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Bandes dessinées et mangas - Page 25

  • Le Caravage primé

    J'avais parlé il y a quelques semaines du premier tome de Caravage, la bande dessinée de Milo Manara consacrée au génie de la Renaissance, et le maître du clair-obscur ("Le Caravage ressuscité en BD"). Milo Manara a su rester fidèle à la biographie (par moment lacunaire) de l'artiste italien tout en "dépeignant" l'environnement du Caravage, des palais de mécènes richissimes aux bas-fonds de la cité pontificale, en passant par les ateliers d'artistes. 

    Cette bande dessinée, élégante, passionnante et sexy, présente en plus l'avantage de faire découvrir ce peintre maudit, un "bad boy" considéré aujourd'hui comme un maître incontesté de la peinture occidentale. 

    C'est de manière tout à fait méritée que la revue Historia lui a décerné le Prix Historia de la bande dessinée 2015, pour sa "fiabilité historique, son scénario, son originalité et son graphisme". Et le magazine d'ajouter : "Ce que le jury récompense, c'est autant une excellente BD d'histoire qu'une extraordinaire œuvre d'art", dit la revue pour expliquer son choix.

    "Le Caravage ressuscité en BD" 

  • Laureline et Valérian, bons pour le service

    Les agents spatio-temporels Laureline et Valérian sont les madeleines de Proust de nombre d'amateurs de bandes dessinées. Je cite volontairement "Laureline et Valérian", bien que l'œuvre graphique de Christin et Mézière s'intitule en réalité "Valérian agent spatio-temporel".

    Il me paraît injuste de transformer l'héroïne de ce cycle en simple faire-valoir féminin de son compagnon. Car Laureline, l'alter-ego de Valérian, agent spatial comme lui, n'a pas à rougir de la comparaison avec ce dernier. Loin de là. La sémillante rousse, le vrai personnage principal de cette saga dessinée (du moins, c'est mon avis), dénote par ses qualités : courage, perspicacité, humanité, humour, intelligence et beauté. Elle le prouve dans un album que je viens de découvrir. 

    L'album publié en 1996, Otages de l'Ultralum, met en scène les deux agents spatio-temporels en lune de miel dans une croisière paradisiaque de l'astéroïde Ikotiklos. Les deux agents, devenus riches et n'aspirant qu'à une retraite bien méritée, sont rappelés au service, à la faveur de l'enlèvement du fils "tête-à-claque" du grand calife d'Iksaladam. Laureline est par accident, elle aussi, emmené par les instigateurs, le Quatuor Mortis, destiné à faire chanter Point Central , une sorte d'ONU galactique – qui n'est pas sans rappeler la République de Star Wars. Valérian part en chasse pour récupérer la belle qui, de son côté, va en faire voir de toutes les couleurs à ses ravisseurs.

    Les mauvaises langues trouveront l'œuvre de Christin et Mézières daté – vocabulaire désuet et renvoyant par moment à la série Star Trek, humour potache parfois retombant comme un soufflet – mais le bloggeur ne gardera que les qualités de cette série qui a marqué son époque : scénario bien construit, inventions graphiques, dialogues soignés, personnages principaux inoubliables, créatures extra-terrestres étonnantes. 

    Laureline et Valérian paraissent de si bons archétypes de fiction (et qui ont inspiré à leur manière la série Star Wars) que Luc Besson a décidé d'en faire les héros d'un prochain film qui promet de faire du bruit (voir à ce sujet cet article de MadmoiZelle).

    Le couple le plus glamour de la science-fiction sera de nouveau, bientôt, bon pour le service. On a hâte de voir ça.

    J.C. Mézières et P. Christin, Otages de l'Ultralum, Valérian agent spatio-temporel, éd. Dargaud, 1996

  • Le Caravage ressuscité en BD

    S'attaquer en BD à un peintre de l'envergure du Caravage est à la fois excitant et casse-gueule. Comment un dessinateur contemporain peut-il se réapproprier la vie et surtout l'œuvre graphique d'un géant de la peinture, décrié à son époque et admiré de nos jours ? C'est le pari de Milo Manara, un pari gagné avec maestria.

    Le premier tome de cette aventure littéraire commence aux 21 ans du jeune Michelange Merisi, originaire du Caravage, un village de la région de Bergame. Nous sommes en 1592. Faire l'impasse sur les jeunes années du futur peintre maudit tient au fait que l'on sait peu de ses années d'apprentissage à Milan. Celui que l'on surnommera Le Caravage s'est déjà fait déjà connaître par "l'élégance et la légèreté" de quelques œuvres de jeunesse (Vénus, Cupidon et les deux satyres). Mais la bande dessinée de Manara passe sous silence cette période.

    Elle choisit de mettre en scène le peintre lorsqu'il arrive à Rome, une Rome ressuscitée, glauque, dangereuse et fascinante. C'est dans cette ville que Michelange Merisi côtoie les puissants et ses futurs mécènes, les ateliers d'artistes mais aussi la frange de la société – indigents, marginaux, petits filous, grands criminels et prostituées. Le Caravage a puisé dans son inspiration auprès des rejetés de tout bord. Au final, il a été souligné combien ses peintures brillent par leur réalisme noir, leur naturalisme, le sens du mouvement et du détail et aussi leur sensualité – une sensualité d'ailleurs très présente dans cette BD.

    Parce qu'il s'agit d'un biopic, le lecteur aurait pu craindre que cette bande dessinée ne soit centrée que sur les démêlés de l'artiste avec la justice de son époque. Milo Manara ne cache certes rien des crimes dont on a pu accuser Le Caravage, autant à l'aise dans les palais archiépiscopaux que dans les bordels romains, et souvent prompt à se battre. Cependant, le principal intérêt de cette biographie graphique est de montrer le travail du peintre, ses inspirations et le contexte de ses tableaux les plus célèbres. Et la magie opère !

    Non content de se réapproprier les tableaux les plus fameux du Caravage, en les reproduisant sur planches avec fidélité, Milo Manara ressuscite le peintre dans son atelier mais aussi ses modèles : le Jean-Baptiste au mouton devient le jeune protégé Mario Minniti ; la Vierge Marie du Repos pendant la fuite en Egypte prend vie sous la forme d'une prostituée, Anna, qui posera également pour un autre de ses tableaux La Mort de la Vierge.   

    Plus qu'une simple BD, Ce Caravage fera référence en ce qu'il constitue une excellente introduction à un artiste majeur de la peinture occidentale.

    Milo Manara, Le Caravage, tome 1 La Palette et l'Épée, éd. Glénat, 2015
    "Le Caravage, tome 1", Publikart.net


  • Ce n'est pas toi que j'attendais

    6008.jpgCe qui nous est raconté dans la bande dessinée autobiographique de Fabien Toulmé, Ce n'est pas toi que j'attendais, est le cauchemar de beaucoup de futurs parents : que se passe-t-il lorsque le bébé désiré naît avec un lourd handicap et marque le début d'un parcours douloureux et semé d'embûches.

    C'est l'objet de cette poignante bande dessinée dans laquelle Fabien Toulmé raconte la grossesse et surtout la naissance de Julia, née trisomique. La surprise laisse place à la colère, l'injustice, l'impuissance puis la résignation. Et au milieu de ce flot confus de sentiments (et de ressentiments), que l'auteur parvient à décrire avec justesse, commence à naître autre chose : l'amour pour une petite fille (sa petite fille), le tout sur le thème de la différence et de la compréhension.

    Une superbe aventure humaine : "Ce n'est pas toi que j'attendais... mais je suis quand même content que tu soies venue" dit le narrateur au bébé qu'il réussira finalement à "adopter"   

    Fabien Toulmé, Ce n'est pas toi que j'attendais, éd. Delcourt, 244 p., 2014
    http://fabien-t.blogspot.fr

     

    Fabien Toulmé - Ce n'est pas toi que j'attendais par Librairie_Mollat

  • De la piscine comme univers métaphysique

    Après l'article "Les meilleurs amis du monde", c'est d'une autre bande dessinée de Bastien Vivès dont il est question ici. Le Goût du Chlore, sorti en 2008, a reçu le Prix Essentiel Révélation Angoulême 2009. Preuve supplémentaire de la qualité de cet ouvrage, le dictionnaire Les 1001 Bandes Dessinées qu'il faut avoir lues dans sa Vie le mentionne dans ses pages. 

    Dans Le Goût du Chlore, le lecteur suit le personnage principal dont on ignore jusqu'au prénom. Tout juste apprend-on qu'en raison de sa sérieuse scoliose, son kinésithérapeute l'invite à se rendre régulièrement à la piscine. Au cours de ces séances plus ou moins contraintes, notre patient croise une nageuse, aussi douée que mystérieuse. Le jeune homme, timide et peu bavard, décide de l'aborder.

    Ce huis-clos dans une piscine est un bijou d'intelligence, de délicatesse et de subtilité. Les dialogues, rares et concis, invitent à une plongée dans un univers liquide, aseptisé et comme éloigné du monde. Là, dans les eaux iodés de cette piscine, des êtres anonymes de tout sexe nagent, s'observent, discutent (un peu), paradent, plaisantent, chahutent et, parfois, se draguent l'air de rien.

    J'avais parlé, pour la bande dessinée Amitié étroite, d'un style rhomérien ; c'est également plus que jamais le cas dans Le Goût du Chlore

    Visuellement, ce livre est d'une beauté à couper le souffle, que ce soit dans le rendu des corps, dans celui de l'élément liquide, omniprésent, dans les gestes des personnages, dans le découpage, le cadrage, les couleurs pastel ou dans la clarté des lignes et des formes. 

    Jamais, sans doute, une piscine n'avait paru aussi bouleversante et métaphysique. 

    Bastien Vivès, Le Goût du Chlore, éd. KSTR, 2008, 135 p.
    http://bastienvives.blogspot.fr

  • Les meilleurs amis du monde

    Il y a du Rohmer dans Amitié étroite, cette bande dessinée de Bastien Vivès. Du Rohmer qui aurait trouvé son inspiration dans la génération Y, biberonnée aux téléphones portables, à la téléréalité et à l'Internet.

    Le marivaudage est au cœur de cette superbe œuvre d'un de nos plus talentueux dessinateurs. Francesca, jeune étudiante, papillonne de garçon en garçon. Son plus fidèle soutien est son meilleur ami, Bruno, lui aussi à la recherche d'une âme sœur. C'est une relation fusionnelle et ambiguë qu'ils entretiennent, jugée avec méfiance et curiosité par leurs proches, et bien résumé par ce court dialogue : "C'est qui ce mec ? C'est ton frère ? - Non. - C'est ton mec ?" Ce lien fort se noue et se dénoue dans les vingt pages de cette bande dessinée, toute en subtilité.

    Une histoire simple mais poignante, un graphisme épuré frôlant parfois l'abstraction (qui était déjà très présente dans Le Goût du Chlore) et une histoire "rhomérienne" qui croque avec justesse un tableau de la jeunesse d'aujourd'hui. Une pure merveille. 

    Bastien Vivès, Amitié étroite, éd. KSTR, 2009, 132 p.
    http://bastienvives.blogspot.fr

  • Bienvenue chez les ploucs

    Il y a quelques années, je tombais sur Cul-de-Sac le premier roman sombre et teinté d'humour noir d'un certain Douglas Kennedy (voir sur ce lien). 

    Ce polar marquant et culte, adapté au cinéma en 1997 par Stephan Elliott (Bienvenue à Woop Woop), a été republié en France en 2008 sous une nouvelle traduction et avec un nouveau titre, Piège nuptial. Et c'est la version bande dessinée que j'ai eu le plaisir de découvrir il y a peu. 

    L'histoire de ce piège démarre par la virée de Nick, un Américain en mal de voyage, parti découvrir  le bush australien. Il prend en stop Angie, une jeune et jolie autochtone, partie quelques semaines hors de son village, Wollanup, 53 habitants, ancienne cité minière abandonnée, perdue dans le désert (il faut faire 700 kilomètres pour trouver la première habitation). 

    Les deux routards sympathisent, voyagent, flirtent (beaucoup) et passent une première semaine dans une relative insouciance, avant que Nick ne se réveille du jour au lendemain dans une cahute, à Wollanup. Là, il apprend que ce village pauvre et poisseux, peuplé en majorité d'habitants en rupture de ban – de ploucs pour dire les choses autrement ! – va devenir son univers. Et pour cause : il a été marié à Angie, après avoir été kidnappé, drogué et amené à Wollanup. Personne ne tient à ce qu'il parte, à commencer par sa (nouvelle) femme qui a le plein soutien de sa famille, les "notables" de cette bourgade paumée. Nick ne peut compter que sur lui-même, mais aussi de la sœur d'Angie qui souhaite comme lui fuir au plus vite cet endroit. 

    Christian de Metter a mis en image, avec talent, l'histoire de ce piège nuptial cauchemardesque. Les personnages baignent dans une ambiance glauque où l'humour noir est présente. Graphiquement, le travail sur les visages et les postures des personnages est remarquable. Et le lecteur qui connaissait déjà la version roman de Douglas Kennedy, découvrira avec plaisir l'adaptation BD, très cinématographique, qu'en a fait Christian de Metter.

    Christian de Metter, Piège nuptial, éd. Casterman 2012, 122 p.
    Douglas Kennedy, Cul-de-sac, éd. Folio, 292 p.
    Piège nuptial, éd. Belfond, 2008 (nouvelle traduction) 

    Voir aussi le forum sur le jeu interactif Wild is The Wind consacré
    à la petite ville imaginaire de Wollanup : http://wild-wind.forumactif.org

  • Habibi, mon amour

    Attention, chef d'œuvre ! Habibi de Craig Thompson est à placer dans le panthéon des très grandes bandes dessinées qui vont marquer durablement le 9ème art. Ce livre d'une richesse incomparable a été salué comme l'un des meilleurs romans graphiques de ces dix dernières années. 

    Il est difficile de résumer cette œuvre monumentale (plus de 670 pages), piochant ses références dans les Contes des Mille et une Nuits, les textes sacrés du Coran et de la Bible, mêlant modernité et traditions, sacré et érotisme, amour et violence, récit prosaïque et réflexions sur le symbolisme, le tout servi par un scénario passionnant et un graphisme élégant, poétique et bourré de trouvailles visuelles.   

    Habibi ("Mon amour") c'est Zam, jeune esclave noir que recueille Dodola, elle aussi esclave, vendue par son père dès son plus jeune âge pour être mariée, avant d'être enlevée. Sur un marché aux esclaves, la jeune fille prend sous sa protection Zam, un bébé abandonné et l'élève comme un petit frère. Les deux enfants parviennent à s'enfuir dans le désert jusqu'à un navire abandonné (sic) qui leur sert de refuge. Au bout de plusieurs années de cette vie libre mais dure, fusionnelle et rythmée par des histoires que lui raconte Dodola, le couple est séparé. Celle dont la beauté est devenue légendaire est enlevée une nouvelle fois et devient la courtisane préférée d'un sultan. Elle n'a cependant pas oublié cet enfant qu'elle a élevé. Habibi, resté seul, part à sa recherche. Ses pas le mènent jusqu'au palais du sultan ...

    Vous aurez compris que l'amour est au centre de cette histoire digne des meilleurs contes orientaux. Cette fresque romanesque offre des résonances multiples et complexes : les personnages mythiques ou historiques sont au service de messages universels et modernes : ainsi, dans Habibi, Noé devient un truculent pêcheur de poissons – morts ! – recueillant dans son habitation sordide les éclopés et les rejetés d'une ville rongée par la pollution et la pauvreté. Le lecteur peut être déstabilisé par le choix d'entremêler passé et présent dans cette œuvre foisonnante : Zam et Dodola sont ballottés au milieu de personnages qui ne dépareilleraient pas dans les Contes des Mille et une Nuits – satrapes cruels et capricieux, marchands d'esclaves sans foi ni loi, bourreaux impitoyables, eunuques ou courtisanes – mais se débattent aussi dans un présent plus familier – cités contaminés, usines gigantesques, véhicules motorisés... 

    Le lecteur a beau être désarçonné, la magie opère : Habibi et Dodola prennent vie, devenant un des couples les plus poignants de l'histoire de la bande dessinée. Un chef d'œuvre ambitieux, éblouissant et inoubliable. 

    Craig Thompson, Habibi, Casterman, 671 p.