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Dans son nouveau single, "Je suis mort", sur le rythme d'un battement de cœur, Romain Lemire parle à la première personne d’un moribond. Il s'agit d’une forme d'inventaire après décès : "Je suis mort et tu es venu / Me gratifier d’un dernier geste / M’adresser un dernier salut / Faire l’inventaire de ceux qui restent".
Sur une chanson murmurée, à l’orchestration soignée et ambitieuse, Romain Lemire déploie un texte dense et d’une grande puissance poétique autant que métaphysique : "Il a plu on a fait avec / On a poursuivi des poursuites/ Et la mort n’est pas un échec / C’est la fin d’une réussite".
Ce brillant single promet un futur album, le deuxième de l’artiste, déjà passionnant. Ce sera à découvrir le 28 janvier prochain avec le bien nommé Monument aux Vivants.
Comme l'an dernier, Bla Bla Blog vous présente le bilan 2016, après 208 articles publiés. Littérature, télévision, cinéma, musiques, expositions, bande dessinée, philosophie ou histoire : quelles ont été les publications les plus populaires et les plus marquantes de cette année ? Le bloggeur vous dit tout, sous forme d'un top 10.
Le seul article consacré au cinéma pour ce Top 10 vient d'un film totalement inattendu, un authentique coup de cœur. Taj Mahal, de Nicolas Saada, avec Stacy Martin dans le rôle principal, mérite amplement cette place pour un petit bijou hitchkockien, qui est aussi un drame contemporain consacré au terrorisme.
Extrait "Beaucoup d’entre nous sont passés à côté de Taj Mahal, sorti il y a un an peu après les attentats du 13 novembre, et qui mérite de figurer parmi les fleurons du suspense français... Aucune star pour le deuxième film de Nicolas Saada, auteur du remarqué Espion(s), aucun grand moyen et un film tourné ni en France ni aux États-Unis mais en Inde, une intrigue sèche comme un coup de trique et un sujet d’actualité – le terrorisme – traité avec minimalisme." La suite ici...
Aurélie Dubois est une artiste à suivre absolument. "L'artiste de garde" exposait en avril au salon "Salo IV" et y présentait en avril son oeuvre-phare, Mes tresses s'amusent. Ce dessin représente la quintessence d'une artiste qui a fait du sexe et du fantasme son terrain de recherche.
Extrait "Qui es-tu pour ne pas te reconnaître ?" annonce le site Internet d’Aurélie Dubois. La citation de Daniel Androvski, psychanalyste et écrivain, annonce la couleur : les œuvres qui sont proposées par l’artiste risquent d’en dérouter plus d’un et nous tendre un miroir dérangeant sur le corps, le désir, le fantasme et le sexe. Une démarche revendiquée par Aurélie Dubois, "artiste de garde", qui affirme ceci : "Je considère que je ne fais que traduire la météo des pulsions." La suite ici...
Le focus sur Fleur Offwood, une musicienne douée - très douée, même – n'est pas passé inaperçu. Cet article fait sait aussi écho à un concours de NoMadMusic dans le cadre de Normandie Impressionniste dont il sera question plus loin. Fleur Offwood est une découverte de ce label et gageons que l'artiste a une longue arrière devant elle.
Extrait "En janvier dernier, le prix du jury a été décerné à Fleur O., alias Fleur Offwood (Fleur Dupleich pour l'état civil), pour une création originale de 2:17, L’Orage nu. La jeune musicienne a fait le choix d’une composition audacieuse, offrant une pièce de musique de chambre contemporaine que le Kronos Quartet n’aurait pas renié : les leitmotivs entêtants, inquiétants et teintés de naturalisme (l’auditeur peut être transporté à la campagne en été, un jour d’orage) semblent faire le pont entre le sérialisme viennois du début du XXe siècle (Schoenberg, Berg et Webern) et le courant répétitif américain, une influence que la musicienne revendique en faisant référence au compositeur contemporain Steve Reich." La suite ici...
Nathalie Cougny a été une des belles découvertes de cette année 2016. Cela a commencé par son exposition "En Corps !" au Julia le 23 janvier, à l'occasion de la sortie de son roman Amour et Confusions... Cette artiste engagée et touchante méritait bien plusieurs articles sur Bla Bla Blog.
Extrait "Amour et Confusions... : le titre du dernier livre de Nathalie Cougny pourrait faire passer son dernier livre pour un roman sentimental convenu. Ceux qui suivent l'auteure de cette autofiction savent que cela serait très mal la connaître. C'est hors des sentiers battus que Nathalie Cougny, peintre, écrivain et femme engagée, entraîne le lecteur – qui est tutoyé, tel un ami et confident – dans une série d'aventures amoureuses. La narratrice, Aurore, nous parle de sa soif d'émancipation amoureuse, de sa recherche de l'amour et de ses hommes. Le roman commence par une fuite et une émancipation : un soir, une femme quitte son mari pour rejoindre son amant. Aurore tire ainsi un trait sur son passé, sans pour autant entamer une nouvelle histoire "sérieuse" car cette relation restera éphémère. Elle le sait. Après cet homme, elle en rencontrera d'autres, tous différents, tous marqués par des souffrances parfois indicibles, tous aimants aussi, à leur manière. Faut-il choisir entre eux ?" La suite ici...
Le hasard peut offrir des découvertes inespérées. Prenez Patricia LM : c’est dans le cadre d’un séjour estival que le bloggeur est tombé sur sa discrète galerie à Concarneau. Retenez l’adresse : elle se situe au coin de la rue Laënnec et de la rue Dumont D'Urville, à quelques centaines de mètres de la corniche. Un air marin pour une artiste qui faits se rencontrer le folklore breton (filets de pêche, boîtes de sardines, bouées), la photographie et le pop-art. Patricia LM est à découvrir absolument si vos pas vous amènent dans le Finistère sud.
Extrait "Patricia LM retravaille de la même manière ses modèles féminins. L'artiste a pris le parti de les photographier en gros plan, s’intéressant aux jambes, aux pieds ou aux bustes. Les corps et les vêtements (dont une série sur les jeans) sont mis en valeur avec d’autant plus de respect que les clichés sont là aussi retravaillées et rehaussés de couleurs chaleureuses. Le bleu pastel, le gris velouté et le rose délicat se répondent, au service de photographies qui nous parlent d’intimité, de pudeur, de séduction ou de rendez-vous amoureux secrets dans des lieux interlopes." L’atelier de Patricia LM propose, outre les dessins au format à l’italienne de pin-up, d’autres créations étonnantes et qui ne sont pas à manquer." La suite ici...
L’invité surprise de ce Top 10 est un article sur un événement – qui n’a pas eu lieu ! La Fabrique Opéra de Toulouse préparait pour le mois de mai dernier un Carmen, un projet de spectacle dont Bla Bla Blog s’était fait l’écho quelques mois plus tôt. L’annulation n’a pas été sans controverse, les organisateurs toulousains s'estimant lâchés financièrement par l'association nationale qui, de son côté, se défend et plaide le non-respect de leur partenariat. Il n’est que dommageable que dans l’histoire ce soit les bénévoles (en majorité des lycéens) qui aient été les victimes de ce couac. Une cinquième place, donc, que nous aurions préféré ne pas voir ici.
Extrait "Les 3, 4, 8 et 9 mai 2016 le Zénith de Toulouse devait accueillir pour la première fois Carmen par La Fabrique Opéra Toulouse. Malheureusement, les organisateurs toulousains sont dans l’obligation d’annuler pour des raisons économiques le spectacle à la suite de la décision de La Fabrique Opéra nationale de rompre unilatéralement la convention qui les unissait depuis 2015." La suite ici...
Mell est une musicienne, et une musicienne vachement douée. La Lorraine a posé ses valises au Canada et poursuit une carrière qui a séduit Bla Bla Blog comme ses lecteurs. Son sixième album est sorti en fin d’année. C’est l’occasion de découvrir une artiste pleine de promesse aux influences pop, rock et électro tous azimuts.
Extrait "Mell puise aussi avec énergie dans les années 80 pour des chansons punk-rock coup de poing et enlevées. Hey, Mort de rire et Danse c’est The Clash ressuscité et dopé à l’électro par une musicienne qui n’a pas froid aux yeux. Mell carbure à la new wave dans Au cinéma, transportant l’auditeur dans une salle obscure pour une idylle sucrée et éphémère : "Emmène-moi au cinéma / Que je puisse te toucher dans le noir / Comme si c’était la première fois / Je tremblerai / Tu souriras" : injection de nostalgie garantie. Le titre de l’album parle de déprime. Disons, pour être juste, que c’est vers la mélancolie et la nostalgie que penche la majorité des titres. C’est She said, ballade électro, Mon enterrement, une mélodie folk à l’ironie mordante, ou encore Tes yeux verts, titre folk lumineux et minimaliste : "Dans tes yeux clairs / J’ai vu la mer / Dans tes yeux verts / J’ai vu l’enfer… / Non je n’ai pas peur des tempêtes." Où te caches-tu ? penche du côté de Nick Drake : "Où te caches-tu mon amour / Dans quel pays / Dans quel faubourg". Cette ballade folk, sur le thème de l’amour et de l’identité, est savamment mise en relief par petites touches, sans dénaturer une mélodie simple, une voix délicatement posée et une guitare sèche lofi." La suite ici...
D’avril à août 2016, Bla Bla Blog a consacré un dossier de 11 articles sur le Festival Normandie Impressionniste qui se déroulait du 16 avril au 26 septembre. Il était impossible de parler des 800 manifestations proposées. Le focus a été fait sur les événements les plus marquants : l’exposition "Scènes de la vie impressionniste" au Musée des Beaux-Arts de Rouen, les rétrospectives sur Eugène Boudin (MuMa, Le Havre), celle du peintre John Batho (Musée de Normandie - Château de Caen) et la découverte en France du Norvégien Fritz Thaulow. Bla Bla Blog s’est également intéressé à des initiatives plus particulières : Bill Viola à Yvetot, le partenariat de la SNCF et de Normandie Impressionniste, le concours de NoMadMusic au sujet de la Sonate de Vinteuil de Marcel Proust, la vidéo Éclipse de Thibault Jehanne et un focus sur Rineke Dijkstra,une des artistes invitées par la Frac Haute-Normandie pour l’exposition "Portrait de l'artiste en Alter" à Sotteville-lès-Rouen.
Extrait "La 3e édition de Normandie impressionniste revient à partir de ce week-end, et jusqu’à la fin 2016. Comme en 2011 et 2013, la Normandie rend hommage et célèbre l’impressionnisme à travers 800 manifestations réparties sur autant de sites. Signalons que pour la première fois, l’essaimage territorial de Normandie Impressionniste se calque sur la nouvelle grande région Normandie. Le thème choisi par le festival est celui du portrait qui est décliné autour d’expositions, de spectacles vivants, de créations contemporaines, de danses, de concerts, de pièces de théâtre, d’opéras, de colloques ou de guinguettes. L’impressionnisme a été un mouvement pictural révolutionnaire, admiré autant que décrié au XIXe siècle, et dont les apports dans le monde de l’art ont été incommensurables. Erick Orsenna, président du Conseil Scientifique du festival Normandie Impressionniste, rappelle que les peintres impressionnistes ont eu à cœur le goût de l’innovation (le travail sur les couleurs, sur lumière, sur le travail en plein-air plutôt qu’en atelier…), au cours d’une période foisonnante et tournée vers les révolutions (politiques, sociales, culturelles, artistiques ou industrielles. "Ils ont révolutionné la peinture et ouvert la voie à toutes les audaces. Quel encouragement pour les artistes d’aujourd’hui, pour tous les artistes !" dit Erik Orsenna." La suite ici...
La deuxième place de ce podium revient à un double événement : l'exposition Alex Varenne à la galerie Art en Transe Gallery et le premier salon de la littérature érotique qui s'y tenait à cette occasion (le 23 novembre 2016). Bla Bla Blog était partenaire de ces deux manifestations. Présenter la peinture d'Alex Varenne (et ses Strip Art) a été aussi l'occasion de parler de son œuvre de dessinateur et de son apport à la BD érotique. Le salon ad hoc était à la fois une parenthèse naturelle à l'exposition Strip Art et un coup de projecteur porté à une littérature audacieuse, dans tous les sens du terme.
Extrait "Dans le cadre de l’exposition "Strip Art" consacrée à la peinture d’Alex Varenne, avait lieu à la galerie Art en Transe Gallery, ce samedi 26 novembre, le premier salon de la littérature érotique. Bla Bla Blog était d'ailleurs partenaire de cet événement. C’est dans ce lieu cosy que Flore Cherry, créatrice et animatrice des Écrits Polissons, avait invité la fine fleur de ce genre littéraire, souvent considéré avec dédain, pour ne pas dire pudibonderie. Or, ce samedi, le public se serrait en nombre dans la galerie Art en Transe Gallery, entouré des toiles d’Alex Varenne. Ah, si ses modèles avaient pu parler ! Et bien, s’ils avaient pu parler, ils auraient pu dire bien des choses en somme." La suite ici...
Ce n'est pas un mais plusieurs articles qui méritent la première place de ce top 10 en 2016. La comédienne, mannequin et chanteuse Alka Balbir fait feu de tout bois depuis trois ans. Sur Bla Bla Blog, nous aimons Alka, une des premières chanteuses chroniquées sur ce site pour son disque La première Fois, écrit par Benjamin Biolay. 2016 a vu Alka Balbir sur grand écran (Gaz de France, avec Philippe Katerine dans le rôle principal) avant que l'artiste ne se lance dans plusieurs concerts, annonciateurs, n'en doutons pas, de futures réalisations musicales. Comptez sur Bla Bla Blog pour vous en parler.
Extrait "Alka Balbir a figuré parmi les premiers artistes que j'ai chroniqués sur ce blog en raison de son premier disque, La Première Fois produit par Benjamin Biolay ("Suprême Alka"). Il me paraissait logique de produire un nouveau billet pour signaler sa présence dans la comédie Gaz de France, réalisée par Benoît Forgeard. Philippe Katerine est en première ligne dans le rôle d'un Président de la République impopulaire (Tiens, ça vous rappelle quelque chose?) et tentant de remonter dans les sondages grâce à quelques conseillers aussi interlopes. Alka Balbir fait partie de ce casting. Gaz de France est présentée comme une fable absurde et intelligente : "Avec une étonnante économie de moyens, un décor minimaliste et une poignée d'acteurs talentueux (...), le cinéaste nous enferme dans un étrange huis clos. En ligne de mire, la politique vidée de son sens et la mainmise de la communication... Dans ce décorticage très caustique du théâtre politicien et de ses coulisses, il donne à voir la peur de la guerre et du chaos, le chacun pour soi" nous apprend Télérama." La suite ici...
Le bloggeur mentionnera enfin deux publications déjà anciennes, mais qui continuent à être consultés régulièrement : le dossier"Montargis la Chinoise", consacré à la naissance à Montargis de la Chine communiste au début du XXe siècle et "Lectures au bout de la nuit" sur l'émission maintenant culte Voyages au bout de la Nuit.
Regardez cette photo devenue culte dans l'art contemporain. Qu'y voyons-nous ? Sur ce cliché de la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra, une jeune fille est saisie un jour de baignade. L'adolescente, en maillot de bain une pièce, se tient figée face à l'objectif, devant une plage déserte, un paysage aux contours imprécis, une mer agitée et un ciel grisâtre. Elle a l'apparence d'une adolescente frêle et timide. Sur sa peau blanche, des marques de bronzage se devinent et quelques mèches de cheveux s'agitent au vent. Son sourire est énigmatique et sa pose cambrée comme empruntée. À quoi pense-t-elle ? Son regard bleu soutient celui du spectateur sans rien dévoiler de l'expression de cette plagiste.
Qu'est-ce qui a bien pu faire la postérité de ce cliché, le premier d'une longue série qui a mené la photographe Rineke Dijkstra sur des plages d'Europe et d'Amérique du Nord, sur les traces de jeunes baigneuses comme celle-ci ? Le modèle, une adolescente comme il en existe des millions d'autres dans nos contrées, n'est pas mise en valeur pour sa plastique et le cliché est dénué de tout érotisme.
La scène racontée par Rineke Dijkstra est banale : la jeune baigneuse photographiée le 26 juillet 1992 sur une plage de Pologne (Kołobrzeg) aurait tout aussi bien pu être photographiée de nos jours, sans qu'aucun détail ne change. Alors d'où vient alors l'irrésistible attraction de cette scène ordinaire si elle ne vient ni du modèle ni de l'histoire racontée ? Peut-être justement à son intemporalité et à son classicisme.
Classique, justement, est le sujet choisi par Rineke Dijkstra : une scène de bain. À ceci près que les artistes passés ont souvent représenté leur modèle nue et le plus souvent dans des poses érotiques. Tel n'est pas le cas, comme nous l'avons dit, pour cette photographie de 1992.
Une peinture est d'ailleurs emblématique de cette tradition : La Naissance de Vénus de Boticelli. Cette peinture profane représente un personnage mythologique, Vénus, sortant des eaux sur une coquille Saint-Jacques géante. Sous une pluie de roses, elle est accueillie sur une plage par, à sa droite, Zéphyr et sa femme Chloris, la déesse des fleurs, et à sa gauche par une des trois Heures personnifiant le printemps. L'observation de l’œuvre de Botticelli remet en perspective la photographie de Rineke Dijkstra. La fascination pour cette baigneuse polonaise prend ici tout son sens : l'adolescente polonaise en maillot une pièce, c'est Vénus.
La similitude des deux modèles est flagrante : la pose déhanchée des personnages à la peau blanche, les boucles de cheveux agités par le vent, la main gauche posée sur une cuisse, jusqu'aux pieds de cette baigneuse polonaise reprenant dans un mimétisme troublant la posture de la Vénus renaissante. L'adolescente gracile devient sous l’œil de la photographe néerlandaise une jeune déesse, au milieu d'un paysage désert lui aussi "très renaissance" : l'effet vaporeux de la plage et de la mer n'est pas sans rappeler la technique du sfumato, chère à Léonard de Vinci.
La jeune baigneuse de Rineke Dijkstra, vue et interprétée sous l'angle du tableau du tableau de Botticelli, devient une œuvre d'art fascinante et, du même coup, un classique de la photographie contemporaine.
Dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste, Rineke Dijkstra est une des artistes invitées par la Frac Haute-Normandie pour l’exposition "Portrait de l'artiste en Alter" à Sotteville-lès-Rouen, du 28 avril au 4 septembre 2016.
Rineke Dijkstra, Kołobrzeg, Pologne, 26 juillet 1992 Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, 1486, Florence, Galerie des Offices "Portrait de l’artiste en alter", FRAC Haute-Normandie, Sotteville-lès-Rouen du 28 avril au 4 septembre 2016, du mercredi au dimanche de 13H30 à 18H30, entrée libre
Thibault Jehanne a choisi de travailler sur le thème des routes submersibles en Manche, filmées au petit matin. Éclipse vient offrir un clin d’œil et un hommage appuyé au travail de Frits Thaulow, le peintre de la lumière, de la neige, du blanc et de l’obscurité.
Frits Thaulow (1847-1906) était inconnu pour le public français, du moins jusqu’à ces dernières années. Pour la troisième fois, après deux expositions en 2011 et 2013, le Musée des beaux-arts de Caen présente des œuvres de ce peintre norvégien, grand voyageur, romanesque et artiste d’avant-garde.
Il y a sans nul doute urgence à découvrir l’exposition qui lui est consacrée : Frits Thaulown Paysagiste par Nature, jusqu’au 26 septembre 2016. D’abord parce qu’il s’agit de la plus importante rétrospective en France de cet impressionniste : dans le cadre de Normandie Impressionniste, le musée des beaux-arts de Caen présente 61 œuvres, issues pour la plupart de la Galerie Nationale d’Oslo. Ensuite parce que Thaulow offre le visage d’un artiste à la fois attachant et proche de nous. Son ami et peintre Christian Krohg dit de lui en 1874 : "C’est un type épatant, le seul parmi les peintres ici chez qui on trouve un peu d’humour et d’amabilité. En revanche, les autres sont de tristes sires tout autant qu’ils sont."
Visionnaire, sociable, amoureux de la France, Thaulow a été un artiste moderne, travaillant avec un agent et revendiquant un mode de vie à la fois sophistiqué et attaché à une forme d’écologie : un bobo du XIXe siècle, en quelque sorte ! Comme ses homologues impressionnistes, le peintre norvégien représente les petites gens de son époque : ouvriers, pêcheurs, dockers ou bergers. Mais cette société n’est pas peinte avec misérabilisme. Thaulow y décrit le bien-être, l’intimité de ses habitants, la beauté simple de la nature (Journéed’été, 1881) et un certain art de vivre norvégien.
L’exposition temporaire s’ouvre sur une toile certainement emblématique de l’homme, Sillage d’un Paquebot (vers 1898). Cette huile est moins à voir comme une peinture de marine que comme l’expression d’un voyageur, un artiste ayant parcouru le monde au point d’avoir été internationalement connu à son époque. L’artiste a choisi de représenter, dans cette petite toile, non le bateau en lui-même mais son sillage évanescent : "Je suis resté longtemps à regarder l’océan. Les larges masses d’écume s’élargissaient en lignes merveilleuses et en masses décoratives semblables à des dalles de marbre noir et blanc, polies par les flancs durs du navire" raconte-t-il.
C’est d’abord dans la marine que Thaulow s’affirme, dans la droite ligne du courant académique mariniste. Un académisme somme toute modeste pour la petite capitale norvégienne, dépourvue au milieu du XIXe siècle de grande institution artistique académique. Enfant d’une famille bourgeoise éprise d’arts et lettres (l’écrivain Bjørnstjerne Bjørnson est un ami de la famille), le jeune Thaulow est fasciné par le peintre mariniste Carl Frederik Sørensen dont les œuvres ornent le domicile parental et qui l’influencera dans ses marines de tradition romantique (Marine après la tempête, 1871).
Car les influences de Thaulow sont d’abord à chercher du côté de ses compatriotes : Sørensen, je l'ai dit, mais aussi Hans Budde. Le jeune peintre est marqué par le courant naturaliste de ce dernier. Pour ses premières œuvres, il cherche à transmettre le réalisme de ses sujets et de ses matières, utilisant des teintes grises et brunes. En Norvège, Thaulow est également en contact avec un autre de ses condisciples, Edvard Munch. Le musée des beaux-arts de Caen présente une des toiles de l’auteur du Cri : Saxegådsgate (v. 1882).
En 1872, Thaulow s’arrête dans un modeste village de pêcheur, Skagen, pour représenter la vie simple de ses habitants (Le Cotre Liberté, 1872), à la manière d’Eugène Boudin : larges touches de pinceau, teintes grises du ciel, personnages à peine esquissés. En Norvège, c’est à la vie de ses contemporains qui l’intéresse : Le Retour des Pêcheurs, à Skagen (1879), Rivage (1879) montrant l’embouchure de la rivière Ogna dans la mer à Jæren. Thaulow s’affirme comme un dessinateur et un coloriste hors pair lorsqu’il représente le port de Christiana (Revierhavnen, 1881).
En 1874, Thaulow découvre la France, un pays qu’il arpentera toute sa vie : Normandie, Bretagne, Picardie ou Paris. Il ramène de ses voyages des représentations de paysages et de côtes : Montreuil-sur-Mer dans le Pas-de-Calais, les rives de la Somme en Picardie, la Dordogne en Corrèze, la Seine à Paris de 1892 à 1893 ou Quimperlé dans le Finistère (Le Soir à Quimperlé, Bretonne sur le Pont, v. 1901-1902).
Frits Thaulow vit à Dieppe de 1894 à 1899 et, tout en poursuivant son travail pictural, ouvre sa résidence aux artistes influents de son époque. Les Thaulow reçoivent chez eux de nombreux artistes et personnalités influentes des arts : Serge Diaghilev, Sarah Bernhardt ou August Strindberg. Thaulow accueille également Oscar Wilde, condamné et indésirable dans son pays en raison de son homosexualité. Mondain, sociable et altruiste, Thaulow est une personnalité publique dont la voix porte. Dieppe, ville prisée centre névralgique dans les liaisons internationales, est un port d’attache qui conduit le peintre aux quatre coins du monde pour y gérer sa carrière. La ville reste liée à l’artiste norvégien qui en fait une source d’inspiration (La Plage à Dieppe, v. 1897)et qui saura s’en souvenir : le premier tableau impressionniste acquis par le musée municipal sera un Thaulow, deux ans avant l’acquisition d’œuvres de Boudin ou de Pissarro.
Influencé par l’école pleinairiste, Thaulow suit l’exemple de ses contemporains impressionnistes, Monet en premier lieu : il peint d’après nature, en plein air, et s’impose comme un coloriste passé maître dans l’art de reproduire les teintes aquatiques bleutées : "Je ne vois qu’un homme qui sache dessiner l’eau comme Boecklin, l’architecture des vagues, le remous des ondes. j’ai nommé : Thaulow" dit à son sujet Robert de Montesquiou en 1897. Thaulow impressionne littéralement lorsqu’il représente les remous d’un moulin à eau (Moulin à Eau, 1892) le bouillonnement d’une rivière à Manéhouville (v. 1897) ou l’écume des vagues sur une plage à Dieppe (v. 1899).
"Le peintre de l’eau" est aussi celui de la neige (Hiver en Norvège, 1886). Peu d’artistes ont à ce point excellé dans l’art de représenter les paysages blancs de la région d’Oslo, ex Christiana (Haugfossen (Modum), 1880). "L’exotisme" des skieurs dans la neige (Skieurs au Sommet d’une Colline, 1894) ou des enfants jouant à la luge (Rue à Kragerø, 1882) suscitent l’admiration dans les salons où ils sont exposés. Mieux, Thaulow et Monet s’influencent mutuellement et les rares paysages de neige du maître français (Soleil d’Hiver à Lavacourt, 1879-1880) sont influencés par l’artiste norvégien.
Après 1886, s’ouvre une période artistique marquée par le pastel, une technique qui avait été en vogue au cours du XVIIIe siècle (Quentin de La Tour, Chardin, Nattier), avant d’être boudée au tournant du XIXe siècle. Il revient en force grâce à Boudin et Millet. Frits Thaulow s’y intéresse à son tour. L’artiste voit tout l’apport du pastel, moyen d’expression énergique, nerveux et d’une rare expressivité grâce aux contrastes saisissants qu’il offre. Mais Thaulow y apporte sa patte. Il représente des canaux, des vues marines (Un Îlot en pleine Mer, 1890), des paysages enneigés (Effet de Neige, Norvège, 1904) et parvient à traduire les effets de matières, de reflets, de lumières et d’eaux. Il sait jouer des contrastes pour représenter les nuits les plus sombres, éclairées de quelques lampadaires et peuplées d’arbres d’un vert tranchant, ectoplasmes inquiétants.
Le royaume de la nuit est d’ailleurs l’univers de Thalow, ce que montre aussi l’exposition de Caen en consacrant une "Section nocturne". Au cours de ses voyages, l’artiste a posé son chevalet dans des lieux plongés dans l’obscurité. Et c’est au clair de lune ou bien éclairé d’une lampe à acétylène, à la lumière blanche caractéristique, que Thaulow a produit parmi les toiles les plus emblématiques de sa carrière prodigieuse : que ce soit cette Bretonne à la coiffe traditionnelle traversant un pont de Quimperlé (1901-1902), ce Cheval blanc sous un clair de lune (v. 1900) ou une vue le Soir à Dieppe (v. 1894-1898).
Frits Thaulow est présent à Caen jusqu’au 26 septembre, en compagnie d’autres artistes de son époque : Eugène Boudin, Lowell Birge Harrison, Christian Korhg, Henri Le Sidaner, Max Liebermann, Claude Monet ou Edvard Munch. C’est l’occasion de découvrir l’un des artistes les plus attachants du XIXe siècle.
Frits Thaulow, Paysagiste par nature, Musée des beaux-arts de Caen, 16 avril-26 septembre 2016 Avec un espace pédagogique et ludique pour les enfants Collectif, Frits Thaulow, Paysagiste par nature, éd. Snoek, 2016 Normandie Impressionniste
Alfred Roll, Le Peintre Frits Thaulow et sa femme Alexandra, 1890, Petit Palais, Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris Frits Thaulow, Une Rue à Christiana (détail), 1880, Oslo, Bymuseum Frits Thaulow, Monticule rocheux, motif de Kragerø, 1882, Göteborgs kunstmuseum Frits Thaulow, Le Havre : Marée basse, 1877, Thiers, Musée de la Coutellerie Frits Thaulow, La Rivière Simoa en Hiver (Modum), 1883, Oslo Nasjonalgalleriet Frits Thaulow, Le Soir à Quimperlé. Bretonne sur le Pont, 1901-1902, Royaume-Uni, collection particulière
Longtemps considéré comme un peintre amateur, collectionneur et mécène de ses amis, Gustave Caillebotte apparaît aujourd’hui comme l’une des figures majeures du groupe impressionniste. Célèbre pour ses compositions inspirées du Paris d’Haussmann, il a consacré une part importante de sa production à l’évocation des jardins.
Au musée des impressionnismes Giverny, une centaine d’œuvres, peintures et dessins, seront réunies pour évoquer cet aspect de son art.
Exposition organisée en collaboration avec le Museo Thyssen-Bornemisza de Madrid.
Caillebotte, peintre et jardinier, Musée des impressionnismes, Giverny, 25 mars – 3 juillet 2016 Normandie Impressionniste
Et soudain, la couleur fut. En présentant, dans le cadre de Normandie Impressionniste, une rétrospective consacrée à John Batho, le Musée de Normandie et l’ARDI-Photographies rappellent que jusqu’aux années 60, la couleur est considérée comme n’avoir pas sa place dans la photographie d’art. À l’époque, la photographie couleur est dévolue à la sphère commerciale et réservée à la mode et à la publicité.
Après 1968, plusieurs précurseurs de la photographie d’art en couleur entendent prouver que la couleur n’est pas "corruptrice" ni "vulgaire" (des accusations du photographe américain Walker Evans en 1969). John Batho fait partie des pionniers : il fait le choix de la couleur dans ses œuvres dès 1963 grâce à des prises de vues réalisées en Kodachrome : "La présence physique de la couleur, la joie qu’elle me procure est au cœur de mes préoccupations. La couleur participe de ce que je vois, j’ai donc photographié en tenant compte de sa présence dans l’épaisseur matérielle des choses." Il expose ses premiers travaux en 1977.
Le festival Normandie Impressionniste propose de découvrir ou redécouvrir cet artiste généreux, à travers plusieurs séries, dont certaines inédites.
Ses premiers séries, "Normandie intime" (1962-1978), se situent aux antipodes de ses confrères américains. Là où Helen Levitt, Joel Meyerowitz ou William Eggleston (Memphis, 1969-1970) immortalisaient des scènes urbaines théâtrales, John Batho choisit, à l’instar des Impressionnistes du XIXe siècle, des sujets de la vie quotidienne et des moments ordinaires qui font, par là, la force documentaire de ses premiers travaux. Cette première série offre de touchants clichés intimes : le regard interrogateur de la fillette au papillon, l’étonnement du jeune enfant au pull-over rouge devant son reflet ou cet autre enfant fleuri et joyeux dans un paysage verdoyant de Normandie.
Plusieurs œuvres de Batho déclinent des scènes intimes chères aux Impressionnistes : la jeune fille devant sa bande dessinée ne renvoie-elle pas aux scènes de lecture chez Renoir ? La lavandière observée en arrière plan par une fillette ne fait-elle pas penser à ces personnages de Degas ou de Manet ? Les natures mortes ou les paysages normands photographiés par Batho ne renvoient-ils pas à ces tableaux champêtres bretons de Boudin ?
La série "Honfleur, couleur locale" (1967-1972) nous parle, bien plus que la précédente, d’une époque disparue. L’artiste immortalise des scènes de la vie quotidienne à Honfleur, à l’instar d’Eugène Boudin : bateaux de pêcheurs, vues du port normand et habitants saisis dans des moments ordinaires. Le spectateur revit un passé disparu à travers des détails plein de nostalgie, mais aussi d’humour : un enfant en culotte courte, une jeune femme et son enfant au landau, un troquet d’un autre âge que l’on croirait sorti d’un roman de Georges Simenon ou une charrette à cheval croisant un voyageur à la valise. Peintre de la couleur, John Batho magnifie les paysages gris, ternes et brumeux de ces scènes en mettant en valeur quelques touches de couleurs : les voiles orangées des bateaux, le garçon au pull-over framboise penché au-dessus de l’eau, la jupe vichy de la jeune maman, la fillette rouge assise au pas de la porte ou la surveillante à la robe tâchée face à "ses" trois balayeuses.
"Giverny" (1980-1984) place John Batho dans la continuité de Claude Monet. En 1980, le photographe est invité pour les besoins d’un documentaire télévisé sur les frères Lumière à revisiter le jardin de Claude Monet à Giverny, qui ont été restaurés en 1977. Batho cherche "l’instant juste", au point de s’interroger "si l’impression qu’on a reçue a été la vraie." Tout Claude Monet est là, dans ces clichés de Giverny : fragiles nénuphars, floraisons délicates, couleurs explosives ou au contraire délicatement déposées au milieu de plate-bandes luxuriantes, pont japonais surgissant timidement de la brume matinale, reflets d’étangs saisis à la verticale. Batho saisit les détails d’un jardin emblématique, attentif aux métamorphoses de la lumière, comme avant lui Claude Monet. Ses prises de vue font dialoguer ciel et eau, verticalité et horizontalité : les nénuphars semblent embrasser les nuages et les saules pleureurs font corps avec le bleu du ciel et des eaux.
La suite "Déchiré" (1986) frappe par le surgissement brut et abstrait de la couleur dans des prises de vue paysagères – et "aléatoires". La déchirure béante d’un papier rouge vif laisse apparaître un paysage verdoyant, permettant en même temps un jeu avec les couleurs complémentaires rouge et vert.
Le travail sur l’angle de prise de vues dans les clichés de "Giverny" et celui sur les couleurs dans "Déchiré" sont mis à profit dans la série des "Nageuses" (1990). "L’eau et le ciel ne font qu’un" explique John Batho. De jeunes nageuses flottent dans une piscine de Trouville. Les couleurs – jaune, magenta, cyan, rose – claquent dans un élément liquide sans profondeur. Les corps ondulent avec grâce ou semblent s’immobiliser dans une composition parfaite et proche de l’abstraction.
La série des "Parasols" (1977-2011) a contribué à la réputation de John Batho. Le photographe reprend à son compte une citation de Cézanne : "Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude". Les parasols de Deauville déclinent une forme moderne dans un paysage cher à Eugène Boudin. Aux teintes grises ou d’un bleu léger du ciel, répondent les couleurs primaires (et parfois secondaires) des parasols, seuls ou en groupes. Ces objets deviennent des êtres vivants, autonomes et familiers.
C’est encore la plage qui est le centre du travail du photographe. "Sur le sable" (2004-2009) s’intéresse cette fois à ces contemporains, des plagistes de Cabourg immortalisés dans des moments hors du temps. Sur le sable des personnages, des groupes ou des objets témoins forment des compositions graphiques, colorées et poétiques, avec toujours l’omniprésence du sable – et l’absence de la mer : "La plage s’offre comme un espace familier et différent, où l’on regarde en soi, comme au loin, pour rêver, pour ne penser à rien".
En 2015, John Batho propose une série poussant plus loin sa réflexion sur la couleur, les éléments naturels et la création photographique. "Nuages-peintures" sont des œuvres mêlant peinture et photographie. Après avoir peint sur une grande feuille blanche de larges coulées de peinture noire, John Batho en fait des prises de vue. Ces traces picturales servent de "réserves" pour y inscrire des photographies de ciel nuageux : "Se trouvent alors associés le geste pictural et l’indice photographique, évitant ainsi la coupure des lignes droites et des angles… Ces fragments évoquent l’idée de peindre avec les nuages et leurs nuances, de les retenir ainsi dans l’instant, dans l’immobilité de la peinture et de la photographie."
Artiste attachant, proche de nous et émerveillé par le pouvoir de la couleur ("D’un point de vue strictement physique, l’œil sent la couleur" affirmait à ce sujet Wassily Kandinski), John Batho s’affirme comme un expérimentateur de la photographie et un chercheur de lumières, de sensations et d’impressions.
Une mystérieuse sonate pour violon et piano, la sonate de Vinteuil, rythme l'œuvre de Marcel Proust, À la recherche du Temps perdu. Voici comment l'écrivain en parle : "Le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu'il cessât de les tenir, dans l'exaltation où il était d'apercevoir déjà l'objet de son attente qui s'approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu'à son arrivée, de l’accueillir avant d'expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu'il pût passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire : ‘’C'est la petite phrase de la sonate de Vinteuil, n'écoutons pas !’’ tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu'à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d'amour qu'ils crurent revenu, s'étaient réveiIlés et, à tire-d'aile, étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du bonheur" (Du Côté de chez Swann).
L'exégèse proustienne a consacré de nombreuse pages à cette œuvre musicale imaginaire. Le bloggeur se contentera de faire référence à l'étude d'André Durand, "Le thème de la musique de Vinteuil dans À la recherche du temps perdu’’, disponible sur www.comptoirlitteraire.com. À l'instar de la petite madeleine de Proust, pour le narrateur de La Recherche l'écoute de cette sonate fait revenir le passé vers le présent, grâce au plaisir sonore et – contrairement à la madeleine ou à la tasse de thé – à "une entité toute spirituelle" (Gilles Deleuze, Proust et les signes).
La Sonate de Vinteuil est donc une œuvre imaginaire. Cependant, Marcel Proust, amateur de musique et pianiste lui-même, n'a pas imaginé ex-nihilo cette pièce. Il la décrit avec précision : "Au-dessous de la petite ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d'un coup chercher à s'élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune... il avait distingué nettement une phrase s'élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n'avait jamais eu l'idée avant de l'entendre, dont il sentait que rien autre qu'elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu."
De l'aveu même de Proust, d'authentiques morceaux – souvent contemporains de l'auteur qui affectionnait les compositeurs modernes – l'ont inspiré pour imaginer cette sonate qui n'existe pas : la Sonate n° 1 pour Violon et Piano de Saint-Saëns, l'opéra Parsifal de Wagner (L'Enchantement du Vendredi Saint), le Prélude de Lohengrin, toujours chez Wagner, la sonate en Ma majeur de César Franck, la ballade opus 19 de Gabriel Fauré et, plus classique, la sonate n°32 de Ludwig van Beethoven (arietta).
À la Recherche du Temps perdu est une œuvre sans cesse commentée. Des musicologues et musiciens se sont également penchés sur cette sonate, parfois jusqu'à la mettre en musique comme le compositeur israélien Boris Yoffe. C'est aussi l'initiative de NoMadMusic, en partenariat avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie et le Conservatoire régional de Rouen, dans le cadre de Normandie Impressionniste.
Des élèves en classe d'écriture et de composition du conservatoire de Rouen ont imaginé avec le compositeur Yvan Cassar une sonate de Vinteuil que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie a enregistré dans le but de devenir l'hymne officiel de Normandie Impressionniste.
Ce projet musical et proustien, en soi intéressant, devient passionnant et unique en raison du parti pris résolument révolutionnaire et participatif.
Car cette sonate de Vinteuil, imaginée par des musicologues, servira de matrice dans le cadre d'un jeu-concours, "NoMadScore - Portraits de la Sonate de Vinteuil". Chacun aura la possibilité de travailler sur les séquençages par familles d'instruments qui seront proposés par la start-up NoMadScore à partir de la matrice originelle. Grâce à l'application NoMadScore développée pour l'occasion, chacun pourra créer "sa" sonate de Vinteuil et la proposer au concours. durant l'été, un jury dont fera partie Yvan Cassar, choisira deux lauréats parmi ces sonates, tandis que le public en désignera une troisième.
Ces trois sonates primées seront jouées par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie sous la direction d'Yvan Cassar, le 15 septembre 2016, à l'Opéra de Rouen en clôture du festival Normandie Impressionniste.
Les organisateurs du concours ont fixé au 15 juillet la date butoir pour proposer sa sonate. Mais après cette date, il sera encore possible de proposer son œuvre, qui sera mise en ligne sur le site nomadmusic.fr/normandie. Les musiciens aguerris ou non sont donc invités à se précipiter vers leur clavier – ou plutôt leur ordinateur, tablette ou mobile – afin de faire vivre la célèbre sonate de Proust: "Ce Vinteuil que j'avais connu si timide et si triste, avait, quand il fallait choisir un timbre, lui en unir un autre, des audaces, et, dans tout le sens du mot, un bonheur sur lequel l'audition d'une œuvre de lui ne laissait aucun doute."
Permettre à l'auditeur de participer pleinement à l'élaboration et l'interprétation d'une œuvre musicale: voilà qui nous renvoie à la vision d'un autre génie, Glenn Gould. Dans les années 60, le pianiste canadien avait abandonné subitement les concerts pour se consacrer à l'enregistrement. Avant même le développement des techniques informatiques, il imagina que l'auditeur pouvait lui-même, grâce à des outils de séquençage et de montage mis à sa disposition, créer sa propre version d'une symphonie de Beethoven, d'un enregistrement de Glenn Gould (l'artiste avait imaginer laisser au public l'intégralité des prises d'un disque afin que chacun puisse faire sa version de l'oeuvre)... ou d'une sonate de Vinteuil. Les prédictions et le rêve de Glenn Gould semblent avoir trouvé un aboutissement grâce à l'inspiration de Marcel Proust et à l'audace d'une start-up française.