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Bandes dessinées et mangas - Page 12

  • La compassion sauvera le monde

    Manga et fiction, Invincibles (éd. Massot) est aussi et surtout un récit de vie scénarisé par Sofia Stril-Rever, spécialiste du Tibet et biographe du Dalaï-lama. La mise en images de l’histoire a été assurée par la mangaka japonaise Kan Takahama. On lui doit notamment l’adaptation de L’Amant de Marguerite Duras que nous avions chroniquée sur Bla Bla Blog.

    Invincibles, BD engagée, avec la figure du Dalaï-lama bien présente, conte d’abord l’histoire d’un combat personnel : suite à un attentat en plein Paris, Maya, 19 ans, se retrouve hospitalisée et gravement blessée. Elle a dû être amputée d’une jambe et doit commencer un combat douloureux pour accepter son handicap. Elle trouve son salut grâce à une vidéo Youtube dans laquelle le Dalaï-lama est interviewée par une certaine Sofia. Maya la contacte.

    Cette spécialiste du Tibet encourage la jeune femme à se reconstruire grâce à la méditation. La victime du terrorisme trouve en même temps une voie et un projet qui passe par la compassion, l’aide aux personnes touchées par l’amputation et aussi par le Tibet.

    Sofia Stril-Rever fait se rencontrer bourreaux et victimes

    Après s'être envolée en Inde pour y rencontrer le Dalaï-lama, contre toute attente Maya se lance dans un projet fou et dangereux : secourir au Tibet un résistant bouddhiste, devenu handicapé comme elle. La mission est hautement dangereuse dans un pays occupé par la Chine, impitoyable contre les Tibétains attachés à leur culture, à leur religion et au 14e Dalaï-lama .

    Sofia Stril-Rever et Kan Takahama ont intelligemment joué le jeu du manga et de l’intrigue romanesque pour diffuser des messages sur l’altruisme, la compassion, la reconstruction, le courage  et la générosité. Les auteures précisent que leur fiction est basée sur des faits réels, avec des personnages réels : il y a bien entendu le 14e Dalaï-lama, en fuite de son pays depuis 1959 et Prix Nobel de la Paix en 1989, mais aussi la dissidente Nyima Lhamoi ou le professeur Bernard Dubreuil. L’histoire du personnage fictif Lobsang Tenzin renvoie, quant à lui, aux nombreuses victimes des répressions chinoises au Tibet.

    Dans un manga alternant planches en couleur et en noir et blanc, Sofia Stril-Rever fait se rencontrer bourreaux et victimes, transmettant par là-même une série de messages engagés, certes difficiles à assimiler (le pardon, la compassion envers son agresseur) mais en tout cas essentiel "face aux crises actuelles". Des propos du Dalaï-lama résonnent avec force : "Ils sont la dernière génération à pouvoir remédier à la menace d’extinction actuelle. Le futur est entre vos mains."

    Kan Takahama et Sofia Stril-Rever, Invincibles, éd. Massot, 2021, 164 p. 
    https://massot.com/collections/invincibles
    https://savetibet.org
    https://www.dalailama.com
    https://www.bethelove.global

    Voir aussi : "Aung San Suu Kyi et les bouddhistes extrémistes"
    "Mon amant chinois"

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  • Les aventuriers de l'Arche perdue

    Sous sa facture faussement naïf, la dernière bande dessinée de l’Israélienne Rutu Modan, Tunnels (éd. Actes Sud), a la qualité des œuvres riches, intelligentes et plus subversives qu’il n’y paraît.

    Israël est si façonné par son histoire que l’archéologie tient une place capitale, et c’est justement cette science qui est au cœur de l’aventure que nous conte Rutu Modan.

    Nilli Broshi, mère divorcée, élevant tant bien que mal son fils Doc’, est aussi la fille d’Israël Broshi. Le vieil homme est devenu sénile, après une carrière brillante comme archéologue et des fouilles ambitieuses, mais aussi une brouille avec son confrère Motké, devenu un chef de département important.  

    Lorsque Nilli découvre une vieille tablette chez un collectionneur, elle sait qu’elle est sur la piste de l’emplacement de l’Arche d’Alliance. Deux problèmes se posent : organiser et financer des fouilles au nez et à la barbe de Motké, afin de poursuivre l’œuvre du père de Nilli et le faire en territoires occupés. La jeune femme se lance dans l’aventure avec Doc’ – plus intéressé par les smartphones que par les vieilles pierres (ce qui aura une importance non négligeable) – mais aussi son frère, plus circonspect sur ce projet.

    Projet archéologique ahurissant

    Rutu Modan déroule sur près de 300 pages cette histoire de projet archéologique ahurissant, mêlant aventure digne d’Indiana Jones, récit géopolitique autour du conflit israélo-palestinien, réflexions sur le patrimoine religieux et historique juif et conflit familial autour de l’héritage intellectuel et spirituel d’un archéologue grabataire, dont on ne sait pas de quoi il est conscient.

    L’humour grinçant est omniprésent dans cette histoire fourmillant de circonvolutions et de rebondissements : la vente de la collection privée de Monsieur Abouloff sous la pression de sa femme, le conflit avec le fonctionnaire et directeur de département Motké Sarid, le recrutement cocasse des ouvriers chargés des fouilles, sans compter la manière dont l’armée est mise à contribution. Il faudra aussi compter avec des Arabes perturbant les fouilles et l’intrusion de terroristes de l’État islamique. Rien que ça !

    La dessinatrice s’inscrit graphiquement dans la tradition de la ligne claire, avec une Nilli héroïque comme le célèbre reporter belge à la houppette, mais non dénuée de malice, et sachant utiliser des coups tordus pour arriver à ses fins. Ou du moins essayer.  

    Rutu Modan, Tunnels, éd. Actes Sud, 2021, 288 p.
    https://www.actes-sud.fr/catalogue/bande-dessinee/tunnels
    https://sites.google.com/site/artsandidentity/graphic-arts/rutu-modan

    Voir aussi : "Le léger problème du chômage"

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  • "Assez de bla bla" #2 : le dernier Lucky Luke

    La nouvelle chronique de « Assez de Bla Bla », diffusée sur la radio C2L est consacrée à la dernière BD de Lucky Luke, Un Cow-boy dans le Coton

    Merci à Pascal Weber pour ce super travail !

    "Assez de bla bla", les capsules de Bla Bla Blog
    http://www.c2l-radio.fr/-Entre-Loire-Loing-le-magazine-du-Gatinais-135-.html

    https://www.facebook.com/entreLoireetLoing

    Voir aussi : "Noir coton"

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  • Nouvelle histoire sans paroles de Frans Mensink

    CoquinNet-Lucinage-Visuel-1000pxl-rvb.jpgJe vous avais parlé il y a quelques semaines du premier tome de CoquinNet du très doué Frans Mensink.

    Le voilà de retour avec une nouvelle histoire sans paroles, sans bulles et sans textes,  Lucinage sur la Toile (éd. Tabou).

    Comme pour le précédent ouvrage, consacré à un drone particulièrement intrusif, l’auteur place son intrigue érotique au cœur des nouvelles technologies.

    Il s’agit cette fois encore d’une héroïne, Lucie, partie vagabonder sur un site de rencontre, à l’insu de son mari. Là, elle fait la connaissance avec une autre utilisatrice, Heidi. La rencontre en réel pourra-t-elle avoir lieu, et tiendra-t-elle toutes ses promesses ? Et surtout à quel prix ?

    Construire une histoire uniquement sur des images est en soi une gageure. Frans Mensink assume complètement son parti-pris grâce à son coup de crayon subtil, son découpage cinématographique, des couleurs douces, le sens de la mise en scène et aussi un solide sens de l’humour. Les corps féminins sont, quant à eux, dévoilés et mis à l’honneur. De l’érotisme pur jus qui se lit d’une traite. 

    Frans Mensink, Lucinage sur la Toile, CoquinNet, éd. Tabou, 2021, 56 p. 
    http://www.tabou-editions.com
    https://www.deviantart.com/fransmensinkartist

    Voir aussi : "Montre-le mais ne dis rien"

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  • Des personnages de contes de fée complètement allumés

    trif,celestini,blanche-neige,raiponce,érotisme,sexe,conte,sorcièreVoilà un conte pour enfants à ne pas mettre entre toutes les mains.

    Pour leur Intégrale Blanche-Neige (éd. Tabou), Trif et Celestini se sont emparés du célèbre personnage pour en faire une joyeuse farce érotique, dans lequel les princesses aux tailles de mannequin attendent le Prince Charmant, s'avérant être un homme aux intentions peu sages. La magie s’efface au profit de scènes d’étreintes à la fois grivoises, amusantes et non sans perversité.

    Peu de personnes ignorent l’histoire de Blanche-Neige, dont sa belle-mère a promis la perte en raison de sa jalousie pour une beauté qui dépasse la sienne (en tout cas, d’après un miroir magique). La sorcière charge donc un chasseur de conduire sa rivale en forêt et de la tuer. Mais le criminel ne se résout pas à tuer la frêle jeune fille et laisse fuir Blanche-Neige, qui trouve refuge dans une maison où vivent 7 nains. La rencontre fera pour le moins des étincelles... Pendant ce temps, la sorcière vient rendre visite à Raiponce, une jeune femme aux cheveux surnaturels, qu’elle tient à l’abri du monde extérieur. Mais c’est sans compter l’arrivée d’un prince aussi charmant que malfaisant. Les deux victimes vont finir par se croiser, s’épauler mais aussi s’aimer.

    Charles Perrault se retournerait dans sa tombe, à moins qu’il ne serait amusé et séduit

    Pour cette intégrale, considérée comme un des musts de la BD érotique, les auteurs font appel à Blanche-Neige, mais aussi à la non moins innocente Raiponce, détenue dans une tour secrète par la propre belle-mère de Blanche-Neige. Un trio de femmes se forme peu à peu dans le récit – la brune Blanche Neige, la blonde Raiponce et la rousse sorcière – avant d’être victimes par un prince peu charmant, puis se liguent, contraintes et forcées.

    On le devinera : cet exercice moins littéraire que graphique donne la place centrale à l’érotisme et bouscule gentiment l’image lisse des personnages de contes de fée. Charles Perrault se retournerait dans sa tombe, à moins qu’il ne serait amusé et séduit par une intrigue délurée et des coups de théâtre plus ou moins télescopés. On retient le soin qu’on pris les auteurs dans la mise en image : que l’on pense à cette sadienne scène référencée dans laquelle la brune, la blonde et la rousse, se retrouvent, telles trois Grâces, attachées à l’aide des cheveux de Raiponce.

    Au final, devinez comment se termine l’histoire ? Ils vécurent heureux, et cetera. 

    Trif et Celestini, Blanche Neige, L'intégrale, éd. Tabou, 2021, 144 p. 
    http://www.tabou-editions.com

    Voir aussi : "Pour terminer ces étreintes orientales"

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  • Astérix dans la gueule du griffon

    Moins de deux ans après la sortie du dernier Astérix, le retour du petit guerrier gaulois est déjà annoncé pour le 21 octobre 2021. Astérix, Obélix et Idéfix sont de retour pour une 39e aventure qui racontera un voyage avec le druide Panoramix. L’enjeu ? Une créature étrange et terrifiante. Le titre de ce futur livre est déjà annoncé :  Astérix et le Griffon.

    Didier Conrad a dévoilé un premier indice sur cet album encore assez mystérieux : un dessin inédit montre nos héros armoricains grimpant le long d’un grand tronc d’arbre pour tenter de récupérer Idéfix qui semble vouloir leur échapper et trône fièrement au sommet de la gueule du monstre… Le petit chien gaulois chercherait-il à s’émanciper ?

    Ce tronc est singulier car il est sculpté à l’effigie d’une créature bien énigmatique – idolâtrée ou crainte par les peuples de l’Antiquité.

    Le scénariste Jean-Yves Ferri explique la genèse de cette histoire : "Pour ma part, concernant le nouvel album Astérix et le Griffon, tout est parti d’une représentation sculptée de la Tarasque : un animal terrifiant des légendes celtiques... Nos ancêtres croyaient-ils vraiment en l’existence réelle de ces monstres bizarres ?… Dans le bestiaire mythologique, restait à choisir l’animal qui serait au centre de l’intrigue. Mi-aigle, mi-lion (et oreilles de cheval), énigmatique à souhait, j’ai opté pour le Griffon !"

    L’annonce de ce nouvel album arrive un an après la disparition d’Albert Uderzo. À cette occasion, Jean-Yves et Didier déclarent : "Albert nous a fait confiance pour respecter les valeurs des personnages qu’il a créés avec René Goscinny en leur faisant vivre de nouvelles aventures. C’est avec beaucoup d’émotion que nous poursuivons en son absence la mission qu’il nous a confiée avec ce nouvel album dont nous espérons qu’il fera la joie des lecteurs."

    Tout comme Astérix, cet animal a voyagé dans le bassin méditerranéen, jusqu’en Grèce et à Rome

    Pourquoi le choix du griffon dans une telle aventure ?

    Hélène Bouillon, conservatrice au Louvre-Lens, explique que cette créature fait partie animaux mythologiques les plus présents durant l’Antiquité : "Ses premières traces ont été découvertes en Iran, imprimées dans l’argile : des impressions de sceaux datant d’environ 3500 av. J.-C." Tout comme Astérix, cet animal a voyagé dans le bassin méditerranéen, jusqu’en Grèce et à Rome. "Le point commun entre toutes ces légendes est donc que le Griffon est un animal mythologique fort et dangereux, craint et respecté." Que pense la spécialiste de ce choix du griffon dans le prochain album d’Astérix ? Réponse de la docteure en égyptologie : "Quant à la statue de Griffon représentée dans le visuel pour Astérix et le Griffon, il colle parfaitement à sa représentation au premier millénaire, adoptée par les Grecs et tous les peuples autour de la Méditerranée jusqu’à nos jours, puisqu’il a hérité des petites oreilles pointues. Et, surprise ! : il semble que nous soyons ici confrontés à la plus grande représentation sculptée connue du Griffon !"

    Voilà qui rend plus énigmatique encore ce futur album. Un peu de patience avant d’en savoir plus. 

    Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, Astéix et le Griffon, éd. Albert René, sortie prévue le 21 octobre 2021
    https://www.asterix.com

    Voir aussi : "Astérix et la fille de Vercingétorix"

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  • Le léger problème du chômage

    Bande dessinée et enquête, l’ouvrage de Benoît Collombat et Damien Cuvillier, Le Choix du Chômage (éd. Futuropolis), est beaucoup plus passionnant et attrayant que ne le laisse deviner le titre mais aussi la couverture.

    On sait que l’économie fait partie de ces domaines à la fois boudés par le public français et assez peu vulgarisé. Tout porte à croire que cette pseudo-science traitant aussi bien des monnaies que la vie des entreprises ou la circulation de l’argent soit à la fois tabou et forcément réservée à des spécialistes qui feraient tout pour la rendre imbitable. Les plus cyniques pourraient ajouter que, ce faisant, les économistes prendraient bien soin de nous cacher des réalités peu reluisantes. Admettons.

    Voilà pourquoi il faut absolument lire la bande dessinée de Benoît Collombat et Damien Cuvillier, qui entend balayer près de 50 ans de choix économiques qui ont fait du chômage, sinon un domaine mineur, du moins "une variable d’ajustement" au service d’enjeux libéraux.

    "Libéralisme" : voilà le mot qui est au centre de la bande dessinée Le Choix du Chômage.

    Les auteurs proposent au lecteur une immersion dans leur travail d’investigation, constitué pour l’essentiel d’entretiens avec d’anciens ministres, des hauts fonctionnaires en exercice ou non,  des mandarins du libéralisme et des spécialistes en économie, droit du travail, juristes ou chercheurs en sciences sociales.

    Le terme de vulgarisation n’a rarement aussi bien convenu à un ouvrage, une bande dessinée de surcroît, qui nous entraîne dans les arcanes du pouvoir politique et économique. Ce qui est au cœur du récit est bien le libéralisme – pour ne pas dire l’ultralibéralisme – qui s’est d’autant plus imposé dans les pays européens ces 30 dernières années, dont la France, que le continent a vu trois alignements de planètes favorables à son essor : l’influence des néolibéraux américains et anglais portés respectivement par Reagan et Thatcher, la Chute du Mur de Berlin et une crise économique dont le salut pouvait venir d’un libéralisme assumé jusqu’à des choix les plus extrêmes.

    Le chômage comme variable d’ajustement, voire épine dans le pied

    Et parmi ces choix, il y a celui du chômage, qu’un certain  François Hollande, pourtant socialiste, théorisait ainsi en 1985 : "Faire le choix des grands équilibres  au risque de sacrifier l’emploi." No comment. Benoît Collombat et Damien Cuvillier décrivent au fur et à mesure de leur ouvrage ce qui a conduit à faire tomber les frontières, permettre une libre-circulation des marchandises (presque) sans contraintes et finalement considérer que l’emploi n’était pas une priorité, voire pouvait être un frein au développement économique.

    Après un survol historique de l’économie mondiale après la seconde guerre mondiale (Plan Marshall, naissance de la CEE, domination du dollar), les auteurs en viennent au cœur du récit contemporain, qui est celui d’une Europe se construisant sur un modèle libéral. Pour appuyer leur théorie, outre la figure de Jean Monnet, c’est Jacques Delors, socialiste lui aussi, qui est épinglé. Les auteurs font d’ailleurs de l’exemple du virage de la rigueur en 1982 un symptôme de choix économiques – avec toujours le chômage comme variable d’ajustement, voire une épine dans le pied qui sera rarement considérée comme prioritaire.

    Précis, rigoureux, impitoyables, mais aussi capables de nuances (le sombre destin de Pierre Bérégovoy en est le plus brillant exemple), les auteurs tirent à boulet rouge sur une Europe qui est devenue résolument libérale. Les exemples ne manquent pas.

    Parsemant la BD de parenthèses de vignettes très imagées ou de planches biographiques, Benoît Collombat et Damien Cuvillier assument leur engagement, tout en inscrivant leur ouvrage dans l’actualité contemporaine, celle des Gilets Jaunes et du Covid. On peut toutefois regretter que la parenthèse socialiste de 1995-2002 soit laissée sous silence, puisque cette fois le gouvernement Jospin avait fait du chômage sa grande priorité, non sans succès. 

    Benoît Collombat et Damien Cuvillier, Le Choix du Chômage, Préface de Ken Loach, éd. Futuropolis, 2021, 288 p.
    https://www.futuropolis.fr/9782754825450/le-choix-du-chomage.html
    https://www.franceinter.fr/personnes/benoit-collombat

    Voir aussi : "Noir coton"

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  • 24 heures dans la vie d’une femme

    "Journal illustré d’un combat" : tel est le sous titre de la BD d’Erin Williams, Trajectoire de femme (éd. Massot). C’est effectivement un journal intime que nous propose la dessinatrice américaine. Elle y décrit sur plus de 300 pages une journée de travail, depuis le réveil, avec trajet aller-retour en train jusqu’à Manhattan, jusqu'à son coucher. Elle observe son environnement, croise des passagers et passagères comme elle, parfois en affrontant des regards – masculins – insistants et insupportables.

    Ces heures au milieu de ces semblables, au cours d’une journée "normale", permet à Erin Williams de faire de fréquentes digressions sur son passé et sur les hommes qu’elle a croisés dans sa vie.

    Trajectoires de femme passe ainsi de propos prosaïques et de saynètes ordinaires – le maquillage du matin ("Le ravalement de façade"), la sortie du chien, l’attente sur le quai de gare, les paysages que traverse le train, des publicités machistes, le déjeuner du midi, une femme passant l’aspirateur, une autre se faisant "mater" les seins par un homme – à des monologues intérieures qui la ramènent à ses souvenirs, à des traumatismes et à des réflexions sur sa condition de femme.

    C’est une BD engagée et féministe autant qu’un portrait intime que nous propose l’auteure américaine. Abîmée par plusieurs relations avec des hommes, Erin Williams se montre pour le moins tranchant avec ceux-ci, y compris ces inconnus qu’elle croise lors des trajets quotidiens pour se rendre au travail. C’est aussi l’occasion pour l’auteure de se remémorer des expériences et des rencontres qu’elle décrit avec cruauté : "Tout ce que je disais, c’était pour le mettre en valeur… Je ne participais pas à ce rendez-vous en tant qu’actrice, mais en tant que spectatrice d’une parade masculine ridicule", dit-elle au sujet d'un échange avec un  inconnu qui la drague. Le spectateur est saisi bien plus encore par des souvenirs dans lesquelles l’agression sexuelle est d’autant plus brutale qu’elle se situe parfois dans une zone grise ("Les nombreuses, très nombreuses nuances de gris"), à la frontière du consentement ("Après le départ de Jim, je me suis sentie sale et honteuse"). L’alcool et les drogues finissent de prendre au piège la victime. Plus glaçant encore, l’auteure évoque le viol dont elle a été victime des années plus tôt.

    "Je ne lis pas de livres écrits par des hommes"

    Traumatisée par ces expériences, Erin Williams prend de la hauteur et s’engage dans des réflexions où le féminisme prend peu à peu le dessus, à l’exemple de ce détail éloquent au sujet de ses lectures dans le train : "Je ne lis pas de livres écrits par des hommes. Je me sens suffisamment imprégnée de l’expérience masculine humaine au travers de mon éducation."

    Féministe dans l’âme, Erin Williams ausculte avec finesse le piège des clichés, en admettant y être tombée, lorsque par exemple elle avoue s’être pliée à des "fantasmes sexuels". Cette journée de la vie d’une femme du début du XXIe siècle devient le reflet de stéréotypes masculins, qui sont notamment illustrées par la figure de Freud apparaissant sur deux planches ("Les femmes sont opposées au changement, reçoivent passivement des informations et n’apportent rien de personnel"). Dans ses relations avec les hommes, même lorsque certains semblent sortir du lot à l’instar d’un ex, il y a toujours cet élément ou cette phrase anodine qui va blesser, rabaisser et humilier ("Il m’a dit… que j’avais pris du poids").  "Violeur ou sauveur ?" se demande l’auteure au sujet d’un inconnu croisé au retour de la gare  : une interrogation qui peut s’appliquer, symboliquement ou non, à l’ensemble des hommes qu’elle croise.

    Dans ce récit chirurgical, Erin Williams consacre plusieurs pages sur le corps, indissociable du genre féminin et souvent un fardeau : "Je me bats toute la journée pour maîtriser mon corps, en public comme en privé", avoue-t-elle. Ses réflexions sur le corps l’amènent à parler de sa condition de mère, sans tabou ni angélisme : "La maternité c’est faire le deuil de soi en tant qu’individu." Abandonnant le récit du voyage en train au profit d’une introspection sur son être et sur son corps, Erin Williams consacre les 50 dernières pages de son livre à son travail de renaissance, à travers des rencontres ("Ce sont les femmes qui m’ont transformée"), de nouvelles expériences. Elle y parle du viol, du désir, du pouvoir masculin ("Les dés sont pipés. Le pouvoir est concentré de l’autre côté"), mais aussi du fait de devenir mère ("Nourrir et faire grandir un enfant peut être un processus indirect").

    Dans ce livre personnel à bien des égards, frontal et engagé, Erin Williams se livre avec audace, éloquence et fierté : " Raconter nos histoires, c’est témoigner de nos souffrances."

    Erin Williams, Trajectoire de femme, Journal illustré d’un combat, éd. Massot, 2020, 304 p.
    https://www.erinrwilliams.com
    https://massot.com/collections/trajectoire-de-femme

    Voir aussi : "Des bulles pour balancer"

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