "Avant Frodon, Bilbo et Gandalf"

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  • Rimbaud, le vrAI du faux

    Qui était vraiment Rimbaud ? Que reste-t-il de lui ? Quelques (vraies) photos, une correspondance et surtout une œuvre brève (Une saison en enfer et Les Illuminations, sans compter de nombreux poèmes en vrac). Pour autant, son importance et son influence sur la littérature est exceptionnelle. Précurseur de la poésie moderne, Arthur Rimbaud a produit une œuvre révolutionnaire avant ses 20 ans. Il abandonne définitivement la poésie en 1875, jusqu’à son décès en 1891 à l’âge de 37 ans.

    C’est sur les années 1870-1875 que se concentre la biographie de Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant (éd. Gallimard), c’est-à-dire de son premier séjour à Paris – qui se termine en prison – jusqu’au décès de Vitalie, la jeune sœur de Rimbaud. Ce deuil marque aussi la fin de sa carrière littéraire.

    Cinq années dans une vie. C’est peu et suffisant pour parler de l’œuvre de Rimbaud. L’auteur consacre cependant une préface pour évoquer les années d’enfance d’un garçon vivant pauvrement à Charleville-Mézières, surdoué à l’école et se distinguant en latin et en rhétorique, sans compter ses talents en poésie qui impressionnent un de ses professeurs, Georges Izambard. Rimbaud veut devenir journaliste et poète. Mieux, il veut y apporter un souffle nouveau. Ce ne sera pas sans mal. 

    Le lecteur sera effaré de découvrir un Rimbaud déjà globe-trotteur, alors qu’il n’est même pas majeur : l’Ardennais ne se contente pas de chercher l’aventure et la réussite à Paris où il n’a, au départ, aucun contact personnel. Ses pas le mènent de la Belgique à Londres, en passant par Stuttgart ou Milan, avec toujours un pied de chute chez sa famille à Charleville-Mézières. Sa mère, femme dure et exigeante, se montrera à plusieurs reprises bienveillante pour son fils volontiers frondeur – et le mot est faible.

    En réalité, Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre. L’histoire d’amour entre Rimbaud et Verlaine est connue et elle fait l’objet ici de nombreuses pages. Ce que l’on sait moins c’est à quel point le tout jeune homme fait tourner la tête du poète, de dix ans son aîné. Le lecteur découvre un Rimbaud insupportable, tapageur, bagarreur, insultant, un "monstre" qui obsède l’auteur des Fêtes galantes. À l’époque, Paul Verlaine est marié. L’histoire d’amour (un "drôle de ménage") entre les deux hommes est triste et moche. Rimbaud a une forte influence sur son amant et le pousse à délaisser sa femme, tout en le soudoyant à plusieurs reprises afin de profiter des pécules du ménage.

    Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre

    Peut-on parler de Rimbaud comme d’un pervers narcissique ? Impossible de se prononcer définitivement mais beaucoup d'éléments le laissent à croire. En tout cas, Verlaine, tout en admirant le génie de son ami (c’est à lui que l’on doit la premier publication des Illuminations en 1886) perd pied à plusieurs reprises. Il le suit dans sa soûlographie – à l’absinthe notamment – et part même du jour au lendemain le suivre en Belgique alors qu’il allait acheter des médicaments pour sa femme souffrante. Nous sommes en juillet 1872. Il finit par complètement vriller un an plus tard, à Bruxelles, en tirant sur Rimbaud. Le jeune homme s’en sort avec une vilaine blessure, Verlaine écope d'une peine de prison d’un peu plus de deux ans. Le coup de revolver marque la fin d’une relation tumultueuse entre les deux poètes mais aussi le début de la légende. 

    Luc Loiseaux enrichit son essai de poèmes mais aussi d’extraits de correspondance. L’œuvre de Rimbaud éclaire certains passages de son existence et ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage. Le Rimbaud visionnaire et parfois obscur devient un jeune homme torturé, par exemple lorsqu’il parle d’une histoire de cœur déçue dans Les Déserts de l’amour. Citons aussi cette jeune fille de notables de Charleville-Mézières qui a rejeté le jeune poète ou encore cette "fille aux yeux violets qui l’a suivi dans [une] fugue" ("O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux", écrit-il pour une personne qui l'a longtemps obsédé. Le célèbre "Je est un autre" pourrait tout aussi bien être, pour l’auteur, autant une interrogation sur son identité et son homosexualité qu’un rappel d’un épisode traumatisant durant la Commune de Paris. C’est un Rimbaud sans fard qui nous est dévoilé, un poète hypersensible, insupportable, génial, odieux, précurseur et égoïste.

    Pour le rendre plus actuel, Luc Loiseaux a choisi les nouvelles technologies. Une première photo – celle de la couverture – a fait le buzz en 2023 sur les réseaux sociaux. On y voyait un jeune homme déambulant dans les rues de Paris, un soir pluvieux. Le cliché est net – sans doute trop ! – et beaucoup d’internautes ont cru à la découverte d’une photo inédite. Luc Loiseaux, artiste aux multiples talents – écrivain, musicien, graphiste, photographe, conférencier –, a poursuivi sur cette voie en proposant de fausses photos vieillies pour illustrer les chapitres de cette biographie. Gageons que les éditions Gallimard ont d’abord été sensibles à cette utilisation – certes critiquable – de l’IA. En réalité, ne nous trompons pas : le vrai apport de ce livre réside dans les cinq années capitales d’Arthur Rimbaud grâce au passionnant texte de Luc Loiseaux.   

    Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant, éd. Gallimard, 2024, 272 p.
    https://www.facebook.com/luc.santiago 
    https://www.gallimard.fr/catalogue/rimbaud-est-vivant/9782073081759 

    Voir aussi : "À fleur de Poe"
    "Rimbaud, sors de ce corps"
    "C’est le plus dandy des albums"
    "Sonnets pour ce siècle"

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  • Une part manquante

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Une part manquante. Il sera visible du 4 au 10 décembre. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 10 décembre 2024 à 20H30.

    Tous les jours, Jay parcourt Tokyo au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily. Séparé depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde. Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et qu’il s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi…

    Une part manquante, drame belge de Guillaume Senez 
    avec Romain Duris, Judith Chemla, Mei Cirne-Masuki, 2024, 98 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1503
    https://www.hautetcourt.com/films/une-part-manquante 
     
    Voir aussi : "L’Affaire Nevenka"

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  • La croisière (militaire) s’amuse

    Coups de roulis, l’opérette en trois actes d’André Messager (1853-1929), nous entraîne dans un univers bien éloigné des intérieurs bourgeois parisiens des ces œuvres classiques des premières années du XXe siècle. Coups de roulis a été créée au théâtre Marigny en septembre 1928. Se basant sur un livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, le compositeur français situe son théâtre lyrique sur un croiseur de guerre, Le Montesquieu, à quelques jours de Noël.

    Les marins se réjouissent déjà de leur future permission et de ce qu’ils vont bien faire (l’entrée en la matière C’est Noël dans quelques jours…). La famille et surtout les fiancées et les filles de passage sont leurs principales préoccupations mais les projets sont anéanties à cause d'une visite impromptue : celle du haut-fonctionnaire Puy-Pradal ("Adieu, veau, vaches et cochons") venu enquêter sur le mauvais état de la marine française. La colère des militaires est réelle et ils entendent bien ne pas se laisser faire ("C’est lui qui paiera, Qui écopera / On lui apprendra / On lui montrera / Qu’on n’a pas le droit de faire / À des pauvr’s Permissionnair’s / Un’ blague aussi sévèr’ que ça !").

    Une femme arrive dans ce jeu de quille masculin : il s’agit ni plus ni moins que la fille du parlementaire, Béatrice, qui est aussi secrétaire "de son papa", Puy-Pradal himself. Alors que l’inspection de cet incapable commence, non sans les protestations de l’équipage lésé (Quand on n’a pas le pied marin, Acte 1), la sémillante secrétaire est courtisée par Gerville, le commandant du Montesquieu, mais aussi par le lieutenant Kermao qui ne la laisse pas insensible (le troublant et chavirant Duo du roulis).

    Évidemment, la romance (Ce n’est pas la première fois, Acte II) ne peut aller qu’en couacs, coups de roulis et arêtes coincés au fond du gosier, à commencer par la disparition impromptue du commissaire politique tombé dans la cave du navire (Finale de l’Acte I). Kermao voit également le commandant lui griller la politesse et entreprendre la jeune fille. 

    Une histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis politico-sentimentaux

    La suite de l’histoire passe par l’Égypte et voit l’arrivée de l’actrice Sola Myrrhis, ancienne maîtresse de Gerville, bien décidée à une conclure une union avec le politique Puy-Pradal afin de mener à bien ses projets artistiques à la Comédie Française. Fine tacticienne, elle compte sur l’aide de son ex-amant. Pendant ce temps, Béatrice continue à être courtisée par les deux officiers, Kermao et Gerville, ce dernier obtenant la bénédiction du père de la jeune fille. Tout ce petit monde va s’affronter, se séparer et finalement se réconcilier dans le troisième et dernier court acte, non sans voir la politique mettre un point final à ces amourettes et autres entregents.  

    Cette opérette, remise au goût du jour, est riche de ces airs que l’auditeur n’est pas prêt d’oublier, à commencer par le joyau qu’est Quand on a les femmes (Acte II), à la misogynie certes datée mais tellement irrésistible ("On peut être un très grand marin / Et manœuvrer un grand navire, / C’est bien plus dur, / J’ose le dire / De manœuvrer et de conduire / Un tout petit cœur féminin", Acte III). Parlons aussi de cet émouvant chant d’un officier déjà âgé constatant le temps qui passe (La quarantaine, Acte III).

    Pour cette opérette endiablée et peu connue, la représentation au Théâtre de l’Athénée en mars 2023 s’est malicieusement enrichie d’une voix off qui guide le récit, non sans la parsemer d’humour.  

    Il faut aussi saluer des interprètes (Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard et la délicieuse Irina de Bachy dans le rôle de Béatrice) prenant à bras le corps l’opérette de Messager, insufflant dans cette histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis maritimo-politico-sentimentaux un mélange de légèreté et de convictions (le superbe air de Béatrice "Tous les deux me plaisent").

    Disons-le, il fallait une sacré audace pour proposer un enregistrement de cette œuvre lyrique beaucoup moins à l’eau de rose que ne le laisse suggérer l’histoire qui égratigne autant les hommes (Rondeau de l’Acte III) que les politiciens (Finale de l’Acte III). Il n’y avait sans doute qu’un seul compositeur français capable de proposer un théâtre lyrique mêlant facture offenbachienne (Finale de l’Acte II, Ensemble dans l’Acte III), musique naturaliste ("Voilà que je roule… je roule ci. Je roule là…", Acte I) et influences orientalisantes (Chœurs et couplets en ouverture de l’Acte II). Une sacrée découverte, récréative et pleine de légèreté. 

    Coups de roulis, opérette d’André Messager,
    livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, b•records, coll. Les Frivolités parisiennes, 2024

    Avec Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard, Christophe Gay (baryton), Irina de Bachy, Clarisse Dalles (contralto), Orchestre et Chœur des Frivolités Parisiennes, direction Alexandra Cravero
    https://www.b-records.fr/coups-de-roulis
    https://www.facebook.com/B.recordsParis
    https://www.instagram.com/b.records 

    Voir aussi : "Beethoven, Intégrale, Première"
    "Oui, je suis la sorcière"

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  • Nos existences abîmées

    C’est par la Fantasy qu’a commencé la carrière de Mélissa Perrot-Marquez, plus précisément le premier tome d’Aëlys, L’éveil d’une indocile (éd. Le Lys Bleu), sorti il y a deux ans. On pouvait s’attendre donc à un autre opus, sinon de cette facture, du moins versant dans le fantastique. Or, même si le fantastique est bien présent dans La demeure des oubliés, il l’est d’une manière singulière.

    L’auteure situe son récit 20 ans en arrière, en 2003. Une époque qui nous paraît lointaine. L’Internet n’était pas encore généralisé, les plateformes télé n’existaient pas et les portables n’étaient pas encore ses smartphones multi-usages. Par contre, la misère sociale était déjà réelle et c’est justement le sujet du roman s’apparentant à du fantastique social.  

    Mathilde et Benoît forment un jeune couple amoureux mais aussi paumé. Sans travail, vivotant comme ils le peuvent grâce à un petit trafic de drogue, ils trouvent leur salut grâce à une maison que leur prête en plein hiver les services sociaux d’une petite ville du sud. C’est une demeure délabrée sur plusieurs étages qui leur suffit, au moins provisoirement. Jusqu’au jour où d’étranges bruits se font entendre. Aucun doute : la demeure est hantée. 

    Maison abîmée et habitée

    Sur un peu plus de 180 pages, c’est une lente descente aux enfers que propose Mélissa Perrot-Marquez. La maison abîmée et habitée est bien entendu une allégorie de l’existence de ces deux marginaux totalement paumés. L’auteure a su parfaitement rendre l’ambiance poisseuse, d’autant plus que, rapidement, c’est dans le huis-clos de la demeure que se terre Mathilde, la véritable personnage principale du livre.

    Les chapitres s'égrainent au fil des journées, des semaines et des mois interminables – mais qui devront bien s’achever un jour où l’autre car les locataires devront rendre les clés au printemps. Soit trois mois dans une ambiance terrifiante. Entre débrouillardise, recherche de quelques euros pour affronter la dèche, gestion de leur petit business de dope, l’existence de ces "oubliés" devient vite un cauchemar. Les manifestations surnaturelles viennent se rappeler à leurs bons souvenirs. On en saura guère plus sur ces esprits, sinon que deux hommes sont morts dans la maison quelques temps plus tôt.

    Là n’est pas l’essentiel, dit en substance Mélissa Perrot-Marquez qui porte avant tout son attention sur deux pauvres hères, parfois agaçants mais souvent attachants, aussi perdus et oubliés que les fantômes dont ils partagent les murs.    

    Mélissa Perrot-Marquez, La demeure des oubliés, autoédition, 2024, 181 p.
    https://www.amazon.fr/Demeure-oubli%C3%A9s-M%C3%A9lissa-Perrot-Marquez/dp/B0D6851VB9/ref=sr_1₁
    https://www.facebook.com/melissaperrotmarquez
    https://mperrotmarquez.wordpress.com
    https://www.instagram.com/melissapm_autrice

    Voir aussi : "Une disparue encombrante"

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