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Cinéma - Page 24

  • Abominables additions

    Incendies, que ce soit la version théâtrale ou l’adaptation ciné de Denis Villeneuve, est de ces œuvres que l’on ne peut pas oublier. L’œuvre de Wajdi Mouawad, sans doute l’un des meilleurs dramaturges contemporains, officiant aujourd’hui au Théâtre National de la Colline, date de 2003 et a été transposée au cinéma sept ans plus tard, popularisant un drame bouleversant, dont nous ne dévoileront pas la fin.

    Incendies est une œuvre essentielle de notre époque, puisant ses sources autant dans l’actualité récente (dont la Guerre du Liban, le pays dont est originaire l’auteur mais qu’il a quitté pour le Canada) autant que dans les grandes tragédies antiques.

    Le récit commence dans le cabinet d’un notaire de Montréal qui ouvre devant Jeanne et Simon, des jumeaux trentenaires, le testament de leur mère, Nawal Marwan. Née au Moyen-Orient, cette dernière laisse des dernières volontés incompréhensibles à ses deux enfants : " Aucune pierre ne sera posée sur ma tombe / Et mon nom gravé nulle part." Elle demande aussi que sa fille, professeure de mathématiques, recherche son père qu’elle croyait mort et lui remette une enveloppe scellée. De même, elle demande à son fils Simon de chercher son frère, dont ils ignoraient tous l’existence. Comme pour Jeanne, Simon devra lui remettre une lettre. Soutenus par l’ami et notaire Hermine Lebel, Jeanne puis Simon partent à la recherche de  cette parenté et de leurs origines.

    Tout commence en réalité lorsque Nawal avait 14 ans… 

    Monstruosité

    On imagine la difficulté pour adapter au cinéma une telle pièce à la fois passionnante et aux multiples ramifications. Car plusieurs personnages sont en jeu : les jumeaux Jeanne et Simon pour commencer, mais aussi Nawal. Wajdi Mouawad suit l’histoire de sa tragédie, depuis son histoire d’amour avec un réfugié  jusqu’à la révélation de son terrible secret. Le film de Denis Villeneuve parvient à suivre le fil d’une enquête familiale, marquée par les tabous, les secrets et les grandes tragédies de l’histoire, sans que jamais la mention du Liban ("le pays") n’apparaisse.

    Ce choix de ne pas parler du pays d’origine de l’auteur fait d’Incendies une œuvre universelle qui nous parle des bourreaux, de leurs victimes, des innocents érigés en combattants et des anciens soldats devenant les dépositaires d’une mémoire qui finira pas surgir, insupportable, monstrueuse et absurde : "Pourquoi les miliciens ont-ils pendu les trois adolescents ? Parce que deux réfugiés du camp avaient violé et tué une fille du village de Kfar Samira. Pourquoi ces deux types ont-ils violé cette fille ? Parce que les miliciens avaient lapidé une famille de réfugiés. Pourquoi les miliciens l’ont-ils lapidée ? Parce que les réfugiés avaient brûlé une maison près de la colline du thym. Pourquoi les réfugiés ont-ils brûlé la maison ? Pour se venger des miliciens qui avaient détruit un puits d’eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont détruit le puits ? Parce que des réfugiés avaient brûlé une récolte du côté du fleuve au chien. Pourquoi ont-ils brûlé la récolte ? Il y a certainement une raison, ma mémoire s’arrête là."

    Le long-métrage de Denis Villeneuve scénarise avec tact et efficacité une histoire austère qui a surpris et marqué les spectateurs qui ont vu ce film. Le personnage de Sawda, le double et alter-ego de Nawal n’apparaît pas dans le film, ce qui n’enlève rien à la force poétique de la "femme qui chante". De même, la découverte du secret par Nawal elle-même (le tatouage) n'est pas dans la pièce. 

    La monstruosité est bien présente dans ces incendies qui s’embrasent au fur et à mesure de l’histoire, à l’image de la scène de bus attaquée dans le désert. La guerre devient cette chose indicible que les jumeaux doivent apprendre à côtoyer, comprendre, assimiler et intellectualiser, ce qu'illustre le propos final sur cette addition incompréhensible ("Un plus un, est-ce que ça peut faire un ?").

    Incendies est une œuvre fondamentale qui bouscule. Comme le rappelle Charlotte Farcet, en postface de l’édition de la pièce de théâtre proposée par Actes Sud et Leméac, Wajdi Mouawad dit ceci : "Qu’est-ce qu’une œuvre d’art aujourd’hui… L’art doit être cet os, cet événement immangeable sur lequel l’Histoire se brise les dents. Elle l’avale, mais alors l’art commence son œuvre radioactive dans le ventre de l’Histoire qui, empoisonnée, sera forcée de le recracher."

    Mais derrière cette monstruosité, il y a aussi cette porte ouverte vers l’avenir et la nécessaire réconciliation qui n’a nulle part été mieux dite que dans Incendies

    Wajdi Mouawad, Incendies, théâtre, éd. Actes Sud / Leméac, 2003, 120 p.
    Incendies, drame québécois de Denis Villeneuve, avec Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette et Rémy Girard, 2010, 130 mn
    https://www.wajdimouawad.fr
    https://www.facebook.com/LesFilmsSeville
    https://www.france.tv/films/2808933-incendies.html

    Voir aussi : "Lignées d’oiseaux"

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  • Avant qu’il ne soit trop tard

    C’est une farce et une comédie noire qui fait le bonheur en ce moment de Netflix. Don't Look Up, de d’Adam McKay, sous-titré en français Déni cosmique, fait parie de ces films coups de poing destiné à réveiller les consciences. Pour ce long-métrage à gros budget, des stars se pressent au portillon : à côté de Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence, il faut citer la présence de Meryl Streep, Jonah Hill, Cate Blanchett, Timothée Chalamet, Kid Cudi, Mark Rylance, Ron Perlman, Tomer Sisley et même Ariana Grande.

    Deux modestes astrophysiciens anonymes découvrent qu’une comète se dirige vers la terre. Si rien n’est fait, la terre sera percutée d’ici six mois, provoquant l’extinction de la vie sur notre belle planète. Une couse contre la montre commence pour éviter cette fin du monde annoncée. Les deux scientifiques battent le pavé pour prévenir les autorités et le public de la future catastrophe. Cette entreprise s’annonce vite comme des plus ardues. 

    Idiocratie

    À partir de ce qui s’apparente à une course contre la montre vitale, Adam McKay fait un portrait au vitriol d’une Amérique gangrenée par la futilité, les réseaux sociaux, les spécialistes en communication, les politiciens obtus, les médias obsédés par le divertissement, bref une idiocratie au pouvoir. À cet égard, la Présidente, jouée par une Meryl Streep déjantée en est un bel exemple. Et tout ce beau monde refuse de voir la catastrophe qui vient. 

    Les médias ne sont pas en reste. Car faute de trouver des oreilles intelligentes à la Maison Blanche, c’est vers une célèbre émission télé que nos deux astrophysiciens se tournent – qui sera aussi le début d’une improbable idylle avec la journaliste vedette, jouée par la formidable Cate Blanchett.

    On en oublierait presque la maléfique comète. Disons aussi que ce danger compte beaucoup moins que le message de Don't Look Up, cette histoire de "déni cosmique". Remplacez d’ailleurs "comète" par "réchauffement climatique" et vous aurez la clé de cette farce au rire grinçant. "Un danger mortel nous menace et où regardons-nous ?" semblent nous dire les auteurs du film.

    Le film n’est pas dénué de quelques faiblesses et longueurs. Il reste cependant d’une admirable force corrosive et donne à réfléchir. 

    Don't Look Up : Déni cosmique, comédie américaine de science-fiction d’Adam McKay,
    avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill, Cate Blanchett,
    Timothée Chalamet, Kid Cudi, Mark Rylance, Ron Perlman, Tomer Sisley et Ariana Grande,
    2021, 138 mn, Netflix

    https://www.netflix.com/fr/title/81252357

    Voir aussi : "Flow de neige, de sons et de baisers"

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  • Flow de neige, de sons et de baisers

    Pas de doute : Tayc est bien l’un des artistes français de l’année. Après ses succès musicaux, sa victoire à l’émission Danse les Stars, le voici dans une des séries à succès de Netflix, Christmas Flow.

    Mini-série en trois épisodes, Christmas Flow peut de fait être catalogué comme un film de Noël : a priori, rien que du très classique pour un genre presque aussi vieux que le cinéma. Au programme de cette fiction : de la neige, des réveillons, des cadeaux à gogo, un homme et une femme bien mal assortis mais tombant dans les bras l’un de l’autre, du romantisme et des familles alambiquées qui vont tout compliquer.

    Voilà un sujet très traditionnel donc, sauf que les créateurs ont choisi un angle d’attaque assez inédit pour cette histoire de conte de Noël. Marcus (Tayc), rappeur de son état, doit se dépatouiller avec un mini-scandale en raison de propos sexistes dans une de ses chansons. Pour redorer le blason de l’artiste, son producteur imagine de le lancer sur un nouveau projet musical : une chanson de Noël. Au même moment, Marcus croise Lila (Shirine Boutella), une journaliste féministe très engagée. Évidemment, elle reconnaît le rappeur et le toise. Les deux vont pouvoir se croiser cependant, à la faveur de cadeaux intervertis.

    De la neige, des réveillons, des cadeaux à gogo et un homme et une femme bien mal assortis

    On ne fera pas la fine bouche sur ce "miracle de Noël" : les créateurs ont eu la maligne idée de faire rentrer dans la danse un rappeur sympa mais un tantinet sexiste, son amie Mel (Camille Lou), parfaite en fille superficielle, et surtout le trio de militantes féministes, Lila, Alice (Marion Seclin) et la formidable Aloïse Sauvage dans le rôle de Jeanne. Voilà qui promet de faire des étincelles et d’interroger avec légèreté les bouleversements sociaux de la France contemporaine, à commence par les droits des femmes.

    Je ne vous spolierai pas si je vous dis que tout se terminera pour le mieux, au milieu de baisers, de flow de musiques et de flocons de Noël. Avec de gros coups de cœur pour Taïc, Shirine Boutella et Aloïse Sauvage. 

    Christmas Flow, mini-série de Henri Debeurme,Victor Rodenbach,Marianne Levy,
    avec Tayc, Shirine Boutella, Marion Séclin, camille lou,aloise sauvage et estelle meyer

    https://www.netflix.com/fr/title/81214396

    Voir aussi : "Sauvage !"

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  • 6 janvier 2021 : un putsch américain 

    Il y a moins d'un an jour pour jour, le 6 janvier 2021, les États-Unis sombraient dans un chaos de plusieurs heures. Le genre d’événement qui peut faire basculer un pays tout entier. Il est vrai que tous les ingrédients étaient là pour faire exploser l'Amérique, au bord de la crise de nerf : un Président populiste, Donal Trump, utilisant jusqu’à plus soif fake news, provocations et appels à destination de militants survoltés, des élections quelques mois plus tôt qui avaient donné pour vainqueur un candidat démocrate, Jo Biden, après quatre années d’une Présidence décriée, un pays sur-armé et une passation de pouvoir sous très haute tension. C'est l'objet du documentaire Insurrection : 4 heures au Capitole.

    Le 6 janvier 2021 était la date fixée par le Congrès américain pour valider les élections, habituellement une formalité pour une constitution américaine solide. Or, ce jour-là, Donald Trump organise un meeting de ses partisans qui a pour but de mettre un coup de pression sur les Parlementaires et reprendre la main : à savoir, faire invalider les élections et poursuivre son mandat.

    Rapidement, la manifestation orageuse devient franchement menaçante : des centaines de militants trumpistes, massés autour du Capitole, entrent dans le bâtiment fédéral. La capitale américaine retient son souffle pendant les quatre heures que dure cette occupation par des citoyens ordinaires, galvanisés par le discours de leur leader. Ce sont ces quatre heures que décrit le documentaire de Jamie Roberts. 

    50 policiers luttant contre 15 000 manifestants

    Le film retrace minute par minute ce que l’on peut qualifier rétrospectivement comme un putsch qui aurait pu changer radicalement le visage de l’Amérique et du monde. Grâce à des images tournées par les manifestants pour les réseaux sociaux, aux vidéos des policiers et des caméras de surveillance, aux reportages télé et à des interviews de politiques, de fonctionnaires, de policiers et d’insurgés - la plupart arrêtés après coup - le spectateur revit ces quatre heures qui ont choqué le pays de l’Oncle Sam.

    On assiste, effaré, à la désorganisation des forces de sécurité du capitole et à la véritable bataille qui s’est engagée pour bloquer l’accès au tunnel d’accès au bâtiment fédéral. Le sang-froid du bataillon de 50 policiers luttant contre 15 000 manifestants est un des moments forts du reportage.

    L’invasion du Capitole constitue, avec ces hordes de militants plus ou moins illuminés, l’autre moment phare du récit, avec notamment la figure du "chaman" et sa coiffe de bison. L’insurrection fait parfois figure de kermesse improvisée, sinon bon enfant, lorsque par exemple a lieu un échange de pétards sous les ors du Capitole. Mais l'invasion du Capitole devient aussi par moment une chasse à l’homme, ce dont témoignent avec émotion une assistante bouleversée de la parlementaire démocrate Nancy Pelosi, recherchée par des militants chauffés à blanc.

    Il reste que ce putsch a été, sinon organisé par Trump, du moins encouragé. Ce qui n’a pas empêché l’ancien Président de s’en sortir blanchi, à défaut d’avoir pu profiter du coup de force de ces supporters, finalement bien seuls lorsqu’ils sont passés sous les fourches caudines de la justice américaine. 

    Insurrection : 4 heures au Capitole,
    documentaire anglo-américain de Jamie Roberts, 2021, 87 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/decouverte/insurrection-4-heures-au-capitole/h/17529891_50001

    Voir aussi : "Cons et néocons"
    "Trump vu par Karel"

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  • Emmanuelle Béart, lost in translation

    Quel plaisir de revoir Emmanuelle Béart au cinéma, avec L’Étreinte, un film sorti au printemps dernier ! Deux autres acteurs, dans des rôles secondaires, éclairent aussi à leur manière ce premier film de Ludovic Bergery : l’ami Aurélien, Vincent Dedienne, et la demi-sœur Marianne, jouée par la trop rare Eva Ionesco.

    L’Étreinte est le récit d’un deuil autant que la reconstruction d’une femme, plongée dans un pays et un milieu où elle se sent perdue.

    Lorsque le film commence, Margaux a perdu son mari six mois plus tôt. Elle quitte l’Allemagne où elle vivait pour s’installer à Paris chez Marianne et reprendre des études d’allemand en fac. Elle découvre un milieu tout nouveau pour elle, tente de s’intégrer à une petite communauté étudiants – qui pourraient être ses enfants –, se lie d’amitié avec un jeune homosexuel et s’interroge sur sa vie sentimentale. Et si l’amour était possible ? 

    Le réalisateur film avec un mélange de grâce, de sensualité et d’érotisme brûlant les étreintes

    Ludovic Bergery film avec justesse, délicatesse mais non sans cruauté, le récit d’une reconstruction amoureuse après un deuil. Emmanuelle Béart incarne cette femme détruite dont on ne sait finalement pas grand-chose. Ce qui est le plus important est ce voyage géographique autant qu’intime – le film débute et se termine d’ailleurs dans un train – que mène Margaux, brisée par la disparition d’un mari dont on ne voit qu’une photo.  

    Ludovic Bergery suit les errances de la veuve, bousculée par de jeunes étudiants qui ont adopté cette femme d’une autre génération, sans pour autant qu'ils se gênent à lui montrer la différence de l’âge, à l’instar du dialogue sur un escort-boy ou alors celle de la scène de la piscine.

    Emmanuelle Béart donne d’elle-même dans le portrait de cette femme asséchée par la mort de son mari et par le manque d’amour. Le réalisateur film avec un mélange de grâce, de sensualité et d’érotisme brûlant les étreintes. La quête amoureuse de Margaux devient une aventure à la fois douloureuse et dangereuse - on pense bien sûr aux quinze dernières minutes du film. Le réalisateur ouvre finalement la porte à un champ de possibilités, lorsque Margaux choisit de quitter définitivement Paris pour Cologne, la ville où elle avait aimé. Et où elle aimera, sans doute.

    L’Étreinte, drame français de Ludovic Bergery, avec Emmanuelle Béart, Vincent Dedienne. Tino Vandenborre, Sandor Funtek, Nelson Delapalme, Marie Zabukovec, Arthur Verret, Yannick Choirat et Eva Ionesco, 2021, 100 mn, Canal+
    http://distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-a-l-affiche/l-etreinte.html

    Voir aussi : "Jean Vigo, une étoile brève mais éclatante"
    "Eva, mon amour"

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  • De la dynamite pour les braves

    On va être clair au sujet de L'Enfer sous terre, ce long-métrage anglais sorti cette année : sa principale qualité est dans le récit d’un fait peu connu de la Grande Guerre.

    En 1916, les armées alliées et allemandes sont embourbées dans une guerre de position : tranchées, batailles au corps à corps et à la baïonnette, attaques au gaz, vie misérable des poilus dans la boue, percées meurtrières et inutiles. Le moral des soldats, qu’ils soient anglais, français ou germaniques, est au plus bas et toutes les stratégies sont bonnes pour se sortir d’un conflit meurtrier.

    Côté britannique, une solution est proposée par le colonel Hellfire (Tom Goodman-Hill) : faire sauter à la dynamite des forts allemands ennemis. Pour cela, il décide de faire appel à une équipe de mineurs spécialisés dans les explosions souterraines qui devront former des soldats. Contre toute attente, William Hackett (Sam Hazeldine) et ses acolytes, qui n'ont pas été mobilisés et travaillent toujours en Grande-Bretagne, se portent volontaires pour effectuer eux-mêmes cette tâche dangereuse et technique. Ils sont engagés comme volontaires et partent sur le front des Flandres.

    L'une de ces mines explosant dans les Flandres a été si forte qu’elle a été entendue… jusqu’à Londres

    Peu de personnes connaissent ce fait d’arme de la première guerre mondiale. On savait que les gaz asphyxiants, les chars d’assaut et les avions – des moyens nouveaux à l’époque – avaient été utilisés par des commandements au service d’un conflit particulièrement meurtrier. Ici, c’est la dynamite qui fait figure de moyen stratégique, avec en plus des difficultés techniques qui la rend infiniment dangereux : creuser plusieurs mètres sous terre, avancer sur des centaines de mètres au risque d’être surpris par l’ennemi et surprendre l’adversaire. 19 charges ont explosé en tout (le film n'en évoque que deux), causant environ 10 000 soldats allemands. Le spectateur apprend que l’une de ces mines explosant dans les Flandres a été si forte qu’elle a été entendue… jusqu’à Londres.

    Pour mener ce récit, J. P. Watts a fait le choix d’un film académique, non sans facilités et manichéisme parfois. La réalité de la vie dans les tranchées est par contre montrée sans fard (les cadavres, les rats, la boue ou les excréments), sans compter les absurdités du commandement militaire.

    De ce récit honorablement montré, on gardera en mémoire le destin de ces braves lancés dans un conflit qu’ils n’auraient jamais dû mener et qui n'a finalement pas fait basculer le récit, comme ils l'espéraient. 

    L'Enfer sous terre, drame historique anglais de J. P. Watts, avec Sam Hazeldine, Alexa Morden, 
    Tom Goodman-Hill, eElliot James Langridge t Andrew Scarboroug, 2021, 92 mn
    https://www.canalplus.com/cinema/l-enfer-sous-terre/h/15647011_50001

    Voir aussi : "En cage"

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  • Jean Vigo, une étoile brève mais éclatante

    Une question se pose d’emblée à la découverte de cette intégrale "Jean Vigo" proposée par Gaumont : mais comment a-t-on pu oublier ce réalisateur français dont le long-métrage L’Atalante est considéré comme l’un des meilleurs films français de tous les temps, voire l’un des vingt meilleurs films tout court. Que Gaumont propose un coffret complet sur ce cinéaste n’est donc que justice.

    Mort à l’âge de 29 ans, Jean Vigo, fils d’un anarchiste espagnol immigré en France, laissa certes une œuvre peu abondante : outre L'Atalante, deux documentaires, À propos de Nice (1930, 22 mn) et La natation par Jean Tauris, champion de France (1931, 10 mn), le moyen-métrage Zéro de Conduite (1933) que la censure française interdira de sortie jusqu’en 1946. Le spectateur ou la spectatrice de 2021 restera dubitative en apprenant la réception de cette histoire d’enfants en révolte contre des adultes aussi autoritaires que ridicules. Film faussement insouciant et naïf, Zéro de Conduite est en réalité un brûlot contre le pouvoir et un hymne à la liberté qui se terminera sur les toits de la pension après une une fête officielle de l’école se terminant dans un joyeux bordel.

    On restera ahuri par l’audace visuelle, à l’exemple de cette Niçoise, habillée, rhabillée et déshabillée

    L’Atalante, l’année suivante, concrétise le talent de Jean Vigo, mais il est aussi son chant du cygne. En effet, de santé fragile, le réalisateur est atteint de tuberculose et termine de tourner son unique long-métrage alors qu’il est gravement malade. L’Atalante est une péniche où embarque Juliette après son mariage avec Jean, le capitaine du bateau. Parmi l’équipage, il y a Jules, le second, un Parisien gouailleur et haut en couleur, un poète au grand cœur aussi, sorte d’ange-gardien qui va bouleverser la vie de la jeune femme. Il faut voir L'Atalante comme une suite de scènes alliant expressionnisme et réalisme populaire, avec toujours un sens du cadrage incroyable, des mouvements de caméra subtils, des trouvailles visuelles et les interprétations inoubliables de Michel Simon et de Dita Parlo. L’unique long-métrage de Jean Vigo est aussi le témoignage d’un Paris disparu, celui des quais de Seine, des bals populaires et des bistrots bon marché où pullulaient des titis parisiens interlopes.

    Les deux autres films de Jean Vigo sont des documentaires. À propos de Nice (1930, 22 mn), sur une musique de Stephen Horne Franck Bockius et Marc Perrone, est moins didactique qu’artistique. Jean Vigo nous fait revivre la ville méditerranéenne et surtout ses habitants et anonymes : estivants, pêcheurs, joueurs de tennis, enfants. Il surprend par son découpage rythmé et ses plans travaillés : contre-plongées, très gros plans et clins d’œil. On restera ahuri par l’audace visuelle, à l’exemple de cette Niçoise, habillée, rhabillée et déshabillée. L’autre court-métrage, La natation par Jean Tauris (1931, 10 mn) est une leçon de natation par le plus grand nageur français de sa génération. Le film est illustré par une voix-off didactique et froide. En contrepoint, Jean Vigo choisit des images hallucinantes de féeries, avec un nageur évoluant tel un poisson dans l’eau.

    Le coffret Gaumont propose enfin un grand nombre de bonus : des actualités Gaumont de 1934-1936, des versions restaurées ou originales, le témoignage de Martin Scorcese lui-même qui insiste sur l’importance historique du cinéaste français et des documentaires en hommage à l’auteur de Zéro de Conduite et de L'Atalante. Une découverte bienvenue donc.

    Coffret Jean Vigo, Intégrale, Zéro de Conduite, L’Atalante, À propos de Nice, La natation par Jean Tauris, inédits, bonus et suppléments, restauration en 4K, Gaumont, 2018
    https://www.gaumont.fr/fr/auteur/Jean-Vigo.html

    Voir aussi : "Voir ou revoir le Napoléon d’Abel Gance"

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  • Mon année Salinger

    Le pitch de Mon Année à New York du Québécois Philippe Falardeau renvoie à un autre film, plus ancien. Une jeune femme enthousiaste, à peine dégrossie, est décidée à réussir à New York. Elle est embauchée dans une agence prestigieuse tenue par une femme froide et dédaigneuse. Vous l’aurez compris, les points communs avec Le Diable s’habille en Prada sautent aux yeux.

    Sauf que Mon Année à New York ne se déroule pas dans le milieu de la mode mais dans celui de l’édition. Quant à la directrice cassante, interprétée par Sigourney Weaver, elle s’avère beaucoup plus subtile que la Miranda Priestly/Anna Wintour.

    Basée sur les mémoires de la personnage principale Joanna Rakoff, Mon année à New York se déroule en 1995, dans un New York qui n’a pas encore connu le 11 septembre. C’était une période où les ordinateurs restaient relativement rares, l’Internet inconnu et le sexisme à la fois présent et (plus ou moins) édulcoré. Avec le recul, c’est une époque charnière entre un ancien monde – symbolisé par le cultissime Salinger – et un nouveau monde numérique qui prenait déjà ses marques. 

    L’auteur de L’Attrape-Cœur et de Franny et Zoé intervient comme catalyseur des rêves de littérature d’une jeune femme qui se cherche

    Joanna Rakoff a les pieds dans ces deux périodes : moderne, active et ambitieuse, son rêve est la littérature. Sauf qu’elle ne se sent pas légitime à devenir écrivain (ou écrivaine, dans le langage d’aujourd’hui). Sentimentalement, sa vie privée est tout aussi floue : elle commence une relation avec Don, sans avoir rompu définitivement avec son précédent petit ami.

    Professionnellement, Joanna est engagée dans une agence littéraire new-yorkaise prestigieuse qui peut se targuer d’avoir, parmi ses auteurs suivis, un certain JD Salinger. Cette légende de la littérature mondiale garde intact son souci de la discrétion et son silence médiatique. Sauf que Joanna finit par l’avoir au téléphone. Commence entre les deux une relation à distance marquante.

    Quel dommage que les traducteurs français n’aient pas choisi d’intituler ce film : "Mon année Salinger" (My Salinger Year, comme le titre original) ! Bien qu’il n’apparaisse qu’extrêmement fugacement, l’auteur de L’Attrape-Cœur et de Franny et Zoé, décédé en 2010, intervient comme le catalyseur des rêves de littérature d’une jeune femme qui se cherche.

    Qui se cherche mais aussi qui construit son rôle d’agent littéraire respectueux des lecteurs et des admirateur de J.D. Salinger. Là est sans doute l’une des réussites esthétiques du réalisateur et scénariste Philippe Falardeau, donnant la parole à des anonymes, prêts à tout quitter pour accomplir leurs rêves, à l’image de Holden Caulfield, l’antihéros de L’Attrape-Cœur.

    Dans le rôle de Margaret, la brillante et parfois tyrannique directrice, Sigourney Weaver s’impose sans surprise, en y insufflant humanité mais aussi désillusion.

    La facture classique de Mon Année à New York sert cette comédie-dramatique douce-amère qui nous parle autant de la nostalgie d’une époque disparue que de rêves d’une jeune femme se construisant dans une ville qui lui paraissait au départ trop grande pour elle.

    Mon année à New York, comédie dramatique canado-itrlandaise de Philippe Falardeau,
    avec Margaret Qualley, Sigourney Weaver, Douglas Booth, Colm Feore, 2020, 96 mn

    https://www.canalplus.com/cinema/mon-annee-a-new-york/h/17049652_50001
    http://www.joannarakoff.com

    Voir aussi : "Le cancer est un sport de combat"

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