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• • Hors-séries - Page 15

  • À la recherche de l’idée perdue

    Le lecteur peut se leurrer en ouvrant cet étonnant livre de David Foenkinos, Qui se souvient de David Foenkinos ? (éd. Gallimard). La couverture annonce qu’il s’agit d’un roman, en dépit de la facture autobiographique racontant une période de page blanche qui a suivi la publication de son premier succès, Le Potentiel érotique de ma femme. "J'étais alors dans la promesse. Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné ? Depuis ce succès qui s'efface des mémoires, j'ai publié quatre autres romans et tous sont passés inaperçus. J'ai tenté d'analyser les raisons de mes échecs, mais il est impossible de comprendre pourquoi l'on devient invisible. Serais-je devenu médiocre ? Suis-je trop allé chez le coiffeur ?"

    Ainsi commence ce qui peut s’apparenter à une autofiction. Sauf qu’ici, il n’est pas question d’une autofiction sombre dans laquelle les récriminations le disputent aux ressassements et aux confessions les plus sordides . Non. Dans Qui se souvient de David Foenkinos ?, l’auteur de La Délicatesse opte d’emblée pour l’humour, et disons-le : ce livre est à la fois drôle, inventif et astucieux. L’auteur n’hésite pas à s’autocritiquer : "Était-ce la vie d’un écrivain ? Un écrivain à échecs, sûrement. Je me rappelle comment mon entourage s’enthousiasmait pour mes livres au tout début. J’étais un auteur Gallimard, le sang de Proust coulait dans mes veines… Déporté vers le néant littéraire, j’étais devenu décalé. Par rapport à quoi, ça je ne savais pas."

    Autodérision réjouissante

    Lorsque le récit commence, David Foenkinos est en proie à une série de crises dans sa vie : il vient d’avoir la quarantaine et ses projets artistiques battent de l’aile. Marié, père d’une adolescente, Victoria, légèrement tête-à-claque mais qu’une carrière de tenniswoman douée lui semble promise, l’auteur vit une crise de couple. Sa femme Laurence ne le supporte plus et se lasse de la voie sans issue de son écrivain de mari.

    Il y a bien ces voisins, les Martinez, un vieux couple fusionnel passionné de voyages mais pour le reste, David Foenkinos craint qu’il ne devienne bientôt qu’un inconnu dans le monde des lettres. Or, de retour en train de Suisse après un séjour pour se "régénérer", David Foenkinos a la certitude qu’une idée de livre lui a traversé la tête. Mais impossible de s’en souvenir. Il ne lui reste plus qu’à partir à la recherche de cette idée.

    Le thème de l’écrivain incompris et torturé par les affres de la création ("les affreux de la création" comme le chantait Serge Gainsbourg) est un poncif. Mais David Foenkinos le traite avec intelligence et humour, tout en faisant le portrait d’un homme – lui-même – se cherchant une place mais aussi l’amour. Car l’amour est présent dans ce roman parlant de littérature mais aussi de mort, comme l’écrit l’auteur. David Foenkinos croise tour à tour ces voisins attachants et bouleversants, la troublante Caroline ("[Elle] entrait dans ma vie parce qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle") et bien sûr Laurence, même si le couple qu'il forme avec elle n’en finit pas de mourir.

    Loin de faire l’autofiction d’un écrivain maudit, David Foenkinos fait preuve d’une autodérision réjouissante, même si cet humour peut être grinçant lorsqu’il est existentiel : "  Je venais de me diagnostiquer un amour et je savais par expérience les épuisements à venir. Quand on a deux cœurs en soi, les risques d'infarctus doublent."

    La solution à ce qui s’apparente à une dépression et à des doutes intérieurs, sera résolue au terme d’un nouveau voyage en Suisse pour retrouver la trace de cette idée – dont le lecteur ne saura rien. Là n’est pas le plus important : l’amour et la construction de soi, plutôt qu’un nouveau livre, auront le dernier mot. 

    David Foenikinos, Qui se souvient de David Foenkinos ?, éd. Gallimard, 2007, 179 p. 
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    http://www.gallimard.fr
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "A la place du mort"
    "Deux morts, deux divorces et autant d’histoires d’amour"

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  • Deux morts, deux divorces et autant d’histoires d’amour

    Je dois bien vous confesser que j’étais passé à côté de l’adaptation ciné des Souvenirs de David Foenkinos, avec Jean-Paul Rouve à la réalisation et Michel Blanc, Mathieu Spinosi et la regrettée Annie Cordy dans les rôles principaux. Mais avant le long-métrage, il y a eu le livre. Pour la suite de notre hors-série sur l’œuvre de David Foenkinos, intéressons-nous donc au roman qui a inspiré le film, un livre sorti en 2011 entre La Délicatesse (2009) et Je vais mieux (2013).

    Le titre Les Souvenirs risque d’égarer le lecteur qui, en ouvrant le livre, peut s’attendre à une série de confessions de l’écrivain. Écrit à la première personne, Les Souvenirs est cependant bel et bien un roman, comme l’annonce l’éditeur en couverture.

    Les Souvenirs en question sont ceux d’un jeune homme se rêvant écrivain mais devant se contenter en attendant de travailler dans un modeste hôtel parisien. Il a des parents dont l’entente laisse à désirer et surtout deux grands-parents encore vivants. Au moment où le récit commence, son grand-père vient de décéder, laissant une épouse inconsolable.

    N’est-ce pas ce que l’on appelle l’altruisme ? 

    C’est à partir de cette grand-mère que commence véritablement l’histoire. Son petit-fils a pour elle un attachement particulier. Lorsqu’elle est envoyée par ses enfants en maison de retraite, le choc est rude pour elle et le narrateur assiste, impuissant, à une inexorable dépression, jusqu’à ce que la vieille dame décide de disparaître. Le jeune homme part à sa recherche.

    David Foenkinos laisse défiler les souvenirs telle une pelote de laine. La mort de son grand-père est le point de départ d’un récit de souvenirs donc, qui concerne le narrateur lui-même. Les événements se succèdent avec une logique imparable. Loin d’être décousus, ces souvenirs s’enchaînent en dépit de fausses pistes : le décès d’une ancienne danseuse, une femme croisée dans un cimetière et ces clients et clientes inconnus et romanesques qu’il croise à l’accueil de l’hôtel où il travaille, tout cela écrit avec un mélange d’innocence, de légèreté et de gravité.

    Dans ce roman, écrit à la manière d’une longue confession parlant de soi, de la famille, d’espoirs et d’amours, l’auteur multiplie les parenthèses et les digressions qui sont autant de souvenirs. Comme si le narrateur tenait à montrer que son passé compte autant que celui de ces inconnus croisés sur une aire d’autoroute ou dans un hôtel anonyme . N’est-ce pas ce que l’on appelle l’altruisme ?  

    David Foenkinos, Les Souvenirs, éd. Gallimard, 2011, 266 p.
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "Cœurs perdus au mitan des nineties"

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  • Cœurs perdus au mitan des nineties

    Les Cœurs autonomes de David Foenkinos (éd. Gallimard Folio) n’est sans doute pas le livre le premier cité lorsque l’on parle de cet auteur au succès indéniable. Il s’agit pourtant d’un roman à l’indéniable magnétisme et qui frappe par sa noirceur.

    Il faut dire que David Foenikinos a choisi de s’intéresser à l’un des faits divers les plus marquants des années 90 : l’affaire Florence Rey et Audry Maupin, les deux auteurs d’un braquage meurtrier en octobre 1994. Au terme d’une nuit infernale, ce jeune couple présenté comme anarchiste et révolutionnaire provoque la mort de 5 personnes et en blesse autant. Florence Rey, 19 ans à l’époque des faits, est condamnée à la perpétuité. Son compagnon, lui, décède pendant cette nuit meurtrière en région parisienne.

    Sans nommer les deux protagonistes (ils sont nommés "elle" et "il"), David Foenkinos choisit la première personne et se met à la place d’un jeune homme, étudiant et témoin du parcours d’une gamine paumée, tombant dans les bras d’un garçon aussi séduisant qu’elle ("Lui aussi était beau") mais à l’influence toxique. Dès les premiers jours, raconte l’auteur et narrateur, la messe est dite : "Le fait d’être plus âgé, lui donne la certitude de la domination. Et il dominera cette histoire."

    Cette histoire commence comme une love story, nous dit David Foenkinos, à laquelle suivra immédiatement un rêve politique et idéologique, a priori improbable pour une étudiante issue d’une bonne famille bourgeoise. 

    Autonomes dans leur mouvement idéologique mais aussi dans leur amour

    La suite de leur histoire est celle d’un projet à la fois fou et irréaliste : "Ils avaient eux-mêmes créé leur mouvement. Une sorte d’organisation révolutionnaire dont ils étaient les deux seuls membres, prônant la liberté extrême, la haine des flics et des fachos… Ils étaient autonomes dans leur mouvement."

    Autonomes dans leur mouvement idéologique mais aussi dans leur couple et leur amour, jusqu’à s’installer dans un squat à Nanterre, sans eau, sans électricité et sans confort. C’est là qu’ils échafaudent avec un troisième comparse leur cavale meurtrière.

    David Foenkinos ne juge pas. David Foenkinis ne brode pas. David Foenkinos n’embellit pas. Il suit pas à pas cette jeune femme paumée qui a eu le tort de tomber amoureuse d’un jeune homme sans doute plus perdu qu’elle. L’auteur donne la voix à un témoin anonyme pour parler de deux cœurs perdus qui avaient fait un rêve politique autant qu’amoureux et qui ont fracassé leurs jeunes années et plusieurs vies innocentes. Cela se passait au mitan des années 90. 

    David Foenkinos, Les Cœurs autonomes, éd. Gallimard Folio, 2006, 126 p.
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "L’esprit de famille"

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  • Taisez-vous, Mrs Dalloway

    Sorti un an avant Célestine du Bac, un ouvrage de jeunesse de Tatiana de Rosnay, son roman Les Fleurs de l’Ombre (éd. Robert Laffont/ Héloïse d’Ormesson) est en réalité le dernier qu’elle ait écrit à ce jour. Il est sorti en librairie en mars 2020, quelques jours seulement avant le début du Grand Confinement. Autant dire qu’éditorialement, ce livre a une histoire compliquée pour le faire simple. Mais c’est aussi un roman qui mérite d’être lu à la lumière des bouleversements environnementaux et sanitaires de notre société.

    Après une séparation tumultueuse avec son mari François, séparation dont le lecteur connaîtra les détails sordides en fin de roman, Clarissa Katsef, une auteure franco-britannique dont le succès est plus ou moins derrière elle, trouve un nouveau logement dans un appartement flambant neuf au cœur du 8e arrondissement d’un Paris traumatisé par un attentat. C’est une opportunité unique pour l’artiste qui a été choisie au terme d’une sélection rigoureuse menée par CASA, une obscure organisation.

    Voilà donc Clarissa, fraîchement célibataire, se retrouve entre les murs d’un appartement pourvu d’une domotique dernier cri, avec notamment une voix synthétique portant le nom de Mrs Dalloway (en référence à Virginia Wolf), chargée de veiller à ses moindres souhaits. Mais la vie de Clarissa devient assez rapidement angoissante. Elle sent dans ce lieu aseptisé que quelque chose ne tourne pas rond. Sauf que personne ne semble la croire, hormis sa petite-fille, Andy. Et ce n’est pas l’intervention régulière de Mrs Dalloway, son assistante personnelle, qui la rassure. En prenant contact avec quelques résidents de l’immeuble, Clarissa remarque que tous sont, comme elle, des artistes. Troublant. Au même moment, une mystérieuse étudiante, Mia White, la contacte. Elle se présente comme une admiratrice de son œuvre et souhaite la rencontrer.

    Tatiana de Rosnay avait déjà, dans un de ses précédents livres, Sentinelle de la Pluie (2018) fait de Paris une ville apocalyptique. Après la pluie et les inondations, c’est le soleil et la chaleur qui s’abattent impitoyablement sur la capitale des Fleurs de l’Ombre. Le monde subit les conséquences du dérèglement climatique et la nature est en train d’agoniser. La nouvelle thébaïde de Clarissa fait donc figure de havre sécurisant – en apparence cependant.

    Virginité mémorielle et artificielle

    Tatiana de Rosnay revient au thème central de son œuvre : la mémoire des lieux, d’autant plus qu’il s’agit également d’un sujet intéressant la protagoniste principale des Fleurs de l’Ombre. Sauf que l’appartement qu’occupe Clarissa n’a précisément pas de mémoire car il est neuf, et c’est justement cette virginité mémorielle et artificielle (artificielle comme Mrs Dalloway) qui perturbe l’occupante.

    Dans cette intrigue hitchcockien que Tatiana de Rosnay a bâti comme un roman de science-fiction à la Philip K. Dick, la romancière se fait encore plus sombre que dans ses livres précédents : dérèglement climatique, destructions de la nature, menaces technologiques, sociétés de surveillance et dangers planant sur les artistes. Il est singulier que ces sujets de préoccupation sont portés par une héroïne qui apparaît comme le double de l’auteure : "Élevée par un père britannique et une mère française, elle [Clarissa] était parfaitement bilingue. Elle avait deux langues d’écriture, et n’avait pu choisir l’une au dépend de l’autre". Cela ne vous rappelle personne ? 

    Il faut enfin mentionner que Tatiana de Rosnay a écrit Les Fleurs de l'Ombre simultanément en français et en anglais. Un roman qui est sorti peu de jours avant le déclenchement apocalyptique de la crise sanitaire. Un signe, sans aucun doute.

    Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’Ombre,
    éd. Robert Laffont Héloïse d’Ormesson, 2020, 336 p.

    http://www.tatianaderosnay.com
    https://www.lisez.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Des hommes, des eaux et des arbres"
    "Célestine et Martin"

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  • L’esprit de famille

    david foenkinos,roman,sœur,rupture,familleDeux Sœurs (éd. Gallimard), le David Foenkinos cuvée 2019, surprendra moins pour sa noirceur que pour son choix du drame familial se transformant en thriller psychologique implacable. On serait tenté de trouver dans ce livre des similitudes avec plusieurs romans de Tatiana de Rosnay (Le Voisin, Spirales).

    Comme souvent chez l’auteur français, l’histoire se déroule dans un environnement des plus ordinaires. Monsieur et madame tout le monde devenant les héros d’une histoire hors du commun.

    La protagoniste principale ne déroge pas à la règle. Elle s’appelle Mathilde, travaille comme professeure de français dans un gros lycée et vit avec Étienne depuis plusieurs années. Une vie de couple sans ombre, avec la certitude pour celle-ci qu’elle vit une relation fusionnelle solide.

    Grave erreur car au moment où le récit commence, Étienne apprend à Mathilde qu’il se sépare d’elle. Elle apprend un peu plus tard qu’il a renoué avec une ex revenue d’Australie après un mariage raté.

    Voilà donc la jeune professeure de français, admiratrice de Flaubert et en particulier – ce n’est pas un hasard – de L’Éducation sentimentale, obligée de gérer une vie seule. Travail, logement, relations sociales et sentimentales : tout semble partir à vau-l’eau. Lorsque Étienne lui apprend qu’il souhaite prendre possession de leur appartement avec sa nouvelle amie, voilà Mathilde obligée de déménager. Généreusement, sa sœur Agathe lui propose de l’héberger quelques temps chez elle. Et c’est là que tout se grippe.

    Une lente descente aux enfers

    David Foenkinos décrit patiemment le portrait d’une jeune femme qui voit du jour au lendemain le ciel lui tomber sur la tête. La première partie de Deux Sœurs est une lente descente aux enfers de plus de cent pages. David Foenkinos aime son héroïne en dépit de ses failles et met en scène plusieurs personnages secondaires comme s’il souhaitait mettre sur son passage des bonnes âmes – le proviseur de Mathilde, une voisine psychanalyste ou un psychologue – capables de l’aider, ou du moins de lui maintenir la tête hors de l’eau.

    Une seule personne va l’aider : sa sœur, Agathe. Mariée et mère d’une jeune enfant. Entre les deux sœurs, pèse un lourd secret de famille. Sauf que les mois passées dans la sphère privée d'Agathe et de son mari Hugo deviennent au fil des jours de plus en plus lourds et pénibles. Entre Mathilde et sa sœur, les relations deviennent très cite compliquées. 

    On ressort de ce roman de David Foenkinos secoué par cette histoire d’une relation familiale vénéneuse à force de non-dits. Derrière l’écriture simple et subtile de l’auteur, il y a une noirceur indicible qui semble murmurer à l’oreille du lecteur : "Il n’y avait aucun espoir à attendre".

    David Foenkinos, Deux Sœurs, éd. Gallimard Folio, 2019, 191 p.
    http://www.gallimard.fr/Contributeurs/David-Foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "Épitaphe pour Charlotte Salomon"

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  • Célestine et Martin

    Le dernier roman en date de Tatiana de Rosnay, Célestine du Bac (éd. Robert Laffont) est aussi l’un des premiers qu’elle ait écrit, "en 1990" comme elle le précise. Refusé par son éditeur alors qu’elle venait de sortir L’Appartement témoin, le manuscrit est resté dans une caisse pendant plus de 30 ans avant que la romancière finisse par le proposer à la publication. Gageons que le nom et la notoriété de Tatiana de Rosnay ont fini par convaincre Robert Laffont de l’éditer, au grand plaisir des fans de Tatiana de Rosnay.

    Le lecteur respirera, dans cette histoire d’amitié et d’émancipation d’un jeune homme, un peu du parfum des années 90. Ni ordinateur, ni téléphones portables, ni omniprésence des réseaux sociaux : ici, l’adolescent au cœur du récit, Martin Dujeu, est simplement obnubilé par les livres et par un rêve d’écrivain. Il habite dans un appartement bourgeois (on ne disait pas encore "bobo" à l’époque), avec un père veuf aussi peu communicatif que son fils. Il y a bien Oscar, le meilleur ami de Martin, lycéen comme lui, et cette jeune femme, Alexandra, la fiancée de son père, intrigante, séduisante et inquiétante : en réalité, le jeune homme survit plus qu’il ne s’épanouit, conséquence de l’absence de sa mère, décédée d’un accident d’avion lorsqu’il était enfant. 

    La personne qui aura le plus à gagner n’est pas celle que l’on croit

    Un autre personnage féminin va alors faire son apparition dans sa vie et avoir une influence capitale : Célestine, dite Célestine du Bac. Derrière ce nom aristocrate se cache en réalité une SDF ayant trouvé refuge sous une porte cochère non loin de la résidence de l’adolescent. Cette vieille dame fantasque, gouailleuse et cabossée par des années dans la rue se révèle, contre toute attente, intelligente, sensible, fine et généreuse. Entre l’adolescent gâté par la vie et la clocharde a priori peu avenante commence une solide amitié. Et la personne qui aura le plus à gagner n’est pas celle que l’on croit.

    Dans ce roman de jeunesse, derrière lequel se lisent les rêves d’une auteure pas encore reconnue, Tatiana de Rosnay délaisse le thème des lieux hantés qu’elle avait abordé dans L’Appartement  témoin. Ce qui l’intéresse est la construction d’un jeune homme que la mort de sa mère a rendu détaché et perdu.

    Dans ce roman alerte et laissant une grande part aux dialogues, Tatiana de Rosnay donne une place importante au père, Victor, un homme sans doute aussi froid et perdu que son fils. Il n’est pas absurde de dire que cette œuvre de jeunesse est un roman sur deux hommes en train de se reconstruire. Les figures féminines – que ce soit Célestine, Alexandra et bien sûr Kerstin, la mère partie trop tôt – traversent le roman telles des modèles, des fantasmes ou des exemples à suivre, jusqu’à un épilogue dans lequel c’est la littérature qui aura le dernier mot.

    Sorti des archives de l’auteure franco-britannique, Célestine du Bac apparaît comme le roman frais et innocent d’une jeune auteure en devenir. Un roman à part aussi car il ne traite pas des mêmes thèmes de Tatiana de Rosnay. Bref, une curiosité à découvrir que tous ses fans auront sans nul doute dans leur bibliothèque. 

    Tatiana de Rosnay, Célestine du Bac, éd. Robert Laffont, 2021, 336 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Premiers fantômes"

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  • Raconte-moi La Fontaine

    À l’occasion du 400e anniversaire de Jean de La Fontaine, l’émission Théâtre & Cie sur France Culture diffusera le dimanche 30 mai prochain à 20H un concert-fiction intitulé Fables de la Fontaine.  Ce concert-fiction qui rassemble comédiens, musiciens, chanteurs et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, invite à se plonger dans des souvenirs d’enfance et d’école avec la lecture et l’interprétation d’une vingtaine de fables.  

    Habitué à mettre en scène des projets mêlant théâtre, documentaire et musique, le réalisateur Christophe Hocké s’attelle aujourd’hui à la fameuse œuvre de La Fontaine pour offrir une création musicale inédite : "L’idée première était de faire entendre les Fables qui sont, aujourd’hui encore, une des références majeures de la littérature française et pourtant si mal connues. J’ai aussi souhaité faire entendre la grande diversité des sources de ces petits contes moraux qui empruntent aussi bien à la littérature persane qu’à la littérature indienne ou arabe. D’où cette idée, très importante pour moi, d’inviter des musiciens et des chanteurs à mettre en musique les Fables dans une grande diversité de genres et d’influences, à l’image de leurs origines."

    Les Fables sont revisitées entre expérimentations, chansons obliques, musique contemporaine et improvisations, par des musiciens pop comme Mocke, Chevalrex ou Nicolas Worms, par les chanteurs Claire Vallier, Emmanuelle Parrenin ou Mohamed Lamouri  et par l’Orchestre Philarmonique de Radio France sous la direction de Bastien Stil. Les textes sont interprétés par la toute jeune comédienne de 10 ans Loïe Desroc-Martinez, entourée d’Émilie Incerti Formentini et de Denis Podalydès de la Comédie-Française. 

    L’enregistrement d’environ une heure regroupe 21 fables dites ou chantées issues de l’ensemble de l’œuvre de Jean de La Fontaine : "Les animaux malades de la peste", "La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf", "Le loup et l’agneau", "Le loup et les bergers", "Le lion abattu par l’homme", "Phébus et Borée", "Le soleil et les grenouilles", "Le lièvre et les grenouilles", "Les oreilles du lièvre", "Le rat de ville et le rat des champs", "Le corbeau et le renard", "Le vieillard et l’âne", "La cigale et la fourmi", "La laitière et le pot au lait", "Le loup et le chien", "La mort et le malheureux", "La forêt et le bûcheron" et "Le songe d’un habitant du mogol". 

    Fables de La Fontaine, Théâtre & Cie, France Culture
    Dimanche 30 mai 2021, 20 heures
    https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/fables-de-la-fontaine

    Voir aussi : "Commémoration de la naissance de La Fontaine" 

    Photos : Christophe Abramovitz / Radio France

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  • Épitaphe pour Charlotte Salomon

    Ce qui frappe d’emblée dès les premières lignes de Charlotte, que David Foenikinos a publié en 2014, c’est la composition du texte.

    L’auteur a opté pour un texte écrit sous forme de versets. Vrai récit, faux roman, pas tout à fait un poème, on serait tenté de dire que c’est une épitaphe qu’écrit David Foenkinos. Une épitaphe sur 250 pages autour d'une artiste terrassée pendant ses jeunes années, en pleine seconde guerre mondiale.

    Charlotte fait partie de ces œuvres personnelles que l’écrivain français présente ainsi : "Pendant des années, j'ai pris des notes. / J'ai parcouru son œuvre sans cesse. / J'ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans. /  J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois. / Mais, comment ? / Devais-je être présent ? / Devais-je romancer son histoire ? / Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?"

    Mais qui est cette Charlotte en question ? 

    Charlotte est, pour commencer, l’histoire de la peintre Charlotte Salomon et de famille juive allemande, marqués par des tragédies et des suicides – celui d’une tante en 2013 puis de sa mère alors qu’elle est une jeune enfant. La jeune fille, à l’intelligence et la sensibilité développés, est élevée par son père Albert, remarié avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg qui l’élève comme sa propre fille. C’est indirectement grâce à cette dernière que Charlotte rencontre l’homme qui va la marquer durablement, Alfred Wolfsohn, musicologue, professeur de chant et pédagogue exceptionnel.

    Une épitaphe sur 250 pages

    Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, la vie devient de plus en plus dure, dangereuse et cruelle pour cette famille juive allemande. Mais c’est aussi au cours de cette période que Charlotte s’ouvre à l’art, et en particulier à l’art pictural.

    La seconde guerre mondiale éclate et Charlotte est envoyée en France, en sécurité croit-on. Elle rejoint sur la Côte d’Azur ses grands-parents maternels, loin d’Albert, Paula et Alfred. Mais ce qui devait être des retrouvailles familiales et un soutien se transforme en cauchemar pour la jeune femme. 

    La vie de Charlotte Salomon est de celle qui a été, à ma connaissance, oubliée. Elle a laissé une œuvre unique et autobiographique, Leben? oder Theater? (Vie ? Ou théâtre ?). On sait que les artistes féminines ont été largement oubliées dans l’histoire de l’art et dans les galeries des grands musées. Le récit biographique et romancé de Charlotte Salomon est un moyen de découvrir cette œuvre totale et personnelle mêlant des centaines de gouaches et d’aquarelles, des textes et de la musique.

    Après avoir lu Charlotte de David Foenkinos, un roman bouleversant jusque dans ses dernières pages, il est certain que la curiosité vous mènera sur les pas de Charlotte. L’écrivain lui a fait la plus belle des épitaphes et le plus beau des hommages.

    David Foenkinos, Charlotte, éd. Gallimard, 2014, 256 p.
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "À la place du mort"

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