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Bandes dessinées et mangas - Page 21

  • La France de Boucq

    En cette période électorale, François Boucq propose, dans Portraits de la France, une série d'instantanés drôles et féroces de la France d'aujourd'hui. Plusieurs de ces planches ont fait l'objet de publications antérieures chez Fluide Glacial, des couvertures de San Antonio, des campagnes promotionnels ou bien des illustrations pour des journaux et des magazines.

    Chez Boucq, pas de langue de bois. La sociologie de notre pays se fait à coup de crayons, de traits d'humour et avec un sens de l'image plutôt bien vu. Dans la séquence Bistrosophie, les habitués d'un bar dissertent en compagnie de clients inhabituels (hippopotames et escargots) de l'homosexualité et du mariage gay. L'auteur égratigne du coup le discours traditionnel ayant cours dans les partis les plus à droite, FN inclus. Le chauvinisme n'est pas plus épargné dans ces pages où un VRP sexagénaire enthousiaste en tenue de léopard – un personnage récurrent de l'album – se propose de "remettre en état" un pays bien mal en point : "La France est plus qu'un territoire. C'est le creuset d'un esprit, un esprit tellement particulier, tellement original qu'il attise jalousie et convoitise..." L'aventurier constate que la France est une vraie jungle à cause de "ces primates" qui "tentent par tous les moyens de défiguer ce pays." Est-ce possible ? Oui. "Grâce à sa flexibilité, notre belle démocratie reprend sa forme initiale," promet notre commentateur.

    Plus engagé, le chapitre Une certaine décrépitude de la France propose une lecture plus politique du pays, à travers une compilation de dessins engagées. Ici, les derniers présidents de la République passent à confesse devant une Marianne, prêtresse de la Constitution. Là, François Hollande analyse avec sagacité la science du sondage devant notre VRP incrédule. Là encore, un médecin ausculte une marianne atteinte d'une "lepenite aigüe". Marine Le Pen est du reste brocardée un peu plus loin, drapée, elle et ses "petites vertus”, "dans les emblèmes de la République." Boucq se pose en croqueur virulent autant que moraliste, par exemple dans ses dessins en forme de fables animalières.

    Le chapitre Une Insécurité française s'arrête sur un sujet électoral récurrent en cette période électorale : l'insécurité. Insécurité ou violence ? Notre VRP en léopard se fait observateur et critique, par exemple lorsqu'il fait le lien entre l'invention du langage et celui des armes : "Notre planète bavarde, c'est même la plus bavarde du système solaire, on bavarde à travers les âges." Boucq radiographie ce syndrôme d'insécurité, susceptible de prendre plusieurs visages : la suspicion généralisée (un Père Noël est contrôlé par des policiers sur les dents), la méfiance ("Pourvu que ce soit un ami"), la violence ("Parlez-en avant qu'elle ne vous gagne"), la xénophobie et ces fameux binationaux apparus dans l'actualité récente.

    Contre ces maux récurrents, Boucq propose des "solutions bien hexagonales", déclinées sous formes de planches : "la solution du serrage de ceinture", chère à plusieurs candidats aux présidentielles, "la solution opiniâtre", "la solution dans le vent", "la solution pédago-généalogique", "la solution pédagocybernétique" ou la désopilante "solution galactique." À moins que ces solutions ne nous mènent "en péniche."

    Moins politique mais tout autant satirique, Boucq s'arrête sur quelques caractéristiques de notre France actuelle. Celle des gros d'abord (La France bien enveloppée). L'auteur caricature cette population pour mieux se moquer de l'exhortation divine (le dessinateur fait intervenir le Dieu de Michel-Ange) à s'incrire à un club sportif : "J'ai fait l'homme à mon image, c'est vrai !... Mais avec des zigotos comme toi, j'ai l'air de quoi, moi ?..." s'insurge le dieu de la Chapelle Sixtine face à un Français un peu enveloppé.

    La transition est toute trouvée pour le thème de la séquence suivante consacrée à la France sportive (Le Français, ce grand sportif). Le VRP en léopard revient dans une courte histoire au cours de laquelle un dialogue avec un ballon perdu dans la jungle est l'occasion d'épingler ce "nombril du monde" qu'est le sacro-saint ballon rond. La cible du dessinateur est le football, l'objet de toutes les attentions et de toutes les compromissions à travers la FIFA et l'organisation des coupes du monde. Le football n'est du reste pas le seul sport égratigné : rugby, cyclisme... et catch (sic) ne sont pas épargnés.

    Les vacances, passion nationale française, a droit à une série de planches à la fois tendres et cruelles : estivants libidineux, constructions de châteaux de sable morbides (une idée drôle et géniale du dessinateur) ou bodybuildeurs côtoyant des vacancières en topless ridiculisées.

    Ce voyage dans la France est sans doute la bande-dessinée engagée du moment et celle qui offre un contre-point des plus intéressants à la campagne présidentielle du moment.

    Boucq, Portrait de la France, Éd. İ, coll. Traits, 2017, 61 p.

  • Danse avec les démons

    Le manga Dance with Devils, produit par le studio Brain’s Base (OAV Assassination Classroom, Kurenai, Rinne ou Blood Lad), sort le 15 mars en DVD.

    Ritsuka suit une scolarité tranquille jusqu’au jour où elle est convoquée par le Président du conseil du lycée, Rem Kaginuki, qui l’accuse de pratiques satanistes au sein de l’établissement. Bouleversée, elle rentre chez elle mais sa maison a été cambriolée et sa mère a disparu. Contre toute attente, Rem vient à son secours et ensemble, ils partent sur les traces de sa mère. Les ravisseurs semblent être à la recherche du grimoire défendu, un livre de magie noire renfermant des secrets sur les vampires et les démons. Quel secret Rem semble-t-il dissimuler ? Et pourquoi la famille de Ritsuka semble-t-elle liée au grimoire défendu ? Après avoir découvert la vérité, quelle voie choisira-t-elle : démon ou humain ?

    À la croisée des genres, entre occultisme, fantastique, romance et gothique, Dance with Devils sort des clichés habituels en proposant une histoire articulée autour d’un harem inversé.

    Une adaptation en long-métrage est prévue pour sortir dans les cinémas japonais en fin d’année.

    Dance with Devils, 289 minutes, Kazé Anime à partir de 14 ans, en DVD le 15 mars

  • Futurophilie

    Le magazine Beaux-Arts continue son aventure dans le neuvième art, en proposant un hors-série passionnant sur la bande dessinée de science-fiction. Après la BD érotique, paru l’an dernier, c’est un autre genre qui est mis à l’honneur par le prestigieux magazine d’art, un genre populaire, souvent considéré de haut, mais à l'influence considérable. "La bande dessinée de S.F. a contaminé les blockbusters du cinéma contemporain, de Star Wars à Blade Runner en passant par le futur Valérian de Luc Besson. Les petits Français n’y sont pas étrangers. Dans les années 1970 et 1980, les bibliothèques des studios hollywoodiens étaient remplies de numéros de Métal Hurlant" dit à ce sujet Vincent Bernière dans son éditorial.

    Il est vrai que ce hors-série de Beaux-Arts fait la part belle à la science-fiction dessinée tricolore : Les Pionniers de l’Espérance de Roger Lécureux et Raymond Poïvet, Les Naufragés du Temps de Jean-Claude Forrest et Paul Gilon, Valérian et Laureline de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, Lone Sloane de Jacques Lob, Beanjamin Legrand et Philippe Druillet, L’Incal d’Alejandro Jodorowsky et Moebius, La Trilogie Nikopol d’Enki Bilal et Le Transperceneige de Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette.

    Bien entendu, BD et SF font aussi bon ménage qu’il n’est possible, pour une raison évidente : avant le développement des effets spéciaux au cinéma – et leur corollaire, les effets numériques –, la bande dessinée était un médium sans nul autre pareil pour donner la vie à des mondes imaginaires et des univers extraordinaires.

    Les auteurs du magazine datent la naissance de la BD de SF française à l’immédiate après-guerre, avec la parution des Pionniers de l’Espérance de 1945 à 1973. L’élégante et futuriste saga de Roger Lécureux et Raymond Poïvet, de par sa longévité exceptionnelle, va marquer un nombre considérable d’auteurs. Parmi ses héritiers figure Les Naufragés du Temps de Jean-Claude Forrest et Paul Gilon. Un large public va se laisser conquérir par ce space opera somptueux, palpitant et sexy. Ce chef d’œuvre, aussi magistral soit-il, n’aura pas autant d’influence que l’épopée de Valérian, l’agent spatio-temporel et de la "jeune et jolie sauvageonne Laureline", "une anti Barbarella." Les aventures de ce couple, berçant entre réalisme et fantaisie, sont si marquantes que l’oeuvre de Christin et Mézières est présente jusque dans la mythique saga Star Wars.

    Les lecteurs français de Beaux-Arts découvriront une figure légendaire de la BD de SF : L’Éternaute des Argentins Héctor Oesterheld et Victor Solano López. Cette histoire d’un pays tombé dans l’apocalypse suite à la chute d’une neige mortelle donne des sueurs froides, mais pas pour les raisons que l’on pense. L’Éternaute devient un personnage emblématique et politisé lorsqu’en 1976 ce héros, créé en 1957, reprend du service. Nous sommes en pleine dictature argentine et les militaires prennent très au sérieux cette bande dessinée de science-fiction allégorique et engagée. Considéré comme un opposant, le scénariste Oesterheld est poursuivi avant d’être arrêté et de disparaître en 1977. Auparavant, il a dû vivre les enlèvements et les morts atroces de ses quatre filles, non sans avoir choisi de terminer malgré tout l’épisode de la série mythique entré dans la culture argentine.

    En parlant de ce scénariste ayant donné sa vie pour son œuvre et ses idées, il faut souligner la place que Beaux-Arts donne aux scénaristes de BD, insuffisamment mis en avant : Roger Lécureux, Jean-Claude Forrest, Pierre Christin, Brian K. Vaughan ou Alejandro Jodorowsky. Il est rappelé que Jacques Lob est à ce jour le seul scénariste à avoir reçu le Grand Prix du Festival d’Angoulême, en 1986.

    Déconsidérée, méprisée ou ignorée, la science-fiction dessinée a trouvé dans le prestigieux magazine d’art un précieux soutien.

    Les Secrets des chefs d’oeuvre de la BD de science-fiction, Beaux-Arts,
    hors-série, février 2017, 154 p.

  • Décalée

    Voilà une bande dessinée de salubrité publique, qui cache derrière son tire a priori anodin, La Différence invisible (éd. Delcourt/Mirages), une affection médicale peu connue autant qu’un fait de société.

    Sous forme d’une autobiographie graphique, Mademoiselle Caroline entreprend de raconter à travers son double Marguerite, 27 ans, sa difficulté à mener une vie paisible, à vivre parmi les autres, à travailler ou à s’engager sentimentalement avec son petit ami.

    Sans cesse décalée, angoissée et incapable de maîtriser certains codes sociaux, la jeune femme s’aperçoit qu’elle est atteinte du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui la handicape. Cette nouvelle marque le début d’une découverte d’elle-même mais aussi d’une nouvelle vie sociale qui ne pas aller sans déconvenue. Ce processus passera par des rencontres, par un blog (www.mademoisellecaroline.com) mais aussi par cette BD, La Différence invisible.

    On peut être reconnaissant aux deux auteurs, Mademoiselle Caroline au scénario et Julie Dachez au dessin, d’avoir su intelligemment mettre sur le devant de la scène l’autisme. Affection peu connue et comme invisible – surtout chez les femmes –, le syndrome d’Asperger est mal traité en France faisant de notre pays un exemple à ne pas suivre (l’HAS a désavoué en 2012 la psychanalyse dans son approche de cette forme d’autisme). Ajoutons que deux spécialistes, Carole Tardif et Bruno Gepner, préfacent ce livre.

    Touchante, élégante et revigorante autofiction graphique, Mademoiselle Caroline et Julie Dachez apportent avec La Différence invisible une contribution précieuse pour parler des personnes victimes de ce syndrome : voilà une bande dessinée de salubrité publique que tous les politiques et autres décideurs publics devraient avoir dans leur bibliothèque.

    Mademoiselle Caroline et Julie Dachez, La Différence invisible,
    préface de Carole Tardif et Bruno Gepner, éd. Delcourt/Mirages, 200 p.

    www.mademoisellecaroline.com

     

  • La bulle coincée en travers de la gorge

    Le bloggeur avait mis cet événement sur son agenda pour le dernier week-end, de mai 2017 : après avoir consacré plusieurs chroniques sur le festival de BD "Montargis coince la bulle", le rendez-vous était pris pour arpenter les couloirs d’un salon dont la réputation grossit au fur et à mesure des saisons.

    Las, d’après le quotidien La République du Centre, les organisateurs ont décidé de jeter l’éponge, après plusieurs éditions immanquables. La faute au fric : trop cher, pas assez "populaire" et sans doute pas dans les goûts de la commission culture municipale.

    On se souvient que la dernière édition de Montargis Coince la Bulle s’était déroulée trois jours avant les inondations historiques qui avaient dévasté la ville en 2016. La Venise du Gâtinais avait bien besoin d’un nouveau coup dur ! Il est venu alors que cet événement était le bienvenu pour remettre du baume au cœur à une cité encore traumatisée par les crues de l'an dernier. Même si tout ne semble pas perdu, ce festival de BD aura bel et bien du mal à se remettre à flot : "Pessimiste, Arnaud Floc'h [le dessinateur et créateur du festival] semble voir dans ce coup d'arrêt la signature d'un arrêt de mort : certains auteurs et libraires, qui avaient marqué le rendez-vous d'une croix blanche chaque année, ont très vite pris d'autres engagements. La nature a horreur du vide."

    Quelques édiles ont décidé de faire éclater la bulle qu'un certain nombre d'amateurs de BD attendaient, et cette bulle, plus d'un risquent de l'avoir coincée en travers de la gorge.

    Jean-Baptiste Dos Ramos, "L’édition 2017 de « Montargis coince la bulle" est annulée,
    La République du Centre, 17 janvier 2017

    http://www.montargiscoincelabulle.fr

    © Bla Bla Blog – Maud Begon

  • Hergé au musée

    Il ne reste plus que deux jours pour voir l’impressionnante exposition au Grand Palais consacrée à Hergé, objet également d'un catalogue complet (éd. Moulinsart et RMN).

    Une manifestation sur Hergé ou sur Tintin ?

    Il est vrai que la question mérite d'être posée, tant le créateur et sa créature sont indissociablement liés. Il est bon aussi de rappeler qu'aucun personnage de bande dessinée n’a eu autant d’impact que le jeune reporter à la houppe. Ses aventures – comme d’ailleurs celles de ses amis Haddock, Tournesol, les Dupondt, sans oublier le fidèle compagnon à quatre pattes, Milou – ont fait l’objet de pléthores d’ouvrages, d’essais, d’analyses, d’inspirations et d'exégèses dignes des plus grands génies, ce que, du reste, Hergé est.

    Le dessinateur belge, né Georges Rémi en 1907 et décédé en 1983, est célébré au Grand Palais, à l’image de ces brillants artistes peintres qu’il admirait tant. Que de chemins parcourus depuis le gamin belge élevé dans la grande tradition catholique, gribouilleur dès l'âge de quatre ans et scout dans l'âme, jusqu'à ce créateur adulé et admiré, et qui est parvenu à faire de Tintin une figure mythologique et de la BD un des neuvième art !

    L’exposition Hergé fait d’ailleurs une large part aux beaux-arts et, en particulier, à la peinture moderne et contemporaine. C’est d’ailleurs un aspect souvent oublié chez l’auteur du Secret de la Licorne (1943) : son amour et son admiration (parfois réciproque si l’on pense à Andy Warhol) pour les beaux-arts. Hergé voulait consacrer son dernier album, L’Alph Art (posth. 1983), que l’on ne peut lire qu’à l’état de story-board, à l’art contemporain. Outre la production d'affiches et de logos remarquables, domaine dans lequel le jeune Hergé excelle au début de sa carrière, ce dernier s’est également essayé lui-même à la peinture, dans des toiles honnêtes mais où ne ressortent pas le même lâcher prise, la même vie, le même enthousiasme et la même maîtrise technique que ses albums.

    L’exposition Hergé, en entrant dans les secrets du créateur, montre aussi la sueur versée pour accoucher d'aventures calibrées au millimètre et maîtrisées à l'obsession. Hergé, c’est un horloger et un orfèvre capable de reprendre au crayon les traits d’un personnage jusqu’à en perforer la feuille. Les nombreuses planches originales présentées à Paris témoignent du chemin accompli entre les ébauches brouillonnes, énergiques, voire furieuses, du début jusqu’aux cases finales à la ligne claire, d'une perfection ahurissante.

    Perfectionniste, Hergé l'est encore dans son travail de documentaliste, tant le dessinateur avait à cœur de donner à ses albums d'aventure un caractère réaliste – et quelle importance si les aventures de l'éternel jeune reporter se passent dans une Syldavie imaginaire (Le Sceptre d'Ottokar, 1939) ou bercent dans la science-fiction (On a marché sur la Lune, 1954) ! Si un objet pouvait illustrer ce travail de scénariste et documentaliste (mais aussi accessoiriste, décorateur, costumier, etc.), ce serait sans nul doute une petite statuette péruvienne en bois de la culture Chimù (1100-1400 ap. JC). C'est celle-là même qui a servi de modèle pour L'Oreille cassée (1937). Nous sommes au tournant des années 30 et Hergé, qui impose déjà son style et ses personnages (Haddock, Tournesol ou La Castafiore ne sont certes pas encore là), démontre déjà à la fois son goût pour les arts (premiers, ici) mais aussi pour un sens du réalisme capable de séduire autant les enfants que les adultes.

    Cette approche universelle, Hergé l'a acquise à la faveur d'une rencontre phare : celle de Tchang Tchong-jen, un jeune étudiant chinois présenté à Hergé lors de la conception d'un de ses chefs d'œuvre, Le Lotus bleu (1936). Cet album phare, dédié à l'amitié et à l'entente entre les peuples, fait véritablement de Tintin le jeune héros au cœur pur et à l'altruisme exemplaire qu'il ne perdra plus. Tchang, double chinois d'Hergé, réapparaît plus tard dans l'autre ouvrage majeur du dessinateur belge : Tintin au Tibet (1960). Cet album emblématique, le plus personnel sans doute d'Hergé, est commenté dans la vulgate tintinesque comme un livre psychanalytique, conçu pendant une éprouvante période dépressive de son auteur. L'aventure du journaliste à la houppe, à la recherche de son ami Tchang dans les paysages blancs du Tibet après un accident d'avion, renvoie à une quête personnelle de son auteur, avec, en ligne de mire, son ami de toujours, Tchang, qu'il ne reverra qu'à la fin de sa vie.

    Suit, dans la production du dessinateur belge, un album diamétralement opposé mais tout autant important, Les Bijoux de la Castafiore (1963). Tintin, après avoir parcouru en long et en large la terre entière – et même la lune –, fait l'objet d'une aventure en huis-clos, entre les murs de Moulinsart. Ici, pas d'enlèvements, pas de crimes, pas de malfaiteurs, pas de Rastapopoulos et pas de voyages épiques. Presque rien : tout juste une entorse au pied du capitaine Haddock, la visite impromptue à Moulinsart de la chanteuse lyrique Bianca Castafiore, des romanichels accueillis au château, des bijoux égarés et quelques secrets, pour ne pas dire des cachotteries. Dans Les Bijoux de la Castafiore, Les héros d'Hergé jouent une comédie humaine drôle, virevoltante, mais également d'une grande profondeur humaniste. Ce qui s'apparente au repos des héros Tintin, Milou et Haddock est en réalité une mise en scène audacieuse et comme apaisée de l'univers d'Hergé, après l'album du tourment intérieur qu'était Tintin au Tibet.

    Hergé, graphiste génial et passionnant raconteur d'histoire est un humoriste à la grandeur d'âme universelle que des albums controversés comme Tintin au Pays des Soviets (1930) ou Tintin au Congo (1931) ne parviennent pas à relativiser. Hergé est surtout cet artiste, auteur d'une œuvre profonde et personnelle : "Tintin (et tous les autres) c'est moi, exactement comme Flaubert qui disait : « Madame Bovary c'est moi : » Ce sont mes yeux, mes poumons, mes tripes ! Je crois que je suis le seul à pouvoir l'animer dans le sens de lui donner une âme. C'est une œuvre personnelle au même titre que l'œuvre d'un peintre ou d'un romancier. Ce n'est pas une industrie ! Si d'autres reprenaient Tintin ils le feraient peut-être mieux, peut-être moins bien. Une chose est certaine, ils le feraient autrement et, du coup, ce ne serait plus Tintin."

    Exposition Hergé au Grand Palais, Paris, jusqu'au 15 janvier 2017
    Hergé, Catalogue d'exposition, éd. Moulinsart, RMN, 2016, 304 p.
    "Bla Bla Blog s'est fait insulter par le Capitaine Haddock"
    http://fr.tintin.com/herge

     

  • Réponds-moi

    Laurent Galandon, au scénario, et Dominique Mermoux, pour le dessin, signent une BD engagée en cette période de commémoration, deux ans après l'attentat contre Charlie Hebdo. Les auteurs s'intéressent à un aspect oublié du terrorisme. On sait que Daesh recrute essentiellement en draguant des jeunes gens, garçons ou filles, et parfois des adolescents mineurs. Mais que se passe-t-il dans les familles de ces fraîchement convertis au djihad ?

    L'Appel raconte l'histoire d'un garçon ordinaire, Benoît, parti du jour au lendemain en Turquie pour répondre à l'appel de l'organisation terroriste Daesh. Sa mère, Cécile, tente à la fois de le faire revenir avec elle mais aussi de comprendre ses motivations (le garçon n'a pas reçu d'éducation religieuse chez lui). Cette petite femme pugnace et courageuse s'aperçoit, au fur et à mesure d'une enquête qu'elle mène seule, qu'il s'est passé un événement traumatisant pour l'adolescent que personne n'avait su détecter.

    Cette BD suit le parcours d'une maman déboussolée. Tout en refusant le moindre pathos, L'Appel fait figure de témoignage pour que l'on n'oublie pas que derrière de jeunes convertis aveuglés, il y a aussi des parents déboussolés.  

    Laurent Galandon et Dominique Mermoux, L'Appel, éd. Glénat, 2016, 124 p. 

  • Livre d’art ou bande dessinée ?

    ... Un peu les deux. Alex Varenne, un auteur marquant de la BD érotique, qui a fait l’objet de plusieurs chroniques sur Bla Bla Blog en 2016, présentait en cette fin d’année un autre visage : celui de peintre. Dans la lignée de Roy Liechtenstein, l’auteur des cycles Ardeur et d'Erma Jaguar exposait à la galerie Art en Transe Gallery un choix de toiles, Strip Art.

    Les éditions Zanpano proposent le catalogue de cette exposition, des reproductions d’environ 120 peintures, élégantes, chatoyantes mais aussi osées.

    Chaque page s’apparente à une planche de bandes dessinées, avec titre calligraphié, toutes regroupées en chapitres (Territoire de la Femme, Reines de l’Amour, Pulsions et Compulsions, Charmes asiatiques, Requiem et Épilogue).

    Quelques commentaires éclairent ces parties, mais sans trahir ce livre d’art conçu comme une authentique BD, rendant l’ouvrage d’une grande accessibilité.

    Dans sa préface, Vincent Bernière rappelle que "dans les années 60, des peintres américains ont pillé la bande dessinée pour en faire de l’art." Et voilà que 50 ans plus tard, par un retournement de l’histoire, Alex Varenne, "l’ancien tachiste", mais aussi légende de la bande dessinée érotique, s’est retrouvé adoubé par le milieu des beaux-arts et par les grandes salles de vente – jusqu’à "se venger phonétiquement du pop part." Et devenir l’égal de ses pairs.

    Alex Varenne, Strip Art, préface de Vincent Bernière, éd. Zanpano, 2016, 128 p.
    Dossier "Alex Varenne"

    © Alex Varenne

    Bla Bla Blog était partenaire de l'exposition Strip Art