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Cinéma - Page 26

  • Ma Vivian, mon amour

    Vivian et Johnny, le documentaire de Matt Riddlehoover, est un hommage autant qu’un essai de réhabilitation d’une femme que le public américain a oublié, pour ne pas dire méprisé (comme le prouve par exemple le biopic de 2005 Walk The Line, avec Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon dans les rôles principaux).

    Vivian Liberto Distin est plus connue sous le nom de Vivian Cash, la première épouse de la star de country Johnny Cash. Lorsqu’ils se rencontrent et tombent amoureux, le musicien est un obscur soldat américain de l’Air Force. Les deux amoureux n’ont de cesse de s’écrire lorsque Johnny Cash est en garnison en Allemagne de l’Ouest pendant trois ans. Des centaines de lettres témoignent de leur relation passionnée. S’ensuit un mariage en 1954 puis une première enfant. Trois autres filles suivront, et ce sont précisément ces filles qui viennent donner leur version de ce qu’a été l’existence de Vivian Liberto, ex Cash.  

    Après une période de vache maigre – paradoxalement la plus heureuse, de l’avis même des  intéressées – la carrière de Johnny Cash commence. C'est un véritable raz-de-marée fait de concerts, de disques, de tournées à travers le pays, de groupies mais aussi d’excès en tout genre – drogues, alcool, voyages incessants, invitations à des émissions de radio ou de télé mais aussi rencontres et relations extraconjugales. Pendant ce temps, Vivian reste à la maison pour s'occuper de leurs enfants. Surveillée par des fans enthousiastes, Vivian fait son possible pour élever ses quatre filles et attend jour après jour le retour d’une star de plus en plus absente. La fin du couple est déjà écrite, a fortiori lorsqu’une autre femme - June Carter - a déjà trouvé une place dans la vie du joueur de country. 

    Portrait d’une femme magnifique, héroïque et véritable mère-courage

    Mieux que le récit de la dilution d’une relation amoureuse, Vivian et Johnny, la légende de Nashville est le portrait d’une femme magnifique, héroïque, véritable mère-courage en dépit de ses défauts que ses filles ne cachent pas et qui restait prisonnière d’une cage dorée que son mari avait construite.

    Le documentaire de Matt Riddlehoover fait de Johnny Cash un personnage paumé et abandonnant femme et enfants au bénéfice de sa propre carrière et de ses égarements. Que l’on pense à son arrestation en 1965 au Mexique pour possession de drogues. À cela s’ajoutent ces préjugés sexistes et racistes du sud des États-Unis. Le spectateur découvre avec effarement les rumeurs persistantes sur la couleur de peau de Vivian Cash en raison d’une photo de mauvaise qualité. Le Klu Klux Klan va jusqu'à se manifester pour protester contre ce mariage d'un musicien blanc du sud des Etats-Unis avec une femme qu'ils soupçonnent d'être noire. 

    Vivian et Johnny reste cependant le récit d’une relation qui a malgré tout persisté, en dépit d’un divorce et de l’image féroce que le public et les médias américains ont laissé de Vivian. À la mort du musicien en 2003, son existence est même soigneusement effacée jusque dans les hommages à Johnny Cash. En dépit de tout, elle gardera toujours pour lui une bouleversante affection : "Elle est morte en l’aimant toujours de tout son cœur" affirme l’une de ses sœurs, comme le prouvent ces centaines de lettres que Vivian Liberto Distin, ex Madame Cash, gardait précieusement. 

    Ce document rare et inoubliable est disponible en VOD chez UniversCiné, Orange, Canal VOD, Arte VOD, CinéMutins et Microsoft.

    Vivian et Johnny, la légende de Nashville, documentaire américain de Matt Riddlehoover,
    avec Vivian Loberto, Johnny Cash, Rosanne Cash, Kathy Cash Tittle,
    Cindy Cash et Tara Cash Schwoebel, 90 mn, Destiny Films, 2021
    En VOD chez UniversCiné, Orange, Canal VOD, Arte VOD, CinéMutins et Microsoft

    https://www.destinydistribution.com/distribution/vivian-et-johnny-la-legende-de-nashville

    Voir aussi : "Emmanuelle aime les intellectuels (et les manuels)"

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  • Emmanuelle aime les intellectuels (et les manuels)

    Jusqu’au 23 août 2021, Arte propose en replay le documentaire Clélia Cohen consacré à un film mythique, Emmanuelle. Véritable "coup de tonnerre" dans la France post-gaulliste, le long-métrage réalisé par un illustre inconnu, Just Jaeckin, photographe de son état, provoque le scandale autant qu’une véritable révolution sexuelle dans un pays corseté, rigide et moraliste.  

    Le documentaire de Clélia Cohen, Emmanuelle, la plus longue caresse du cinéma français, raconte la genèse de ce long-métrage qui n’aurait jamais dû exister, son tournage chaotique par une jeune équipe et le formidable succès pour un film qui aura eu la chance de sortir au bon moment, avec le succès exceptionnel que l’on connaît : 9 millions de spectateurs en salles et plus de 500 millions dans le monde en comptabilisant les diffusions à la télévision.

    Un homme porte le film : le producteur Yves Rousset Rouard, jeune publicitaire ambitieux, non sans un côté "Rastignac" : lorsqu’il se lance dans le cinéma au début des années 70, c’est pour faire beaucoup d’argent avec peu de financements. Le succès du Dernier Tango à Paris le convainc de s’intéresser à l’érotisme et de tourner lui aussi un film sulfureux. Guy Sorman propose à son ami l’adaptation du roman Emmanuelle d’Emmanuelle Arsan, sorti en 1959. Voilà qui tombe bien : lorsque le jeune producteur commence ses démarches pour les droits du livres, ces droits optionnés sont libres depuis 15 jours et n’ont pas été renouvelés. L’affaire est conclue pour quelques centaines d’euros. Le coup du siècle.

    Le plus dur reste à venir : financer et tourner le film. Le choix de Just Jaeckin pour la réalisation peut surprendre : l’homme est un photographe et pas cinéaste. Le projet d’Emmanuelle aurait-il fait peur ? Yves Rousset Rouard assume en tout cas sa décision : Just Jaeckin aura l’œil pour prendre en main l’esthétisme du film et "faire de belles images", à défaut d'être un conducteur d'acteur honorable. Son but est de faire de l’érotisme chic : une sorte de Lui sur grand écran. Le documentaire d’Arte s’arrête sur le recrutement d’Alain Cuny parmi les rôles principaux. Bertolucci avait fait appel à Marlon Brando pour Le Dernier Tango à Paris ? Le producteur décide qu'Emmanuelle devra avoir elle aussi sa "star" : ce sera Alain Cuny, un nom prédestiné pour un film érotique, souligne, amusée, une spécialiste.

    L’acteur, plus habitué à Claudel qu'à des productions érotiques soft, accepte – sans l’assumer vraiment – le contrat. Il est pour autant cocasse de penser que ce n’est pas pour cet acteur important du cinéma et du théâtre que l’on retient Emmanuelle mais pour la quasi inconnue Sylvia Kristel, une mannequin néerlandaise d’une vingtaine d’années. Le documentaire s’arrête longuement sur l’actrice, littéralement phagocytée par ce qui sera le rôle de sa vie : elle frappe par modernité, ses cheveux courts, sa féminité, sa sensualité et son look androgyne atypique et ultra-moderne qui n’est pas dans les critères de l’époque. C'est la vraie grande découverte des créateurs du film culte et ce qui va asseoir la popularité d'une œuvre scandaleuse portée par une inconnue. 

    La "star" Alain Cuny, un nom prédestiné pour un film érotique

    Le documentaire décrit les affres du tournage incognito en Thaïlande avec une jeune équipe restreinte pendant 6 semaines et qui prend ce voyage pour des vacances. Just Jaeckin, inexpérimenté et souvent désabusé, doit tenir des engagements impossibles avec un budget serré et des acteurs aussi novices que lui : que l’on pense à une scène à cheval avant laquelle Sylvia Kristel avoue qu’elle n’a jamais monté de sa vie. Le film évoque aussi l’aventure de la scène la plus sulfureuse du film – celle de la cigarette.

    En juin 1974, contre toute attente, le film connaît un succès prodigieux : on vient voir le film en couple ou entre amis et les tours operateurs prévoient même une sortie au cinéma pour permettre aux touristes étrangers de voir Emmanuelle sur grand écran. Le triomphe assure la fortune du producteur qui, grâce à son flair, a déjà prévu de tourner une suite.

    Emmanuelle serait-il un  film comme un autre ? Les interviewés répondent que non : il s’inscrit dans la révolution sexuelle des années 70 et propose une nouvelle lecture des rapports amoureux : féminisme, lesbianisme, expressions du désir féminin ou relations de couples. Mais un autre aspect est abordé dans le documentaire : celui de l’esthétisme qui a été dès le départ un facteur majeur du projet. Le look de Sylvia Kristel est abordé mais aussi d’autres éléments visuels qui ont influencé des graphistes comme  Delphine Cauly. Elle parle de "choc graphique". N’oublions pas non plus le fameux fauteuil en rotin, paradoxalement très discret dans le film mais devenu un élément iconique.

    Il reste la plus triste histoire de ce film : Sylvia Kristel, elle-même. Elle ne se remettra jamais complètement de ce rôle d'Emmanuelle qui l’a habitée jusqu’au bout, en dépit de ses rôles suivants. Elle est certes devenue un modèle et un sex-symbol mais son destin a un goût amer, comme s’il fallait qu’elle aide à "libérer les femmes en s’enfermant pour toujours".

    Le documentaire proposé par Arte, Emmanuelle, la plus longue caresse du cinéma français, est disponible en replay jusqu’au 23 août 2021. Quant au magazine Première Classics, il propose dans son numéro de juillet 2021 une passionnante enquête sur le film : "Emmanuelle : les secrets inavouables d'un film cul(te)".  

    Emmanuelle, la plus longue caresse du cinéma français, documentaire français de Clélia Cohen,
    2020, 53 mn, Arte, jusqu’au 23 août 2021

    Emmanuelle, comédie érotique française de Just Jaeckin, avec Sylvia Kristel,
    Alain Cuny, Marika Green et Christine Boisson, 105 mn, 1974

    https://www.arte.tv/fr/videos/094507-000-A/emmanuelle-la-plus-longue-caresse-du-cinema-francais
    "Emmanuelle : les secrets inavouables d'un film cul(te)", Première Classics, juillet 2021

    Voir aussi : "Chut, les enfants ! Papa et maman sont occupés…"

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  • Chacun cherche son âne

    Le spectateur d’Antoinette dans les Cévennes, la formidable comédie de Caroline Vignal avec Laure Calamy dans le rôle-titre, ne devrait pas passer à côté de l’influence majeure du scénario : un autre voyage dans les Cévennes en 1879 effectué par l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson et qu’il a conté dans son récit Voyage avec un Âne dans les Cévennes.

    Près de 150 ans plus tard, c’est la pétillante Antoinette, institutrice de son état, qui s’embarque dans une drôle d’aventure après qu’elle ait appris que son amant Vladimir – qui est aussi le parent d’une de ses élèves – est parti dans les Cévennes avec sa femme, sa fille et un âne. Ces vacances contrarient la jeune femme, folle amoureuse de cet homme marié et avec qui elle a des projets pour l’été. Sur un coup de tête, elle part elle aussi dans les Cévennes pour rejoindre son bien-aimé. Arrivée sur place, on lui confie pour son voyage Patrick, un âne.

    Sur une histoire des plus simples – une jeune femme part en pleine cambrousse surprendre son amoureux – Caroline Vignal a construit une délicieuse comédie portée avec talent, justesse et humour par Laure Calamy que l’on avait découverte dans la série Dix pour cent

    L’âne Patrick fait écho à l’amant Vladimir, bien plus têtu

    Antoinette est sur tous les plans de cette histoire d’une amoureuse éconduite marchant sur les pas de Robert Louis Stevenson. Astucieusement, très tôt dans le film, la réalisatrice et scénariste fait dévoiler à des touristes ébahis ce projet de voyage, transformant du même coup cette Antoinette en héroïne locale au fur et à mesure de son excursion.

    Le voyage dans cette superbe nature cévenole devient le cœur du récit, à telle enseigne que les retrouvailles des deux amants ont lieu assez tardivement dans le récit – et en mettant cette fois l’épouse trompée en avant. Les kilomètres passés sur le GR® 70 ("le chemin de Stevenson") devient aussi pour Antoinette un périple initiatique – et drôle – entrepris par l’institutrice à la fois sensible, fantaisiste, passionnée et sacrément culottée. La relation qu’elle finit par nouer avec son compagnon, l’âne Patrick, parvient à nous toucher. Sans doute aussi parce que l’animal fait écho à l’amant Vladimir, bien plus têtu.  

    Pour Antoinette dans les Cévennes, Laure Calamy a obtenu cette année un César mérité pour son interprétation inoubliable. 

    Antoinette dans les Cévennes, comédie française de Caroline Vignal,
    avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe et Olivia Côte, 2020, Canal+
    https://www.unifrance.org/film/48231/antoinette-dans-les-cevennes
    https://www.canalplus.com/cinema/antoinette-dans-les-cevennes

    Voir aussi : "Un dernier 10%"
    "S’il vous plaît, rembobinez"

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  • S’il vous plaît, rembobinez

    Le plus beau coup que pouvait faire Christopher Nolan au spectateur de Tenet est de le contraindre à rembobiner et revoir les aventures du protagoniste. Car visionner plusieurs fois ce long-métrage mémorable s’avère plus que nécessaire pour comprendre – un peu – les secrets de ce film mêlant espionnage et science-fiction et jouant essentiellement sur des retours-arrières temporels.

    L’histoire peut se résumer de manière la plus classique qui soit : le personnage principal (qui se nommera plus tard lui-même "le protagoniste"), joué par un impeccable John David Washington, est un agent secret. Lorsque le film commence, il est engagé dans une mission dangereuse lors d’une prise d’otage dans un opéra qui se termine dans la confusion et avec la mort de l’agent, torturé sans en avoir révélé des informations sur sa présence et sur son but. Une mort qui n’en est pas vraiment une puisque le protagoniste se réveille sain et sauf sur un bateau. Il apprend qu’il est recruté pour une nouvelle opération dont le code, qui est aussi le nom d’une organisation secrète, est "Tenet".

    Ce palindrome, au cœur de milliers de commentaires autour de ce film, cache un danger universel : une guerre mondiale infiniment dangereuse, provoquée ni par des armes nucléaires ni par des États terroristes mais par une technologie venue du futur capable d’inverser l’entropie. Pour faire simple, l’entropie est la qualité physique d’un objet d’aller dans un sens ou dans un autre. Le protagoniste a d’ailleurs pu voir une balle "inversée" manquer de le tuer lors de sa précédente opération. Pour dire les choses autrement, il semble que l’avenir ait déclaré la guerre à notre présent en raison d’une arme physique capable d’annihiler son passé et donc notre présent.

    Le spectateur aura besoin de quelques clés pour naviguer dans un film qui promet de rester dans les annales du cinéma

    Vous me suivez toujours ?

    Le protagoniste se lance sur la trace d’objets "inversés" que le futur a envoyé à notre époque grâce à des sortes de tourniquets – et que le spectateur pourra voir à l’œuvre. Un homme a la clé de cette mission : Sator. Véritable génie du mal, c’est lui qui manipule cette arme d’un genre nouveau grâce à sa maîtrise du temps. Son seul point faible est sa femme Kat (Elizabeth Debicki), approchée par le protagoniste, allié avec le mystérieux Neil – un Robert Pattinson vraiment au sommet. Elle et son jeune fils Max sont entre les griffes du mafieux russe qui tient entre ses mains pas moins que l’existence de l’humanité.

    Lors de la sortie de Tenet, Christopher Nolan – qui est aussi l’auteur du scénario travaillé pendant des années – a prévenu les futurs spectateurs qu’il fallait "ressentir" plutôt que de "comprendre" une histoire mettant en scène des agents secrets sans peur et sans reproche, un méchant absolu joué avec un plaisir manifeste par Kenneth Branagh, une arme fatale, des innocents empêtrés dans des intrigues insolvables et, the last but not the least, des personnages allant dans un sens ou dans l’autre, lorsqu’ils ne passent pas d’un présent à un autre.

    Il faut objecter au réalisateur que le spectateur aura besoin de quelques clés pour naviguer dans un film qui promet de rester dans les annales du cinéma. Rembobiner le film – et pas qu’une fois ! – peut s’avérer nécessaire pour savourer des indices parsemées ici ou là : les deux voix de chemin de fer entre lesquelles le protagoniste est torturé, la boucle rouge du sac à dos, un signe des mains, les références au carré Sator ou bien la présence de Neil, en complice obstiné.

    Pour ce long-métrage malin, intelligent et de très haute volée (Ludwig Göransson signe en plus une bande originale qui semble elle aussi se jouer du sens de la lecture), Christopher Nolan met le cerveau du spectateur à contribution, à telle enseigne que des théories, parfois très bien vues, se multiplient sur Internet. Je vous en ai trouvé ici et  ou encore là.

    Alors, je vous donne un ultime conseil : regardez, concentrez-vous, savourez, puis rembobinez.

    Tenet, espionnage et SF anglo-américain de Christopher Nolan, avec John David Washington
    Robert Pattinson, Elizabeth Debicki et Kenneth Branagh, 2020, 150 mn
    https://www.tenetfilm.com
    https://www.warnerbros.com/movies/tenet

    Voir aussi : "Homme fatal"

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  • Homme fatal

    Présenté comme un drame intime et amoureux, L’enfant rêvé de Raphaël Jacoulot, avec Jalil Lespert, Louise Bourgoin et Mélanie Doutey dans les rôles titres, peut aussi se voir comme un thriller, avec le classique triangle amoureux : le mari, sa maîtresse et sa femme.  

    Dans les forêts magnifiques du Jura, François (Jalil Lespert,) dirige une scierie. Il est épaulé par sa femme Noémie (Mélanie Doutey, toujours impeccable). L’entreprise familiale périclite, avec, épine supplémentaire, le poids des parents, attentifs à ce que l’entrepreneur fasse les bonnes décisions. Le couple vit d’autres difficultés, privées cette fois : désireux d’avoir un enfant, ils se sont lancées dans des FIV à la fois pénibles et vaines. Bientôt, la solution de l’adoption est mise sur la table par Noémie en dépit des réticences de son mari.

    C’est alors que débarque dans leur région un nouveau couple, Patricia et Philippe (Louise Bourgoin et Nathan Willcocks). François tombe aussitôt amoureux de la jeune femme et les deux commencent une relation adultère passionnée. Lorsqu’elle lui apprend qu’elle est enceinte, François est tenaillé entre le bonheur d’être enfin père et le devoir d’assumer cette situation d’amant et de futur père. Patricia le presse de tout avouer à sa femme mais il hésite.

    En filigrane la question des liens masculins pour ne pas dire paternalistes

    Les scénaristes (Raphaël Jacoulot, Benjamin Adam, Fadette Drouard et Iris Kaltenbäck) ont fait le choix de centrer leur histoire sur la figure d’un homme complexe, séduisant, tour à tour robuste et fragile, interprété par le formidable Jalil Lespert. Sa relation amoureuse avec Patricia, filmée avec délicatesse et sensualité, est finalement aussi importante que l’imbroglio intime et familial du chef d’entreprise cerné de toute part.

    Car la question de quitter ou non sa femme est croisée par une autre beaucoup plus cruciale : faut-il être père à tout prix ? L’enfant rêvé (pour François, il ne peut être que né de son propre sang plutôt qu'adopté) ne représente-t-il pas une chute inexorable ? Et puis, il y a en filigrane la question des liens masculins pour ne pas dire paternalistes, omniprésents avec la figure du père (Jean-Marie Winling). Il faut aussi compter avec l’intrusion discrète mais réelle du neveu, prêt à prendre la place de François dans la scierie. Ces ingrédients explosifs sont là pour faire perdre pied à un homme ordinaire.

    Sorti confidentiellement, ce thriller intime mérite vraiment d’être découvert, ne serait-ce que pour les interprétations de Jalil Lespert, Louise Bourgoin et Mélanie Doutey. 

    L’enfant rêvé, drame et thriller français de Raphaël Jacoulot, avec Jalil Lespert, Louise Bourgoin et Mélanie Doutey, 2020, 107 mn, Canal+
    https://www.unifrance.org/film/48925/l-enfant-reve

    Voir aussi : "Voir ou revoir le Napoléon d’Abel Gance"

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  • Voir ou revoir le Napoléon d’Abel Gance

    Encore Napoléon ! me direz-vous. Il est vrai que le bicentenaire de la mort de l’Empereur fait couler beaucoup d’encre. Mais je vous rassure : c’est de cinéma dont je vais vous parler cette fois.

    En 1927, un peu plus de cent ans après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, le réalisateur français Abel Gance proposait une première version de son long-métrage retraçant le parcours de Bonaparte, de l’école militaire de Brienne en 1781 au début de la campagne d’Italie de 1796. Le Napoléon de Gance, devenu lui-même historique et considéré comme un chef d’œuvre du cinéma mondial, était sensé n’être qu’une partie de la fresque monumentale que projetait le cinéaste : Arcole, Les Pyramides (la campagne d’Egypte), Austerlitz, La Bérézina (La campagne de Russie), Waterloo et Sainte-Hélène. L’ambitieux projet n’a hélas pas pu aboutir, si on excepte son long-métrage Austerlitz, sorti en 1960.

    Le  British Film Institute a sorti en 2016 une version de 5H30 du Napoléon d’Abel Gance d’après les négatifs originaux restaurés par Kevin Brownlow en 2000, le tout sur une musique de Carl Davis. Cette version existe en Blu-ray (en 3 disques – excusez du peu ! – de respectivement 114 minutes, 170 mn et 48 mn) et promet de n’être pas la dernière puisque la Cinémathèque française devrait proposer une énième restauration pour la fin de l’année, à l’occasion de ce fameux bicentenaire napoléonien.  

    Regarder le chef d'œuvre de Gance c’est se plonger dans une aventure cinématographique aussi passionnante qu’intimidante. Il s’agit en effet d’un film proprement démesuré, que ce soit par la durée (5H30, soit la durée d’une mini-série), par la facture (un film muet en noir et blanc) ou par le choix artistique d’Abel Gance de ne souffrir aucune ellipse – ou si peu – dans un biopic documenté, réaliste mais non sans des fulgurances poétiques.

    Le film commence par l’enfance de Napoléon Bonaparte, exilé de la Corse vers la Normandie pour faire une école militaire, où l’enfance subit les brimades en raison de ses origines. C’est là que celui qui deviendra héros de la Révolution française puis l’Empereur conquérant de l’Europe, dévoile ses ambitions comme son génie militaire. La bataille de boules de neige a bien entendu une portée allégorique, tout comme l’autre scène qui lui répond, celle des polochons, précédant de peu la libération d’un aigle domestiqué et vénéré par l’enfant. 

    L’un des plus grands films de l’histoire du cinéma

    L’acte II nous transporte pendant les heures les plus troubles de la Révolution française, en 1793 : les derniers mois de Louis XVI, les massacres de Septembre et les débuts de la Convention. Abel Gance fait le point sur Danton, Robespierre et Marat (hallucinant et halluciné Antonin Artaud) pour nous raconter la fièvre de la Révolution française, avec toutes ses contradictions que Bonaparte, encore jeune officier, devine : la Déclaration des Droits de l’Homme côtoie le chaos et des tueries sauvage, tandis que le souffle de la liberté est éteint par des tentations dictatoriales. La Terreur est déjà en place et n’importe quel citoyen peut en être victime. Bonaparte aussi, qui choisit de rejoindre sa famille en Corse, avant de devoir la fuir car en danger, y compris chez lui. Le réalisateur offre là une séquence maritime incroyable mettant en parallèle la tempête révolutionnaire et les flots menaçant de faire couler le bateau qui ramène Napoléon sur le continent.

    Le troisième acte commence avec la mort de Marat alors que Napoléon est à Toulon. La ville est prise par les alliés royaux anglais, espagnols et italiens. Audacieux, l’officier déjoue tous les plans de ses supérieurs et se lance dans une attaque victorieuse. C’est son premier grand succès militaire qui lui donne une aura nationale alors que la Révolution s’essouffle. Nous sommes en 1793, année terrible s’il en est, mais aussi dangereuse. Danton est arrêté et exécuté. Bientôt viendra le tour de Robespierre ("Robespierre, tu me suivras"). Napoléon lui-même n’a pas que des partisans : il est emprisonné après Thermidor – coïncidence : en même temps que sa future femme Joséphine de Beauharnais. Abel Gance offre une série de séquences étonnantes tour à tour tragiques, comiques et pathétiques. Que l’on pense à la salle des archives où des gratte-papiers sont chargés de consigner les exécutions. On sort Napoléon de prison dans l’espoir que lui seul parviendra à éviter une insurrection royaliste et à sauver la Révolution. Ce qu’il parvient, en même temps qu’il convole en noces avec Joséphine de Beauharnais.

    Le quatrième et dernier acte, le plus court (48 minutes seulement) est sans doute le plus impressionnant et le plus visionnaire du cinéaste. Il consacre cette partie à la campagne d’Italie (1796-1797). Cet acte marque à la fois l’achèvement de la Révolution et le début de l’ascension d’un jeune homme jusqu’au sommet de l’Europe, comme le suggèrent les dernières images.

    Le spectateur aura bien entendu un sentiment de regret en visionnant cette quatrième partie aussi dense qu’incroyable visuellement : gros plans voire très gros plans, mouvements de foules, polyvision, colorisations (que l'on trouve d'ailleurs pendant tout le film), jeu hiératique d’ Albert Dieudonné qui ne se remettra jamais complètement de ce rôle emblématique. Il ne faut pas oublier ces séquences inoubliables comme l’assassinat de Marat par Charlotte Corday (Acte III), le siège de Toulon réalisé à hauteur d’homme (Acte II) et avec une caméra mobile ou la fameuse bataille de boules de neige (Acte I).

    Le Napoléon d’Abel Gance est un monument du cinéma qu’il faut avoir la curiosité de regarder, ne serait-ce que parce qu’il a inspiré nombre de réalisateurs. On pourra regretter le jeu théâtral de certains acteurs et actrices. Pour le reste, Abel Gance a réalisé un monument inspiré jusque dans les mouvements de caméra, et sans oublier la musique symphonique de Beethoven ou de Mozart. Au souffle révolutionnaire, le cinéaste français a su donner au public une œuvre devenue mythique. Et l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. 

    Abel Gance, Napoléon, biopic français d’Abel Gance, avec Albert Dieudonné, Antonin Artaud, 
    Gina Manès, Harry Krimer, Eugénie Buffet et Edmond van Daële, musique de Carl Davis
    332 mn, muet, noir et blanc, 1927, version 2016 par le British Film Insititute, BFI et Photoplay Production
    https://www2.bfi.org.uk/whats-on/bfi-film-releases/napoleon
    https://www.unifrance.org/film/9602/napoleon

    Voir aussi : "Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais"
    "Quoi de neuf, encore, sur louis XVI ?"

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  • Avant la guerre

    On sera tous d’accord pour dire que les meilleurs sentiments et les combats les plus nobles ne font pas forcément les œuvres les plus inoubliables. La preuve par l’exemple avec Antebellum, le thriller brutal, hésitant sans cesse entre le brûlot politique, le récit fantastique et le film à suspense. Et qui s'en sort par un final certes éclairant, mais confus et frustrant. Evidemment, je ne vous en dirai rien de plus. 

    L’histoire part pourtant sur de bonnes bases. Eden est une jeune femme noire exploitée comme esclave dans une plantation du sud américain tout entière acquise aux confédérés. Un mot à ce sujet sur le mot "antebellum" qui désigne cette période de pré-guerre civile américaine (la fameuse Guerre de Sécession). Wikipedia fait débuter cet "antebellum" à la première moitié du XIXe siècle (au plus tôt en 1812) au déclenchement de la guerre en 1861.

    Antebellum se perd

    Revenons à Eden qui survit au milieu de ses congénères, sous les coups, les tortures et les exécutions sommaires et spectaculaires (âmes sensibles s’abstenir !). Alors qu’une nouvelle esclave arrive, Julia, une tentative d’évasion (pas la première si l'on en croit l'histoire) est prévue d'ici peu. Mais la situation se complique et Eden prend conscience d’une réalité toute autre : elle est, cette fois, une intellectuelle noire en 2020, renommée et investie dans la lutte contre le racisme.

    Antebellum se perd dans ce qui était un récit qui promettait d’être passionnant. À force de chausse-trappes, de fausses pistes et de détours, le film donne l’impression de se perdre en cours de route. Osons aussi dire qu’il est servi par des interprétations pour le moins déséquilibrées. Les personnages sont tout juste esquissées, ce qui est dommage au regard de l’ambition projet artistique de cette histoire, avec des ellipses frustrantes et des destins qui auraient mérité d'être creusés. 

    Le message inclusif et de tolérance est cependant bien passé et en cela il s’inscrit dans l’Amérique du No Lives Matter, bien que le film soit sorti avant. Dommage. 

    Antebellum, thriller américain de Gerard Bush et Christopher Renz,
    avec Janelle Monáe, Marque Richardson, Eric Lange et Jack Huston, 2020, 106 mn

    https://antebellum.movie
    https://www.facebook.com/AntebellumFilm

    Voir aussi : "Bon sang ne saurait mentir"

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  • Bon sang ne saurait mentir

    Débarrassons-nous pour commencer de ce qui fait la singularité a priori du film Possessor : le réalisateur, lui-même. Le nom de Brandon Cronenberg ne vous est certainement pas inconnu : il s’agit ni plus ni moins que du fils de David Cronenberg, le cinéaste de Crash, de La Mouche ou d’ExistenZ. Voilà qui situe déjà le personnage, à bonne école s’agissant de films fantastiques un tantinet barrés.

    Les fils ou filles de sont légion dans le milieu du cinéma et, comme souvent, sans cracher sur les avantages d’être intégrés dans un milieu et d’en connaître les codes, le rejeton ou la rejetonne décide la plupart du temps de "tuer le père" (ou la mère) en choisissant un univers diamétralement opposé (que l’on pense à Francis Ford Coppola et à sa fille Sofia).

    Or, la singularité de  Brandon Cronenberg c’est qu’il a choisi de suivre le même chemin artistique que son père : une science-fiction dystopique dans lequel le corps humain est trituré jusqu’à devenir déviant. Un choix qui a porté a priori chance à Brandon Cronenberg puisque son deuxième long-métrage, Possessor, a obtenu le Grand prix du Jury au dernier Festival international du film fantastique de Gérardmer.

    Le corps humain est trituré jusqu’à devenir déviant

    Bon sang ne saurait mentir, donc, et ce n’est pas rien de le dire. Dans un futur proche, Tasya Vos (Andrea Riseborough) est une agente un peu spéciale, chargée de se débarrasser physiquement de personnes, au terme d’un contrat signé avec une agence gouvernementale. Sa couverture est imparable : une technologie lui permet d’endosser le corps d’une tierce personne qui se charge de la sale besogne. Pour une de ses missions ultra-secrète, elle prend possession du corps du petit ami de la fille d’un riche homme d’affaire. La mission ? Tuer le beau-père. Sauf que rien ne se passe comme prévu et la mission se transforme en carnage.

    Les fans de Cronenberg trouverons dans le Possessor de Brandon Cronenberg un peu de l’ADN de son père : milieux inquiétants, personnages torturés et corps mis à contribution, ce qui n’est pas sans soulever le cœur et vous donner des sursauts. On appréciera les images et les effets spéciaux proches de l’abstraction, avec un travail remarquable sur les gros plans (la photographie est de Karim Hussain).

    Dans cette réflexion sur la déshumanisation, cela ne surprendra personne que les personnages apparaissent éthérés et lointains – si l’on excepte la scène intimiste avec la famille de Tasya.  Brandon Cronenberg, derrière cette dystopie horrifique, parvient à laisser passer un message sévère autour des nouvelles technologies et des sociétés de surveillance. 

    Voilà qui fait de Possessor un film d'horreur réussi et intelligemment fait, quoiqu'un peu clinique. 

    Possessor, thriller horrifique anglo-canadien de Brandon Cronenberg,
    avec Andrea Riseborough, Christopher Abbott, Jennifer Jason Leigh,
    Tuppence Middleton et Rossif Sutherland, Canada et Roy, 2020, 105 mn, Canal+

    https://www.possessormovie.com
    https://festival-gerardmer.com/2021

    Voir aussi : "Montagnes russes"

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