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Bandes dessinées et mangas - Page 18

  • Vous ne préférez pas plutôt un stage ?

    Ah, ces entretiens d’embauche, ces DRH froids, ces startups pratiquant l’art faussement cool du recrutement et surtout ces candidats obligés d’avaler des couleuvres pour décrocher des emplois faméliques malgré leur CV long comme le bras…

    Voilà le sujet de la bande dessinée de Mathilde Ramadier, Vous n’espériez quand même pas un CDD ? (éd. Seuil). Le livre se présente sous la forme de chroniques que l’on imagine vécues par l’auteure. Chaque chapitre correspond à une offres d’emploi avec l’annonce correspondante, parfois aussi drôle – et ce n’était pourtant pas le but ! – que les strips qui suivent : "Design junior," "Pigiste," "Copy writer" ou "Creative manager."

    Managers se comportant en gourous tout-puissants

    Mathilde Ramadier croque avec un mélange de férocité, de naïveté et de poésie ces huis-clos au cours desquels se jouent une carrière, des rêves et un avenir, et qui sont souvent réduits à néant en quelques mots. On rit jaune en découvrant ces tranches de vie en entreprise. Le monde des startups est sévèrement égratigné : managers se comportant en gourous tout-puissants, petits boulots ou stages non-rémunérés transformés en challenges cools, exploitations éhontées des candidats via de pseudos tests de recrutements ou jargon globish présenté comme un véritable sésame pour se faire mousser.

    C’est d’ailleurs ce dernier aspect qui est développé dans l’épilogue ("Bientôt la retraite") au cours duquel notre candidate parvient à enfumer un recruteur : un joli pied de nez qui vengera pas mal de candidats passés, présents et futurs. Rien que pour cela, que Mathilde Ramadier soit remerciée.

    Mathilde Ramadier, Vous n’espériez quand même pas un CDD ?, éd. Seuil, 2018, 111 p.
    https://mathilderamadier.com

    Voir aussi : "Décalée"

  • Une nouvelle nuit à Rome avec toi

    Il y a quelques mois, nous parlions ici-même des deux premiers tomes d’Une Nuit à Rome : l’histoire d’une promesse un peu folle que deux jeunes gens se sont faite durant leur vingtième anniversaire, à savoir passer une nuit à Rome le jour de leur quarante ans. Le deuxième tome se terminait par un épilogue à la fois amer et ouvert.

    Jim a choisi de poursuivre un nouveau cycle en mettant en scène nos deux personnages principaux, Raphaël et Marie, dans la capitale italienne. Là encore, il est question d’une nuit à Rome le jour de leur anniversaire. Cette fois, c’est un Raphaël, beaucoup plus extraverti et moins tourmenté que lors des deux premiers tomes, qui invite son amie d’enfance à le rejoindre. La belle brune résistera-t-elle à ce rendez-vous ?

    À Bla Bla Blog, on adore Jim, le scénariste autant que le dessinateur, pour ses histoires d’amour modernes et d’une grande élégance. Le lecteur suivra avec passion la nouvelle rencontre entre Raphaël et Marie et attendra avec impatience la suite de ce nouveau rendez-vous à travers le temps et l'espace. Un quatrième tome viendra bientôt clôturer ce deuxième cycle.

    Jim, Une Nuit à Rome, livre 3, éd. Bamboo, 2018, 100 p.
    http://jimtehy.blogspot.com

    Voir aussi : "On s’était dit rendez-vous dans vingt ans"
    "Rendez-vous jeudi prochain, même lieu, même heure
    "La débandade"

     

  • On s’était dit rendez-vous dans vingt ans

    Après Héléna, la blonde incendiaire de la bande dessinée éponyme de Jim et Cabane, voici Marie, la brune fatale d’Une Nuit à Rome (éd. Grand Angle), que Jim a scénarisé et dessiné de A à Z.

    Comme pour Héléna, il est question dans cet ample et élégant album d’un amour contrarié, d’une femme insaisissable, de rendez-vous et du temps qui passe, inexorable et cruel.

    Que Jim se soit cette fois attelé au scénario et au dessin n’est pas anodin : comme il le confie dans sa préface, ce personnage de Marie ne vient pas de nulle part, preuve à l’appui... Voilà qui fait d'Une Nuit à Rome - une variation contemporaine sur le thème du badinage, du romantisme et de l’infidélité - une œuvre personnelle.

    Raphaël est le narrateur de cette histoire de retrouvaille à Rome. Quelques jours avant ses quarante ans, il reçoit par la Poste une K7 VHS vieille de vingt ans. Il y découvre – ou redécouvre – une petite amie de cette époque, Marie Galhanter, née le même jour que lui.

    Une connerie de gamin

    La vidéo lui rappelle une ancienne promesse qu’ils s’étaient faits : passer la nuit de leur quarantième anniversaire ensemble, à Rome. Un numéro de téléphone accompagne cet envoi. Or, Raphaël vit en couple avec Sophia, dont il est très amoureux. Il n’aurait donc aucune raison de respecter "une connerie de gamin, comme on en a tous fait…" Sauf que cette VHS balaie toutes les certitudes qu'il avait. En Italie, Marie ne pense elle aussi qu’à ce futur rendez-vous, à Rome. Aura-t-il lieu, vingt-ans après leur promesse ?

    Jim déplie sur 238 pages une histoire amoureuse élégante, poignante et sensuelle. Les années passent, les rêves sont mis sous le boisseau mais les amours ne disparaissent pas totalement. Ils peuvent se fossiliser ou au contraire s’affranchir et exploser des années plus tard… Mais à quel prix…

    La nuit à Rome est celle de toutes les folies. Des folies que Raphaël et Marie peuvent ou pas s’offrir et qui permettront de remettre, quelque part, les pendules à l’heure. Fort intelligemment et avec une pertinence qui élève Une Nuit à Rome au rang des BD géniales.

    Jim termine son album par deux épilogues qui font basculer les destins de Marie et de Raphaël vers un questionnement sur nos promesses à honorer. Jim nous interroge. Raphaël et Marie, c’est un peu lui. C’est un peu nous.

    Jim, Une Nuit à Rome, Intégrale, éd. Grand Angle, 2016, 238 p.

    "Rendez-vous jeudi prochain, même lieu, même heure"

    "La débandade"

  • Rendez-vous jeudi prochain, même lieu, même heure

    Jim a touché en plein cœur. Une fois de plus, lui et Louis Chabane au dessin, ont réalisé avec Héléna (éd. Grand Angle) une bande dessinée exceptionnelle, se rangeant dans la catégorie des œuvres bouleversantes, et bien différente de leur vaudeville de mœurs, L’Érection.

    Héléna c’est bien entendu le personnage féminin autour duquel tourne l’album au romanesque fou. Pour autant, le héros ce n’est pas elle mais le narrateur Simon, qui a toujours été amoureux de cette blonde incendiaire et irrésistible. Or, le jour de son mariage, Simon la croise par hasard, à Nice, face à l’église où il va dire oui à sa future épouse. Héléna promène un enfant et vit une période que l’on dirait "compliquée." Cette rencontre inopinée est une révélation pour Simon qui décide le jour de ses noces de ne plus se marier : Héléna sera la femme de sa vie.

    Héléna c’est l’histoire d’un amour. Mais pas que.

    Non sans opportunisme, et grâce à un héritage généreux, il approche la jeune femme quelques temps plus tard, il lui propose alors un drôle de marché : contre une rémunération de 1000 euros mensuel, il lui propose trois heures de son temps chaque jeudi après-midi, pour passer un peu de temps avec elle, mais sans faire l’amour. Son but est de renouer avec elle et la convaincre qu’il est l’homme de sa vie. Réticente et méfiante, Héléna finit par accepter.

    Héléna c’est l’histoire d’un amour. Mais pas que. C’est aussi une BD d’une sensualité folle. Mais pas que. C’est également le récit d’une rencontre entre deux êtres qui se cherchent. Mais pas que. Cela pourrait être aussi le récit d’une audace incroyable qui se transforme en une relation dont il est impossible de raconter les dernières pages. Car il faut absolument aller jusqu’au bout de cette histoire bouleversante de rendez-vous, dont le souffle tragique cloue sur place.

    Graphiquement magnifique, intense et indispensable.

    Jim et Louis Chabane, Héléna, 2 volumes, éd. Grand Angle, 2014 et 2015,
    78 p. chacun

    "La débandade"

     

  • Un conte de Bilal

    La sortie d'un nouveau Bilal est toujours un événement. Le dernier en date, Bug (éd. Casterman) est le premier volume d'une série de BD d'anticipation. Ou bien, devrions nous dire "de conte d'anticipation".

    Nous sommes en 2048, dans un monde futuriste gris et angoissant (on reconnaît là l'univers d'Enki Bilal) dominé par les technologies. Un bug informatique majeur survient, vidant les serveurs du monde entier et rendant impossible l'accès aux réseaux. Dans l'espace, un groupe d'astronautes est en proie à toutes les difficultés pour rejoindre la terre. Parmi ces hommes de l'espace, il y a Obb, que sa fille Gemma attend impatiemment à Paris. Obb devient bientôt un enjeu le dépassant lui-même : ses capacités cognitives se sont développées de manière anormale, ce qui le rend d'autant plus intéressant en cette période de panne informatique généralisée. Ne serait il pas l'origine et la réponse au bug mondial ?

    Bilal signe là un brillant conte d'anticipation qui entend nous alerter sur les dangers d'une dépendance aux outils technologiques. Comme toujours chez l'auteur des Phalanges de l'Ordre noir, l'histoire semble écraser des personnages dessinées telles de superbes statues antiques et évoluant dans un décor hyper réaliste. Les trouvailles graphiques sont nombreuses, que ce soit cette case montrant le palais de l’Élysée ou ces unes de journaux écrites sans vérificateur d'orthographe.

    Le rire grinçant de Bilal semble se faire entendre par moment, mais c'est le rire d'un conteur autant qu'un des grands maîtres de la bande dessinée.

    Enki Bilal, Bug, tome 1, éd. Casterman, 2017, 86 p.

  • Qui va tango va sano e lontano

    Au Café Gran Tortoni, en plein cœur de Buenos Aires, un jeune homme attend d’être reçu par un maestro du tango afin de devenir son élève. En attendant ce rendez-vous qui va changer sa vie, Mina, une serveuse et danseuse, le prend son son aile en lui présentant les personnages gravitant autour d’elle, dans un café tout entier dévolu à la plus sensuelle des danses.

    Le tanguero novice découvre et écoute ces histoires argentines, comme autant de récits d’initiation.

    Des récits d'initiation

    Dans les 110 pages d’une BD entièrement consacrée au tango, Philippe Charlot et Winoc mettent en image des destins incroyables : dans les années 30, un acteur trouve le succès puis le malheur grâce à un texte révolutionnaire de Jorge Luis Borges ; sur la Plaza de Mayo, un payador, troubadour et chanteur de tango, débarque de la pampa pour défier Carlos Gardel ; un autre chanteur raconte dans quelles circonstances il a gagné un concours hors du commun organisé par une certaine mademoiselle Magdalena ; il est également question d’un bandonéon apporté par une jolie factrice d’accordéon, d’un danseur doué mais désargenté empêtré dans une histoire de vol et d’amour, d’un flirt hors du temps entre deux retraités et d’un fantôme errant dans les salles du Gran Café Tortoni.

    Les amoureux du tango adoreront cette bande dessinée au scénario envoûtant. Les autres se laisseront transporter par ces histoires dont le fil conducteur est une danse et une musique, et qui invitent à écouter ou réécouter le Volver de Carlos Gardel : "Volver con la frente marchita / Las nieves del tiempo platearon mi sien / Sentir que es un soplo la vida / Que veinte años no es nada."

    Philippe Charlot et Winoc, Gran Café Tortoni, tome 1, éd. Bamboo, 2018, 110 p.

  • La seconde bataille de Verdun

    Cette seconde bataille de Verdun fut celle engagée par Fernande Herduin en 1920, dans les ors et les couloirs feutrés des palais de la République.

    Quatre ans plus, tôt, en pleine guerre, son mari le sous-lieutenant Gustave Herduin est fusillé pour désertion Verdun, sans aucun jugement . Contre toute attente, le soldat a cependant eu droit aux honneurs de la France à titre posthume pour ses faits d’armes antérieurs. Insuffisant, réclame la veuve Herduin qui réclame la vérité et la justice pour une exécution au cœur du gigantesque champ de bataille de Verdun.

    Un silence honteux

    Ne trouvant qu’un faible écho à ses revendications, la jeune femme se lance, épaulée par son avocat, dans une nouvelle guerre des tranchées contre une classe politique hypocrite et une administration militaire muette. En portant plainte pour meurtre, la Fernande Herduin parvient à faire du bruit dans Landerneau. Bientôt s’ouvre une nouvelle bataille de Verdun, judiciaire et politique cette fois.

    Cette affaire est mise en textes et en images par Jean-Yves Le Naour et Marko Holgado qui signent avec cette histoire édifiante le troisième tome d’une série sur Verdun, après Avant l’Orage et L’Agonie du Fort de Vaux.

    Les auteurs relatent dans un album à la facture classique l’histoire des fusillés pour l’exemple comme le silence honteux qui s’ensuivit. De ce point de vue, l’histoire de la veuve Herduin est celle d’une lanceuse d’alertes avant l’heure, obsédée par la réhabilitation de l’honneur de son mari. L’histoire est centrée sur ce personnage féminin solide et pugnace, en guerre dans une France encore traumatisée par les massacres de la Grande Guerre.

    Jean-Yves Le Naour et Marko Holgado, Verdun, Les Fusillés de Fleury,
    éd. Grand Angle, 2018, 47 p.

  • Titeuf a vingt-cinq ans (et ne les fait pas)

    Titeuf, le turbulent et attachant enfant, créé sous la plume de Zep, est né en 1993, plus précisément dans les pages du fanzine Sauve qui peut !

    Pour ses vingt-cinq ans - le double de son créateur -, le petit garçon n’est pas prêt à voler de ses propres ailes. En août dernier, le dessinateur suisse sortait À Fond le Slip, le 15e album de sa célèbre série, série que Zep ne se dit pas prêt à lâcher de sitôt.

    Le Monde propose en ce moment un hors-série consacré à Titeuf, "un héros qui colle aux temps modernes", comme l’annonce une de ses rubriques. Journalistes, intellectuels, spécialistes de la BD, psychiatres ou dessinateurs se penchent sur ce petit personnage qui a fait de son univers d’enfant le délice des petits comme des adultes.

    Titeuf ne s’interdit aucun tabou

    Zep a osé, comme personne avant lui, mettre dans la bouche de son personnage des mots et des sujets graves, drôles mais aussi à portée éducative. La série ne s’interdit aucun tabou, comme le rappelle le magazine. L’école et la cour de récréation restent l’univers de Titeuf et de ses camarades – Thérèse, Jean-Claude, Hugo, Ramon et bien entendu Nadia, le grand amour du blondinet à la houppette.

    Pour son hors-série, Le Monde propose un large choix de planches, dont la toute première : "La femme avec pas de boules." Le lecteur s’arrêtera également sur les deux pages engagées de Zep, qui fait paraître le 11 septembre 2015 une aventure tragique de Titeuf plongé dans un pays en guerre.

    Les aventures du jeune héros sont disséquées avec sérieux et sans cacher les polémiques soulevées par une série qui a fait de l'impertinente sa marque de fabrique. Impertinente et saluée par les meilleurs dessinateurs, dont Gottlib qui témoigna à Zep un hommage appuyé – et étonnant.

    Titeuf, du haut de ses vingt-cinq ans, reste plus que jamais le gamin le plus célèbre du monde.

    "Titeuf, 25 ans et toutes ses dents", Le Monde hors-série, janvier 2018
    http://zepworld.blog.lemonde.fr