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Bandes dessinées et mangas - Page 23

  • Mathilde, ses amis, ses amours, ses emmerdes

    En 2010, Thomas Cadène lance le projet Les Autres Gens, un roman-feuilleton en bande-dessinées. L'aventure commence sur Internet. Autour de ce projet ambitieux de "BéDénovela" se presse la fine fleur du neuvième art : Bastien Vivès (dont il a déjà été question sur Bla Bla Blog), Asseyn, AK, Singeon ou Sébastien Vassant.

    La série se termine deux ans plus tard, ayant mobilisé plus d’une centaine de dessinateurs de tous horizons, au service d’une histoire à multiples intrigues tournant autour de Mathilde, ses amis, ses parents et sa famille.

    Les Autres Gens débutent par le plus improbable des scénarios : Mathilde Islematy, étudiante en droit, se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un magot de 30 millions d’euros, pour avoir donné à un joueur de l’EuroMillions, trois numéros gagnants du gros lot. Voilà donc la jeune femme liée au gagnant officiel, Hippolyte Offman, qui partage avec elle ses 60 millions. Mathilde choisit de garder secret sa soudaine fortune à se sproches. Le pourra-t-elle jusqu’au bout ?

    La réussite de ce premier volume des Autres Gens tient d’abord à la grande cohérence d’un roman-feuilleton qui dépoussière le genre. Thomas Cadène impose d’emblée ses personnages aux caractères bien trempés : Mathilde, bien entendu, mais aussi ses parents – bobo – Henri et Irène Islematy, Camille Meyer, la bonne copine paumée, Emmanuel Viriat, l’amoureux transit ou Hippolyte Offman, dandy et romanesque à souhait. La galerie s’étoffe au fur et à mesure de ce premier opus, donnant à cette novela graphique un air feuilletonesque très séduisant avec son lot d’intrigues amoureuses, de questionnements sur l’existence et d’engagements.

    16 dessinateurs se sont relayés pour créer les 23 chapitres du premier volume des Autres Gens. 16 styles différents au service des mêmes personnages et de la même histoire. Le lecteur sera décontenancé dans les premières pages par ce choix artistique (car "la" Mathilde dessinée par Bastien Vivès diffère de "la" Mathilde d’Alexandre Franc  ou celle de Vincent Sorel) mais cela n’altère en rien la cohésion d’une belle série ambitieuse et révolutionnaire qui s’est terminée en 2012 et qui est disponible en albums et sur le site Internet des Autres Gens.

    Thomas Cadène, Les Autres Gens, vol. #01 à #18, éd. Dupuis, 2011-2014
    http://www.lesautresgens.com
    "La fin des Autres Gens", in Serial Critics, 29 juin 2012

  • Le Viagra, en plus efficace et plus drôle

    C’est une histoire de philtre d’amour d’un autre genre qui nous est proposé par Alex Varenne dans La Molécule du Désir, une bande dessinée sortie en 2013.

    Le docteur Steiner, une scientifique aussi douée que collet monté, est la créatrice d’une molécule révolutionnaire capable de stimuler de manière spectaculaire la libido. C’est une aubaine pour le laboratoire suisse qui l’emploie. La chercheuse demande à son assistante, Yumi, de servir de cobaye et de tester sur elle-même le nouveau produit chimique.

    Les premiers essais sont concluants au-delà de toutes les espérances. Yumi donne de sa personne, confirmant les promesses de ce Viagra d’un autre genre. Invitée aux États-Unis afin de travailler sur cette invention, madame Steiner embarque avec elle sa jeune assistante qui va continuer à tester avec ardeur (avec le concours volontaire ou non de sa patronne) tout le potentiel érotique de la molécule miraculeuse.

    Alex Varenne, auteur légendaire de bandes dessinées érotiques, déploie sur seize chapitres autant de prétextes à décliner le désir et la sexualité sous toutes ses formes, toujours avec imagination, malice et humour. Les épisodes avec Mr Bazooka ou bien la séquence chez le gynécologue méritent à eux seuls la lecture de ce livre audacieux. Le bloggeur fera une mention spéciale pour le personnage du Dr Steiner, une vraie réussite scénaristique.

    Dans le style qui le caractérise – noir et blanc sobre et élégant, décors minimalistes, dessin maîtrisé magnifiant le corps des femmes – Alex Varenne nous parle de pulsions irrépréhensibles, de la mécanique du désir et du sexe dans ce qu’il a de plus ludique. Les esprits chagrins verront La Molécule du désir comme un ensemble de saynètes sans queue... ni tête. Ce serait d’une grande injustice. En cette période sombre, cette bande dessinée d’Alex Varenne est un puissant antidote à la morosité, en plus d’être un manifeste pour rendre le sexe drôle et l’érotisme joyeux.

    Alex Varenne, La Molécule du Désir, éd. Page 69, 2013, 216 p.
    http://www.alexvarenne.com

  • Comme ça, vous n’avez pas votre carte !

    Le point de départ et l’intrigue de Zaï zaï zaï zaï tient en peu de mots : un client fait ses courses dans un supermarché et s’aperçoit à la caisse qu’il n’a pas sa carte de fidélité. Un vigile l’alpague pour cette "erreur" mais le client parvient à s’enfuir. C’est le début d’une fuite à travers le pays.

    Cette histoire surréaliste de chasse à l’homme sur fond de carte de fidélité oubliée est le prétexte pour Fabcaro – qui se met d’ailleurs lui-même en scène dans le rôle du client distrait – d’une série de saynètes désopilantes. Avec un sens inouïe de concision et d’efficacité, Fabcaro fait de chaque page une histoire à part entière à partir d’une intrigue a priori banale où le loufoque et l’humour noir le disputent au non-sens. Derrière cette course à un improbable ennemi public numéro un, se cache en filigrane un discours sur l’absurdité de notre monde : société de consommation aliénante, médias hystériques ou manipulateurs ou citoyens lambda tombant dans une douce folie.

    Zaï zaï zaï zaï est servi par un graphisme épuré aux antipodes de l’histoire abracadabrantesque. Amateurs d’humour burlesque à la Monty Python, cette bande dessinée est pour vous.

    Fabcaro, Zaï zaï zaï zaï, éd. 6 Pieds sous terre, 2015
    Julien Baudry, "Fabcaro ou le comique déceptif"

  • Oh, my Gould

    Il fallait le faire : retracer la vie et la carrière de Glenn Gould. Cette vraie belle réussite scénaristique autant que visuelle nous vient de Sandrine Revel, auteure de Glenn Gould , Une Vie à Contretemps (éd. Dargaud).

    Il faut dire que le personnage se prêtait bien à cet exercice : Glenn Gould, musicien canadien précoce et surdoué a électrisé sa génération dès son premier enregistrement des Variations Goldberg de Bach, devenues en 1955 une référence autant qu'un disque de chevet pour des millions de personnes. Excentrique (Gould chantonnait pendant ses interprétations), visionnaire (il avait pressenti toute l'importance des technologies encore balbutiantes) ou monomaniaque (sa légendaire chaise boiteuse), Glenn Gould avait un jeu si peu orthodoxe qu'il a complètement revisité la manière dont on pouvait interpréter Bach, Schoenberg ou Beethoven, parmi ses compositeurs fétiches.

    Les familiers de Glenn Gould voyageront en terre pas tout à fait inconnue, même si la BD recèle d'étonnantes révélations, notamment sur sa vie sentimentale ou sur ses relations avec sa cousine Jessie. Pour les autres, ce sera une manière de découvrir la vie et la carrière d'un géant avant, pourquoi pas, de s'intéresser à sa production musicale. Pour les lecteurs souhaitant aller plus loin, Sandrine Revel propose d’ailleurs en fin d’ouvrage une playlist intéressante.

    Sandrine Revel, Glenn Gould , Une Vie à Contretemps, éd. Dargaud, 128 p.
    "Les Variations Gouldberg'


  • Et si tu faisais une BD sur l’Iran ?

    En 2014, l’auteur de Bons Baisers d’Iran entreprend avec sa compagne un voyage touristique en Iran. À l’époque, le pays commence à s’ouvrir au monde et les tours opérateurs organisent timidement les premiers tours dans un pays au patrimoine historique et artistique exceptionnel (un sujet que le bloggueur avait déjà traité dans cet article "Le globecroqueur en Iran"). C’est ce périple que nous raconte Lenaïc Vilain avec humour dans Bons Baisers d’Iran (éd. Vraoum).

    Au pays des Mollahs, le dessinateur ne cache pas la réalité des obligations et des interdits religieux, à commencer par le port du voile que doit supporter son amie pour se plier aux us et coutumes du pays. L’auteur fait plusieurs apartés au sujet du régime islamique. Il remarque avec justesse que l’Iran a connu son Printemps arabe… en 1979. Mais ce qui intéresse d’abord Lenaïc Vilain ce sont les Iraniens et les Iraniennes : leur manière de vivre dans un pays corseté par la religion, leur manière de s’arranger (non sans hypocrisie) avec les interdits (le voile, l’alcool, la pratique de l’Islam) mais aussi leur vision de l’Iran et des Français ("No, no no ! French : white !" assène un taxi lorsqu’il est question de multiculturalisme en France).

    Au final, le lecteur, comme ces deux voyageurs européens, sort un peu plus éclairé par l’Iran contemporain qui ne se réduit pas à la politique internationale, au djihadisme chiite ou à l’affaire du nucléaire iranien. Revenu à Paris, Lenaïc doit répondre à ses proches à une somme de questions et réagir à une série de commentaires clichés ("Les gens doivent détester les occidentaux", "Vous avez dû être suivis par des espions du régime", "Ils sont sympas les Talibans ?" et cetera.). La réaction de la compagne tombe sous le sens : "Fais un livre".

    Ce livre, le voilà.

    Lenaïc Vilain, Bons Baisers d’Iran, éd. Vraoum, 149 p.
    www.tumblr.com/blog/lenaicvilain
    "Le Globecroqueur en Iran"

  • En pensant à Orlando, en parlant de Superfeat

    Orlando_superfeat.jpg

    Orlando ou le "Bataclan américain".

    L'attentat terroriste de DAESH contre une boîte de nuit gay est aussi une attaque monstrueuse contre la communauté homosexuelle.

    Superfeat a réalisé ce dessin en 2011.   

    "Super prouesses de Superfeat"

  • Ce week-end je coince ma bulle

    Montargis-coince-la-bulle-2016.jpgCe week-end, le bloggeur arpentera les couloirs de la septième éditions du festival de bande-dessinée "Montargis coince la bulle", les 28 et 29 mai.

    Le samedi 28 mai aura lieu la remise des prix. En référence au "Chien de Montargis", un jury sélectionné parmi des professionnels de la culture et du dessin, ainsi que des personnalités locales et régionales, récompensera quatre albums par l’attribution d’un prix et d’un trophée symbolisé par un os. Les trophées et les prix sont remis le samedi à la fin de la première journée, après réunion du jury : le Nonosse d'or (Grand Prix de la Ville de Montargis), le Médor (Prix du meilleur album), le Bobby (Prix du meilleur dessinateur), le Rex (Prix de la jeune création), le Crayon Prix "Esprit Libre", décerné par Le LP Château-Blanc et MCLB. Un prix sera décerné à Bruno Le Floch, remis à Brieuc Le Floch et Brieg Haslé, lors de la quatrième édition du festival pour l’ensemble de sa carrière.

    Le salon réunira plusieurs dizaines d'auteurs invités : Hardoc, Olivier Frasier, Stan Silas, Gregory Charlet, Olivier Boiscommun, Julien Maffre, Michel Plessix, Kris, Thierry Murat, Steve Cuzor, Marzena Sowa, Sylvain Savoia, Christian De Metter, Riff Reb’s, Edith, Etienne Leroux, Jérémie Royer, Mezzo, Olivier Supiot, Lucien Rollin, Maud Bégon, Vanyda, Bertrand Galic, Franck Bonnet, Sandrine Revel, Benjamin Béneteau, Daniel Goossens, Éric Cartier, François Duprat, Amélie Sarn, Olivier Perret "Pero", Baru (Dimanche), Denis Lapière, Céline Wagner, Lénaic Vilain, Aude Samama, Thomas Priou et Arnaud Floc’h. 

    Retrouvez sur ce blog deux chroniques sur Maud Begon, une des auteures invitées : "Fix me" et "Moi, Lou, extralucide". 

    "Montargis coince la bulle", les 28 et 29 mai
    le samedi 28 mai de 10h à 19h et le dimanche 29 mai de 10h à 17h,
    3€ , gratuit pour les moins de 18 ans

    Salle des fêtes de Montargis, Le Pâtis 

  • Moi, Lou, extralucide

    Maud Begon et Carole Martinez développent sur deux volumes, Bouche d’Ombre, le thème du surnaturel à travers le parcours de Lou. Cette pimpante fille découvre au lycée, durant les années 80, qu’elle est dotée de pouvoirs extralucides.

    Le premier volume de Bouche d’Ombre, Lou 1985, suit l'adolescente témoin d'un drame puis visitée par un fantôme qui se révèle particulièrement présent. Comment vivre avec un don supranormal et quelle est la place de nos souvenirs familiaux dans nos propre existences ? Ce sont les questions que Lou devra affronter dans ce premier tome, sur fond d'enquête et de spectre : "On entend d’une bouche en apparence humaine / Sortir des mots pareils à des rugissements, / Et que, dans d’autres lieux et dans d’autres moments, / On croit voir sur un front s’ouvrir des ailes d’anges" (Victor Hugo, Bouche d'ombre, Les Contemplations).

    Le deuxième volume, Lucie 1900, continue de suivre la jeune extralucide et entend expliquer les origines de son don. Lou est étudiante et s'est éprise de Marc, camarade de fac et photographe à ses heures. Un jour qu'il prend en photo sa petite amie, il capture du même coup un ectoplasme. Aiguillée par ses tantes Josette et Jeannette, Lou part à la recherche de ce fantôme mais aussi de son passé familial. Grâce à l'hypnose, ses recherches la transportent à Paris en 1900, durant l'exposition universelle. Lou se retrouve dans la peau de cet esprit, Lucie, qui est aussi son aïeule. Lou/Lucie découvre l'univers fascinant des sciences physiques et de l'occultisme durant la Belle Époque et croise par la même occasion Pierre et Marie Curie. Passé et présent se télescopent dans ce deuxième tome de Bouche d’Ombre, ample et aventureux à souhait, jusqu'au dénouement aussi poignant que surprenant.

    Ces deux bandes dessinées confirment le talent de la dessinatrice de Maud Begon, que j'avais chroniquée pour Je n'ai jamais connu la Guerre ("Fix me"), et séduisent pour son sens de la narration due à la scénariste Carole Martinez.

    Maud Begon et Carole Martinez, Bouche d'Ombre, 1, Lou 1985, éd. Casterman, 2014, 70 p.
    Maud Begon et Carole Martinez, Bouche d'Ombre, 2, Lucie 1900, éd. Casterman, 2015, 90 p.
    "Fix me"
    Maud Begon sera présente au salon "Montargis Coince la Bulle" les 28 et 29 mai 2016
    Le Tumblr de Maud Begon