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Histoire - Page 5

  • Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais

    Derrière ce titre hugolien, se cache une initiative bienvenue : parler du personnage historique le plus commenté cette année et dont la commémoration est la plus débattue.

    L’ensemble des émissions de Philippe Collin, "Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais" propose de s’intéresser à un personnage historique majeur de notre histoire, amis aussi controversé. Dictateur ou unificateur du territoire ? Génie militaire ou monstre sanguinaire ? Réformateur moderne ou souverain tourné vers le passé ? Fossoyeur ou continuateur de la Révolution par d'autres moyens ? Peut-être un peu tout cela à la fois. 

    Les quatre premiers épisodes de cette série sont d’une très bonne facture et proposent une relecture intelligente, contrastée et passionnante d’un personnage qui reste encore profondément ancré dans notre inconscient collectif. Cela explique pourquoi la commémoration de sa mort laisse peu de personnes indifférentes.

    Les podcasts ne suivent pas la chronologie de Napoléon. Ainsi, le premier épisode, intitulé "La mort de l’aigle ou a naissance du mythe", parle de la mort de l'empereur déchu en 1821, du transport de sa dépouille de l’Île Sainte-Hélène en France, décidé singulièrement par le dernier roi de France Louis-Philippe mais du mythe de l’empereur, encore bien présent de nos jours. Comme le dit un spécialiste, lorsque nous balayons devant notre porte, lorsque nous devons enterrer nos morts six pieds sous terre, lorsque nous regardons nos grandes villes et les architectures néoclassiques (Bordeaux, Lyon), c’est l’héritage napoléonien qui est là, sans que nous en soyons conscients.

    Le deuxième épisode s’intéresse de son côté au clan napoléonien et à la manière dont cette famille corse a pris le pouvoir avec une logique et "une construction politique" intelligent et si possible sans violence, parce que la Révolution, avec ses excès, est passée par là ("On ne peut pas faire n’importe quoi").

    Plus étonnant, l’épisode suivant s’intéresse à la "la virilité à cheval ou l’image de l’homme puissant". "Napoléon incarne la bravoure militaire et la sobriété vestimentaire, qui ont défini le masculin pour les générations suivantes… Quant aux femmes, elles ont été cantonnées à la sphère domestique ou à la séduction mondaine", dit l’historien Jean-Clément Martin. Une réalité qui peut être nuancée par quelques femmes de son entourage au caractère bien trempé : sa première femme Joséphine de Beauharnais, mais aussi Juliette Récamier, Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine sa deuxième épouse, mais aussi Félicité de Choiseul-Meuse, la première auteure libertine de cette époque. 

    Essayer d’expliquer à la société  du XXIe siècle que Napoléon Bonaparte fut l’homme de son temps et que sa gloire fut immense

    L’auditeur sera enfin très certainement intéressé par l’émission s’intéressant à la célèbre campagne d’Égypte que la propagande a décrite comme une opération  autant militaire que scientifique. Les invités de Philippe Collin la décrivent comme ce qu’elle est : une guerre coloniale sur laquelle plane le modèle d’Alexandre le Grand. "Sévices sexuels, décapitations, exécutions sommaires : la campagne d’Égypte fut le théâtre de violences guerrières inouïes et pourtant ce n’est pas ce que l’on a retenu. Aujourd’hui ce périple napoléonien est avant tout associée à une expédition scientifique inédite". Ce modèle de propagande à des fins de politique intérieure est bien un conflit meurtrier mené par 35 000 hommes, mais aussi 170 savants, et qui va avoir des conséquences culturelles incalculables, comme le dit un  spécialiste : la campagne d’Égypte de 1798-1801, au piètre bilan militaire, marque surtout "le coup d’envoi d’un phénomène scientifique qui va être extrêmement rapide… le Mystère de l’Égypte ancienne est emporté. Il a vécu pendant 2000 ans."

    Ces émissions ont l’immense qualité de faire le point sur un personnage complexe. Et sur la question de la commémoration de Napoléon, Philippe Collin, âprement débattue, commente ainsi : "Il faut bien sûr commémorer ce bicentenaire et en profiter pour essayer d’expliquer à la société du XXIe siècle que Napoléon Bonaparte fut l’homme de son temps et que sa gloire fut immense, bien plus grande que celle de Washington aux États-Unis. Néanmoins la France de 2021 n’est plus celle de 1821. La société française a profondément changé, et rien ne nous interdit, bien au contraire, de questionner l’héritage napoléonien, sans oukase, uniquement à l’aide des historiens. Ne jamais juger le passé à l’aune du présent !"

    Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais, série historique de  Philippe Collin
    en 9 épisodes, France Inter, en podcasts

    https://www.franceinter.fr/emissions/napoleon-l-homme-qui-ne-meurt-jamais

    Voir aussi : "Oh pop pop !"

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  • En suivant la route de Simone Veil

    C’est peu de dire que Simone Veil est une personnalité majeure de la Ve République. Femme politique dans un milieu masculin, elle est restée une personnalité populaire et admirée, y compris quatre ans après sa mort, en juin 2017. Une vraie référence, en dépit du fait qu’elle n’a été ni Présidente de la République, ni première ministre.

    Dans son ouvrage, Simone Veil, Mille Vies, Un Destin (éd. City), Amandine Deslandes revient sur le destin peu ordinaire de cette femme issue de la bourgeoisie parisienne "éclairée". L’enfance heureuse de la petite Simone Jacob, modelée par le patriotisme et la laïcité, n'est absolument pas déterminé par les origines juives de la famille, à telle enseigne qu’"elle aurait oublié qu’elle était juive sans la guerre."

    La grande rupture de sa vie est celle de l’Occupation et de sa déportation à Auschwitz puis Bergen-Belsen, avant une Marche de la Mort .

    La biographe consacre moins de 20 pages à cette expérience inhumaine et traumatisante, mais c’est cette période d’un an est essentielle pour comprendre le parcours d’une survivante, mais aussi une incomprise dans une France qui, après la seconde guerre mondiale, qui souhaite tourner au plus vite la page de l’Occupation et du génocide juif. La blessure indicible sera toujours là, d’autant plus que la jeune Simone ne s’est jamais considérée comme juive : "Simone Veil était entrée française dans les camps. Elle est ressortie juive."

    La sortie de la guerre est d’autant plus difficile que "les déportés raciaux n’ont pas eu le même traitement que les autres… sont considérés comme moins importants." De plus, Simone en vient à jalouser sa sœur, une survivante elle aussi, mais qui est passée par la Résistance et est considérée comme une héroïne. L’autre déchirure est un deuil : celle de Madeleine Jacob, surnommée "Milou", avec qui Simone a partagé les épreuves des camps. En 1952, après des études à Sciences-pop et la rencontre avec son futur mari Antoine Veil, Milou décède dans un accident de voiture.

    Les années suivantes sont celles d’une carrière dans la fonction publique autant que d’un engagement pour améliorer les conditions d’incarcération dans les prisons françaises. Les femmes détenues subissent des conditions pires que les hommes, constate Simone Veil : "L’administration  pénitentiaire m’a davantage empêchée de dormir que le ministère de la Santé !", commente-t-elle plus tard.

    "Simone Veil était entrée française dans les camps. Elle est ressortie juive"

    Elle est nommée ensuite à la direction des affaires civiles. Elle travaille sur le dossier de l’adoption et rédige un projet de loi révolutionnaire, plaçant l’enfant au centre du processus : "Sa plus grande fierté professionnelle… Elle regrettera toujours que la loi dénommée Veil soit sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) plutôt que [cette loi sur l’adoption]".

    1969 marque l’arrivée de Simone Veil dans le grand bain de la politique – masculine. Quelques années plus tard, le jeune Président élu, Valéry Giscard d’Estaing fait entrer Simone Veil dans son gouvernement pour lancer des réformes sociales. Et parmi ces réformes, il y a cette loi pour l’IVG, qui va être le vrai marqueur politique de cette femme politique atypique. Elle entre dans le gouvernement de Jacques Chirac avec qui, comme l’explique Amandine Deslandes, les relations – "une centriste et un anti-compromis" – ne vont jamais être simples : amitié, confiance et respect n’empêchent pas les manœuvres politiciennes, les désaccords, voire les coups bas.

    La réforme de l’IVG fait l’objet d’un chapitre particulièrement documenté. Amandine Deslandes décrit bien l’atmosphère révolutionnaire qui régnait au mi-temps des années 70, rendant indispensable une loi qui pouvait défriser les plus conservateurs : "Si tu ne règles pas ce problème dès le début du septennat, nous auront droit à un avortement sauvage devant l’Élysée !", prévint un témoin à une Simone Veil qui incarnait cette réforme capitale pour le droit des femmes.

    Sans doute s’agit-il là du point de départ d’une histoire passionnée entre la France et Simone Veil, dans la carrière passa ensuite par le Parlement européen. elle en fut une Présidente investie, comme le dit l’auteure. C'était une voix européenne qui portait haut des messages de paix, de réconciliation et de modération. 

    Figure charismatique à la parole portant loin, Simone Veil n’est pas une personnalité classique, comme le montre Amandine Deslandes : de nouveau ministre dans les années 90 sous le gouvernement de cohabitation de d'Edouard Balladur, c’est finalement moins comme responsable politique qu’elle a laissé sa trace que comme figure morale. Que l'on pense à ses fonctions de Sage au Conseil Constitutionnel puis à son élection à l'Académie française en 2008.

    Amandine Deslandes insiste bien entendu sur l’importance de son passé de déportée, qui fait d’elle une des gardiennes de la mémoire des victimes de la Shoah. L’autre combat majeur est celui pour le droit des femmes, qui lui fait dire : "Le bonheur des femmes est un des problèmes fondamentaux de notre société." Un combat plus que jamais d’actualité. On serait curieux aujourd’hui de l’entendre parler des combats féministes, alors qu’elle s’est éteinte quelques semaines avant le déclenchement du raz-de-marée #MeToo. 

    Amandine Deslandes, Simone Veil, Mille Vies, Un Destin, éd. City, 2021
    https://www.amandinedeslandes.fr
    https://www.facebook.com/amandine.deslandes.marseille
    http://www.city-editions.com
    http://simoneveil.fr

    Voir aussi : "La terreur au grand jour"

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  • Lev Yachine, l’araignée dorée

    Amoureux d’Histoire et de foot, voilà un livre qui devrait vous interpeler. En proposant une biographie de Lev Yachine, sans doute le meilleur gardien de but de tous les temps, le seul goal à avoir gagné le Ballon d’Or (1963), Laurent Lasne fait mieux que dérouler la carrière d’un technicien hors-pair : il inscrit sa biographie dans la grande histoire de l’URSS.

    Le lecteur sera sans doute déconcerté par le choix audacieux de l’auteur de sortir de l’essai sportif classique et de faire, comme le titre de l’ouvrage l’indique, un "roman soviétique". L’objectif de Laurent Lasne est d’inscrire le destin du plus grand gardien de l’histoire dans celui du football russe, mais aussi , plus généralement, de son pays.

    Lev Yachine, un roman soviétique (éd. Le Tiers-Livre, Arbre bleu), s’intéresse d’abord à la famille ouvrière comme aux jeunes années d’un garçon qui a connu deux des plus grandes tragédies du XXe siècle : le communisme stalinien et la seconde guerre mondiale. Ce dernier événement contraindra d’ailleurs Yvan Petrovitch, son  père, à suivre le déménagement de son usine en Sibérie.  Ces premières années ne sont pas anodines dans la construction sportive de la future star du foot.

    "Star" n’est du reste pas le terme approprié, tant le futur cador des cages, né dans une culture ouvrière, se voit comme l’un des rouages de l’équipe nationale soviétique appelée aux plus importantes places et trophées (Médaille d’Or aux JO de 1956, Champion d’Europe et vice-champion d’Europe en 1960 et 1964 et 4e place à la coupe du monde de 1966). Lev Yachine, figure majeure du sport russe et même héros nationale dans son pays (aussi connu que Gagarine), est le représentant d’une politique à la fois sportive et politique que le poète Maïakovski a exprimé ainsi : "Nous avons besoin de masses de sportifs en action."

    Sa légendaire tenue noire, dont Fabien Barthez saura se souvenir bien plus tard !

    Laurent Lasne alterne l’histoire personnelle et familiale des Yachine et la grande histoire tournant autour de Staline, sans oublier celle des clubs de football naissants (le Spartak Moscou, le Torpedo, le Dynamo ou le Lokomotiv), qui vont être largement récupérés par la propagande communiste. On connaissait la conquête spatiale comme arme idéologique, mais le sport a lui aussi été un outil largement utilisé par des politiques parfois peu attirés par le foot, à l’instar de Staline. Tel n’est pas le cas du sinistre Béria, passionné de ballon rond. L’auteur consacre de passionnantes pages sur son investissement au sein du club de football du Dynamo Tbilissi qui le sert comme tremplin politique. D’autres pages sont consacrées au compositeur Chostakovitch, passionné lui aussi de football,* et qui voit le stade et le terrain comme des lieux d’expressions libres, comme il le dit lui-même : "Au stade, vous pouvez dire à voix haute la vérité  sur ce que vous voyez." Une hérésie dans cette dictature impitoyable qu'est l'URSS.

    Dans ce climat tendu, violent, où la fin des carrières signifie la déportation et la mort, Lev Yachine se découvre des qualités comme portier, après certes des débuts compliqués mais aussi des erreurs dues en grande partie, nous dit l’auteur, à des techniques révolutionnaires dans l’art d’arrêter la balle : jeu en dehors de la surface de réparation, relances rapides à la main et interceptions au poing. Ce n’est pas pour rien que Lev Yachine était surnommé "l’araignée noire", autant en raison de l’envergure de ses bras que de sa légendaire tenue noire, dont Fabien Barthez saura se souvenir bien plus tard !

    À la lecture de la biographie de Laurent Lasne, la figure de Lev Yachine reste épaissie d’un mystère, à l’image de cet homme pudique et pétri de doutes. D'ailleurs, longtemps, il hésita entre la carrière de hockeyeur et de footballeur.

    Les 100 dernières pages de l’essai sont consacrées à sa carrière internationale. C’est sans doute bien peu pour les passionnés de sport. Mais pour les autres, le livre de Laurent Lasne est une introduction passionnante à la vie du plus grand gardien du monde autant qu’un rappel des tourments de l’URSS.

    Laurent Lasne, Lev Yachine, Un Roman soviétique, éd. Le Tiers-Livre, Arbre bleu, 2020, 400 p.
    https://arbre-bleu-editions.com/yachine.html

    Voir aussi : "RIP URSS"

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  • En cage

    The Keeper, film surprise de l’année 2018, sorti discrètement malgré un élogieux Hitchcock d’or du jury lors du dernier Festival de Dinard, a tout pour séduire un très large public.

    À la fois film historique, biopic sur une légende du foot mondial, love story et drame familial, cette coproduction anglaise et allemande suit la carrière du gardien Bert Trautmann, légende du football anglais à la carrière hors-norme.

    À la fin de la seconde guerre mondiale, le soldat Trautmann (le très bon David Kross) est fait prisonnier par les armées britanniques sur le front de l’Ouest à Clèves, en Allemagne. Le soldat de la Wermacht est envoyé en Angleterre comme prisonnier de guerre. Un peu par hasard, Trautmann intègre l’équipe de football du camp et tient les cages. L’entraîneur de l’équipe locale, Jack Friar (John Henshaw), remarque ses dispositions exceptionnelles et prend le risque d’intégrer le prisonnier allemand parmi les joueurs anglais. Pari gagné, tant le talent du jeune gardien est évident.  

    Une vraie curiosité à découvrir

    Cette nouvelle vie est marquée par la rencontre entre Bert et Margaret Friar (Freya Mavor), la fille du coach. Une idylle commence, sous la forme d’une histoire d’amour impossible. Bert Trautmann choisit de ne plus revenir en Allemagne, d’autant plus que l’équipe de Manchester City le réclame. L’ancien soldat de la Wermacht doit là encore se faire accepter.

    L’histoire du gardien Bert Trautmann est surtout connu des spécialistes du football. Considéré comme une légende et comme un joueur au talent exceptionnel, Marcus H. Rosenmüller propose à travers ce film la découverte d’un personnage hors-norme. L’histoire d’amour avec Margaret, qui deviendra par la suite sa femme, est le fil conducteur de ce biopic, qui n’élude pas pour autant des sujets plus graves : les responsabilités pendant la seconde guerre mondiale (la Croix de Fer qu’a reçu le jeune officier en est un des exemples, même si le film passe sous silence pas mal d’épisodes pendant la guerre), mais aussi la réconciliation et le pardon. Les fans de foot plongeront avec bonheur dans les quelques séquences replongeant dans le passé glorieux de Manchester City.

    The Keeper est une vraie curiosité à découvrir, ne serait-ce que pour le plaisir de découvrir la carrière de Bert Trautmann.    

    Je vous parlerai très prochainement d’un autre gardien emblématique de l’histoire du foot.

    The Keeper, biopic germano-britannique de Marcus H. Rosenmüller,
    avec David Kross et Freya Mavor, 2018, 119 mn

    https://www.canalplus.com/cinema/the-keeper/h/14601709_50002

    Voir aussi : "Une partie de football contre le djihadisme"

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  • Naissance de Marcel Marceau

    En raison de la crise sanitaire et du grand confinement de ce printemps, Résistance de Jonathan Jakubowicz est passé totalement inaperçu, récoltant un peu plus de 7 000 dollars de recettes sur le continent américain et moins de 300 000 dollars dans le monde. Des chiffres exceptionnellement bas.

    Malgré tout, ce film historique se situant en pleine seconde guerre mondiale, dans la France occupée, mérite que l’on s’y arrête. D’abord pour la prestation de ses deux acteurs principaux, Jesse Eisenberg et Clémence Poésy, ensuite, ensuite parce que le long-métrage de Jonathan Jakubowicz s’intéresse à une personnalité exceptionnelle, dans la période de sa vie la moins connue : Marcel Marceau. Canal+ propose de le découvrir en ce moment.

    Celui qui deviendra le Mime Marceau se nomme dans l’état-civil Marcel Mangel. Né dans une famille strasbourgeoise d’origine juive, l’adolescent n’a pour préoccupation qu’une passion : le spectacle. Déjà doué pour le mime, il voit cependant très vite la guerre le rattraper et la menace allemande entrer dans sa vie. Avec son frère et son cousin, résistants, il décide de s’engager avec eux – mais aussi pour les beaux yeux d'une jeune femme, Emma. Leur combat est le sauvetage d’enfants juifs orphelins. Sachant leur existence condamnée, le groupe de résistance les cache, avant de décider de les faire fuir en Suisse. Le jeune homme prend un pseudo pour ce combat : Marcel Marceau. À Lyon, où les résistants on trouvé refuge, l’officier Klaus Barbie, "le boucher de Lyon" (un surnom qui prendra tout son sens dans une scène effrayante), a vent de cette opération et se lance sur la trace de Marcel, d’Emma et des enfants.

    Biopic à la facture classique, Résistance est à voir. Le premier intérêt est la découverte d'un pan méconnu de la vie du Mime Marceau. Un nom qui date de cette période et qui prend tout son sens. Jesse Eisenberg campe le plus grand mime de l’histoire avec justesse, ce qui n’a rien d’évident pour une telle figure qui a contribué à révolutionner l’histoire du spectacle. On prend tout autant plaisir à retrouver Clémence Poésy, si rare et pourtant si impeccable dans ce drame historique à l'histoire passionnante.

    Les critiques sur le choix de l’anglais pour un film se déroulant en France n’a a mon avis ni réelle pertinence ni grand intérêt (regardez un peu les classiques indiscutable que sont La Liste de Schindler ou Le Pianiste…). Résistance (un titre trop général qui ne reflète pas le choix artistique du réalisateur et scénariste) reste un bon film sur cette période, et qui se regarde à la fois comme un honorable long-métrage historique, un vrai film à suspense et comme un magnifique hommage à Marcel Marceau. 

    Résistance, biopic de Jonathan Jakubowicz, avec Jesse Eisenberg, Ed Harris, Édgar Ramírez,
    Clémence Poésy et Matthias Schweighöfer,
    France, États-Unis, Allemagne et Royaume-Uni, 2020, 120 mn,
    en ce moment sur Canal+

    https://www.canalplus.com

    Voir aussi : "La bête doit mourir"

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  • Vins et vignobles, des Gaulois à la Ve République

    Que vous soyez féru·e·s d’Histoire ou amateur·e·s de vins, cet essai sur les vignobles français d’Eric Glatre (Histoire(s) de vin, éd. du Félin) vous passionnera. Et si vous êtes les deux, nul doute que vous aurez entre les mains votre futur cadeau pour les fêtes.

    Éric Glatre propose dans cet ouvrage de revenir sur les grands jalons qui ont marqué un produit pas tout à fait comme les autres, élément fondamental de l’alimentation de notre pays ("L’un des aliments de base de la population adulte, avec la bénédiction des savants"), devenu marqueur culturel (l’étonnant "Bataille des vins" daté de 1223 ou la confrérie des chevaliers du Tastevin), voire mystique (chapitre "Les moines, la vigne et le vin, VIe-XIe siècle"), objet de convoitise, enjeu économique et, avec le temps, produit de luxe (le chapitre sur le classement de 1855).

    Du tonneau gaulois à la création des AOC, en passant par le champagne de Dom Pérignon et le désastre du  phylloxera : Éric Glatre balaye plus de 2000 ans d’histoire de la viticulture, avec précision mais sans jamais perdre le lecteur non-initié.

    Cette Histoire(s) de vin, découpée en 33 chapitres à la fois chronologiques et thématiques, est le rappel que cette boisson, qui a fait la fortune et la réputation de notre pays, a toujours suscité l’intérêt du pouvoir, des acteurs économiques mais aussi de la population. L’auteur rappelle que les réglementations concernant la plantation de vignes et la protection date de l’époque romaine, et que la Bourgogne a été très tôt vue comme une terre exceptionnelle : "Le vignoble de la Côte [d’Or], inexistant et même inconcevable du temps d’Auguste, est devenu, avant la fin du IIIe siècle, l’une des richesses les plus fameuses de la Cité d’Autun." Quelques siècles plus tard, Philippe II Le Hardi s’engage contre un  cépage jugé peu qualitatif : le "vil gamay". Une loi réglementation royale "qui annonce sur le long terme un des fondements de l’appellation d’origine contrôlée". 

    Le "vil gamay"

    "Richesse" : le mot est lâché pour une boisson sophistiquée devenu à la fois un produit de consommation courante et un enjeu exceptionnel. C’est ainsi que l’on peut notamment lire cette remarque sur la naissance du Clos Vougeot : "la réussite la plus remarquable de toute l’histoire de la viticulture monastique." Dans le chapitre consacré à ce cru, Éric Glatre nous fait entrer avec précision au cœur d’une propriété historique.

    La région de Bordeaux a bien sûr droit à plusieurs chapitres : "Le Privilège des vins de Bordeaux (1214)", "Les flottes du vin" au XIVe siècle ("Le port de la Gironde n’a plus désormais de concurrents sérieux… Cette prospérité économique fait de Bordeaux une véritable capitale"), l’histoire peu connue de la barrique bordelaise ou le classement de 1855.

    L’histoire du vin c’est aussi celle de révoltes et de bouleversements socio-économiques, à l’instar de la crise du phylloxera,  de la grande "révolte des gueux" du Midi viticole en 1907 ou de la révolte des vignerons de Champagne à la même époque, révolte qui aura pour conséquence les grandes lois de protection des appellations régionales.

    Qui dit viticulture dit aussi inventions capitales : celui des vins mousseux, du vin jaune, mais aussi du tonneau (qui n’a pas été inventé par les Gaulois, contrairement aux idées reçues), de la bouteille en verre, du bouchon en liège ("Il n’a pas toujours été le partenaire naturel du vin") ou encore de la capsule de champagne.  

    Voilà un essai enthousiasmant sur cette histoire du vin, produit exceptionnel, monument du patrimoine français et objet d’admiration : les grandes réussites viticoles "témoignent, en dernière analyse, d’un art de vivre." Cette réflexion du géographe René Pijassou parle du XVIIIe siècle "élégant et raffiné". Sans nul doute, cela s’applique également pour les siècles suivants, jusqu’à aujourd’hui. 

    Éric Glatre, Histoire(s) de vin, 33 dates qui façonnèrent, les vignobles français,
    éd. du Félin, 2020, 344 p. 

    https://editionsdufelin.com/livre/histoires-de-vin

    Voir aussi : "Du vin, des arts et de la fête"
    "Vendanges amères"

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  • Du couvent à la Régence

    L’Histoire de France est riche de personnages secondaires ayant contribué à leur manière à écrire des périodes particulièrement agitées. Claudine Alexandrine de Tencin est indubitablement l’une de ces figures. Madeleine Mansiet-Berthaud conte le récit de sa vie dans son roman historique, La Défroquée (éd. Ramsay).

    Cette fille de cinq enfants, née d’une famille grenobloise de la noblesse de robe durant le règne de Louis XIV a, dès son enfance, l’assurance de faire partie de ses grandes oubliées. Femme dans une culture patriarcale, avec un frère aîné qui est promis à un riche héritage et un autre frère poussé vers une carrière dans le clergé, la jeune fille est envoyé au couvent de Montfleury pour une vie de prière. Son existence est promise au silence, ce qu’elle ne peut admettre. Madeleine Mansiet-Berthaud la fait s’exprimer ainsi, alors qu’elle se morfond dans un couvent où son père l’a enfermé : "Si je quitte un jour ce voile et le monastère pour la vie civile, j’emploierai mon temps à bâtir une fortune." Une promesse de reprendre en main sa vie et de s’échapper d’une véritable prison, mais qui est aussi la marque d’une défiance envers les hommes : "Si Alexandrine ne tuait pas son père, elle tuerait tous les hommes qui l’approcheraient."

    En fait de meurtre, c’est plutôt de revanche et de vengeance dont elle va user. Cela va d’abord passer par une manœuvre juridique de longue haleine : obtenir du pape la fin des ordres et retourner à la vie civile. Sa bataille va durer onze ans et se terminer par sa libération : un cas "unique dans les annales de l’Église". Contre toute attente, dans une France où la religion catholique pèse de tout son poids sur la vie, Madame de Tencin devient celle que l’on surnomme "la défroquée" : "Ne serait-je jamais qu’une nonne / A qui faux pas l’on ne pardonne ?", versifie-t-elle lors des derniers jours du Roi Soleil.

    Ce n’est qu’une première étape vers son destin exceptionnel dans une époque traditionnelle et patriarchale. La jeune femme ne veut pas se contenter d’une existence régie par le mariage et une famille traditionnelle. S’occuper d’un enfant ? Au risque qu’il "vienne anéantir des rêves de gloire" ? Jamais ! Car si elle a bien eu un enfant, elle ne le reconnaît pas, et c’est finalement son amant de l’époque qui s’occupe de lui – qui deviendra plus tard le philosophe et encyclopédiste D’Alembert.

    Une féministe avant l’heure

    C’est d’abord auprès de sa sœur Marie-Angélique, devenue Madame de Ferriol, que l’ancienne nonne se frotte au grand monde, via un salon littéraire où les plus brillants esprits sont invités : Fontenelle, la tragédienne Mademoiselle Duclos, le jeune Voltaire, mais aussi toutes ces figures politiques qui, après la mort de Louis XIV, allaient être les têtes pensantes de la Régence. Mme de Tencin devient même la maîtresse de Dubois, le second en France après le Duc d’Orléans. Puisque la société interdit aux femmes tout pouvoir, elle multiplie les intrigues pour placer tel ou tel au plus haut sommet, souvent ses amants, et sans oublier les membres de sa famille. Alexandrine continuerait à fabriquer des candidats à l’immortalité dans son usine à idées, tout simplement parce que c’était sa vocation, sa vie, d’élever les grands esprits aux plus hauts sommets, comme de moquer ceux qu’elle estimait médiocres." Vers la fin de sa vie, elle se lance également en littérature, avec des romans qui auront un succès certain à l'époque.

    En suivant le destin incroyable de la Défroquée, l’auteure fait un tableau passionnant de la France du début du XVIIIe siècle : les luttes d’influence pour la succession de Louis XIV, les troubles anglais, le miracle économique du système de Law puis la crise qui s’en suivit, sans oublier l’arrivée au pouvoir du jeune Louis XV. Madeleine Mansiet-Berthaud fait de Madame de Tencin une brillante et insatiable manipulatrice qui s’appuie aussi sur sa propre famille. L’auteure capte bien cette époque, tout en glissant quelques pages d’une écriture classique, voire sensuelle, lorsqu’elle entre par exemple dans les intérieurs bourgeois de cette fille de noble provinciale devenue une aristocrate influente : "Le taffetas glissa sur le parquet ; la jupe étalée restait gonflée, comme toujours habitée. Les dessous de coton blanc échouèrent sur une méridienne. La chambre baignait dans une demie-pénombre."

    Car la famille est l’autre pierre saillante de son existence, avec un frère dont elle est éprise et qu’elle aidera sans faille dans sa quête de pouvoir ecclésiastique car "garder des relations avec les hauts personnages susceptibles de servir la carrière de son frère passait avant une aléatoire gloire personnelle". La quête de reconnaissance n’est pas absente des motivations de l’ancienne religieuse, jamais épargnée par son passé de nonne.

    L'auteure ne cache pas la grande part d’ombre d’Alexandrine de Tencin qu’est sa relation avec d’Alembert. On peut dire qu’elle s’avère être une féministe avant l’heure, qui a assumé ses choix privés jusque dans ses excès, en refusant "d’être l’esclave d’un homme" : "Quand la femme serait-elle l’égale de l’homme ?". C’est sa sœur qui a sans doute eu la réflexion la plus définitive sur elle : "Votre génie pour le calcul et l’intrigue me stupéfie." Ce que l’auteur résume de cette manière : "Quelle revanche prise sur le destin qui aurait dû être le sien !"

    Madeleine Mansiet-Berthaud, La Défroquée, éd. Ramsay,2020, 430 p.
    https://ramsay.fr/dd-product/la-defroquee

    Voir aussi : "Héros, salauds et intellos sous l’Occupation"

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  • Héros, salauds et intellos sous l’Occupation

    Dans son essai Vingt intellectuels sous l’Occupation (éd. du Rocher), Laurent Wetzel cite le Général de Gaulle qui dit ceci dans ses Mémoires de Guerre : "Les écrivains, du fait de leur vocation de connaître et exprimer l’homme, s’étaient trouvés au premier chef sollicités par cette guerre où se heurtaient doctrines et passions. Il faut dire que la plupart et, souvent, les plus grands d’entre eux avaient pris le parti de la France, parfois d’une manière magnifique. Mais d’autres s’étaient, hélas ! Rangés dans le campo opposé avec toute la puissance de leurs idées et de leur style." Cet extrait se trouve dans le chapitre consacré à Robert Brasillach, le plus célèbre de ces intellos engagés dans le camp de Pétain, et aussi la seule de ces figures à avoir été exécutée après la Libération.

    De Gaulle et Pétain : voilà bien la ligne de fracture fondamentale entre les deux camps dont parle Laurent Wetzel, bien qu’elle ne soit pas la seule. Car, outre les désaccords au sujet d’une paix signée avec l’Allemagne, c’est aussi l’antisémitisme qui distinct Résistants et Collaborationnistes.

    Laurent Wetzel a fait le choix de portraits synthétiques pour retracer cette grande histoire qu’a été la vie intellectuelle en France pendant la seconde guerre mondiale. Une grande histoire avec ces héros, ces lâches, ces salauds mais aussi ces figures équivoques. Pour cela, l’auteur, intellectuel lui-même (normalien, maître de conférence d’histoire contemporaine à Sciences Po et professeur d’histoire politiques à Sup de Co), a divisé son livre en trois parties : les deux premières, "Figures d’intellectuels résistants" et "Figures d’intellectuels collabos", retracent chacune le parcours de huit personnalités. La dernière, "Figures d’intellectuels ambivalents", est singulièrement la moins développée, bien qu’elle reste passionnante puisque les quatre célébrités évoquées sont ni plus ni moins que Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Georges Pompidou et François Mitterrand. Que du gros calibre.

    Laurent Wetzel s’attache à décrire des parcours hors du commun dans une France déchirée et en guerre. Quelques figures parlerons très certainement au lecteur.

    Parmi les Résistants, il y a, pour commencer, Marc Bloch et Pierre Brossolette, tous deux tués en 1944. On retiendra aussi René Cassin, en raison des conséquences qu’eurent son engagement. L’auteur rappelle que ce dernier, condamné à mort par contumace du fait de ses responsabilités dans la France Libre, a vu 27 membres de sa famille disparus en déportation, dont sa mère, sa sœur et son beau-frère. Laurent Wetzel relate également ses distensions avec le Général de Gaulle pendant et après la guerre, comme les engagements français et internationaux de René Cassin : création de l’Unesco, élaboration de la déclaration des droits de l’Homme et Prix Nobel de la Paix. Le fascinant Jean Prévost, l’homme d’Eglise Jules Saliège et Jacques Soustelle font l’objet eux aussi de portraits passionnants, avec parfois, comme pour l’archevêque de Toulouse, des positions réservées au sujet du Général De Gaulle. Jacques Soustelle, lui aussi, se détournera du chef de la France Libre. Il regretta, par exemple, "l’épuration… ratée". Deux figures féminines, les seules de cet ouvrage, complètent ce tableau de la Résistance intellectuelle : il s’agit de Germaine Tillion et de l’exceptionnelle Simone Weil (à ne pas confondre avec la femme politique et ancienne déportée Simone Veil).

    Les angles morts de l’épuration

    De l’autre côté de la barrière, il y a ces écrivains, philosophes, essayistes et professeurs d’université qui ont choisi le camp de Vichy. À ce sujet, Laurent Wetzel n’hésite pas à parler dans le chapitre consacré à Claude Jamet (le père d’Alain Jamet, vice-président du Front National et Dominique Jamet, journaliste et Président de la BnF), de ce qu’il appelle un "paradoxe" de cette époque : "L’alliance des pacifistes les plus ardents avec les soldats d’une société guerrière."

    Il y a ces figures proprement sulfureuses : Robert Brasillach, nous l’avons dit, qui a payé de sa vie des engagements qu’il n’a jamais reniés. Marcel Déat, "un ami de la Waffen SS", fait lui aussi partie de cette inconditionnels de la Collaboration, "avec d’autant plus de désintéressement qu’il croyait que sa réussite personnelle serait bienfaisante pour son pays" (cette citation est extraite de la biographie que lui a consacrée Georges Albertini). Laurent Wetzel n’oublie par Pierre Drieu La Rochelle, homme de lettres souvent cité et décrié, antisémite convaincu mais aussi "hitlérien déçu" qui, nous apprend l’auteur, "se convertit sur le tard au communisme et au stalinisme". Le cardinal Alfred Baudrillart a eu lui aussi des positions antinomiques : antinazi proclamé avant la guerre, adversaire de Hitler, le cardinal et membre de l’Académie française fait un virage à 180 degrés après le déclenchement de la guerre et l'Exode, montrant son aversion pour "le traître de Gaule", son accord pour la paix signée par Pétain, son adhésion à l’ordre vichyste et même sa fascination pour "la personnalité et l’éloquence d’Hitler". Autant d’attitudes qui lui vaudront bien des inimitiés.

    Parmi les portraits consacrés à ces figures noires de la vie intellectuelle française, il y a ceux qui sont singulièrement passés à côté de l’épuration, dont Jacques Benoist-Méchin, Claude Jamet ("J’espère l’avenir sous le visage nazi") ou Georges Soulès ("fanatiquement collaborationniste"). Un autre de ces intellos fourvoyés se détache, et pas forcément le plus connu : Jean-Paul Hüter, un "intellectuel parmi les plus remarquables de sa génération" comme l’écrit Laurent Wetzel. Cet hitlérien convaincu meurt en 1944 en Lituanie, sous l’uniforme de la Wehrmacht.

    En consacrant la dernière partie de son essai à deux Présidents de la République, Pompidou et Mitterrand, Laurent Wetzel montre aussi en filigrane les échecs de l’épuration, ou du moins ses angles morts. Raymond Aron, qui s’est mis à distance et du Général de Gaulle et du Maréchal Pétain, disait d’ailleurs ceci : "Si l’épuration avait été mieux conduite, si les principaux responsables avaient été rapidement et solennellement châtiés, il eût été plus facile de se désintéresser des lampistes…" Peu touché par la Libération, Jean-Paul Sartre n’en reste pas moins un intellectuel – et pas des moindres ! – dont les positions sont encore très discutées et critiquées.

    Voir Georges Pompidou présent dans cette dernière partie peut surprendre. Le futur gaulliste, "attentiste" pendant l’Occupation, n’a jamais nié que ses engagements dans la Résistance ont été très limitées. Pour autant, il fit circuler quelques tracts : des "actions isolées et sans portée". Il montra également une certaine indulgence envers d’autres intellectuels aux positions critiquables, comme Jean Guitton.

    Plus troublante est la carrière du jeune François Mitterrand pendant cette période noire : proche de l’extrême-droite dans l’entre-deux-guerres, puis prisonnier en 1940 et évadé d’un stalag avant de devenir haut-fonctionnaire pétainiste, il a été décoré de la Francisque. Le futur Président socialiste "entretenait de bons rapports avec l’entourage du maréchal Pétain et approuvait les principes de la Révolution nationale". Mais il bascule en 1943 dans la Résistance, non sans un certain courage. Il créa même son propre réseau. S’il y a un homme controversée qui a bien sa place dans cette partie, c’est bien lui.

    En s’arrêtant sur ces personnalités du monde intellectuel au milieu de la seconde guerre mondiale, Laurent Wetzel montre bien la manière dont les têtes les mieux faites peuvent se fourvoyer dangereusement, et souvent avec la meilleure foi du monde. Pierre Drieu La Rochelle l’exprime à sa manière : "Si l’intellectuel garde son iondépendance et sa pureté de pensée, il est considéré par les politiciens comme un homme de paille d’autant plus utilisable à l’égard des foules aveugles qu’il est lui-même aveugle."

    Laurent Wetzel, Vingt intellectuels sous l’Occupation, éd. du Rocher, 2020, 233 p.
    https://www.editionsdurocher.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Wetzel

    Voir aussi : "Parisiennes et Parisiens dans l'exode"

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