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• • Hors-séries - Page 16

  • L’esprit de famille

    david foenkinos,roman,sœur,rupture,familleDeux Sœurs (éd. Gallimard), le David Foenkinos cuvée 2019, surprendra moins pour sa noirceur que pour son choix du drame familial se transformant en thriller psychologique implacable. On serait tenté de trouver dans ce livre des similitudes avec plusieurs romans de Tatiana de Rosnay (Le Voisin, Spirales).

    Comme souvent chez l’auteur français, l’histoire se déroule dans un environnement des plus ordinaires. Monsieur et madame tout le monde devenant les héros d’une histoire hors du commun.

    La protagoniste principale ne déroge pas à la règle. Elle s’appelle Mathilde, travaille comme professeure de français dans un gros lycée et vit avec Étienne depuis plusieurs années. Une vie de couple sans ombre, avec la certitude pour celle-ci qu’elle vit une relation fusionnelle solide.

    Grave erreur car au moment où le récit commence, Étienne apprend à Mathilde qu’il se sépare d’elle. Elle apprend un peu plus tard qu’il a renoué avec une ex revenue d’Australie après un mariage raté.

    Voilà donc la jeune professeure de français, admiratrice de Flaubert et en particulier – ce n’est pas un hasard – de L’Éducation sentimentale, obligée de gérer une vie seule. Travail, logement, relations sociales et sentimentales : tout semble partir à vau-l’eau. Lorsque Étienne lui apprend qu’il souhaite prendre possession de leur appartement avec sa nouvelle amie, voilà Mathilde obligée de déménager. Généreusement, sa sœur Agathe lui propose de l’héberger quelques temps chez elle. Et c’est là que tout se grippe.

    Une lente descente aux enfers

    David Foenkinos décrit patiemment le portrait d’une jeune femme qui voit du jour au lendemain le ciel lui tomber sur la tête. La première partie de Deux Sœurs est une lente descente aux enfers de plus de cent pages. David Foenkinos aime son héroïne en dépit de ses failles et met en scène plusieurs personnages secondaires comme s’il souhaitait mettre sur son passage des bonnes âmes – le proviseur de Mathilde, une voisine psychanalyste ou un psychologue – capables de l’aider, ou du moins de lui maintenir la tête hors de l’eau.

    Une seule personne va l’aider : sa sœur, Agathe. Mariée et mère d’une jeune enfant. Entre les deux sœurs, pèse un lourd secret de famille. Sauf que les mois passées dans la sphère privée d'Agathe et de son mari Hugo deviennent au fil des jours de plus en plus lourds et pénibles. Entre Mathilde et sa sœur, les relations deviennent très cite compliquées. 

    On ressort de ce roman de David Foenkinos secoué par cette histoire d’une relation familiale vénéneuse à force de non-dits. Derrière l’écriture simple et subtile de l’auteur, il y a une noirceur indicible qui semble murmurer à l’oreille du lecteur : "Il n’y avait aucun espoir à attendre".

    David Foenkinos, Deux Sœurs, éd. Gallimard Folio, 2019, 191 p.
    http://www.gallimard.fr/Contributeurs/David-Foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "Épitaphe pour Charlotte Salomon"

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  • Célestine et Martin

    Le dernier roman en date de Tatiana de Rosnay, Célestine du Bac (éd. Robert Laffont) est aussi l’un des premiers qu’elle ait écrit, "en 1990" comme elle le précise. Refusé par son éditeur alors qu’elle venait de sortir L’Appartement témoin, le manuscrit est resté dans une caisse pendant plus de 30 ans avant que la romancière finisse par le proposer à la publication. Gageons que le nom et la notoriété de Tatiana de Rosnay ont fini par convaincre Robert Laffont de l’éditer, au grand plaisir des fans de Tatiana de Rosnay.

    Le lecteur respirera, dans cette histoire d’amitié et d’émancipation d’un jeune homme, un peu du parfum des années 90. Ni ordinateur, ni téléphones portables, ni omniprésence des réseaux sociaux : ici, l’adolescent au cœur du récit, Martin Dujeu, est simplement obnubilé par les livres et par un rêve d’écrivain. Il habite dans un appartement bourgeois (on ne disait pas encore "bobo" à l’époque), avec un père veuf aussi peu communicatif que son fils. Il y a bien Oscar, le meilleur ami de Martin, lycéen comme lui, et cette jeune femme, Alexandra, la fiancée de son père, intrigante, séduisante et inquiétante : en réalité, le jeune homme survit plus qu’il ne s’épanouit, conséquence de l’absence de sa mère, décédée d’un accident d’avion lorsqu’il était enfant. 

    La personne qui aura le plus à gagner n’est pas celle que l’on croit

    Un autre personnage féminin va alors faire son apparition dans sa vie et avoir une influence capitale : Célestine, dite Célestine du Bac. Derrière ce nom aristocrate se cache en réalité une SDF ayant trouvé refuge sous une porte cochère non loin de la résidence de l’adolescent. Cette vieille dame fantasque, gouailleuse et cabossée par des années dans la rue se révèle, contre toute attente, intelligente, sensible, fine et généreuse. Entre l’adolescent gâté par la vie et la clocharde a priori peu avenante commence une solide amitié. Et la personne qui aura le plus à gagner n’est pas celle que l’on croit.

    Dans ce roman de jeunesse, derrière lequel se lisent les rêves d’une auteure pas encore reconnue, Tatiana de Rosnay délaisse le thème des lieux hantés qu’elle avait abordé dans L’Appartement  témoin. Ce qui l’intéresse est la construction d’un jeune homme que la mort de sa mère a rendu détaché et perdu.

    Dans ce roman alerte et laissant une grande part aux dialogues, Tatiana de Rosnay donne une place importante au père, Victor, un homme sans doute aussi froid et perdu que son fils. Il n’est pas absurde de dire que cette œuvre de jeunesse est un roman sur deux hommes en train de se reconstruire. Les figures féminines – que ce soit Célestine, Alexandra et bien sûr Kerstin, la mère partie trop tôt – traversent le roman telles des modèles, des fantasmes ou des exemples à suivre, jusqu’à un épilogue dans lequel c’est la littérature qui aura le dernier mot.

    Sorti des archives de l’auteure franco-britannique, Célestine du Bac apparaît comme le roman frais et innocent d’une jeune auteure en devenir. Un roman à part aussi car il ne traite pas des mêmes thèmes de Tatiana de Rosnay. Bref, une curiosité à découvrir que tous ses fans auront sans nul doute dans leur bibliothèque. 

    Tatiana de Rosnay, Célestine du Bac, éd. Robert Laffont, 2021, 336 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Premiers fantômes"

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  • Raconte-moi La Fontaine

    À l’occasion du 400e anniversaire de Jean de La Fontaine, l’émission Théâtre & Cie sur France Culture diffusera le dimanche 30 mai prochain à 20H un concert-fiction intitulé Fables de la Fontaine.  Ce concert-fiction qui rassemble comédiens, musiciens, chanteurs et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, invite à se plonger dans des souvenirs d’enfance et d’école avec la lecture et l’interprétation d’une vingtaine de fables.  

    Habitué à mettre en scène des projets mêlant théâtre, documentaire et musique, le réalisateur Christophe Hocké s’attelle aujourd’hui à la fameuse œuvre de La Fontaine pour offrir une création musicale inédite : "L’idée première était de faire entendre les Fables qui sont, aujourd’hui encore, une des références majeures de la littérature française et pourtant si mal connues. J’ai aussi souhaité faire entendre la grande diversité des sources de ces petits contes moraux qui empruntent aussi bien à la littérature persane qu’à la littérature indienne ou arabe. D’où cette idée, très importante pour moi, d’inviter des musiciens et des chanteurs à mettre en musique les Fables dans une grande diversité de genres et d’influences, à l’image de leurs origines."

    Les Fables sont revisitées entre expérimentations, chansons obliques, musique contemporaine et improvisations, par des musiciens pop comme Mocke, Chevalrex ou Nicolas Worms, par les chanteurs Claire Vallier, Emmanuelle Parrenin ou Mohamed Lamouri  et par l’Orchestre Philarmonique de Radio France sous la direction de Bastien Stil. Les textes sont interprétés par la toute jeune comédienne de 10 ans Loïe Desroc-Martinez, entourée d’Émilie Incerti Formentini et de Denis Podalydès de la Comédie-Française. 

    L’enregistrement d’environ une heure regroupe 21 fables dites ou chantées issues de l’ensemble de l’œuvre de Jean de La Fontaine : "Les animaux malades de la peste", "La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf", "Le loup et l’agneau", "Le loup et les bergers", "Le lion abattu par l’homme", "Phébus et Borée", "Le soleil et les grenouilles", "Le lièvre et les grenouilles", "Les oreilles du lièvre", "Le rat de ville et le rat des champs", "Le corbeau et le renard", "Le vieillard et l’âne", "La cigale et la fourmi", "La laitière et le pot au lait", "Le loup et le chien", "La mort et le malheureux", "La forêt et le bûcheron" et "Le songe d’un habitant du mogol". 

    Fables de La Fontaine, Théâtre & Cie, France Culture
    Dimanche 30 mai 2021, 20 heures
    https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/fables-de-la-fontaine

    Voir aussi : "Commémoration de la naissance de La Fontaine" 

    Photos : Christophe Abramovitz / Radio France

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  • Épitaphe pour Charlotte Salomon

    Ce qui frappe d’emblée dès les premières lignes de Charlotte, que David Foenikinos a publié en 2014, c’est la composition du texte.

    L’auteur a opté pour un texte écrit sous forme de versets. Vrai récit, faux roman, pas tout à fait un poème, on serait tenté de dire que c’est une épitaphe qu’écrit David Foenkinos. Une épitaphe sur 250 pages autour d'une artiste terrassée pendant ses jeunes années, en pleine seconde guerre mondiale.

    Charlotte fait partie de ces œuvres personnelles que l’écrivain français présente ainsi : "Pendant des années, j'ai pris des notes. / J'ai parcouru son œuvre sans cesse. / J'ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans. /  J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois. / Mais, comment ? / Devais-je être présent ? / Devais-je romancer son histoire ? / Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?"

    Mais qui est cette Charlotte en question ? 

    Charlotte est, pour commencer, l’histoire de la peintre Charlotte Salomon et de famille juive allemande, marqués par des tragédies et des suicides – celui d’une tante en 2013 puis de sa mère alors qu’elle est une jeune enfant. La jeune fille, à l’intelligence et la sensibilité développés, est élevée par son père Albert, remarié avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg qui l’élève comme sa propre fille. C’est indirectement grâce à cette dernière que Charlotte rencontre l’homme qui va la marquer durablement, Alfred Wolfsohn, musicologue, professeur de chant et pédagogue exceptionnel.

    Une épitaphe sur 250 pages

    Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, la vie devient de plus en plus dure, dangereuse et cruelle pour cette famille juive allemande. Mais c’est aussi au cours de cette période que Charlotte s’ouvre à l’art, et en particulier à l’art pictural.

    La seconde guerre mondiale éclate et Charlotte est envoyée en France, en sécurité croit-on. Elle rejoint sur la Côte d’Azur ses grands-parents maternels, loin d’Albert, Paula et Alfred. Mais ce qui devait être des retrouvailles familiales et un soutien se transforme en cauchemar pour la jeune femme. 

    La vie de Charlotte Salomon est de celle qui a été, à ma connaissance, oubliée. Elle a laissé une œuvre unique et autobiographique, Leben? oder Theater? (Vie ? Ou théâtre ?). On sait que les artistes féminines ont été largement oubliées dans l’histoire de l’art et dans les galeries des grands musées. Le récit biographique et romancé de Charlotte Salomon est un moyen de découvrir cette œuvre totale et personnelle mêlant des centaines de gouaches et d’aquarelles, des textes et de la musique.

    Après avoir lu Charlotte de David Foenkinos, un roman bouleversant jusque dans ses dernières pages, il est certain que la curiosité vous mènera sur les pas de Charlotte. L’écrivain lui a fait la plus belle des épitaphes et le plus beau des hommages.

    David Foenkinos, Charlotte, éd. Gallimard, 2014, 256 p.
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "À la place du mort"

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  • Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary

    Dans la sphère classique, c’est la trompette qu’a choisie Lucienne Renaudin Vary. Un instrument moins courant que le piano, le violon ou le violoncelle dans le répertoire solo mais qui porte chance à la jeune musicienne. Ses tournées dans le monde entier lui permettent de faire découvrir un répertoire moins connu mais passionnant, grâce à un instrument au timbre coloré et éclatant.

    Pour Piazzolla Stories, son dernier album, Lucienne Renaudin Vary rend un hommage appuyé au compositeur argentin qui a su non seulement dépoussiéré le tango mais a surtout su lui donner ses lettres de noblesse. Cette année, le compositeur aurait eu 100 ans. La musicienne donne à ces morceaux choisis une lecture pleine de relief et de sensualité, à l’exemple de "Chin Chin" et d’"Oblivion", autant jazz que tango. Lucienne Renaudin Vary sait transporter l’auditeur dans des paysages lointains, évidemment d’abord du côté la pampa.

    À côté de morceaux de tango mélancoliques et nostalgiques ("Chau Paris", "Ave Maria"Tanti anni prima" ou encore "Chiquilín de Bachín", avec Thibaut Garcia à la guitare), Piazzolla apparaît comme un authentique compositeur classique : celui par exemple de María de Buenos Aires. La musicienne française propose un extrait éponyme de son opéra sur un livret d’Horacio Ferrer. Accompagnée par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Sascha Goetzel, la trompettiste déploie 12 minutes d’un air lyrique et enlevé comme une comédie musicale. 

    Éclectisme

    Il faut aussi absolument évoquer le superbe "Tango pour Claude", l’adaptation majestueuse et bouleversante par Richard Galliano de "Vie violence" qu’il avait composé pour le regretté Claude Nougaro.

    Il est également question de jazz avec les titres "Years of Solitude" et "Close Your Eyes and Listen". Ces fusions étonnantes et passionnantes de tango et de jazz cool sont adaptés de l’album Summit (1974) d’Astor Piazzolla et du jazzman et saxophoniste Gerry Mulligan.

    Lucienne Renaudin Vary fait également une incursion dans l’univers classique qu’elle connaît bien avec le célèbre Caprice n°24 de Nicccolo Paganini et la Sonate n° 1 en sol mineur BWV 1001 de Bach, adaptée pour l’occasion à la trompette. Toujours férue éclectisme, l'instrumentiste s’attaque également à Nadia Boulanger et à son "Lux aeterna", un cantique de 1909, dans une version solo.

    Les fans de tango ne seront pas surpris par le dernier morceau de l’album, qui est un standard incontournable du tango : le "Volver" de Carlos Gardel. Il ne pouvait en être autrement.

    Lucienne Renaudin Vary, Piazzolla Stories, Warner Classics, 2021
    https://www.facebook.com/luciennetrumpet
    https://www.warnerclassics.com/fr/artist/lucienne-renaudin-vary

    Voir aussi : "En suivant le fil de Khatia Buniatishvili"

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  • Zola au cœur de la Commune

    Voilà une sortie littéraire qui tombe à point. Alors que nous fêtons cette année les 150 ans de la Commune de Paris, Claude Sabatier propose le deuxième tome des Chroniques politiques d’Emile Zola (éd. Classiques Garnier), des articles qui couvrent les années 1871 et 1872. Une période importante, tourmentée et qui marque aussi le début de la IIIe République.

    De février 1871 à août 1872, Zola rédige, pour La Cloche les chroniques parlementaires envoyées de Bordeaux, puis de Versailles, qui analysent les débuts de la IIIe  République. Il rédige, pour Le Sémaphore de Marseille des lettres de Paris où il évoque le drame de la Commune. Ces comptes rendus politiques vont du pamphlet à la satire. En ces années charnières, ils résonnent des débats qui traversent une époque mouvementée – entre pacifisme et nationalisme, république et monarchie, province et Paris, libéralisme et ordre moral. Le journaliste élabore des motifs et des situations que le romancier développera ou transposera dans La Curée, Nana ou Son Excellence Eugène Rougon.

    Si vous n'aimiez que moyennement le Zola "romancier", vous le découvrirez sous un jour nouveau, sous une forme brève et éclatée, en journaliste fourbissant ses armes et son style avant le fameux "J'accuse" du 13 janvier 1898. Outre que le Zola des années 1871-1872 prépare ses futures grandes œuvres, l’auteur et journaliste porte dans ses chroniques parlementaires un regard lucide et aigu sur les combats politiques de son époque. La lecture de ces textes rares de Zola sont éclairées par la préface de Claude Sabatier, sans oublier les notices, éclairages historiques ou littéraires et nombreuses notes.

    Nous l’avons dit : voilà un livre qui tombe à point nommé !

    Émile Zola, présenté par Claude Sabatier, Chroniques politiques ,
    tome 2 (1871-1872)
    , éd. Classiques Garnier, 2021, 1144 p.

    https://classiques-garnier.com

    Voir aussi : "Zola, le journaliste politique"

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  • En suivant le fil de Khatia Buniatishvili

    Dans l’univers du classique, Khatia Buniatishvili fait partie des très grandes stars, à côté de figures comme Lang Lang ou Yuja Wang, pianistes comme elle.

    Aussi française que géorgienne, son pays d’origine, Khatia Buniatishvili a sorti il y a quelques semaines sa compilation, Labyrinth, que la musicienne décrit ainsi : "Le labyrinthe est notre esprit, souvenirs de notre enfance dans une perspective d’adulte… Le labyrinthe est notre destin et notre création."

    La pianiste laisse de côté les grands incontournables de cet instrument – si l’on excepte la première Gymnopédie de Satie, la Badinerie enlevée et jazzy de Bach et le Prélude op. 28/4 de Chopin – au profit de morceaux choisis avec soin pour illustrer les aspirations de l’instrumentiste dont le public d’admirateurs ne cesse de croître : "les rêves brisés" ("Le thème de Deborah"), "la Mère Nature" (la "Suite Orchestrale" de Bach), les émois adolescents (une "Vocalise" de Rachmaninoff), l’amour ("La Javanaise") ou la consolation (Liszt).

    Dans une pérégrination mêlant romantisme, classicisme, modernisme, audace, revisites et clins d’œil, Khatia Buniatishvili s’amuse à sauter à pieds joints d’un siècle et d’une époque à l’autre, sans se soucier des époques et des styles : sa version funèbre du "Thème de Deborah" d’Ennio Morricone côtoie "La Sicilienne" de Vivaldi et Bach, un "Intermezzo" de Brahms, une sonate de Scarlatti mais aussi les somptueuses "Barricades mystérieuses" de François Couperin.

    Une pérégrination mêlant romantisme, classicisme, modernisme, audace, revisites et clins d’œil

    Le contemporain a une place de choix avec Philip Glass ("I’m Going To Make A Cake"), Heitor Villa-Lobos ("Valsa da dor"), Arvo Pärt ("Pari intervallo") ou l’étude "Arc-en-ciel" de György Ligeti, un morceau aux envolées cosmiques, ponctuées de trouées sombres et de perles de pluie.

    Serge Gainsbourg a même les honneurs de la pianiste : l’admirateur de Chopin et Sibelius apprécierait certainement. À ce sujet, les fans de Gainsbourg et de Jane Birkin auront très certainement deviné derrière le "Prélude en mi mineur" de Chopin le thème de "Jane B." Plus étonnant encore, Khatia Buniatishvili propose une 17e piste intitulée 4’33’’ : l’auditeur n’entendra aucun son de ce morceau de John Cage qui propose 4 minutes 33 de silence métaphysique !

    La pianiste franco-géorgienne cache décidément bien son jeu : elle se fait également arrangeuse pour "La Sicilienne" de Vivaldi et Bach ou la célèbre "Badinerie" du Cantor de Leipzig, et même joueuse de jazz dans son adaptation de "La Javanaise" de Gainsbourg.

    Khatia Buniatishvili sort indéniablement des sentiers battus avec cet album classique mais aussi très personnel, à l’image de son interprétation bouleversante et de son commentaire sur l’Adagio de Bach réarrangé par Alessandro Marcello, qu'elle commente ainsi : "Si elle n’avait pas été absente, elle aurait marché pieds nus sur la terre chaude, elle aurait pensé : « Le printemps d’un autre est agréable regarder aussi. »"

    Khatia Buniatishvili, Labyrinth, Sony Classical, 2020
    https://www.facebook.com/khatiabuniatishvili
    http://www.khatiabuniatishvili.com

    Voir aussi : "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"

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  • Violoncelles confinés

    Le violoncelle est à l’honneur avec le documentaire signé par le Duo Brady, Et le violoncelle dans tout ça ? Le violoncelle, mais aussi la musique en général, un secteur bien mal en point depuis l’apparition d’un certain virus chinois.

    Cela fait un an que le monde entier semble avoir retenu son souffle : des pans entiers de la société et de l’économie ont été mis en veille en attendant le retour de jours meilleurs. Le monde de l’art a été particulièrement impacté. Le 14 novembre 2020, au cœur du second confinement, 12 violoncellistes et plusieurs techniciens se sont rencontrés au Lavoir Moderne Parisien pour témoigner sur la manière dont ils vivent leur travail et leur art.

    Le film s’articule autour de trois questions posées : "L’impact de l’arrêt des concerts", "Et la culture dans tour ça ?" et "« Un temps donné ?"

    Pour répondre au premier point, au-delà de l’aspect matériel et financier, les musiciens et musiciennes avouent leur désarroi : "On a du mal à se projeter", dit l’une d’elle. L’ingénieure du son Anaïs Georgel déplore n’avoir travaillé que sur un seul concert en un an. Et même si le système d’intermittence du spectacle permet au moins de tenir financièrement, reconnaît Louis Rodde, les conditions des artistes sont de plus en plus compliquées.  

    "Et la culture dans tour ça ?" À cette question, les musiciens parlent de son importance capitale, comme du manque flagrant de concerts, de représentations, de rencontres avec le public mais aussi avec leurs homologues, "ce qui ne sera jamais compensé par le distanciel." La question de faire de l’art en pleine crise sanitaire s’avère être un problème insoluble. Michèle Pierre, du Duo Brady, avoue son dépit, certes avec le sourire : démarcher devient vite autant fastidieux que décourageant et, ajoute son acolyte  Romain Chauvet, les cours à distance ont pu être amusants lors du premier confinement, mais ils finissent par ne plus faire rire personne, quand ils ne découragent pas.  

    Violoncelliste et fromager

    La question "Un temps donné ?" s’interroge sur la manière de mettre à profit ces périodes de confinement, sans spectacles, sans cours en présentiel et sans interventions publiques dans les écoles ou les hôpitaux :  le temps doit être mis à profit pour s’arrêter de courir et ne plus être dans le stress, réagit Amandine Robilliard. Cet état d’esprit était présent pendant le Grand Confinement de Printemps. Les artistes interrogés reconnaissent aussi que cette période hors-norme peut être un moyen de "forger le son" de son instrument, de travailler sur un répertoire, de créer… voire de s'essayer au chant !

    Des plages musicales ponctuent ces entretiens montés de manière dynamique : Le chant des oiseaux de Pablo Casals par Justine Metral du Trio Metral,  la Suite pour violoncelle de Cassado, (3e mouvement) par Romain Chauvet et Bach, évidemment, par Amandine Robilliard. Côté création, le documentaire permet de découvrir  NH,, une création du Duo Brady ainsi qu’une improvisation afro-brésilienne par Olivier Schlelgelmilch. Louis Rodde, du trio Karenine, interprète de son côté Henri Dutilleux et sa première des Trois Strophes sur le nom de Sacher, tandis qu’Ela Jarrige s’attaque à la première suite de Benjamin Britten.

    L’un des beaux passages du film est un trio de Chloé Lucas (contrebassiste), Gauthier Broutin (violoncelle baroque) et Agnès Boissonnot (viole de gambe), trois des quatre membres du quatuor Cet Étrange Éclat, avec une délicate sonate de Francesco Geminiani.

    Et le violoncelle dans tout ça ? parvient à déjouer le piège de l’apitoiement. Pour preuve, ce focus sur Frédéric Deville, violoncelliste parisien free-lance et… fromager. Il présente l’une de ses créations, Eurydice, un morceau mélancolique et traversé d’espoir tout en même temps.

    Le spectateur découvrira avec plaisir et émotion cette bande de musiciens, partageant en commun l’amour de leur instrument, de leur art, et l’envie de  "jouer avec les copains".  Ce qu’a permis cette rencontre du Lavoir Moderne.

    Duo Brady, Et le violoncelle dans tout ça ?, réalisé par Michèle Pierre et Paul Colomb
    Interviews conduites par Guillaume Ulmann,
    documentaire français, 2020, 50 mn

    http://www.duobrady.com
    https://www.facebook.com/duobrady

    Voir aussi : "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"
    Hors-série Grand Confinement

    Photo : HL MMOSCONI - Documentaire Duo Brady

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