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Bandes dessinées et mangas - Page 25

  • Haddock et Loch Lomond

    C'est de whisky dont il sera question dans cet article. De whisky mais aussi de bande dessinée. 

    Boisson longtemps confinée dans des cercles de connaisseurs, plus ou moins snobs, jamais le whisky ne s'est aussi bien porté qu'aujourd'hui. Alors que vingt ans plus tôt les distilleries peinaient à rester rentable, elles sont aujourd'hui confrontées à une révolution culturelle autant qu'à une vraie crise de croissance : difficulté à satisfaire la demande mondiale (+ 3 % par an), consommateurs de plus en plus ouverts aux whiskies autres que le sacro-saint blend ou le single malt écossais (boissons venues du Japon, des États-Unis, d'Australie ou de France), rachats de distilleries par de grands groupes (Diageo ou Pernod Ricard). La France se classait en 2013 premier pays consommateur au monde devant le Royaume-Uni et les États-Unis avec deux litres par personne et par an ! Il est aussi à noter que le premier pays producteur au monde de ce divin breuvage est... l'Inde ! Ce qui n'est pas forcément gage de qualité, les tords-boyaux y faisant florès.

    Arrêtons-nous un instant sur Loch Lomond, une marque qui n'est certes pas la plus réputée dans ce milieu. 

    Loch Lomond. Le nom frappera les oreilles des tintinophiles car il s'agit de la marque de whisky préférée du Capitaine Haddock. Buveur invétéré, c'est en état fortement alcoolisé que le lecteur et Tintin font sa connaissance dans Le Crabe aux Pinces d'Or (1953). Le whisky trône déjà en bonne place sur la table du Capitaine Haddock, sans pour autant que la marque de ce breuvage n'apparaisse. La mention de Loch Lomond n'apparaît qu'en 1966, dans L'Île Noire : le célèbre journaliste trouve refuge sur un train de fret transportant des citernes de whisky. La version moderne de cet album, qui a été publié dans une première édition en 1943, mentionne pour la première fois le Loch Lomond. Les spécialistes ont noté justement que Hergé avait choisi un autre distillateur dans la première version de sa bande dessinée, puisque la fameuse citerne mentionnait la marque Johnny Walker.

    Le whisky est présent tout au long des aventures de Haddock, transportant sa boisson préférée à l'autre bout du monde (L’Étoile mystérieuse, 1946), voire jusque sur la lune (On a marché sur la Lune, 1954). 

    Mais la contribution la plus importante de Loch Lomond dans une aventure de Tintin se retrouve dans le dernier album terminé par Hergé, Tintin et les Picaros (1976). Cette boisson est même un des éléments importants de l'intrigue qui emmène Tintin et Haddock en Amérique du Sud. Alors que le capitaine se trouve du jour au lendemain allergique à toute boisson alcoolisée – et à son whisky préféré – nos deux héros doivent résoudre l'alcoolisme désastreux dont sont victimes les rebelles du Général Alcazar, les Picaros. Ce mal a été provoqué par son adversaire, le Général Tapioca, qui a fait parachuter en pleine forêt tropicale, où se cachent les rebelles, des caisses de whisky Loch Lomond. Une manière diablement efficace pour rendre inoffensif les guérilleros d'Alcazar. La solution à ce problème d’ébriété généralisée viendra du professeur Tournesol. 

    Il y a un mystère dans l'omniprésence de cette marque de whisky, qui n'est certes pas la plus connue ni la plus réputée dans l'univers du whisky. Pourquoi ce choix d'Hergé ? Il est bon de préciser que l'actuelle distillerie Loch Lomond a été créée en 1965 (la marque existait depuis 1814, nous apprend le site Internet du groupe Loch Lomond), soit un an avant son apparition officielle dans L'Île Noire version 1966. Ce choix de l'auteur belge est d'autant plus surprenant que Loch Lomond ne paraît pas en adéquation avec un personnage aussi tempétueux et caractériel que Haddock. Avouons qu'il aurait été moins surprenant que le goût du capitaine au long cours se porte sur une marque plus typée, un whisky tourbé par exemple (Talisker, Laphroaig ou Lagavulin). Le Guide des Whiskies du Monde décrit la version single malt classique de Loch Lomond comme "assez jeune... à l'arôme léger et frais, sans grande influence de bois". Le blend Signature de Loch Lomond accrédite le caractère léger et passe-partout d'un whisky plutôt fruité et facile d'accès. Subtilité, notes fruitées légères, accents floraux sont les caractéristiques de ces whiskies très "féminins", que ce soit en blend ou en single malt. Le capitaine Haddock aurait-il réellement jeté son dévolu sur la distillerie Loch Lomond ? En tout cas, il en a fait une jolie promotion, rendant cette marque légendaire.

    Loch Lomond Group
    Charles McClean, Whiskies du Monde, éd. Prisma, 2010, 352 p.
    Hergé, L'Île Noire, éd. Casterman, 1943, 1966
    Hergé, Le Crabe aux Pinces d'Or, éd. Casterman, 1953
    Hergé, Tintin et les Picaros, éd. Casterman, 1976
    Tintin Wiki
    Le whisky est à consommer avec modération

  • Voltaire en bande dessinées

    Après une dizaine d'année de travail, et après avoir abandonné le projet plusieurs fois, Régis Bezannier est le créateur d'une adaptation en bande dessinée de Candide ou l'optimisme, de Voltaire.

    L'illustrateur a voulu d'abord travailler avec un scénariste prestigieux (et combien !) mais surtout, son objectif est de rendre ce texte plus attractif a un public qui pourrait être réfractaire à ce genre de lecture (ce fut le cas pour le dessinateur au moment de l'étudier au lycée).

    Le texte quasi intégral du fameux représentant du siècle des lumières trouve une nouvelle jeunesse en BD, grâce à un dessin en noir et blanc à la fois "sobre, doux et subtil." (Magazine Virgule).

    Cette bande dessinée est uniquement disponible en auto-édition (papier ou numérique) sur le site Thebookedition .com

    Régis Bezannier et Voltaire, Candide, éd. Thebookedition, 2015, 134 p.
    Thebookedition .com

     

  • Le Caravage primé

    J'avais parlé il y a quelques semaines du premier tome de Caravage, la bande dessinée de Milo Manara consacrée au génie de la Renaissance, et le maître du clair-obscur ("Le Caravage ressuscité en BD"). Milo Manara a su rester fidèle à la biographie (par moment lacunaire) de l'artiste italien tout en "dépeignant" l'environnement du Caravage, des palais de mécènes richissimes aux bas-fonds de la cité pontificale, en passant par les ateliers d'artistes. 

    Cette bande dessinée, élégante, passionnante et sexy, présente en plus l'avantage de faire découvrir ce peintre maudit, un "bad boy" considéré aujourd'hui comme un maître incontesté de la peinture occidentale. 

    C'est de manière tout à fait méritée que la revue Historia lui a décerné le Prix Historia de la bande dessinée 2015, pour sa "fiabilité historique, son scénario, son originalité et son graphisme". Et le magazine d'ajouter : "Ce que le jury récompense, c'est autant une excellente BD d'histoire qu'une extraordinaire œuvre d'art", dit la revue pour expliquer son choix.

    "Le Caravage ressuscité en BD" 

  • Laureline et Valérian, bons pour le service

    Les agents spatio-temporels Laureline et Valérian sont les madeleines de Proust de nombre d'amateurs de bandes dessinées. Je cite volontairement "Laureline et Valérian", bien que l'œuvre graphique de Christin et Mézière s'intitule en réalité "Valérian agent spatio-temporel".

    Il me paraît injuste de transformer l'héroïne de ce cycle en simple faire-valoir féminin de son compagnon. Car Laureline, l'alter-ego de Valérian, agent spatial comme lui, n'a pas à rougir de la comparaison avec ce dernier. Loin de là. La sémillante rousse, le vrai personnage principal de cette saga dessinée (du moins, c'est mon avis), dénote par ses qualités : courage, perspicacité, humanité, humour, intelligence et beauté. Elle le prouve dans un album que je viens de découvrir. 

    L'album publié en 1996, Otages de l'Ultralum, met en scène les deux agents spatio-temporels en lune de miel dans une croisière paradisiaque de l'astéroïde Ikotiklos. Les deux agents, devenus riches et n'aspirant qu'à une retraite bien méritée, sont rappelés au service, à la faveur de l'enlèvement du fils "tête-à-claque" du grand calife d'Iksaladam. Laureline est par accident, elle aussi, emmené par les instigateurs, le Quatuor Mortis, destiné à faire chanter Point Central , une sorte d'ONU galactique – qui n'est pas sans rappeler la République de Star Wars. Valérian part en chasse pour récupérer la belle qui, de son côté, va en faire voir de toutes les couleurs à ses ravisseurs.

    Les mauvaises langues trouveront l'œuvre de Christin et Mézières daté – vocabulaire désuet et renvoyant par moment à la série Star Trek, humour potache parfois retombant comme un soufflet – mais le bloggeur ne gardera que les qualités de cette série qui a marqué son époque : scénario bien construit, inventions graphiques, dialogues soignés, personnages principaux inoubliables, créatures extra-terrestres étonnantes. 

    Laureline et Valérian paraissent de si bons archétypes de fiction (et qui ont inspiré à leur manière la série Star Wars) que Luc Besson a décidé d'en faire les héros d'un prochain film qui promet de faire du bruit (voir à ce sujet cet article de MadmoiZelle).

    Le couple le plus glamour de la science-fiction sera de nouveau, bientôt, bon pour le service. On a hâte de voir ça.

    J.C. Mézières et P. Christin, Otages de l'Ultralum, Valérian agent spatio-temporel, éd. Dargaud, 1996

  • Le Caravage ressuscité en BD

    S'attaquer en BD à un peintre de l'envergure du Caravage est à la fois excitant et casse-gueule. Comment un dessinateur contemporain peut-il se réapproprier la vie et surtout l'œuvre graphique d'un géant de la peinture, décrié à son époque et admiré de nos jours ? C'est le pari de Milo Manara, un pari gagné avec maestria.

    Le premier tome de cette aventure littéraire commence aux 21 ans du jeune Michelange Merisi, originaire du Caravage, un village de la région de Bergame. Nous sommes en 1592. Faire l'impasse sur les jeunes années du futur peintre maudit tient au fait que l'on sait peu de ses années d'apprentissage à Milan. Celui que l'on surnommera Le Caravage s'est déjà fait déjà connaître par "l'élégance et la légèreté" de quelques œuvres de jeunesse (Vénus, Cupidon et les deux satyres). Mais la bande dessinée de Manara passe sous silence cette période.

    Elle choisit de mettre en scène le peintre lorsqu'il arrive à Rome, une Rome ressuscitée, glauque, dangereuse et fascinante. C'est dans cette ville que Michelange Merisi côtoie les puissants et ses futurs mécènes, les ateliers d'artistes mais aussi la frange de la société – indigents, marginaux, petits filous, grands criminels et prostituées. Le Caravage a puisé dans son inspiration auprès des rejetés de tout bord. Au final, il a été souligné combien ses peintures brillent par leur réalisme noir, leur naturalisme, le sens du mouvement et du détail et aussi leur sensualité – une sensualité d'ailleurs très présente dans cette BD.

    Parce qu'il s'agit d'un biopic, le lecteur aurait pu craindre que cette bande dessinée ne soit centrée que sur les démêlés de l'artiste avec la justice de son époque. Milo Manara ne cache certes rien des crimes dont on a pu accuser Le Caravage, autant à l'aise dans les palais archiépiscopaux que dans les bordels romains, et souvent prompt à se battre. Cependant, le principal intérêt de cette biographie graphique est de montrer le travail du peintre, ses inspirations et le contexte de ses tableaux les plus célèbres. Et la magie opère !

    Non content de se réapproprier les tableaux les plus fameux du Caravage, en les reproduisant sur planches avec fidélité, Milo Manara ressuscite le peintre dans son atelier mais aussi ses modèles : le Jean-Baptiste au mouton devient le jeune protégé Mario Minniti ; la Vierge Marie du Repos pendant la fuite en Egypte prend vie sous la forme d'une prostituée, Anna, qui posera également pour un autre de ses tableaux La Mort de la Vierge.   

    Plus qu'une simple BD, Ce Caravage fera référence en ce qu'il constitue une excellente introduction à un artiste majeur de la peinture occidentale.

    Milo Manara, Le Caravage, tome 1 La Palette et l'Épée, éd. Glénat, 2015
    "Le Caravage, tome 1", Publikart.net


  • Ce n'est pas toi que j'attendais

    6008.jpgCe qui nous est raconté dans la bande dessinée autobiographique de Fabien Toulmé, Ce n'est pas toi que j'attendais, est le cauchemar de beaucoup de futurs parents : que se passe-t-il lorsque le bébé désiré naît avec un lourd handicap et marque le début d'un parcours douloureux et semé d'embûches.

    C'est l'objet de cette poignante bande dessinée dans laquelle Fabien Toulmé raconte la grossesse et surtout la naissance de Julia, née trisomique. La surprise laisse place à la colère, l'injustice, l'impuissance puis la résignation. Et au milieu de ce flot confus de sentiments (et de ressentiments), que l'auteur parvient à décrire avec justesse, commence à naître autre chose : l'amour pour une petite fille (sa petite fille), le tout sur le thème de la différence et de la compréhension.

    Une superbe aventure humaine : "Ce n'est pas toi que j'attendais... mais je suis quand même content que tu soies venue" dit le narrateur au bébé qu'il réussira finalement à "adopter"   

    Fabien Toulmé, Ce n'est pas toi que j'attendais, éd. Delcourt, 244 p., 2014
    http://fabien-t.blogspot.fr

     

    Fabien Toulmé - Ce n'est pas toi que j'attendais par Librairie_Mollat

  • De la piscine comme univers métaphysique

    Après l'article "Les meilleurs amis du monde", c'est d'une autre bande dessinée de Bastien Vivès dont il est question ici. Le Goût du Chlore, sorti en 2008, a reçu le Prix Essentiel Révélation Angoulême 2009. Preuve supplémentaire de la qualité de cet ouvrage, le dictionnaire Les 1001 Bandes Dessinées qu'il faut avoir lues dans sa Vie le mentionne dans ses pages. 

    Dans Le Goût du Chlore, le lecteur suit le personnage principal dont on ignore jusqu'au prénom. Tout juste apprend-on qu'en raison de sa sérieuse scoliose, son kinésithérapeute l'invite à se rendre régulièrement à la piscine. Au cours de ces séances plus ou moins contraintes, notre patient croise une nageuse, aussi douée que mystérieuse. Le jeune homme, timide et peu bavard, décide de l'aborder.

    Ce huis-clos dans une piscine est un bijou d'intelligence, de délicatesse et de subtilité. Les dialogues, rares et concis, invitent à une plongée dans un univers liquide, aseptisé et comme éloigné du monde. Là, dans les eaux iodés de cette piscine, des êtres anonymes de tout sexe nagent, s'observent, discutent (un peu), paradent, plaisantent, chahutent et, parfois, se draguent l'air de rien.

    J'avais parlé, pour la bande dessinée Amitié étroite, d'un style rhomérien ; c'est également plus que jamais le cas dans Le Goût du Chlore

    Visuellement, ce livre est d'une beauté à couper le souffle, que ce soit dans le rendu des corps, dans celui de l'élément liquide, omniprésent, dans les gestes des personnages, dans le découpage, le cadrage, les couleurs pastel ou dans la clarté des lignes et des formes. 

    Jamais, sans doute, une piscine n'avait paru aussi bouleversante et métaphysique. 

    Bastien Vivès, Le Goût du Chlore, éd. KSTR, 2008, 135 p.
    http://bastienvives.blogspot.fr

  • Les meilleurs amis du monde

    Il y a du Rohmer dans Amitié étroite, cette bande dessinée de Bastien Vivès. Du Rohmer qui aurait trouvé son inspiration dans la génération Y, biberonnée aux téléphones portables, à la téléréalité et à l'Internet.

    Le marivaudage est au cœur de cette superbe œuvre d'un de nos plus talentueux dessinateurs. Francesca, jeune étudiante, papillonne de garçon en garçon. Son plus fidèle soutien est son meilleur ami, Bruno, lui aussi à la recherche d'une âme sœur. C'est une relation fusionnelle et ambiguë qu'ils entretiennent, jugée avec méfiance et curiosité par leurs proches, et bien résumé par ce court dialogue : "C'est qui ce mec ? C'est ton frère ? - Non. - C'est ton mec ?" Ce lien fort se noue et se dénoue dans les vingt pages de cette bande dessinée, toute en subtilité.

    Une histoire simple mais poignante, un graphisme épuré frôlant parfois l'abstraction (qui était déjà très présente dans Le Goût du Chlore) et une histoire "rhomérienne" qui croque avec justesse un tableau de la jeunesse d'aujourd'hui. Une pure merveille. 

    Bastien Vivès, Amitié étroite, éd. KSTR, 2009, 132 p.
    http://bastienvives.blogspot.fr