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Histoire - Page 2

  • Guerres et paix

    Roman ? Récit ? Chronique familiale ? Qui que vous soyez, ouvrez ! De Tatiana Pécastaing (paru chez LC Editions) est un peu tout cela à la fois, au point de désarçonner le lecteur dès les premières pages, lorsque la découverte d’une mystérieuse lettre (avec l’énigmatique phrase "Qui que vous soyez, ouvrez !" inscrite sur l’enveloppe) nous fait passer du Kiev soviétique de 1968 à la Russie tsariste de 1912. Cette fameuse lettre aura son explication bien plus tard dans le roman.

    Tatiana Pécastaing suit deux familles, celles précisément de deux de ses grands-parents. Il y a, d’un côté, Gustave, né en Ukraine. Son père était un opposant au régime tsariste, au point de s’approcher d’une organisation terroriste révolutionnaire menée par Alexandre Oulianov, frère de Lénine, arrêté et exécuté après une tentative d’assassinat contre le tsar Alexandre II. Le père de Gustave, Mikaël, est arrêté puis relâché, obligé de se faire discret. Or, c’est le régime tsariste que soutient son fils Gustave, à telle enseigne que lorsque la Révolution de 1917 éclate, le jeune homme s’engage auprès de l’Armée Blanche antibolchévique. En 1924, Gustave s’exile en France, abandonnant en Ukraine sa famille, et en particulier ses sœurs.

    D’un autre côté, il y a Ludmilla, issue d’une famille de Stalingrad, au sud de la Russie, famille victime de la soviétisation du pays, puis de la seconde guerre mondiale. Lorsque le conflit éclate, Ludmilla et ses proches se sont installés à Rostov-sur-le-Don. L’occupation allemande conduit la jeune femme au travail forcé en Allemagne. Libérée à la fin de la guerre, l’ancienne prisonnière de guerre ne peut que craindre son retour en URSS. Or, elle a rencontré un Français au cours de sa captivité. Elle le rejoint donc à Paris. Entre-temps, Gustave s’est marié à une Française et a même des enfants. Les deux anciens exilés se croisent en 1945 dans un village du sud-ouest. Il reste cependant leurs familles respectives restées en Ukraine et en Russie. 

    L’histoire – la grande – à hauteur d’hommes et de femmes

    L’histoire – la grande – à hauteur d’hommes et de femmes : voilà quel est l’atout essentiel du récit romancé de Tatiana Pécastaing. En dévoilant l’histoire vraie de ses grands-parents, nés en Ukraine et en Russie, elle nous entraîne dans les tourbillons d’un XXe siècle dominé par deux guerres mondiales et par deux totalitarismes aussi impitoyables l’un que l’autre.

    De Kiev au village de Saint-Martin-de-Seignanx, en passant par Moscou, Stalingrad, Sprockhövel au nord-ouest de l’Allemagne ou Paris : la destinée familiale de deux exilés, l’un ukrainien et l’autre russe, mérite d’être lue et découverte.

    Là où le récit devient incroyable et bouleversant est lorsque Gustave et Ludmilla font le voyage retour en pleine Guerre Froide pour retrouver leurs proches – ou ceux qui restent car les guerres auront été impitoyables. Les retrouvailles de Gustave, après son installation en France et une vie paisible avec une grande et belle famille, sont contées avec un grand souffle romanesque, en particulier lorsque l’auteure raccroche les wagons avec cette mystérieuse lettre du premier chapitre.

    Publié cette année, soit un an tout juste après le décès de Ludmila, Qui que vous soyez, ouvrez ! a une portée particulière. Le lecteur ne peut qu’avoir en tête la guerre en Ukraine, déclenchée en février 2022 par une Russie lorgnant vers son passé d’empire tsariste puis soviétique. Comme le rappelle Tatiana Pécastaing en préambule, les relations entre les deux pays ont été liés depuis des siècles. Raconter la fondation d’une famille aux origines russo-ukrainiennes en France a tout son sens, et prend une valeur humaine dont il est impossible de rester indifférent.   

    Tatiana Pécastaing, Qui que vous soyez, ouvrez !, LC Editions, 2023, 402 p.
    https://editionslc.fr/produit/qui-que-vous-soyez-ouvrez

    Voir aussi : "Désir ou amour, tu le sauras un jour"

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  • Et si on refaisait l’histoire ? 

    anthony rowley,fabrice d'almeida,essai,histoire,uchronie,confrérieComme l'indique son titre, cet essai se donne pour but d'étudier des événements au moment où un détail, un accident ou le hasard transforment le cours de l'Histoire. 16 périodes sont ainsi couvertes dans des chapitres très denses avec autant d'hypothèses étonnantes : Ponce Pilate gracie Jésus, les Grecs sont défaits à Salamine, Jeanne d'Arc meurt lors du siège d'Orléans, Louis XVI n'est pas reconnu à Varennes, la première guerre mondiale s'arrête en 1914, la bombe atomique n'est pas prête en 1945, Israël est vaincue lors de la guerre du Kippour...

    On peut regretter la vanité d'un tel essai scientifique mais ce livre permet au moins de comprendre les enjeux de tel ou tel événement. Ces chapitres sont par ailleurs inégalement convaincants : autant celui sur Richelieu et la journée des dupes ou bien la fuite de Louis XVI m'ont parus intéressants et troublants, autant les chapitres sur mai 68 (la mort de De Gaulle dans un vol d'hélicoptère...) ou sur Raspoutine m'apparaissent plus comme de l'hypothèse gratuite. 
    En tout cas, voilà un petit livre qui se lit comme du petit lait. Alors...   

    Anthony Rowley, Fabrice d'Almeida, Et si on refaisait l’histoire ?, éd. Odile Jacob, Paris, 2009, 220 p.
    https://www.odilejacob.fr
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2010/04/20/17641216.html

    Voir aussi : "L'espion qui venait du froid"

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  • Varsovie, 1943 / 2023

    Ce 19 avril 2023, nous commémorons un triste, tragique mais héroïque anniversaire : celui du début du soulèvement du Ghetto de Varsovie.

    Hier, je vous parlais de l’hallucinant et terrifiant album d'Auschwitz. Aujourd’hui, cette chronique est consacrée à l’incroyable révolte des Juifs polonais promis à une mort atroce. Elle fait l’objet du podcast de France Culture et Radio France, Le soulèvement du ghetto de Varsovie : 19 avril 1943, une série en quatre épisodes, réalisé par Laure-Hélène Planchet.

    Le premier épisode est consacré à l’histoire et à la vie de l’effroyable ghetto. Quinze minutes, c’est évidemment court pour raconter un des épisodes tragiques de la Shoah et la condition de vie misérable de ses habitants. 400 000 juifs et juives, hommes, femmes, enfants et personnes âgées, vivent dans un peu plus de 3 km². Les témoignages de l’INA donnent à entendre des scènes à peine imaginables : la mort omniprésente, la famine, les manipulations des autorités allemandes et ces scènes de survie effroyables.

    750 jeunes, hommes et femmes de 14 à 25 ans

    Les trois principaux épisodes reviennent sur les quatre semaines héroïques qui ont conduit près de 750 jeunes, pour la plupart des hommes et femmes de 14 à 25 ans, à se procurer des armes pour se défendre et finalement résister face à l’armée la plus puissante du monde. L’histoire se terminera bien sûr tragiquement pour cette armée de guérilla urbaine. La série explique que cette révolte débute alors que les Allemands lancent une deuxième rafle de grande ampleur sur le ghetto afin d’envoyer ses habitants vers les camps de la mort – essentiellement Treblinka.

    Le 19 avril 1943, la veille de la Pâque juive, une révolte éclate grâce à des moyens rudimentaires mais avec deux atouts pour les jeunes combattants et combattantes : la connaissance du ghetto et la certitude qu’ils n’ont plus rien à perdre. Par contre, ils rencontreront peu d’aide chez les Polonais non-juifs comme chez les Alliés. Le 16 mai 1943, le ghetto est définitivement "liquidé", selon le vocable des bourreaux nazis.

    Les quatre épisodes de France Culture sont passionnants grâce aux témoignages des rescapés de cet événement qui est resté dans la mémoire collective. Outre les voix des survivants et survivantes, captés entre 1964 et 1998 –Marek Edelman, Cywia Lubetkin, Symcha Rotem, Krystyna Budnicka, Halina Aszkenazy, Régine Poloniewska, Stanislaw Tomkiewicz, Léon Abramowicz, Gutka Steinberg, Henry Favel, Lola Liblau, Marek Rudnicki et Pierre Ruff – une voix off lit des extraits du rapport Stroop, rédigé en mai 1943 par Jürgen Stroop, membre de la Waffen-SS et commandant des forces allemandes qui liquidèrent le ghetto de Varsovie.  

    Podcast "Le soulèvement du ghetto de Varsovie : 19 avril 1943"
    Un podcast en 4 parties d’environ 15 minutes, produit par Joanna Szybist, réalisé par Laure-Hélène Planchet
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-l-insurrection-du-ghetto-de-varsovie-19-avril-1943

    Voir aussi : "L’homme de pierre"
    "Auschwitz en photos"

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  • Auschwitz en photos

    Un album d'Auschwitz, essai exceptionnel paru chez Seuil dans sa version française, est consacré à un recueil qui ne l’est pas moins, et qui est parvenu jusqu’à nous par un hasard aussi tragique qu’incroyable.

    En 1944, alors que la Solution Finale contre les Juifs européens bat son plein, les pontes de la SS, dont Ernst Kaltenbrunner, Heinrich Himmler et Rudolf Höss, le responsable d’Auschwitz, ont l’idée d’immortaliser en photos "l’efficacité" de la machine de mort nazie. Entre mai et août 1944, le "Programme Hongrie" organise la déportation de près de 600 000 juifs hongrois - qui seront pour la plupart tous exterminés. Deux photographes allemands, Bernhard Walter et Ernst Hoffmann sont chargés de multiplier des clichés qui serviront de bases à une dizaine d’albums.

    Un seul est retrouvé par une déportée hongroise, Lili Jacob. En avril 1945, alors qu’elle est mourante et que les troupes américaines approchent du camp de Mittelbau, elle tombe sur cet album d’Auschwitz. En dépit de l’utilisation de quelques clichés pour des procès, dont celui d’Eichmann, l’album reste curieusement dans l’ombre. Le voilà maintenant restitué et analysé dans cet essai incroyable autant que bouleversant.

    Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants

    Rarement une source historique n’a été autant scrutée et étudiée. Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller analysent les lieux des crimes, Auschwitz, l’un des nombreux sites de mise à mort dans l’Europe nazie, devenu symbolique pour son étendue, son "efficacité" et finalement le nombre de victimes. En ayant l’idée perverse de laisser des preuves photographiques de leur crime – bien qu’aucune photo ne montre chambres à gaz et fours crématoires, hormis deux clichés ajoutés sur le tard – les dignitaires, militaires, responsables des camps et forces supplétives laissent à l’histoire les images d’un des plus grands crimes de l’humanité.

    Le lecteur sera secoué devant les files de déportés. Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants ! – affrontent l’objectif. La plupart mourront peu après. Pas de morts sur ces photos – hormis la silhouette d’une vieille femme morte d’épuisement – et la violence ne surgit qu’épisodiquement – une canne à la main d’un officier, une vieille femme conduite par deux hommes vers la mort et les tours d’un four crématoire. Le lecteur sera frappé par ces clichés où des milliers de personnes arrivent sur les quais du camp nazi, des ballots de bagages et des foules de déportés attendant dans un bois que les chambres à gaz, mis à contribution, se libèrent.

    Il a souvent été dit que les Juifs exterminés étaient conduits à la mort sans se défendre. Quelques indices nous indiquent qu’il n’en a rien été : les regards plein de défiance, les tentatives de révolte, mais aussi ces langues tirées avec affront en direction du photographe et de leurs bourreaux. Gestes faussement anodins, mais riches de sens.    

    Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, Un album d'Auschwitz,
    Comment les nazis ont photographié leurs crimes,
    préface de Serge Klarsfeld, trad. Olivier Mannoni, éd. Seuil, 2023, 304 p.

    https://www.seuil.com/ouvrage/un-album-d-auschwitz-tal-bruttmann/9782021491067

    Voir aussi : "La terreur au grand jour"

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  • Nos ancêtres les Gaulois ?

    Cette chronique inaugure une nouvelle section, "Les chroniques de la Confrérie". Je reprends ici des articles publiés entre 2004 et 2011 sur le site de la Confrérie des 10001 Pages. Littérature, essais, poésie, théâtre : il y en a pour tous les goûts. Pour commencer, parlons Histoire de France, avec François Reynaert.

    Cet essai historique se propose en un peu plus de 500 pages de retracer deux millénaires d'une Histoire de France pour le moins mouvementée sous un angle plus que louable : retracer les principales périodes (de l'ère gallo-romaine à la cinquième République, en passant par la Révolution ou les deux guerres mondiales) tout en s'attaquant aux clichés et aux préjugés toujours tenaces.

    Clovis était Belge

    Dans ce livre alerte et très accessible, François Reynaert, journaliste (et non historien) montre ainsi que l'identité de la France a été plus hétérogène qu'on ne veuille bien le dire (Gaulois, Romains, peuples germaniques, Juifs, Italiens et Espagnols après les révolutions industrielles et populations des anciennes colonies françaises aujourd'hui). Il stigmatise également une pseudo inéluctabilité du territoire et de la culture française.

    Au passage, quelques vérités sont assénées avec justesse : Clovis était Belge, Charlemagne germanique, le Moyen-Âge n'a pas été que cette période obscurantiste, la Guerre de 100 ans a largement été réécrite dans un esprit patriotique anachronique, l'empire napoléonien a été non seulement une catastrophe absolue mais a en plus fait perdre plusieurs décennies aux démocraties européennes, la première guerre mondiale n'a été très souvent vue chez nous que sous l'angle strictement français.

    Bref, voilà un essai passionnant qui permet de rafraîchir ses connaissances en Histoire tout en mettant au placard les clichés les plus éculés sur l'Histoire de France.   

    François Reynaert, Nos Ancêtres les Gaulois et autres Fadaises, éd. Fayard, 526 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2010/12/30/20003676.html
    https://www.fayard.fr/histoire/nos-ancetres-les-gaulois-et-autres-fadaises-9782213655154

    Voir aussi : "Bla Bla Blog, classique et confrérie"

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  • Le 6 juin 44 en roman-photo

    C’est un livre de témoignages tout à fait exceptionnel que nous propose Benoit Vidal avec son ouvrage, Gaston en Normandie (éd. FLBLB). Les monographies, autobiographies, enquêtes et documents sur le Débarquement du 6 juin 1944 sont très nombreux. L’auteur rappelle aussi les films aussi emblématiques que Le jour le plus long ou Il faut sauver le soldat Ryan.

    Là où Benoit Vidal étonne c’est la facture de son ouvrage se voulant au plus près des témoins ordinaires de cette journée capitale dans l’histoire du XXe siècle : il choisit le roman-photo, un genre qui a été popularisé par les romances populaires.

    Pour Gaston en Normandie, le lecteur découvre que ce type de livre se prête si bien à ce genre de projet littéraire et historique qu’il est étonnant qu’il n’ait pas été si souvent utilisé. Sans doute trouverait-il un nouveau public et une nouvelle manière de vulgariser l’histoire. Mais fermons la parenthèse. 

    Le Gaston en question est le père de l’auteur, un témoin jeune à l’époque des fais – il avait 7 ans en juin 1944 – mais à la mémoire intacte. Si intacte que, grâce à Gaston, l’auteur dévoile par exemple un discours du Général de Gaulle à Bayeux en juin 1945 (en plus de ceux de 1944 et de 1946) que l’Histoire avait oublié. "L’histoire vue par le bas, comme disent les historiens, ne correspond donc qu’imparfaitement à l’histoire vue d’en haut" écrit en avant-propos Olivier Wieviorka, de l’ENS Paris-Saclay, comme pour faire écho à cet "oubli".

    Ce qui intéresse Benoit Vidal est l’histoire vue par les gens ordinaires : ces témoins, résistants ou non, découvrant le débarquement un petit matin de juin. Ce sont ces Normands apeurés par les bombardements alliés, hésitant à quitter leur domicile comme le confie Joséphine, la grand-mère maternelle de l’auteur. Son témoignage recueilli par Benoît Vidal est riche de ces petits faits ignorés par la grande histoire et pourtant poignants et mémorables : ce soldat anglais capturé par les Allemands, les jeunes filles s’improvisant infirmières de campagne ou encore cet homme enseveli suite à un bombardement et sauvant son bébé.

    Le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu

    Olivier Wieviorka dit encore ceci : "Le livre de Benoit Vidal (…) ne retrace ni la bataille de Normandie ni les hauts faits des guerriers alliés. Il se propose de présenter le débarquement et ses suites à hauteur d’homme, tels que les événements ont été vécus par des Français moyens — sa famille en l’occurrence."

    Les témoignages de Gaston, que son fils a enregistré en dépit du caractère pudique du vieil homme de 80 ans, viennent apporter la saveur du regard d’un enfant de sept ans. Un gosse traumatisé par la guerre ? Non, bien au contraire. En dépit de la prudence exigé par ses parents pour éviter les dénonciations (l’auteur s’arrête sur le cas épouvantable et inhumain d’un médecin dénoncé par une jeune femme, maîtresse d'un militaire allemand), le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu ("À l’époque on n’avait pas peur. On laissait faire les enfants d’une façon incroyable !… On était très libres").  

    Le témoignage déborde de son cadre lorsque Benoit Vidal fait entrer dans ce récit centré sur le 6 juin 44 l’intime, les souvenirs familiaux, au point d’évoquer des secrets de famille. Dans les derniers chapitres, Gaston en Normandie s’apparente à un face-à-face émouvant entre un père et son fils, comme le dit l’auteur : "Mais je prends conscience dans le même temps que la quête qui me pousse à collecter la mémoire familiale est motivée par la volonté de combler un manque de communication". Cette rencontre entre un père et son fils est l'une des très belles surprises de ce roman-photo pas tout à fait comme les autres.

    Benoit Vidal, Gaston en Normandie, éd. FLBLB, CNL, 2022, 160 p.
    https://www.flblb.com/catalogue/gaston-en-normandie
    https://www.facebook.com/editionsflblb

    Voir aussi : "Un Churchill costaud et massif"

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  • Un Churchill costaud et massif

    S’attaquer à un morceau comme ce Churchill d’Andrew Roberts (éd. Perrin) demande une sacrée ténacité : plus de 1 300 pages en comptant l’index et une biographie. Il faut cependant bien cela pour saisir la vie d’une des figures majeures du XXe siècle, celui qui a largement permis la victoire des Alliés pendant la seconde guerre mondiale tout autant qu’il a fait entrer l’Angleterre dans la modernité.

    Un homme exceptionnel, donc, dont on peut dire qu’il a un  pied dans le XIXe siècle post-victorien et l’autre dans le XXe siècle post-colonial. Il faut citer pour la traduction française Antoine Capet pour son remarquable travail, permettant au lecteur français de découvrir ou redécouvrir "le vieux lion".

    Connaît-on réellement Churchill ? Andrew Roberts a une étonnante réponse en toute fin de l’ouvrage, lorsqu’il parle de la jeune génération : "Dans un sondage de 2008 auprès de 3 000 adolescents britanniques, pas moins de 20 % d’entre eux pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction…" Hormis le fait que cela remet en question les programmes scolaires anglais où Churchill a été presque totalement éliminé, apprend-on, cela reste cependant un "hommage" singulier pour le premier ministre britannique, comme si sa destinée était trop invraisemblable pour avoir été réelle.

    La biographie d’Andrew Roberts est constituée de deux parties : "La préparation" et "L’épreuve". Les jeunes années de Churchill, ce fils de l’aristocratie anglaise ayant fait ses armes sous les drapeaux, semblent être, comme l’a dit lui même l’intéressé, une période de formation avant l’épreuve de la seconde guerre mondiale. Le lecteur a peine à imaginer le futur premier ministre rondouillard de l’Empire Britannique en soldat aguerri : "À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon", raconte un portrait de l’époque.

    Courageux jusqu’à la témérité, Churchill devient aussi un homme de lettres autant qu’un tribun, laissant une œuvre aussi impressionnante que l’homme lui-même, récompensée par ailleurs d’un Prix Nobel de Littérature.

    Impérialiste libéral, Churchill  se lance dans la politique à l’âge de 26 ans. C'est le début d’une carrière impressionnante, non sans soubresauts et traversées du désert qu’Andrew Roberts détaille avec patience. L’homme monte les échelons : sous-secrétaire d'État aux Colonies, ministre de l'Intérieur puis Premier Lord de l'Amirauté, une nomination qui le rendra le plus heureux comme jamais, comme en témoignera plus tard son amie Violet Asquith.

    C’est sous son mandat que commence la première guerre mondiale. Il est déjà aux avant-postes de la Grande Histoire. C’est aussi et surtout une période d’apprentissage, avec des victoires (la création du MI5 et du MI6) mais aussi des erreurs (l’opération des Dardanelles en 1915, qui le marquera toute sa vie), erreurs qui lui seront profitables des années plus tard. 

    Le lecteur qui croit au destin historique, pourra s’appuyer sur cette éloquente citation de l’intéressé au moment où il accède au poste de premier ministre en mai 1940 : "J’avais l’impression d’être guidé par la main du destin, comme si toute mon existence préalable n’avait été qu’une préparation en vue de cette heure et de cette épreuve…"

    "À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon"

    Cette épreuve, c’est bien évidemment la seconde guerre mondiale. L’armée d’Hitler conquiert l’Europe et l’Angleterre est à deux doigts de sombrer comme la France, piteux vaincu après quelques semaines d’une bataille peu glorieuse. Churchill va se servir de son expérience pour convaincre son peuple que la défaite n’est pas inéluctable, en dépit des bombardements nazies sur Londres. "Âgé de 65 ans, il était magnifiquement préparé (…) pour les épreuves qui l’attendaient".

    Ces cinq années éprouvantes, il les affronte avec un courage frôlant la témérité, lui qui n’hésite pas à parcourir le monde en avion ou en bateau en dépit des dangers. La Bataille d’Angleterre fait l’objet de longues pages, et l’auteur ne tait pas les combats politiques, rythmés par les discours légendaires du prime minister, tout au long de ces 5 années de guerre, développées sur environ 400 pages, avec minutie et grâce à une documentation impressionnante.  

    Andrew Roberts rappelle que les États-Unis sont aux abonnés absents au début du conflit et qu’il a fallu toute la pugnacité de Churchill pour convaincre Roosevelt d’entrer en guerre, chose faite après Pearl Harbour en décembre 1941. L’essayiste souligne l’importance capitale de la Bataille de Dunkerque en mai 1940 avec l’Opération Dynamo qui a eu une importance capitale dans la résistance anglaise en ce qu’elle a permis de préserver la marine britannique. Le Blitz et la Bataille d’Angleterre constituent deux chapitres pour ce tournant décisif. Ce que le lecteur découvrira sans doute c’est la saignée dans les forces aériennes anglaises lors de la Bataille d’Angleterre ("en tout, depuis le 10 mai, la RAF avait perdu 1 067 appareils et 1 127 aviateurs"). Cela rend la résistance menée par Churchill tout à fait remarquable ("Nous sommes résolus à poursuivre le combat encore et toujours"), d’autant que le premier ministre lui-même a plusieurs fois risqué sa vie au milieu des bombardements, en raison de sa proverbiale témérité, même si des observateurs ont trouvé qu’il s’était malgré tout "assagi". L’auteur nous apprend que pendant ces 1 900 jours de guerre, il a parcouru 180 000 kilomètres en bateau, en train et en avion.

    Avec un luxe de détails, le biographe suit Churchill du 10 Downing Street au Canada en passant par Washington ou Téhéran, le chef de guerre se révélant un diplomate parfois dupé par un Staline lors de tractations narrées avec précision et un grand sens de la théâtralité, comme on le découvre lors d’une série de rencontres à Moscou.

    Andrew Roberts parle du tournant qu’a été 1942, année décisive au cours de laquelle le monde a été sur une ligne de crête, entre victoire annoncée et défaite inéluctable. Du point de vue intérieur, Churchill est critiqué ("le plus grand marchand de défaites de l’histoire anglaise" est-il dit de lui). En dépit de cela, le peuple le suit, comme le montrent des sondages de l'époque. Le débarquement en Normandie, imaginé dès le début du conflit mondial, est finalement brièvement évoqué, en dépit de son importance stratégique considérable.

    "Victoire et défaite" : tel est le titre du chapitre consacré à la période de janvier à juillet 1945. S’il est vrai que le triomphe de Churchill est l’anéantissement de l’armée nazie, pour autant le premier ministre se voit débarqué après la perte des élections par les conservateurs à l’été 1945.    

    Les derniers chapitres de ce Churchill sont consacrés aux années d’opposition, à des discours importants consacrés à la Guerre Froide naissante, aux colonies britanniques et à l’Europe. Puis, advient le retour au pouvoir de Churchill de 1951 à 1955, dans une période que l’auteur juge plus crépusculaire.

    On ressort de la lecture du livre d'Andrew Roberts éclairés par un des plus grands hommes de l’histoire britannique et sans doute du XXe siècle. Sans doute la meilleure conclusion à apporter à ce Churchill reste le portrait "multiple" qu’en a fait un autre biographe : "Homme politique, sportif, artiste, orateur, historien, parlementaire, journaliste, essayiste, joueur de casino, soldat, correspondant de guerre, aventurier, patriote, internationaliste, rêveur, pragmatique, stratège, sioniste, impérialiste, monarchiste, démocrate, égocentrique, hédoniste, romantique".  

    Andrew Roberts, Churchill, trad. Antoine Capet, éd. Perrin, 2018, 1319 p.
    https://www.andrew-roberts.net
    https://www.lisez.com/livre-grand-format/churchill/9782262081195
    https://winstonchurchill.org

    Voir aussi :  "400 000 hommes à la mer"
    "Lady Di, celle qui ne voulait pas être reine"

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  • Almanach féministe

    Navigatrices, pilotes de courses, peintres, écrivaines, scientifiques, cinéastes, philosophes, ministres et même présidentes de Républiques : ces femmes brillantes et souvent oubliées sont au cœur de l’ouvrage de Benjamin Valliet, 366 Dates pour célébrer les Femmes (éd. Favre). Le choix de l’almanach sert de cadre à ce projet éditorial exemplaire et qui apporte sa pierre au combat féministe.

    En préface de l’ouvrage, Louise Ebel présente ainsi ce travail : "Benjamin Valliet, qui s’est penché sur ces dates clés que les manuels continuent de dédaigner, et sur les destins inspirants qui leur sont associés. En attendant que ces exemples soient un jour enseignés à l’école".

    366 Dates pour célébrer les Femmes se présente comme un almanach traditionnel, découpé en mois. Le calendrier énumère, du 1er janvier au 31 décembre, les grandes et les petites dates autour de l’histoire des femmes, du féminisme et de l’émancipation de l'autre moitié de l’humanité.

    Le livre aborde la plupart des domaines publics où les femmes se sont engagées, voire imposées : les médias (la journaliste belge Janine Lambotte), les arts et la culture (Marguerite Duras, Frida Kahlo ou Elsa Triolet, la première lauréate du Goncourt en 1945), l’économie (la businesswoman Ruth Handler, la créatrice de l’emblématique – et a priori peu féministe – poupée Barbie), le sport (Nadia Comaneci ou la nageuse australienne Fanny Durack), la technologie et les sciences (Irène Joliot-Curie ou l’astronome Edmée Chandon), la politique (Samia Suluhu Hassan, la présidente de la République unie de Tanzanie) et les grandes découvertes (Alexandra David-Néel).

    Le lecteur pourra y trouver les dates de naissance et de décès de grandes figures féminines. Citons les naissances de la résistante allemande Sophie Magdalena Scholl (le 9 mai 1921), de la politique et ancienne candidate à la Présidentielle française Christiane Taubira (le 2 février 1952) ou encore de Sarah Bernhardt le 22 octobre 1844 . Côté décès, l’auteur cite celui de Louise Weber, dite La Goulue (29 janvier 1929), celui de la Suissesse Kitty Ponse, scientifique, pionnière de la génétique et de l’endocrinologie (10 février 1982) ou de la navigatrice Florence Arthaud (9 mars 2015).

    "Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"

    La plupart des dates couvrent le XXe et XXIe siècle. Cependant, l’almanach peut remonter plus loin, preuve que le féminisme est un mouvement qui vient de loin : ainsi le 13 mars 1774 voit la naissance de la femme d’affaire américaine, née de parents esclaves, Rose Fortune. Bien avant, le 14 avril 1663, Catherine Duchemin, artiste peintre française, est la première femme admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 7 mai 1748 voit la naissance de Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, quelques années avant celle de Jane Austen (le 16 décembre 1775).

    Benjamin Viallet fait aussi une place aux "Milléniums", avec la naissance de Billie Eilish le 18 décembre 2001 et celle de Greta Thunberg le 3 janvier 2003.

    L’ouvrage, bien entendu, n’oublie pas le militantisme et les grandes avancées du féminisme : le droit de vote aux citoyennes françaises le 29 avril 1945, le manifeste des 343 le 5 avril 1971, le discours de Simone Veil pour l’IVG le 26 novembre 1974, avant la promulgation de la loi dépénalisant l’avortement le 7 janvier 1975.

    Des événements moins connus mais essentiels sont abordés. Ainsi, en 1930, Jane Evrard (1893 – 1984) décide de fonder elle-même son orchestre, "l’orchestre féminin de Paris". Elle devient la première femme cheffe d’orchestre professionnelle en France. Le 8 avril 1908, Madame Decourcelles obtient l’autorisation de conduire ses premiers clients en qualité de "chaufferesse", autrement dit de conductrice de taxi. Plus près de nous, le 28 février 2019, l’Académie française se prononce en faveur d’une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades, alors qu’aux États-Unis, le 7 février 2021, Sarah Thomas devient la première femme à arbitrer le Superbowl.

    Des biographies de femmes, modèles ou militantes, ponctuent l’almanach. Outre des citations mises en exergue tout au long du livre ("Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"), l’auteur décide de mettre en avant des figures souvent peu connues, que ce soit Kate Warne, la première femme détective aux États-Unis, la cinéaste Alice Guy ou les sportives Violette Morris et Suzanne Lenglen.

    Au final, Louise Ebel commente ainsi le projet de Benjamin Valliet : "La mise en lumière des destins de femmes à travers l’histoire n’est pas seulement notre affaire, c’est une affaire universelle". L’auteur ose un clin d’œil personnel inattendu avec une mention du 25 décembre 1949, la date de "naissance de Christiane Valliet, ma mère, une femme formidable", écrit son fils et auteur de cet Almanach peu commun. 

    Benjamin Valliet, 366 Dates pour célébrer les Femmes, éd. Favre, 2022, 224 p.
    Préface de Louise Ebel
    https://www.editionsfavre.com/livres/366-dates-pour-celebrer-les-femmes

    Voir aussi : "Ce qu’elles veulent"
    "En suivant la route de Simone Veil"

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