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Histoire - Page 11

  • Rien de nouveau sous le soleil

    51TS7qGqz3L._SX298_BO1,204,203,200_.jpgVous les connaissez ces ritournelles : "Les temps ont bien changé", "les enfants ne respectent plus rien, pas même l'école", "tout va trop vite de nos jours", "on était bien plus heureux autrefois", "le niveau scolaire baisse", "à cause des étrangers, on n'est plus chez nous"... Ce sont ces discours et ces commentaires courants qui sont évoqués dans le court ouvrage Rien de Nouveau sous le Soleil (Nihil novi sub sole), à travers des textes... vieux de 2000 ans.

    En préface de ce mélange, Michel Marcheteau rappelle en avant-propos que l'insécurité ou la circulation dans les villes, la violence des jeunes gens, les problèmes scolaires (la méthode globale par exemple !), la corruption des hommes politiques, le problème de la Palestine et du Moyen-Orient, les catastrophes naturelles, la dégradation des mœurs, la destruction de la nature ou le... hooliganisme avaient déjà été stigmatisés par de nombreux auteurs latins.

    Rien de Nouveau sous le Soleil présente une sélection de textes (avec leur version originale en latin) de quelques-uns de ces écrivains : Plaute, Cicéron, Quintilien, Tacite, Apulée, Juvénal, Salluste, Ovide,  Tibulle et Sénèque.

    Une manière passionnante de se replonger en douceur dans la langue et la civilisation latine, tout en nous faisant une jolie leçon de relativisme : "Ce petit ouvrage remet ainsi à leur place les enthousiasmes excessifs et les pessimismes exagérés...  Il constitue un antidote à la fois à l’utopie et au catastrophisme qui peuvent nous aveugler sur la réalité de notre époque et le devenir de nos sociétés."  

    Rien de Nouveau sous le Soleil (Nihil novi sub sole), éd. Pocket, 2006, 143 p. 

     

  • Crises de foi

    À l'origine du Royaume, l'imposant et exceptionnel récit d'Emmanuel Carrère, il est question d'une crise de foi de ce dernier. 

    L'auteur de La Moustache (1986) et de L'Adversaire (2000) y dévoile sans fard son passé de chrétien croyant convaincu, d'ancien pratiquant sincère et admirateur des textes sacrés du nouveau Testament, au point de les avoir commentés plusieurs années. Emmanuel Carrère rappelle aussi qu'il a participé à la traduction de l'Évangile de Marc pour La Bible de Bayard (1995). J'écris "passé de chrétien" car Emmanuel Carrère s'étend sur la crise intérieure qu'il a dû surmonter, une "mise à l'épreuve" comme il l'écrit, mêlant fascination pour les textes bibliques et incompréhension du message évangélique, cette histoire de résurrection n'étant pas la moindre des aberrations : "Ces textes... je les trouve toujours magnifiques, je les trouvais déjà délirants... Ils enseignent un dédain de l'expérience, du témoignage des sens...

    À cela, s'ajoutent une angoisse existentielle qui a conduit l'auteur sur le divan d'une psychanalyste mais aussi des expériences personnelles traumatisantes. À ce sujet le lecteur ne pourra qu'être happé par ces vingt pages terrifiantes sur une ancienne nounou croyante et délirante, digne de figurer dans le film La Main sur le Berceau ! Au bout de cette crise personnelle, Emmanuel Carrère choisit de ne pas de tourner le dos à la religion catholique ou à sa foi ; il choisit par contre de la comprendre, de revenir aux racines du christianisme et de se faire homme de raison – et d'agnostique  : "Pas de dolorisme, pas de culpabilité mal placée. Ne pas se flageller. Commencer par être bienveillant avec soi-même. Tout cela est plus cool, et me convient mieux... Ce que j'appelle être chrétien, ce qui m'a fait lui répondre que oui, j'étais chrétien, cela consiste simplement, devant le doute abyssal qui est le sien, à dire : qui sait ? Cela consiste, au sens strict, à être agnostique. À reconnaître qu'on ne sait pas, qu'on ne peut pas savoir." Croyant et agnostique (sic), il choisit, dans Le Royaume, un des ouvrages les plus remarqués de 2014, de se faire historien, exégète mais surtout enquêteur.

    Commence alors une nouvelle partie de ce récit, passionnant comme un roman. L'auteur assume d'ailleurs complètement son statut de romancier, bien utile pour remplir les trous dans cette histoire compliquée et lacunaire du paléochristianisme, ponctué de crises souvent violentes. 

    La trame de son nouveau récit suit les traces de Luc, personnage éminemment important du Nouveau Testament, auteur de l'Évangile qui porte son nom mais surtout des Actes des Apôtres. Ce Macédonien lettré, de culture hellénique et attiré par la culture juive (mais sans doute pas juif lui-même), a suivi dans ses voyages autour de la Méditerranée une figure capitale du Christianisme, Paul. Ce dernier, Emmanuel Carrère en fait l'une des figures principales de son livre. L'ancien bourreau de la jeune secte admiratrice de Jésus, devenu lui-même chrétien suite à une révélation en Syrie (les visions du chemin de Damas, voir en illustration de cet article une peinture du Caravage), s'avère complexe, mystérieux, trouble et complexe dans ses motivations. Pour l'auteur, Paul (anciennement Saul) était certes citoyen roman mais n'était sans doute pas juif comme il le prétend, au contraire des autres piliers du christianisme naissant que sont Pierre ou Jacques, l'un des frères de Jésus. Entre l'ancien persécuteur romain et les ex apôtres, les désaccords vont vite se faire jour, d'abord au bénéfice des prestigieux témoins de Jésus. Emmanuel Carrère explique aussi les accusations d'antisémitisme de Paul qui ne s'est pas gêné pour faire endosser par les autorités juives l'accusation de la mort de Jésus (juif lui aussi, rappelons-le), pourtant exécuté par les autorités romaines (une thèse, contestée, de l'historien Hyam Maccoby).    

    Les désaccords entre Paul d'une part et les deux anciens apôtres vont rapidement dégénérer au point de voir au cours du premier siècle une rupture saillante entre juifs chrétiens (adeptes de Pierre, Jacques mais aussi de Jean de Patmos) et paléochrétiens évangélisés au cours des campagnes de Paul et de ses disciples à travers l'Europe et le Moyen-Orient. Le torchon brûlera pour de bon lors de la diffusion de l'Apocalypse de Jean qui est, dit Emmanuel Carrère, moins un texte eschatologique sur la fin du monde, ou une critique contre Néron (le fameux 666) et les Romains païens qu'une attaque contre... les paléochrétiens pauliniens. 

    Cette hypothèse en croise d'autres dans ce récit riche et bien documenté. À ce sujet, l'auteur revendique son métier et sa liberté d'écrivain. Moins exégète que romancier, il ouvre des voies intéressantes au sujet de tel ou tel personnage ou telle ou telle scène de la Bible : Luc n'aurait-il pas rencontré Marc (appelé également Jean-Marc ou Yohanan Marcus), l'auteur du premier Évangile ? Ce même Marc ne serait-il pas le jeune homme présent sur le Mont des Oliviers que les soldats chassent et qui s'enfuit en courant, nu ? Le deuxième témoin d'Emmaüs, avec Cléophas, ne serait-il pas Philippe, un disciple qui aurait non seulement facilité "l'enquête" de Luc mais qui lui aurait également confié par écrit les paroles brutes de Jésus captées lors des trois ans de son ministère (la source Q) ? D'autre part, Luc, en plus de ce texte capital, ne se serait-il pas fait à la fois historien et romancier pour écrire son Évangile ? Emmanuel Carrère s'y arrête longuement et commente l'œuvre de Luc, l'Helléniste. Il pointe du doigt, ça et là, incohérences, facilités de langages ou trouvailles stylistiques : "Luc parfois se contente de copier Marc [qui a déjà publié son Évangile], mais la plupart du temps … il dramatise, il scénarise, il romance... pour rendre des scènes plus vivantes."

    Au cœur de ce travail littéraire, il y a bien sûr la motivation religieuse et le prosélytisme. Emmanuel Carrère appuie à ce sujet l'importance de cette source Q qui est commun à l'ensemble des Évangiles (à l'exception de celle de Jean, la plus littéraire, la plus ancienne, la plus travaillée mais certainement aussi la moins fidèle à l'histoire). Dans cette source Q, figurent des textes célèbres : des paroles du Sermon sur la Montagne, la parabole du berger et de ses cent brebis, des invitations à la pauvreté, des aphorismes... Ce qui fait dire à l'auteur du Royaume qu'un lecteur, s'il oublie le contexte de cette source, peut être sidéré "par son originalité, sa poésie, son accent d'autorité et d'évidence, et que hors de toute église il prendrait place parmi les grands textes  de sagesse de l'humanité, aux côtés des paroles de Bouddha et de Lao-Tseu." Des paroles sages, qui sont cependant contrebalancées, ajoute l'auteur plus loin, par ce qu'écrit Luc faussement qualifié de "policé" et "trop bien élevé" : "Qui vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu'à sa propre vie ne peut être mon disciple" ou "Je suis venu jeter le feu sur la terre. Comme je voudrais qu'il soit déjà allumé !" Des paroles que Paul aurait pu dire (si tant est qu'il ne les a pas dites)...

    Emmanuel Carrère se fait exégète mais aussi historien lorsqu'il trace un portrait saisissant du bassin méditerranéen au Ier siècle : la ville de Rome, foisonnante, dangereuse et fascinante, l'occupation romaine dans ses provinces, les luttes d'influence, les roitelets juifs (étonnant Hérode Agrippa Le Jeune !), la société juive chauffée à blanc, les crises religieuses, les brigandages et autres extorsions organisés à grande échelle par les autorités romaines, la cohabitation des religions sur fond de tolérance romaine jusqu'à ce que le christianisme menace de saper les bases de la société romaine. Il s'arrête aussi sur ces personnages historiques qui, à leur manière, ont influer sur le cours de l'Église : quelques disciples et apôtres de Jésus bien entendu, mais aussi l'historien Flavius-Josèphe, les empereurs Néron, Vespasien, Titus ou Domitien ou encore le philosophe stoïcien Sénèque. À côté de ces personnages antiques, Emmanuel Carrère nous parle de personnages ou de faits contemporains, sans craindre anachronismes ou comparaisons inhabituelles dans de tels essais : révolutionnaires communistes ou Philip K. Dick en premier lieu.

    On ressort du Royaume soufflé par ce voyage vers les sources d'une religion vieille de deux mille ans. L'érudition, la passion, la liberté de ton d'Emmanuel Carrère font de ce récit à la fois autobiographique et historique un ouvrage important, accessible à tous quelque soit leur conviction religieuse et qui se lit d'une seule traite, comme un roman. Un roman qui remue et qui ne fait pas l'impasse sur de longues digressions tour à tour enflammées, révoltées, comiques, voire triviales. On pense ainsi à ces dix pages savoureuses sur l'intérêt de l'auteur pour les vidéos pornos sur Internet, ce qui fait dire à la femme de l'auteur, malicieuse et complice : "Quand même, il a bon dos, saint Luc!"

    Emmanuel Carrère, Le Royaume, éd. P.O.L., 2014, 630 p.

     

  • Retour sur "Montargis la Chinoise"

    Retour sur une série d'articles que j'avais intitulée "Montargis la Chinoise".

    La chaîne d'info BFM a diffusé le 13 juillet dernier un reportage sur l'histoire de cette sous-préfecture du Loiret qui est considérée comme le berceau de la "Chine nouvelle".

    C'est là qu'au début du XXe siècle de jeunes Chinois, venus étudier et travailler, se sont formés politiquement et idéologiquement, au point d'imaginer la fondation d'un parti communiste dans leur pays. Parmi ces jeunes Chinois figuraient de futurs dirigeants et idéologues tels que Cai Hesen, Zhou En Lai et Deng Xiaoping.

    "Montargis la Chinoise"
    Montargis, berceau de la "Chine nouvelle", 13 juillet 2015

  • Le temps des noyaux

    Je parlais il y a quelques jours de Marie Cherrier, chanteuse et artiste talentueuse, suivie par des fidèles inconditionnels (voir cet article). Plusieurs internautes ont réagi à cet article et spécifiquement à l'une des plus belles créations de Marie Cherrier, la chanson Le Temps des Noyaux.

    Ce bouleversant hommage aux soldats anonymes de la première guerre mondiale - dont nous commémorons en ce moment le centenaire - a été mis en image dans un somptueux clip en noir et blanc, avec une nouvelle version musicale (vidéo ci-dessous).      

  • Zhou, en avant la révolution !

    Dans l'histoire de la Chine moderne, Zhou Enlai occupe une place à part. Sa carrière de révolutionnaire puis d'homme d'État (il a été premier ministre de 1949 à sa mort en 1976) est indissociable de Mao Zedong, dont il fut à la fois à la fois l'allié et l'adversaire.

    Gao Wenqian, historien et dissident chinois, offre une biographie passionnante qui aide à comprendre la longévité et aussi la postérité d'une figure emblématique qui a indubitablement changé le cours de son pays. Cet essai bien documenté (l'auteur a eu accès aux archives du parti communiste chinois) décrit les premières années d'un jeune révolutionnaire marxiste (né en 1898), promis rapidement aux plus hautes destinées de son pays et de son parti.  Le livre passe (trop) rapidement sur les guerres civiles mettant aux prises Nationalistes de Tchang Kaï-chek et communistes pour s'intéresser surtout aux premières décennies de la Chine communiste, à partir de 1949.  

    Il convient sans doute de s'arrêter sur le titre de ce livre. Zhou Enlai, L'Ombre de Mao est une traduction très critiquable de la version originale, Zhou Enlai The Last Perfect Revolutionary : voir dans celui qui fut à l'origine de la visite de Richard Nixon en Chine un pantin aux ordres d'un dictateur obnubilé jusqu'à la folie par la révolution communiste serait oublier que Zhou Enlai, loin d'être un complice aveugle du Grand Timonier, a su louvoyer habilement pour échapper à toutes les purges du parti communistes : un exploit ! Mieux, ses talents politiques, son sens tactique et ses qualités de diplomate ont su le rendre indispensable au point de n'avoir jamais été délogé de son poste de premier ministre.

    Cela ne dédouane pas Zhou d'erreurs et aussi de complicités, alors qu'à partir de 1966 la Chine est plongée dans la folie de la Révolution Culturelle, attisée par Jiang Qing, l'épouse de Mao, et la fameuse "Bande des Quatre". Trois hommes politiques personnifient les luttes politiques sanglantes  de cette période : Liu Shaoqi, Président chinois de 1959 à 1968 et adversaire sérieux du Grand Timonier, qui n'échappera pas à la purge au sein du parti communiste ; Lin Biao, le dauphin désigné de Mao avant que ce dernier ne décide de l'éliminer et ne provoque indirectement sa fuite – et sa mort – en avion (1971) ; et Deng Xiaoping, le brillant maoïste des débuts, devenu paria en pleine Révolution culturelle puis revenu en grâce au plus sommet de l'État, grâce notamment à la protection de Zhou Enlai. L’essai s’arrête longuement sur les luttes intestines autour de ces trois hommes, qui se sont soldées, pour les deux premiers en tout cas, par des fins tragiques. À chaque fois, Zhou Enlai était aux premières loges de ces guerres politiques.              

    Ce dernier, homme complexe, cultivé, posé, intelligent et imprégné de culture confucéenne, a navigué avec habileté dans un pays troublé, alors que Mao manipulait anciens compagnons d'armes, maréchaux devenus héros nationaux,  militants gauchistes illuminés, ministres et politiques sceptiques ou tentés par une modernisation de leur pays. Cette modernisation que beaucoup jugeaient inéluctables, Zhou Enlai la guida d'ailleurs discrètement avant que Deng Xiaping ne la mette en application avec vigueur à partir du milieu des années 70. 

    Gao Wenqian ne cache pas la face sombre du personnage : obsédé par l'idée de "vieillir avec grâce", le premier ministre chinois (devenu si populaire qu'après son décès de millions de Chinois lui rendirent spontanément hommage – au grand dam de Mao) a accompagné le Grand Timonier dans la sanglante Révolution culturelle, une guerre civile qui ne porte pas ce nom. La responsabilité de Zhou est évidente mais aussi complexe et sujette à débats : certains ont pu dire que sans lui, cette Révolution culturelle aurait été plus sanglante mais aussi moins longue. 

    Finalement, le triomphe de Zhou Enlai peut se lire dans les dernières années de sa vie : la visite du Président Nixon en Chine tout d'abord, qui sort la Chine de son isolement. Mais aussi son dernier combat politique contre Mao qui, jusqu'au bout, a cherché à déstabiliser et à "purger" son allié et adversaire, si différent de lui ! Mao ne survivra d'ailleurs pas longtemps à celui dont il ne pouvait se passer et qui gérait habilement le pays : les deux hommes disparaissent en 1976, à huit mois d'écart.

    Gao Wenqian résume ainsi la carrière de celui qui verra sa vision triompher après sa mort et avec l'accession de Deng Xiaoping au sommet de l'État chinois : "Pendant de longues années, Zhou, en disciple docile de Mao Zedong, n’avait jamais voulu manifester la moindre opposition. En ce sens, il collabora à la mise en place d’un régime totalitaire dont il devint l’une des victimes. Pourtant, du point de vue de l’héritage historique, son action l’a emportée sur celle de Mao." Cet héritage n’est ni plus ni moins que la Chine d’aujourd’hui.  

    Gao Wenqian, Zhou Enlai, L'Ombre de Mao, éd. Perrin, 2010
    Funérailles de Zhou Enlai, janvier 1976
    The Story of Zho Enlai, drame historique, 2013

    Voir aussi la série d'articles sur ce site, "Montargis la Chinoise"

  • Les tribulations d'un Chinois en France

    Il y a quelques semaines, je publiais sur ce blog une série d'articles sur l'histoire de la naissance du parti communiste chinois à Montargis : "Montargis la Chinoise".

    Pour aller plus loin, je vous invite à découvrir les documents en ligne retraçant la vie d'un jeune étudiant chinois, Yang Tche Chen, qui faisait partie du mouvement Travail-Etudes entre 1918 et 1922.

    L'internaute pourra y découvrir le contexte historique de ce mouvement, un article sur la vie en Chine à cette époque ("La vie à Chengdu vers 1920") et de nombreux documents sur cette aventure sociale et politique.

    Montargis la Chinoise
    Yang, étudiant chinois en 1920

  • Le poisson d’avril, même avant c’était déjà pas très drôle

    Pour en savoir plus sur le 1er avril, le site Raconte-moi L'Histoire, dont il était déjà question ici et ici, propose de revenir sur l'histoire de cette tradition, pas franchement très drôle. Voici ce qu'en dit Marine :

    Personne ne rit aux blagues du 1er avril, non, personne. C’est pas drôle de faire croire à son keum sur Facebook qu’on est enceinte, ni que celui-ci te fasse croire qu’il a couché avec ton frère. Avant, c’était pas forcément plus drôle.

    Mais pourquoi le premier avril ?…

    La suite ici...

  • Montargis la Chinoise [3] : "Dans mes bras, monsieur le maire de Montargis !"

    Après la mort de Mao, qui se souvient de la place qu'a occupée Montargis dans la naissance du parti communiste chinois ? Sans doute d'abord les protagonistes eux-même, et à commencer par Deng Xiaoping. Lors de son retour en France en 1975, cette fois en visite officielle, l'ancien étudiant souhaite revoir Montargis et "[y] manger des croissants" ! Ce voyage emprunt de nostalgie n'aura jamais lieu mais son ancien employeur, la multinationale Hutchinson, retrouve la trace de son passage dans les années 20 (voir l'article précédent). Il s'agit d'une fiche archivée. Par ailleurs, Deng Xiaoping n'aura de cesse de rappeler l'importance de cette petite ville du Loiret dans l'Histoire de la Chine moderne. 

    En 1982, la France, socialiste depuis un an (et avec des ministres communistes au gouvernement), forme de grands espoirs au sujet de ce gigantesque pays, "sur le point de s'éveiller". Ce dernier est en passe de respirer après plusieurs décennies de guerres civiles, d'une révolution culturelle terrible, de programmes politico-économiques lancés à la hussarde et de purges au plus haut sommet de l'État. Des millions de morts ont accompagné la mue de cette région du monde. Deng Xiaoping, l'ancien petit ouvrier de Montargis est à la tête de l'État et s'apprête à le moderniser contre vents et marées. Le "Socialisme à la chinoise" se voit mâtiner d'un libéralisme a priori contre-nature, ce qui ne semble pas troubler outre-mesure le pragmatique Deng : "Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, le plus important est qu'il puisse attrape des souris", affirme-t-il avec conviction. 

    Un voyage officiel est organisé en cette année 1982, rassemblant maires de grandes villes et industriels influents. Deng Xiaoping met une condition à ce voyage : que parmi les invités crânement présents figurent Max Nublat, le modeste maire (communiste) de Montargis. La journaliste Sylvie Braibant raconte avec verve et talent cet événement digne d'un film :  "Max Nublat (...) fit sa petite valise, grimpa dans l'avion réservé à l'imposante suite française, fut placé un peu derrière les autres. Après l'atterrissage et alors que tous s'apprêtaient à descendre, des officiels chinois pénétrèrent dans la carlingue, très affairés, et demandèrent à tout le monde de se rasseoir, à l'exception de "Monsieur le maire de Montargis". Très étonné, et même légèrement inquiet, il passa donc devant tout le monde : au bas de la passerelle, sous une banderole de bienvenue déployée à son nom, une somptueuse limousine attendait. Il fut embarqué toutes sirènes hurlantes vers le Palais impérial. Là, les portes s'ouvrirent les unes après les autres. Dans la dernière pièce, un homme attendait tout sourire et les bras ouverts. Deng Xiaoping dit "dans mes bras Monsieur le maire de Montargis" et il serra bien fort contre lui un Max Nublat au bord d'une double apoplexie, physique et psychique."

    Ému et nostalgique, Deng Xiaoping se souviendra longtemps d'anecdotes survenus cinquante ans plus tôt à Montargis : l'apprentissage de la valse dans un dancing, La Gloire (devenu un hôtel et restaurant étoilé), un PV récolté pour le non-fonctionnement du feu rouge d'un vélo ou le souvenir d'une collègue d'atelier aux yeux de couleurs différentes : "Impossible qu'il ne soit pas allé à Montargis", témoignera le maire de l'époque après coup.

    Trente années se sont passées depuis cet événement diplomatique. Après la mort de Deng Xiaoping en 1997, les relations étroites entre la Chine et Montargis ne sont pas laissées lettre morte, loin s'en faut. Difficile à placer sur une mappemonde, la petite ville du Loiret tente cependant de cultiver cet héritage, non sans arrière-pensée économico-touristique. Timidement, des initiatives se font jour pour capitaliser sur les relations sino-montargoises : circuit touristique, musée de la Chine au 15 rue du Tellier (anciennement 15 rue du Pont de l'Ouche, un site qui avait servi de résidence à de jeunes Chinois), manifestations culturelles sous l'égide d'une ambitieuse association Amitiés Chine-Montargis et de sa charismatique présidente, Peiwen Wang.   

    Comment conclure cette série d'article sur les liens hors normes qui unissent une modeste ville française et une superpuissance ? Peut-être en évoquant un dernier protagoniste.

    René Dumont, candidat aux élections présidentielles de 1974, était le fils de la directrice du collège du Chinchon, un des lieux d'accueil d'étudiants chinois.  Du même âge que Deng Xiaoping, "l'homme au pull-over rouge" se lia d'amitié avec Cai Chang, agronome réputée et future vice-présidente de l'Assemblée nationale de son pays. Plus de cinquante ans après la venue de Li Shizheng, venu en France étudier l'agronomie, c'est René Dumont qui entreprend plusieurs voyages en Chine sur le même sujet. Il constate là-bas les évolutions agricoles de la réforme agraire chinoise de 1949, non sans naïveté ni aveuglement d'ailleurs ("Saluons le dévouement des dirigeants chinois à l’intérêt national et à celui des travailleurs", écrit-il). Il en retire des enseignements sur l'agronomie marxiste ("Une autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure, sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine"). Il en vient à affirmer, en utopique patenté, ses convictions sur la nécessité d'une révolution mondiale... écologique. 

    Ce voyage d'un Montargois dans le pays de Deng Xiaoping, avec en arrière-fond l'agronomie chère à Li Shizheng, peut être lu comme un formidable pied de nez du destin. C'est aussi une manière fascinante de boucler la boucle de cette aventure humaine, sur fond de révolutions.

    Un remerciement particulier à Peiwen Wang

    Sylvie Braibant, "De Montargis à Pékin : le grand bond en avant", janvier 2013
    Jérôme Perrot, "Montargis, l'étape secrète de la Révolution chinois",
    Humanité Dimanche, 16-22 octobre 2014
    Régis Guyotat, "Montargis, berceau de la Chine nouvelle",
    Le Monde, 9 septembre 2006 
    Alexandre Moatti, "René Dumont : les Quarante ans d'une Utopie",
    La Vie des Idées, 11 juillet 2014
    Association Amitié Chine-Montargis
    Musée de la Chine, 15 rue Tellier, Montargis

    Voir aussi les deux articles précédents :
    Montargis la Chinoise [1] : Naissance d'une idée
    Montargis la Chinoise [2] : Deng Xiaoping et d'autres jeunes gens ambitieux