En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Cette semaine, les EODM, survivants de la tuerie dans la salle de spectacles où ils se produisaient, témoignent pour Vice presque deux semaines après les événements du 13 novembre.
L'effroi, le choc et le chagrin n'empêchent pas les artistes de se projeter vers ce qu'ils font de mieux : la musique. Ils promettent déjà de revenir jouer à Paris et même d'être les premiers à rejouer au Bataclan lorsque la salle rouvrira.
Le cinéma français consacrait cette année le film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, bouleversant tableau d'un village malien écrasé par l'Islam radical.
Pour traiter du djihadisme international avec une telle puissance et une telle justesse, il fallait une musique à la hauteur. Celle d'Amine Bouhafa parvient à relever le défi haut-la-main. C'est l'ambition qui frappe d'emblée l'auditeur : instruments traditionnels, la voix bouleversante de Fatoumata Diawara, un orchestre à cordes "sublimant" (le mot est du compositeur lui-même) les scènes du film.
L'extrait sans doute le plus inoubliable de Timbuktu est celle de la partie de football, sans ballon, qui mérite de figurer parmi les scènes d'anthologie du cinéma. Le compositeur tunisien a composé et orchestré pour l'occasion un des plus morceaux de sa bande originale. Bouleversant et lyrique, cette partie de foot – et la bande-son qui l'accompagne – est la plus belle réponse aux fondamentalistes interdisant toute forme de distractions – musiques, jeux, sports...
Le 13 novembre, ce sont justement des endroits dédiés aux loisirs, au sport et à la culture auxquels qui ont été pris pour cible par des terroristes islamiques.
Amine Bouhafa, Timbuktu, 2014 Timbuktu, film franco-mauritanien de Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, 2014, 1H48
Charb, assassiné le 7 janvier 2015 lors de l'attentat contre Charlie Hebdo, avait publié un ensemble de chroniques, Manuel de l'Intolérance, surnommées ironiquement "Les fatwas de Charb".
Il n'est pourtant pas question dans ce livre d'un réquisitoire contre les fanatiques de tout poil – qu'ils soient catholiques, musulmans ou juifs – mais de portraits féroces de ces sinistres individus que nous avons tous côtoyés ou de ces petits faits modernes qui peuvent nous pourrir la vie. Prenant à témoin le lecteur ("Je pense que vous serez tous d'accord avec moi..." est la locution qui clôt chaque billet), Charb ne prend aucun gant pour tirer à boulet rouge sur les jeunes papas gâteaux (et gâteux), les toilettes de train, les serveurs misogynes, "les radins de l'amour", les tongs, les lampes basse tension ou les tics de langage ("je gère"). Autant de travers de la vie contemporaine condamnés sous forme de "fatwas" par un Charb drôle et cinglant.
L'auteur termine ce recueil par un article sur "Mort à ceux qui ont peur de mourir". Un dernier billet qui prend tout son relief depuis la tuerie de Charlie Hebdo, transformant du même coup ce Manuel de l'Intolérance à l'humour très noir (sorti la première fois en 2009 mais réédité après les attentats de Paris) en une œuvre poignante.
Un tome 2 de ces fatwas impertinentes est sorti trois mois avant l'assassinat du directeur de Charlie Hebdo.
Charb, Petit Traité d'Intolérance, Librio, 2012, 128 p. Strips Journal
Depuis les attentats de Charlie-Hebdo, les journaux sont sous le choc et ont réagi à leur manière à l'attentat et aux atteintes aux libertés d'expression. Parmi ces revues, le journal satirique Sans-Culotte 85 a voulu marquer le coup.
Ce "canard vendéen qui ne joue pas les fayots" entend être le poil à gratter d'un Département encore largement influencé par un certain milieu catholique (traditionnel). Pour l'édition de février, un numéro spécial, la rédaction de Sans-culotte 85 a choisi de se nommer "Sans-Calotte 85", en réaction aux attaques islamiques (et religieuses) du mois de janvier. C'est aussi une référence, affirme la rédaction du journal, au fameux hors-série de novembre 2011, Charia-Hebdo. ("Un Charia-Hebdo à la vendéenne"). La Une du Sans-Calotte 85 représente l'évêque Alain Castet, dont la ressemblance avec le sénateur UMP local Bruno Retailleau peut troubler... Quant au titre "Ceci n'est pas un prophète", c'est un clin d'œil appuyé à la célèbre une du numéro 1178 de Charlie Hebdo.
Mais le choix éditorial le plus original de la revue satirique réside dans son traitement de l'attentat de Charlie Hebdo. Comme le rappelle Marie Coq dans un billet, "Il n'y a pas de blasphème qui tienne : personne n'a jamais forcé un musulman à caricaturer son prophète, puisque cela lui est interdit, et y'a (sic) aucun jugement à porter là-dessus." Le Sans-Culotte 85 (ou plutôt "Sans-Calotte 85") s'appuie, comme tout journal satirique qui se respecte, sur de nombreuses caricatures.
Or, ouvrant cette revue, le lecteur sera surpris de n'y trouver aucun des dessins caractéristiques de ce titre : en lieu et place des illustrations, caricatures et personnages croqués, le texte est parsemé de plages blanches, comme si un maquettiste malicieux ou mal intentionné avait décidé de sortir les illustrations de la revue ! Ces espaces vides sont autant de rappels à une liberté d'expression blessée et en danger.
En ayant choisi de sacrifier les caricatures, le Sans-Culotte 85 joue la provocation. Mais cette provocation est assortie d'une jolie pirouette, car ces caricatures manquantes dans la mise en pages sont finalement bien présentes... en fin de magazine, hors contexte, avec seulement les numéros de page indiquant leur emplacement originel. Il ne reste plus au lecteur qu'à se munir d'une paire de ciseaux et d'un tube de colle pour remettre les dessins à leur place dans la revue.
Cette manière forte d'interpeller le public sur l'importance de la liberté d'expression est aussi pour le bloggeur une manière de rappeler que la satire reste une tradition française ancienne qui est prête à vendre chèrement sa peau. Le Sans-Culotte 85 est dans cette droite ligne : "Nous sommes des Sans-Culottes... C'est pour cela que nous ne baissons pas nos pantalons !" est-il proclamé sur leur site Internet.
Durant les années 70, le dessinateur Cabu créait l'un de ses personnages les plus célèbres, le beauf. Le beauf, raccourci de "beau-frère", est ce personnage bedonnant et moustachu, caricature du Français moyen, un homme veule, stupide, raciste et bourré de certitudes (et aussi chanté avec férocité par Renaud).
Après les attentats des 7 et 9 janvier 2015, qui ont vu l'assassinat du célébrissime dessinateur, cette triste créature a comme fait irruption dans notre actualité. Les beaufs ont montré de multiples visages consternants ces dernières semaines.
Cela a commencé par les réseaux sociaux et les appels à la haine dès le lendemain des meurtres à Charlie-Hebdo, des discours que n'auraient pas renié la créature antipathique du génial et engagé Cabu (qui prévoyait d'ailleurs de créer un personnage plus contemporain, le fils du beauf).
Les beaufs se sont également manifestés pendant et après la Marche républicaine du 11 janvier. Ce pouvait être ceux se bousculant pour être sur la photo officielle des chefs d'Etat. Ceux affirmant la main sur le cœur être "Charlie" le dimanche à Paris, avant de condamner le journal satirique le lendemain dans leur pays. Ceux criant au complot instrumentalisé (par les Américains et "vous savez qui...") . Ceux considérant que la sécurité du pays devraient passer par une restriction des libertés individuelles, voire de la liberté de la presse – qui a quand même été, rappelons-le, l'une des grandes victimes de ces événements. Ceux prenant ombrage des caricatures de la revue satirique le 6 janvier, avant de devenir des "Charlie" le 8 puis de retomber dans un discours prônant le délit de blasphème le 14. Ceux demandant que les "musulmans modérés s'expliquent" et désavouent ces actes, comme si l'on avait demandé en 2011 que les "catholiques modérés" – voire les blancs de souche – désavouent le carnage de Anders Behring Breivik en 2011 !
Le beauf se tapit derrière tous ces visages. Il est à géométrie variable mais a pour dénominateur commun une bêtise et une pensée à court terme qui pourraient devenir explosifs si l'on n'y prend garde. La plus grande victoire des "fous de dieu" serait de voir notre pays s'enfoncer dans des affrontements idéologiques, attisés par les beaufs de toute origine et de toutes religions. À deux ans des élections présidentielles, le cynisme est grand pour de futurs candidats et candidates de profiter du "Je suis Charlie" pour avancer leurs billes : union derrière un étendard politique rassurant, nationalisme, lutte contre l'immigration, lois sécuritaires.
Une page blanche s'ouvre aujourd'hui après ces attentats et bien malin qui sait ce qu'il en ressortira : le chaos ou la grande réconciliation ? La crispation derrière des idéologies religieuses ou l'œcuménisme républicain ? Le courage de la liberté ou l'abandon public à quelque beauf politique ?
Christopher Caldwell, journaliste au Weekly Standard, rappelait qu'au lendemain du 11 septembre 2001, les Américains avaient réagi à l'attentat contre les tours jumelles par une union sacrée nationale, récupérée ensuite à des fins politiques et avec les conséquences que l'on sait : Patriot Act, guerre en Afghanistan ou guerre en Irak. Gageons que le beauf cher à Cabu ne rechignerait pas à ce glissement. Après l'appel unanime du "Je suis Charlie" (en écho au "Je suis Américain" du 11 septembre) , le journaliste américain nous appelle, nous, Français, à user de la seule arme qui vaille aujourd'hui : la raison.
Comme on pouvait s'y attendre, le numéro 1178 de Charlie Hebdo, numéro historique après l'attentat du 7 janvier 2015 puis la marche républicaine du 11 janvier, s'est arraché dans les kiosques. Mais au fait, qu'y trouve-t-on ?
Les habitués de la revue, exceptionnellement moins fournie que les numéros précédents (8 pages au lieu de 16), peuvent retrouver les rubriques et les dessinateurs qui leur sont familiers, y compris Cabu, Wolinski, Charb, Honoré et Tignous – tous décimés le 7 janvier dernier sous les balles de terroristes djihadistes. La "Vie des jeunes" de Rihad Sattouf est aussi là, tout comme le strip de Charb, "Maurice et Patapon", les planches pleines de libibo et de jolies poupées de Wolinski et la fameuse dernière page "Les couvertures auxquelles vous avez échappé".
La verve, le talent, la provocation et l'humour potache sont bien présents, au point que ce numéro peut être qualifié "d'excellent Charlie Hebdo" (du moins c'est l'opinion du bloggeur).
La couverture de ce numéro a été commenté à multiples reprises (y compris sur ce site). Elle a pu susciter incompréhension, émotion ou exaspération. La figure de Mahomet pleurant, avec à la main un panneau "Je suis Charlie", reste emprunt d'émotion et de dignité, même si le "Tout est pardonné" en titre peut offrir plusieurs grilles de lecture.
L'éditorial ne pouvait s'ouvrit que sur le rappel d'une semaine folle qui a vu la plus décriée de nos revues devenir une figure de ralliement universel pour la liberté d'expression et la laïcité : "Les millions de personnes anonymes, toutes les institutions, tous les chefs d'État et de gouvernement (...) qui, cette semaine, ont proclamé « Je suis Charlie » doivent savoir que ça veut dire aussi « Je suis la laïcité »". Pour ceux qui en doutaient encore, la revue assume ce combat, qu'elle a payé au prix fort. Et Gérard Biard ne manque pas de rappeler que pendant des années, Charlie Hebdo s'est trouvé bien seul dans ce combat (avec le trop fameux : "je condamne... mais"). Pas d'angélisme donc - y compris après la communion républicaine du 11 janvier - mais une vigilance accrue ("Nous ne sommes pas dupes") et avec, en conclusion, une demande faite au pape : "Nous n'acceptons que les cloches de Notre-Dame sonnent en notre honneur que lorsque ce sont les Femen qui les font tinter" !
Les articles de ce numéro exceptionnel sont autant d'éclairages sur l'attentat qui a ensanglanté le journal : Jean-Yves Camus traite des thèses fumeuses du complot qui fleurissent sur le net, destinées à dédouaner l'islamisme et à charger un pseudo complot judéo-américain ; une enquête de Laurent Léger nous parle des failles de l'antiterrorisme ; un article poignant de Sigolène Vinson s'attache à Lila, le cocker mascotte de la revue, rescapée elle aussi de la tuerie du 7 janvier ; un autre de Sylvie Coma est un cri à la vie et au courage, après la mort de ses amis de Charlie ("Crever, c'est assez chiant comme ça, pour qu'en plus on ait la trouille") ; Antonio Fischetti, Patrice Pelloux, Zineb El Rhazoui et Jean-Baptiste Theret offrent également des témoignages émus et des des vibrants hommages à leurs amis assassinés ce 7 janvier 2015. Signalons également une lettre de Mathieu Madenian adressée à Charlie, une double page illustrée consacrée à la marche républicaine (avec ce cri de la flamme du soldat inconnu : "Je bande !") et un coup de projecteur de Solène Chalvon sur l'attentat contre Charlie vu de l'étranger.
Il y a surtout ces articles et ces dessins qui prennent aux tripes car ils sont autant de testaments. Les caricatures hilarantes de Cabu : l'arrivée de gamins du "9-3" débarquant dans un camp djihadiste, d'anciens soldats de Dieu devant se reconvertir à Pôle Emploi ou le pape en train de donner la communion à des divorcées. Les planches colorées et littéraires de Wolinski, imaginant le sort réservé aux otages du djihad si ceux-ci ne doivent plus être rançonnés. Les personnages esquissées de Charb, reconnaissables entre tous avec leurs yeux globuleux et leur air perdu. Les dessins d'Honoré, superbes de réalisme et de sensibilité. Les caricatures bourrées d'humour noir de Tignous.
Et puis, il y a ces deux autres articles. Le premier est une interview de Charb datant du 11 septembre 2011, juste après l'incendie des locaux de Charlie Hebdo, et dans laquelle il invite à faire disparaître des discours l'expression de "musulman modéré". Le second est un billet de Bernard Maris (Oncle Bernard) : "Quand « Charlie » avait 20 ans" retrace la ligne éditoriale du journal créé par Cavanna (disparu il y a un an, presque jour pour jour) : "La politique de Charlie est non violente et non haineuse. Elle est gaie."
Charlie Hebdo sort son premier numéro "post-7 janvier". Un numéro qui s'avère d'ores et déjà historique, avec un tirage inédit de plusieurs millions d’exemplaires.
La couverture de ce numéro 1178 vient de sortir sur les réseaux sociaux, avec un titre à la fois choc et digne - et une caricature de Mahomet, lui aussi "Charlie"...
Une forme d'unanimité a suivi l'attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, unanimité qui a été illustrée par ce slogan quasi spontané : "Je suis Charlie".
Une unanimité que les survivants de la revue satirique ont salué avec émotion mais aussi aussi avec une amertume compréhensible. La journaliste Zineb, qui n'était heureusement pas présente lors du tragique comité de rédaction, n'a pas manqué de se féliciter de ce soutien universel, tout en regrettant qu'il vienne bien tardivement et après la mort de douze personnes dans les conditions tragiques que l'on sait. Un des autres rescapés, le dessinateur Luz, va plus loin, considérant que les manifestations monstrueuses vont "à contre-sens de Charlie".
"Je suis Charlie" ont proclamé des millions de personnes en France et dans le monde ; or, force est de constater que cela n'a pas été toujours le cas.
Il est certain que dans la période pré-7 janvier, l'hebdomadaire s'est trouvé bien seul dans son combat quotidien pour la liberté de la presse. Ainsi, lorsque Charlie Hebdo a publié en 2005 les caricatures de Mahomet du journal danois Jyllands-Posten, un certain nombre de voix ont critiqué son "manque de responsabilité". Hommes publiques, organisations religieuses et même l'Union européenne, ont pu être coupables d'une forme d'aveuglement et de mansuétude pour les adversaires (religieux) de Charlie. Le procès de 2007 contre le journal, intenté par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), n'a pas conduit à voir les représentants publiques et républicains se lever vent debout pour défendre Charlie. Loin s'en faut !
Lors du procès de 2007, ce qui était demandé par les accusateurs du titre était un respect des croyances religieuses (dit autrement, un délit de blasphème !). Or, ces respects, un journal laïc et satirique au nom de l'impertinence, du rire et de l'engagement contre les idéologies, ne pouvait et ne peut pas l'accepter ! Comme le soulignait lors de sa plaidoirie Richard Malka, l'avocat de Charlie, le magazine d'information satirique s'est en tout temps attaqué aux idéologies religieuses, qu'elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes. Or, il démontrait que non seulement l'Islam n'avait pas été – et de loin – la religion la plus moquée mais qu'en outre elle demandait une forme de "régime d'exception"... Inacceptable!
La publication en novembre 2011 du hors-série Charia Hebdo a été marquée par un cran supplémentaire dans la violence à l'encontre du journal : incendies des locaux, piratage de son site Internet, menaces de mort de ses responsables. "Tous Charlie" après ce nouveau coup contre la liberté de la presse ? Pas totalement. Ainsi, à l'époque, tout en condamnant cet attentat et en proclamant le principe de laïcité et de liberté de presse, le premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, mettait en garde contre "tout excès" et en appelant à "l'esprit de responsabilité de chacun". Suivez mon regard...