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• • Articles et blablas - Page 90

  • La vie des plantes

    S’arrêter au bord d’un torrent, grimper une colline, déambuler entre les allées d’un jardin familial, se perdre dans des forêts, ramasser des branches mortes ou gambader sous des chênes : Sophie Loizeau fait de la nature le fil conducteur de son recueil Les Épines rouges (éd. Le Castor astral). Cette nature est vécue à hauteur d’homme – et de femme.

    Le parti pris de l’auteure est de faire de ces textes un hommage à des plantes mal-aimées, "maltraités") et parfois menaçantes, dans un livre où la sensualité affleure à tout moment : "À Célesteville Virginia et moi sommes sur la plage / je la regarde délasser ses bottines / remonter sa robe s’avancer vers l’océan". Sophie Loizeau insuffle une singulière modernité dans ces textes où elle parle de déambulation en pleine nature : "Je cherche le silence mystique dans les forêts sans Freddy Krueger".

    L’auteure tire de ses souvenirs, dans la maison familiale d’Arnouville dans les Yvelines, une poésie essentielle, lorsqu’elle parle par exemple d’elle "toute rayonnante encore d’orgasmes" après avoir fait l’amour. Le jardin et la nature sont indissociables de la vie intime et familiale, avec l'évocation du père mourant, de la mère en mules ou de la grand-mère Eugénie. Il y a aussi cette sœur évoquée à plusieurs reprises : "En fait je ne me pardonne pas / sœur nantie d’avoir / vécu au contraire dans une bien / heureuse innocence / l’innocence crasse des animaux comme moi : c’est que j’ai pu être totalement dénuée de culpabilité".

    Sophie Loizeau part des ronces, les plantes les plus méprisés sans doute, pour construire une série de chants plongeant tout entiers dans une nature à la fois simple, proche et exigeante. "Qu’est-ce de dire je suis / l’égale de l’arbre (saule pin noyer) à cette seconde / féconde que je suis/ solidaire / et pas supérieure / à part lire & écrire". 

    Va-et-vient entre la nature et l’amour

    La poétesse fait des va-et-vient incessants entre observations de plantes ("Je suis Rubus fruti / cosus épineux des Rosacées je produis le / mûron") et textes où l’auteure se met en scène : "Au dictaphone ai-je fait j’étais sans stylo au bord de la rivière à voix basse de peur qu’on me lève".

    Le cœur des Épines rouges bat à chaque page, entre souvenirs d’enfance ("Ma sœur m’accuse de l’avoir jetée petite aux orties – aux ronces"), propos sur la mort ("Seule voilà ce qu’à moi sa mort m’a fait / il n’y a pas d’autre rupture que celle-là"), le sexe et l’amour ("On donne à entendre que la « petite graine » du mâle chez l’humain est l’étincelle / un échange de cellules sexuelles de part et d’autre").

    Un passage illustre ce va-et-vient entre la nature et l’amour : "Je me fais belle car je sais que JF sera là (peut-être) et qu’il aime que je sois en jupe / il y a trente ans le cerisier tout de suite à droite du jardin quand on arrive n’offrait rien avant août / ses cerises blanches étaient des olives en attente de chaleur jaunes d’or – pâles elles sont un peu amères / à la mi-juin on les croque". Le regret et l’amertume affleurent à chaque page comme l’écrit l’auteure : "Est-ce que je mourrai plus douloureusement / d’être poète à la vue des cercueils / j’aurais dû me consacrer à lire à ma mère / tout le temps de sa mort".

    Outre un singulier calligramme, il y a des descriptions poétique rarement écrites sur nos amies les plantes, des plantes incarnant la puissance des femmes : "La Gynescrie mi-femme mi ronce / ses dents vibrionnent dans sa bouche / – ce qui altère son langage / et ses baisers plusieurs autres forment / en petit des chaînes / de pics ou Femme de la lune (woman in the moon)". L’art est omniprésent dans un recueil qui s’interroge sur la représentation de la femme : "Redon la beauté de vos sarments fleuris d’un rouge mimosas qui pourrait bien être des flocons de viande crue".

    L’auteure complète ce recueil par un bestiaire "par ordre d’apparition", qu’elle a vu, raconté ou simplement rêvé mais aussi une palette chromatique, établie comme pour faire une nomenclature technique – et poétique. La deuxième partie, Feue, la nature fait place à l’élément du feu, avec toujours ces souvenirs d’enfance, la campagne, la nature et des émois remontant à la surface.  

    Mes cahiers de Malte forme la troisième partie du livre, avec ces textes écrits en 2020, tel un journal en friche : "Mon jardin périclite / il meurt d’une mort qui excède mon amour / qui l’impatiente". Sophie Loizeau ne manque pas de faire référence à l’incendie de Notre-Dame et à sa restauration : "Abattage des mille chênes suite à l’élection des huit pour refaire la forêt de Notre-Dame et partie de la flèche selon le plan de Viollet à l’identique ces cons – je vote pour une qui soit comme à Reims en béton".

    Sophie Loizeau, Les Épines rouges, Biographie d’une âme, éd. Le Castor astral, 2022, 136 p.
    https://sophieloizeau.wordpress.com
    https://www.castorastral.com/livre/les-epines-rouges

    Voir aussi : "Ça caille les belettes"

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  • Vas-y Joe, vas-y fonce

    Je vous avais parlé il y a quelques jours de la reprise de "Joe le Taxi" par Juli Chan.

    Voilà une autre reprise du tube de Vanessa Paradis, cette fois par Tiphanie Doucet. L’artiste choisit d’en faire une revisite électro-pop, au rythme groove, servi par une jolie voie délicate.

    Tiphanie Doucet n’est pas tout à fait inconnue du public français : actrice à la télévision (Le Bébé d'Elsa, Chante), elle est aussi chanteuse et danseuse, constamment sur scène ou en tournée, sur les plus grandes scènes de France ainsi qu’à la Télévision derrière David Guetta ou Prince.

    Après ce "Joe le Taxi" séduisant, on est impatient de découvrir son futur album.

    Tiphanie Doucet. Joe le Taxi, single, 2022
    https://www.tiphaniedoucet.com
    https://www.facebook.com/tiphaniedoucet
    https://www.instagram.com/tiphaniedoucet
    @TiphanieDoucet

    Voir aussi : "Juli le Taxi"

     

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  • Dans la dèche

    Et si je vous disais que la série sociale la plus percutante nous vient d’Amérique ? C’est la plateforme Netflix qui la propose : Maid de Molly Smith Metzler, avec Margaret Qualley (Mon année à New York) dans le rôle-titre, conte sans pathos mais avec réalisme, le parcours d’une jeune femme, obligée de faire des ménages pour subvenir à ses besoins et ceux de sa fille Maddy. 
    Alex Russell, 25 ans, avait sûrement bien d’autres rêves dans sa vie que celle d’une séparation douloureuse, d’une bataille avec son ex pour s’occuper seule de sa fille et d’un métier peu reluisant.

    Lorsqu’elle quitte le domicile conjugal après une dispute de trop, c’est pour tomber dans la dèche et devoir assumer des contraintes écrasantes : un budget toujours plus serré, la recherche d’un domicile, trouver un travail et surtout préserver le mieux possible son enfant. Il faut aussi compter sur une mère ingérable et complètement à l’ouest, interprétée par Andie MacDowell ou par un père à la fois calme, gentil et singulièrement rejeté.

    Fulgurances poétiques

    "Je ne comprends pas trop ce qui m’est arrivé", confie un moment Alex, qui parvient cependant à garder la tête haute et à trouver dans ce métier ingrat de femme de ménage une nouvelle dignité.

    On entre dans la vie d’Alex qui elle-même entre dans celle d’inconnus et d’inconnues : une femme richissime dont la vie va se fragmenter ou la maison d’un cambrioleur qui ravive des souvenirs. Maid parle aussi de l’entraide entre femmes, de féminisme, de la pauvreté aux Etats-Unis mais aussi des blessures intimes et indicibles, à l’image de la mère d’Alex.

    Citons enfin les fulgurances poétiques, à l’exemple de l’épisode 8, lorsqu’Alex traverse une période où tout fout le camp.

    Lorsque les Américains osent le social, cela peut donner ce genre de petits bijoux, à la fois cruels et d’une très grande humanité. De quoi aimer Alex, notre meilleure amie. 

    Maid, série dramatique américaine de Molly Smith Metzler, avec Margaret Qualley, Andie MacDowell, Nick Robinson, saison 1, 10 épisodes, Netflix
    https://www.netflix.com/fr/title/81166770

    Voir aussi : "Mon année Salinger"
    "Patinage pour les filles, hockey pour les garçons (et inversement)"

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  • Infirmière d’entreprise 

    Rouge, annonce le film de Farid Bentouli, sorti en pleine pandémie. Rouge comme les boues d'une entreprise déversées en toute impunité dans la nature. Rouge comme la couleur syndicale que porte fièrement le père de Nour qui vient d’être embauchée comme infirmière de l’entreprise où il travaille depuis des années. Rouge aussi comme la passion que va mettre la jeune femme dans une cause à la fois juste et difficile pour elle. Voilà une infirmière d'entreprise devenant lanceuse d'alertes.    

    C’est dans un hôpital que commence le récit de Rouge, un film de Farid Bentoumi inspiré d’une histoire vraie, celle de l’usine de Gardanne. Nour (Zita Hanrot, César 2016 du meilleur espoir féminin pour Fatima) fait face à une urgence dont le spectateur finira pas comprendre les tenants et les aboutissants, même s’ils n’occupent pas le cœur de l’histoire.

    La carrière de la jeune femme prend un virage à la fois imprévisible et rassurant pour elle : elle est recrutée dans une usine chimique où travaille son père, par ailleurs délégué syndical. C’est un retour pour elle dans la famille tout autant que la découverte d’un travail a priori moins stressant que celui d’infirmière hospitalière. Sauf que Nour découvre un secret bien gardé : celui du rejet de boues toxiques depuis des années. Une enquête est menée par une journaliste, avec qui l’infirmière prend contact, au risque de détruire l’équilibre familial. 

    La lutte est si âpre que Rouge prend l’allure d’un thriller à la Erin Brockovitch

    On connaissait Goliath et cette lutte contre une multinationale. Avec Rouge, nous voilà dans une histoire qui se passe à hauteur d’hommes et de femmes. Le spectateur suit Nour, une infirmière bouleversée par son ancien travail et qui reprend pied dans un nouveau poste, au milieu des siens. Il y a le père, le toujours excellent Sami Bouajila, en ouvrier engagé et dévoué à son entreprise. Il y a la sœur aimée (Alka Balbir) qui s’apprête à se marier. La découverte des petits arrangements d’une multinationale ressemble à une lutte du pot de fer contre le pot de terre. Il y a de l’héroïsme chez l’infirmière sensible et passionnée, remuée aussi par les témoignages recueillis par Emma (la formidable Céline Salette) et se trouvant du jour au lendemain dans le rôle de lanceuse d’alertes, sans le vouloir vraiment.

    Engagé, Rouge l’est, bien évidemment : écologie, capitalisme, libéralisme, pollutions, syndicalisme. Les sujets sociaux et économiques embrassés sont au cœur de l’histoire. Mais il y a aussi la trame familiale et sociale, avec ces ouvriers trimant juste pour vivre, faisant fi de leur santé et des conséquences sur l’environnement. La lutte, on le devine, est si âpre que le film prend aussi l’allure d’un thriller à la Erin Brockovitch. Avec une Zita Hanrot formidable de justesse.

    Les infirmières d’entreprise ont décidément trouvé leur héroïne, pour ne pas dire leur modèle.

    Rouge, drame social franco-belge de Farid Bentoumi, avec Zita Hanrot, Sami Bouajila, Céline Sallette,
    Olivier Gourmet et Alka Balbir, 86 mn, 2020

    https://www.advitamdistribution.com/films/rouge

    Voir aussi : "Nourrir son monde"

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  • La fille de la porte d’à côté

    Figure marquante de la bande dessinée italienne, Fumettibrutti signe avec P. mon Adolescence trans (éd. Massot) le deuxième volet d’un récit autobiographique commencé avec le remarqué Romanzo esplicito (Feltrinelli Comics, 2018), récompensé chez nos amis transalpins du le Prix Micheluzzi de la meilleure première œuvre.

    Il faut remarquer que le lecteur français qui n’aurait échappé au premier tome pourra découvrir sans difficulté ni frustration P. mon Adolescence trans.

    Fumettibrutti démarre son récit au moment de ses quinze ans. Il ou elle a quinze ans, fréquente un lycée sans grande motivation, pense aux garçons, se fait draguer, fume, fait l’amour et aussi dessine. P. Fait de son corps à la fois une carapace, un objet de désir et de séduction mais aussi toute la problématique de son identité : en refusant de citer son prénom civil, P. marque d’emblée ses interrogations : fille dans le corps d’un garçon,  Fumettibrutti– littéralement "bédémoches" – raconte comment P. suscite critiques, rejets, incompréhensions mais aussi attirance y compris chez les jeunes hommes hétérosexuels. 

    "Si on arrêtait tout ça et qu’on acceptait les différences ?"

    Comment dépasser cette adolescence rythmée par des relations toxiques, des produits euphorisants, des rendez-vous dans des lieux interlopes, des insultes et surtout un corps qui ne correspond pas à l’identité de P. ?

    Le coup de crayon rageur et efficace de l’auteure sert une histoire faite de saynètes ordinaires (dans un salon de coiffure, en boîte de nuit, dans la rue ou dans une salle de classe), de déambulations, d’échanges via les réseaux sociaux ("La fille de la porte d’à côté" est son pseudo) et surtout d’un parcours personnel autour de l’intime et de l’identité.

    Ce deuxième tome marque de ce point de vue d’une forme d’aboutissement, avec un message humaniste  venant non pas de P. mais d’un médecin :"Si on arrêtait tout ça et qu’on acceptait les différences ?"

    Fumettibrutti, P. mon Adolescence trans, éd. Massot, 2022, 208 p. 
    https://www.facebook.com/fumettibrutti
    https://www.instagram.com/fumettibrutti
    https://massot.com/collections/mon-adolescence-trans

    Voir aussi : "24 heures dans la vie d’une femme"

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  • Rammstein en version classique par le Duo Jatekok

    Adapter en version acoustique et classique Rammstein, le groupe de rock metal allemand le plus emblématique de la scène mondiale : voilà un  projet qui ne pouvait qu’interloquer Bla Bla Blog. C’est le Duo Jatekok, formé par les pianistes Nairi Badal et Adélaïde Panaget, qui s’est attelé à la tâche.

    À bien y réfléchir, le projet a du sens si l’on pense à l’intrusion de sons symphoniques chez Rammstein ("Mein Herz Brennt" ou "Ohne Dich"). De plus, les fans du groupe allemand savent que les deux pianistes assurent depuis 2017 leur première partie. Ce pont entre deux courants musicaux, a priori aussi antinomiques que le metal et le classique, est à saluer. Le résultat est ce Duo Jatekok plays Rammstein, un passionnant album de reprises qui sort cette semaine. Un opus qui ravira autant les fans du groupe de rock que les familiers du classique – deux mondes qui peuvent d’ailleurs parfois se confondre.

    Précisons aussi que le Duo Jatekok est l’auteur de trois enregistrements classiques et contemporains. Le premier, Danses, rassemble des œuvres de Grieg, Barber, Ravel et Borodine et le deuxième, Boys, propose des créations de trois hommes – comme son nom l’indique : Poulenc et sa sonate pour deux pianos, Points on Jazz de Dave Brubeck et trois pièces de Baptiste Trotignon.

    Impertinentes, précises et virtuoses, Nairi Badal et Adélaïde Panaget adaptent donc cette fois Rammstein pour leur nouvel enregistrement, à travers des revisites balayant toute la carrière du groupe, depuis leur premier album Herzeleid ("Seemann") jusqu’au Rammstein 2019 ("Puppe", "Diamant"), en passant par le fameux Sehnsucht  de 1997 ("Klavier", "Engel") ou Mutter ("Mutter", "Mein Herz Brennt") en 2001.

    Les musiciennes du Duo Jatekok étincellent dans ce projet instrumental (il manque évidemment, dans ces reprises, le texte des morceaux, que l'auditeur pourra retrouver dans les albums originaux ou live), projet qui séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique – qui pourront y trouver une porte d’entrée vers un des groupes les plus célèbres de la scène metal internationale. 

    Ce projet séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique

    La sonorité brute de Rammstein laisse place dans cet opus à une facture classique ou néoclassique, à l’image du fameux "Engel". Le duo met en valeur l’écriture harmonique et mélodique que l’interprétation originale très rock de Rammstein efface pour le moins.  

    Nairi Badal et Adélaïde Panaget entendent pour autant respecter l’esprit de Rammstein, que ce soit l’insouciance inquiétante de "Puppe" avec ces explosions de sons pianistiques, la puissance sombre de "Mein Herz Brennt" ou la ballade "Ohne Dich", une des chansons phares du répertoire de Rammstein sur le deuil, la mort et la solitude.

    L’inquiétant "Klavier" est, quant à lui, peuplé de fantômes, de portes ouvertes sur le mystère et d’une étrange pianiste. Les musiciennes de Duo Jatekok en font une lecture très contemporaine, onirique, mais non sans ce rythme dingue, servi par leur virtuosité remarquable.  

    "Frühling in Paris" est à saluer comme une superbe composition sur le souvenir d’une histoire d’amour ("Oh non je ne regrette rien / Wenn ich ihre Haut verließ / Der Frühling blutet in Paris"), l’un des plus beaux morceaux de album, lumineux et au souffle romanesque incroyable. Le titre est habité d’éclairs mélancoliques, à la tristesse insondable. L’influence d’Edith Piaf est évidente dans ce qui sonne comme un hymne à la France.

    "Mutter", lui, démarre doucement avant de trouver une puissance assez fidèle à Rammstein. Nairi Badal et Adélaïde Panaget font de ce morceau en hommage aux mères un bouleversant chant mêlant les regrets et la rancœur. Parlons aussi de "Diamant", sorti en 2019, qui a droit aussi à une revisite. Cette histoire d’amour toxique devient une ballade romantique très fidèle au titre original tout en retenue, mais son sans trouvailles sonores ni ce romantisme noir singulièrement plus présent dans cette version que dans l’original.

    Le morceau "Ausländer", inspiré par Prokofiev, parle de la découverte de l’étranger et de l’étrangère ("Ich bin Ausländer / Mi amore, mon chéri"). Le Duo Jatekok en fait une fantaisie plus romantique, mais tout aussi légère. Romantisme aussi, mais cette fois sombre, avec l’étonnante et bouleversante adaptation de "Seemann", un chant funèbre que les fans de Rammstein connaissent bien.

    L’album se termine avec "Sonne", tout aussi classique, adapté comme une marche lente et douloureuse, à l’image de l’œuvre originale, avec ces éclairs jazz qui en font un étourdissant voyage musical. 

    Duo Jatekok plays Rammstein, Vertigo, 2022, sortie en mai 2022
    https://duojatekok.com
    https://www.facebook.com/DuoJatekokOfficiel
    https://www.instagram.com/duojatekok
    http://www.rammstein.com
    https://www.rammsteinworld.com

    Voir aussi : "No Dames, no drames"

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  • Le petit monde de Yohann Le Ferrand

    Dans Yeko, Yohann Le Ferrand ouvre grand les bras à ses amis et amies. Il entend parler avec eux de partage, de générosité, d’humanisme, d’universalité, d’engagement et de cultures se répondant les unes aux autres.

    Le guitariste français, après des débuts en musique traditionnelle bretonne, s’est adjoint le compagnonnage de prestigieux artistes africains, particulièrement maliens, comme Mamani Keita, Salimata "Tina" Traoré, Khaïra Arby, Mylmo, Koko Dembélé, et Kandy Guira.

    "Yerna Fassè" ouvre le bal de bien belle façon avec ce mixte entre world music, traditions africaines et pop et rock énergique et endiablée avec Khaira Arby, "le rossignol de Tombouctou", chantant en langue sonraï le récit de cette caravane qui descend vers le sud pour distribuer le précieux sel.

    L’étincelant Yohann Le Ferrand fait preuve d’une énergie communicative avec Mylmo pour le titre "Doussoubaya" qui sort la world de ses retranchements en y insufflant un son urbain : "Lève-toi et ose !" proclame l’artiste aux "Mille mots" avec plein d’optimisme.

    La guitare de Yohann Le Ferrand se fait caressante dans le très beau "Dunia" avec  Salimata "Tina" Traoré, dans un message sur le combat et la résilience, on ne peut plus bienvenu dans cette période compliquée.

    Un instrument magique aux accents bouleversants

    Avec "Konya", nous voilà pleinement du côté de l’Afrique avec la voix unique de Mamani Keita. Il  y est encore question de résilience mais aussi de détachement face aux problèmes sociétaux liés à la jalousie.

    Tout aussi engagé,  Koko Dembélé, venu du pays Dogon, chante en cinq langues un hommage aux victimes du Mali avec un morceau exceptionnel et inoubliable : "Sauver". La guitare de Yohann Le Ferrand devient un instrument magique aux accents bouleversants, aux subtilités incroyables et à la puissance qui fait se dresser les poils de l’auditeur. Le duo que forment Koko Dembélé et Yohann Le Ferrand lance une alerte destinée à tous les décideurs afin de réagir face à la situation très critique en Afrique subsaharienne.

    "Yellema", avec Kandy Guira, vient compléter un album d’une générosité et d’un humanisme précieux. La voix dansante de Kandy Guira habite l’opus avec son énergie communicative et un message d’une brûlante actualité : quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? chante-t-elle en substance. 

    Yohann Le Ferrand, Yeko, Bam Production, 2022
    https://www.facebook.com/yohannleferrandyeko
    https://www.instagram.com/yohannleferrand_yeko

    Voir aussi : "Cet étrange Monsieur Klein"

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  • Tu passeras chez le proviseur

    Il n’est pas rare d’entendre, surtout dans le milieu professoral : "Il faudrait que je note tout ce que j’ai pu entendre pour en faire un livre". Finalement, bien peu ont mis cette idée en application, contrairement à Patrice Romain, ex-prof et ex-proviseur, qui signe avec Collégiens Casse-couilles (éd. de L’Opportun) un florilège de propos entendus durant sa carrière. L’auteur, qui avait déjà épinglé les Inspecteurs de l’Éducation Nationale (Inspecteurs Casse-couilles) présente ainsi ce recueil : "Deux sortes de collégiens atterrissaient dans mon antre éditorial : 1. les collégiens volontaires et déterminés qui s’exprimaient spontanément. 2. Ceux qui s’étaient fait prendre par la patrouille et qui, accompagnés par un assistant d’éducation, subissaient mon ire moralisatrice."

    Les témoignages de ces charmants – ou moins charmants – bambins sont à prendre comme des instantanés, sans commentaires, proposant une image en creux de notre jeunesse et, plus largement de la société.

    Il y a d’abord ces propos naïfs et crédules ("On a volé mon doudou pendant la récré !") qui peuvent aussi bien concerner les problèmes de discipline en classe, les altercations pendant les récrés ou encore les confidences sur la vie privée et familiale. "Ma mère, elle a accouché de moi, et ensuite, je ne l’ai plus intéressée", confie par exemple la petite Sylvaine. Une autre lance un appel à l’aide : "Monsieur ! Il faut que vous m’aidiez ! Mon père m’a fiancé !"

    "Ma mère, elle est partie faire la gogo danseuse dans le bar à putes du père d’un de ses élèves"

    En creux, Patrice Romain propose une série d’instantanées couvrant plusieurs décennies. Le lecteur pourra ainsi trouver des traces des années 90 (Britney Spears) à l’Internet (Wikipédia), en passant par les années 80 et le Covid ("Monsieur, si on ne fait pas nos devoirs pendant le confinement, comment ils vont faire, les profs, pour nous coller ?").

    Il y a autant du bon sens dans ces confidences que des aveux cash sur tel ou tel prof, sur la sexualité et les hormones qui titillent et plus généralement sur les relations entre collégiens ou entre adultes et enfants. Et évidemment, les incompréhensions sont légion : "On dirait que vous avez fait exprès de mettre tous les canons en 3B ! Et moi, évidemment, je suis pas dans cette classe !" se plaint par exemple le déjà ado Gustave.

    Moins drôle, on imagine l’impuissance du proviseur à l’écoute de cet autre aveu d’un élève de quatrième, surpris avec son téléphone en classe : "Je lisais mes messages pour voir s’il y en avait un de ma mère. Elle est à l’hôpital en phase terminale. Elle va mourir…"

    Le proviseur est en première ligne lorsqu’il est témoin du désœuvrement de certains enfants, que ce soit un divorce compliqué, la misère sociale, la violence domestique, la maladie, la délinquance ou les différences culturelles.

    Le bon sens de ces gamins n’est jamais aussi présent que lorsque les professeurs ou le proviseur lui-même sont évoqués par les élèves : "Elle est prof de sport, mais ça m’étonnerait qu’elle en fasse du sport !" confie par exemple la petite Kenza, en colère. Et on peut imaginer le proviseur rester pantois à l’écouter de cette confidence à peine croyable : "Ma mère, elle est partie faire la gogo danseuse dans le bar à putes du père d’un de ses élèves."

    Même un romancier n'aurait pas pu l'inventer. 

    Patrice Romain, Collégiens Casse-couilles, Les profs en voient de toutes les couleurs, éd. De L’Opportun, 2022, 288 p. 
    https://patrice-romain-60.webself.net/accueil
    https://www.editionsopportun.com/produit/738/9782380153231/collegiens-casse-couilles

    Voir aussi : "Mémoires d’une jeune fille rongée"

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