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Livres et littérature

  • Accroc !

    Léa Grosson cache bien son jeu. Maman d’un garçon, en couple et heureuse avec son compagnon, provinciale et vivant à la campagne entourée d’animaux, celle qui s’est fait connaître sous le nom de Celle qui aimait grâce à son blog et ses réseaux sociaux, nous propose cette année son premier roman Depuis cette nuit (éd. La Musardine). Une vraie réussite en la matière et une entrée fracassante dans la littérature érotique.

    Léna, graphiste free-lance, est une accro au jeu, au poker plus précisément. Cette célibataire bien dans son époque se rend compte qu’elle est prise au piège de cette addiction. Lors d’une soirée qui s’est mal passée – elle s’en est prise à un distributeur automatique – elle est embarquée par les flics. Faute d’avocat, elle choisit d’appeler la seule personne dont elle a le numéro. Il s’appelle Étienne, elle l'a rencontré après une sortie au casino et il tombe à point nommé : avocat, attentionné, il est irrésistible. Mieux, il est un ancien drogué aux jeux. Il lui propose de l’aider à se sortir de cette spirale infernale. La recette ? L'amour ! Car quoi de mieux pour soigner une addiction qu’une autre addiction. En l’occurrence, le sexe. 

    Roman particulièrement moderne et contribuant à secouer le petit monde de l’érotisme littéraire

    Léa Grosson explique dans sa longue section de remerciements – en réalité une postface – que Depuis cette nuit a commencé par une nouvelle qu’elle a publiée sur son blog. Cette nouvelle est précisément le Chapitre 45 (sic) qui ouvre le roman. Et quel chapitre ! L’auteure nous offre une scène sacrément audacieuse autour d’un jeu à plusieurs. Inutile de vous en dire plus pour vous laisser la surprise. Caliente !

    Après ce début, la nouvelle est devenue un projet de roman. Pour le commencer, l'auteure a fait le choix d'interagir avec ses abonné⸱e⸱s : profession d’Étienne (avocat ou professeur ?), lieu de leur premier rendez-vous (Appartement de Léna ? Résidence d'Etienne ? Une maison isolée ?) et choix du cadeau offert par le fringuant lover. La suite, c’est une série de jeux à deux – puis à plusieurs.

    Léa Grosson s’est visiblement beaucoup amusée dans ce roman astucieusement présenté comme "à mi-chemin entre romance et littérature érotique". La love story est bien là, répétée à l’envi par Léna, la narratrice, mais le sexe a la part la plus généreuse. En cette période Meetoo, Léa Grosson se plaît à interroger les interdits, la soumission, la masculinité et le féminisme. Cela rend ce roman particulièrement moderne et contribue à secouer le petit monde de l’érotisme littéraire. Libre, Léa Grosson – et son alter-ego Léna – le sont, assurément.

    Pas de prise de tête, vraiment, mais d’autres prises...

    Léa Grosson, Depuis cette nuit, éd. La Musardine, 2024, 220 p.
    https://www.cellequiaimait.com
    https://www.facebook.com/Celle.qui.aimait
    https://www.lamusardine.com/litterature/18548-9428-depuis-cette-nuit.html

    Voir aussi : "Un salon pas cucul"

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  • In vino veritas

    Soyons sérieux. Ces 50 histoires lunaires sur le vin n’ont pas pour ambition de dresser un tableau de l’œnologie, ni de faire une chronologie de l’histoire de la vigne et du vin, ni surtout de faire preuve d’érudition pour impressionner le lecteur ou la lectrice. Quoique ! En parlant d’érudition, Fabrizio Bucella n’en manque pas. Mais il la manie avec humour et dans un style enlevé. L’OVNI qu’il nous propose (Objet Vinicole Non Identifié, éd. Hachette) se veut avant tout une histoire d’amour sur une boisson vieille de plusieurs millénaires, souvent admirée autant que critiquée. Et aujourd'hui en danger à cause du réchauffement climatique. 

    L’ouvrage, illustré par Théophile Sutter ("L’Immortel"), propose cinquante chroniques sans ordre chronologie. Ces courts textes montrent que le vin a, de tout temps, suscité admiration, rejet, fascination et a réussi à devenir un marqueur de raffinement, de luxe, voire de signe extérieur de richesse. En tout cas, c'est un sujet de passion, pour ne pas dire de fascination pour ses amateurs et amatrices. Loin d’être un ayatollah de la dive bouteille, Fabrizio Bucella a choisi de parler du vin par le petit bout de la lorgnette.

    Chacune de ses chroniques n’aura de cesse d’intriguer : pourquoi Châteauneuf-du-Pape a-t-il interdit de survol de son territoire les soucoupes volantes ? (après tout, l’ouvrage se nomme OVNI…), James, Bond était-il un fieffé alcoolique – en plus d’être espion et tombeur de ces dames ? Napoléon buvait-il du Chambertin ? Comment l’église s’en est-elle prise aux charançons ?

    Rien de très sérieux a priori. Sauf que...

    "Comment parler des vins qu’on n’a pas bus ?"

    Sauf que Fabrizio Bucella propose aussi des chroniques à la fois courtes et pertinentes sur des sujets plus sérieux. Comment les Romains buvaient-ils leurs vins ? Pourquoi le roi Scorpion (roi égyptien vers 3200 av. JC) s’est-il fait enterrer avec 700 jarres de cet alcool princier ? Pourquoi le vin est-il d’abord arrivé en Europe ? Comment Bordeaux est-elle devenu la capitale de l’œnologie ? L’histoire est au cœur de ce livre. La science aussi. Fabrizio Bucella explique l’importance chimique de la levure dans la fabrication du vin. Il parle de l’apport capitale de Roger Dion dans la compréhension de l’œnologie. Plus étonnant encore, un chapitre sur l’umami explique en partie le succès quasi magique d’une boisson dont le succès n’a jamais été démenti.

    Jamais ? C’est là que l’auteur s’interroge. Réchauffement climatique oblige, le vin serait-il un danger ? Sans doute. En tout cas, il est à la croisée des chemins ("Est-ce la fin du vin ?").    

    Outre des planches mêlant considérations sérieuses ("Comment bien accorder les plats et les vins ?") ou pas ("Comment parler des vins qu’on n’a pas bus ?") et illustrations potaches (non sans jeux de mots et calembours), Le livre consacre plusieurs pages sur l’opéra et le vin (Faust, La Traviata ou La Bohême pour les œuvres les plus connues).

    Pas de prise donc de tête pour cet ouvrage savoureux. Les illustrations très pop et bourrées d’humour, elles aussi, font de ce livre une délicieuse en matière à l’approche des fêtes où le champagne coulera à flot, cela va sans dire. 

    Fabrizio Bucella & Théophile Sutter, OVNI Objet Vinicole Non Identifié, 50 histoires lunaires sur le vin,
    éd. Hachette Vins, 2024, 192 p.
    https://www.hachette-pratique.com/livre/ovni-objet-vinicole-non-identifie
    https://www.instagram.com/fabrizio.bucella
    https://www.facebook.com/prof.fabrizio.bucella
    https://www.instagram.com/theophilesutter

    Voir aussi : "Vins et vignobles, des Gaulois à la Ve République"

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  • Tout l’univers (de Tolkien)

    Les fans de Tolkien se précipiteront sans aucun doute sur ce volumineux dictionnaire – quitte à se le faire offrir pour les Fêtes. Cette édition du Dictionnaire Tolkien (éd. Bragelonne), refondue, révisée et augmentée, est la troisième édition, après celles de 2012 et 2019. À la tête de cet ouvrage, il y a Vincent Ferré, professeur universitaire et auteur de nombreux ouvrages sur l’auteur du Seigneur des anneaux. Il supervise également depuis vingt ans les traductions en français des œuvres de J.R.R. et Christopher Tolkien. Bref, un pedigree indispensable pour s’attaquer, sous forme de dictionnaire, à l’œuvre immense et géniale de Tolkien - mais aussi à son auteur. À ce titre, l’ambition de l’ouvrage est généreuse : "Ce dictionnaire rapproche le monde Secondaire (fictionnel, inventé) et le monde Primaire dans lequel J.R.R. Tolkien a vécu, comme étudiant, puis officier pendant la Première Guerre mondiale, enseignant à Oxford pendant trente-cinq ans et philologue, comme père ou comme lecteur… [De plus, il] entend renforcer les liens entre lecteurs et chercheurs, universitaires ou non."

    De A comme "Adaptations cinématographiques" à W comme "Joseph Wright", philologue anglais influent, en passant par "Bilbot", "Gandalf", "Modernité" ou… "Seigneur des Anneaux", les amoureux et/ou spécialistes de Tolkien trouveront dans ce dictionnaire de quoi nourrir leur connaissance d’un univers prodigieux, sans doute unique dans toute l’histoire de la littérature.  

    Parlons déjà de la vie de Tolkien mais aussi celle de sa famille. Il n’y a qu’à aller à la lettre "T" et ses nombreuses entrées autour de "Tolkien", que ce soit l’auteur ou les membres de sa famille ("Tolkien écrivain", "Tolkien illustrateur", "Tolkien, Adam Revel", "Tolkien, Arthur Reuel", "Tolkien, Baillie", "Tolkien, Christopher Revel", "Tolkien (née Bratt), Edith", "Tolkien, Hilary Arthur Reuel", "Tolkien, John Francis Reuel", "Tolkien, J.R.R. : enfance et jeunesse", "Tolkien, Mabel", "Tolkien, Michael Hilary Reuel", "Tolkien, Priscilla Mary Reuel"). Plusieurs items s’intéressent également aux inspirateurs de l’écrivain ("Owen Barfield"). En dépliant une à une les entrées, le lecteur trouvera quelques réponses à des interrogations singulières pour l’auteur du Seigneur des anneaux, devenu hyper-tendance et hyper moderne : "Conservatisme : Tolkien était-il conservateur ?" La question de la modernité de Tolkien fait du reste l’objet d’un autre article de Thomas Honegger ("Modernité"), alors que Vincent Ferré lui-même s’interroge sur l’influence du Moyen-Âge dans l’œuvre de l’écrivain britannique.

    Tolkien a créé de toute pièce un univers, avec ses mythologies ("Grande Vague", "Légendes et mythe(s), mythologie"), ses légendes ("Guerre de l’Anneau"), sa géographie ("Fleuves et rivières", "Forêts", "Montagnes" "Géographie imaginaire" sans oublier la "Terre du Milieu"), ses langues imaginaires ("Langues inventées") et même ses objets typiques ("Objets", "Herbe à pipe", "Vêtements"). Plus étonnant encore, on y trouve une entrée autour de l’"Économie en Terre du Milieu". 

    Certaines entrées sont de véritables écrits d’exégèse

    Les auteurs consacrent de nombreuses pages aux livres les plus emblématiques de Tolkien – Le Seigneur des anneaux, Le Hobbit, Le Silmarion – mais aussi aux nombreux ouvrages moins célèbres – "Feuille de Niggle", "Finn and Hengest", "Guerre des Joyaux" – sans compter un item sur les "Manuscrits et textes inédits" et un autre sur les "Poèmes de Tolkien". Les illustrateurs John Howe et Alan Lee ont également leur place – sans oublier l’item "Illustrateurs [de l’œuvre de Tolkien]".

    Le dictionnaires ne pouvait oublier les personnages créés par Tolkien, qu’ils soient connus (Gandalf, Golum, Bilbo, Saruman, Boromir, Sauron) ou non (Ælfwine, le trio Ainur, Valar et Maiar ou Tom Bombadil). Sans oublier les Ents, les Géants, les Hommes, les Orques ou les Elfes, un sujet constituant plusieurs entrées sur près de quinze pages auxquelles  il faut ajouter les personnages elfiques (les entrées "Elrond", "Galadriel", "Gil-galad").  

    Certaines entrées sont de véritables écrits d’exégèse, à l’instar d’"Épopée et dimension épique", "Philologie", "Allégorie et applicabilité" ou le long article sur "Beowulf" par David Ledanois ("Ce poème vieil-anglais représente l’une des plus importantes inspirations de Tolkien. Datant des VIIIe-XIe siècles, il est l’un des rares survivants d’une tradition narrative pré-chrétienne dont l’absence et la reconstitution étaient pour Tolkien sujets d’étude et de création"). Citons aussi cet étrange terme, "Eucatastrophe". On laissera au lecteur le soin de découvrir la nature de ce mot inventé de toute pièce par Tolkien himself. Un autre article s’intéresse à la question de savoir si le Seigneur des Anneaux, le Hobbit ou Le Silmarion sont ou non des ouvrages d’aventure ("Évasion, une littérature d’ ?"), à moins qu’ils ne s’apparentent au conté de fée ("Faërie"). Bien entendu, la fantasy n’est pas oubliée.

    On sera surpris par certaines entrées a priori décalées, à l’instar de "Boisson et sociabilité". D’autres thématiques, plus ou moins développées, ont droit à leurs entrées : "Religion", "Grâce", "Liberté", "Temps", "Libre-arbitre", "Corps et apparences", "Destin [Le]", "Devoir [Le]", "Héroïsme", "Orgueil", "Politique", "Providence" ou encore  "Échec" ("L’échec, inscrit par Tolkien au cœur de la subcréation [sic] et des créatures, s’apparente à un destin, en dépit d’interactions problématiques avec le libre arbitre").

    L’influence de Tolkien dans la culture pop n’est pas oubliée : "Culture populaire", "Contes de fée", "Fan", "Jeunesse", "Jeux de rôles grandeur nature", "Jeux vidéo". Qui dit culture pop dit "adaptations cinématographiques" (au passage, Peter Jackson a son entrée), un sujet longuement détaillé et critiqué, parfois de manière cinglante. Citons aussi – parce que ce sont des sujets actuels – une entrée consacrée à Tolkien et à l’environnement ("Lectures écocritiques : Tolkien et l’écologie") et une autre autour du féminisme ("Lectures féministes et gender studies"). Plus inattendue mais finalement logique étant donnée la popularité de Tolkien, le lecteur trouvera un article sur les "Parodies" qui ont essaimé.

    Voilà un ouvrage de référence, très impressionnant et très riche. Le lecteur trouvera sur plus de 800 pages de quoi se régaler et s’instruire sur un des plus grands auteurs du XXe siècle.

    Bref, comme nous le disions, voici une excellente idée de cadeau pour les fêtes de fin d'année. 

    Vincent Ferré, Dictionnaire Tolkien, éd. Bragelonne, 2024, 816 p.
    https://www.bragelonne.fr/catalogue/9791028113056-dictionnaire-tolkien
    https://www.tolkiendil.com/tolkien/sur-tolkien/dictionnaire-tolkien
    https://www.jrrvf.com

    Voir aussi : "Tolkien breton"
    "Avant Frodon, Bilbo et Gandalf"

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  • Rimbaud, le vrAI du faux

    Qui était vraiment Rimbaud ? Que reste-t-il de lui ? Quelques (vraies) photos, une correspondance et surtout une œuvre brève (Une saison en enfer et Les Illuminations, sans compter de nombreux poèmes en vrac). Pour autant, son importance et son influence sur la littérature est exceptionnelle. Précurseur de la poésie moderne, Arthur Rimbaud a produit une œuvre révolutionnaire avant ses 20 ans. Il abandonne définitivement la poésie en 1875, jusqu’à son décès en 1891 à l’âge de 37 ans.

    C’est sur les années 1870-1875 que se concentre la biographie de Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant (éd. Gallimard), c’est-à-dire de son premier séjour à Paris – qui se termine en prison – jusqu’au décès de Vitalie, la jeune sœur de Rimbaud. Ce deuil marque aussi la fin de sa carrière littéraire.

    Cinq années dans une vie. C’est peu et suffisant pour parler de l’œuvre de Rimbaud. L’auteur consacre cependant une préface pour évoquer les années d’enfance d’un garçon vivant pauvrement à Charleville-Mézières, surdoué à l’école et se distinguant en latin et en rhétorique, sans compter ses talents en poésie qui impressionnent un de ses professeurs, Georges Izambard. Rimbaud veut devenir journaliste et poète. Mieux, il veut y apporter un souffle nouveau. Ce ne sera pas sans mal. 

    Le lecteur sera effaré de découvrir un Rimbaud déjà globe-trotteur, alors qu’il n’est même pas majeur : l’Ardennais ne se contente pas de chercher l’aventure et la réussite à Paris où il n’a, au départ, aucun contact personnel. Ses pas le mènent de la Belgique à Londres, en passant par Stuttgart ou Milan, avec toujours un pied de chute chez sa famille à Charleville-Mézières. Sa mère, femme dure et exigeante, se montrera à plusieurs reprises bienveillante pour son fils volontiers frondeur – et le mot est faible.

    En réalité, Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre. L’histoire d’amour entre Rimbaud et Verlaine est connue et elle fait l’objet ici de nombreuses pages. Ce que l’on sait moins c’est à quel point le tout jeune homme fait tourner la tête du poète, de dix ans son aîné. Le lecteur découvre un Rimbaud insupportable, tapageur, bagarreur, insultant, un "monstre" qui obsède l’auteur des Fêtes galantes. À l’époque, Paul Verlaine est marié. L’histoire d’amour (un "drôle de ménage") entre les deux hommes est triste et moche. Rimbaud a une forte influence sur son amant et le pousse à délaisser sa femme, tout en le soudoyant à plusieurs reprises afin de profiter des pécules du ménage.

    Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre

    Peut-on parler de Rimbaud comme d’un pervers narcissique ? Impossible de se prononcer définitivement mais beaucoup d'éléments le laissent à croire. En tout cas, Verlaine, tout en admirant le génie de son ami (c’est à lui que l’on doit la premier publication des Illuminations en 1886) perd pied à plusieurs reprises. Il le suit dans sa soûlographie – à l’absinthe notamment – et part même du jour au lendemain le suivre en Belgique alors qu’il allait acheter des médicaments pour sa femme souffrante. Nous sommes en juillet 1872. Il finit par complètement vriller un an plus tard, à Bruxelles, en tirant sur Rimbaud. Le jeune homme s’en sort avec une vilaine blessure, Verlaine écope d'une peine de prison d’un peu plus de deux ans. Le coup de revolver marque la fin d’une relation tumultueuse entre les deux poètes mais aussi le début de la légende. 

    Luc Loiseaux enrichit son essai de poèmes mais aussi d’extraits de correspondance. L’œuvre de Rimbaud éclaire certains passages de son existence et ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage. Le Rimbaud visionnaire et parfois obscur devient un jeune homme torturé, par exemple lorsqu’il parle d’une histoire de cœur déçue dans Les Déserts de l’amour. Citons aussi cette jeune fille de notables de Charleville-Mézières qui a rejeté le jeune poète ou encore cette "fille aux yeux violets qui l’a suivi dans [une] fugue" ("O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux", écrit-il pour une personne qui l'a longtemps obsédé. Le célèbre "Je est un autre" pourrait tout aussi bien être, pour l’auteur, autant une interrogation sur son identité et son homosexualité qu’un rappel d’un épisode traumatisant durant la Commune de Paris. C’est un Rimbaud sans fard qui nous est dévoilé, un poète hypersensible, insupportable, génial, odieux, précurseur et égoïste.

    Pour le rendre plus actuel, Luc Loiseaux a choisi les nouvelles technologies. Une première photo – celle de la couverture – a fait le buzz en 2023 sur les réseaux sociaux. On y voyait un jeune homme déambulant dans les rues de Paris, un soir pluvieux. Le cliché est net – sans doute trop ! – et beaucoup d’internautes ont cru à la découverte d’une photo inédite. Luc Loiseaux, artiste aux multiples talents – écrivain, musicien, graphiste, photographe, conférencier –, a poursuivi sur cette voie en proposant de fausses photos vieillies pour illustrer les chapitres de cette biographie. Gageons que les éditions Gallimard ont d’abord été sensibles à cette utilisation – certes critiquable – de l’IA. En réalité, ne nous trompons pas : le vrai apport de ce livre réside dans les cinq années capitales d’Arthur Rimbaud grâce au passionnant texte de Luc Loiseaux.   

    Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant, éd. Gallimard, 2024, 272 p.
    https://www.facebook.com/luc.santiago 
    https://www.gallimard.fr/catalogue/rimbaud-est-vivant/9782073081759 

    Voir aussi : "À fleur de Poe"
    "Rimbaud, sors de ce corps"
    "C’est le plus dandy des albums"
    "Sonnets pour ce siècle"

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  • Nos existences abîmées

    C’est par la Fantasy qu’a commencé la carrière de Mélissa Perrot-Marquez, plus précisément le premier tome d’Aëlys, L’éveil d’une indocile (éd. Le Lys Bleu), sorti il y a deux ans. On pouvait s’attendre donc à un autre opus, sinon de cette facture, du moins versant dans le fantastique. Or, même si le fantastique est bien présent dans La demeure des oubliés, il l’est d’une manière singulière.

    L’auteure situe son récit 20 ans en arrière, en 2003. Une époque qui nous paraît lointaine. L’Internet n’était pas encore généralisé, les plateformes télé n’existaient pas et les portables n’étaient pas encore ses smartphones multi-usages. Par contre, la misère sociale était déjà réelle et c’est justement le sujet du roman s’apparentant à du fantastique social.  

    Mathilde et Benoît forment un jeune couple amoureux mais aussi paumé. Sans travail, vivotant comme ils le peuvent grâce à un petit trafic de drogue, ils trouvent leur salut grâce à une maison que leur prête en plein hiver les services sociaux d’une petite ville du sud. C’est une demeure délabrée sur plusieurs étages qui leur suffit, au moins provisoirement. Jusqu’au jour où d’étranges bruits se font entendre. Aucun doute : la demeure est hantée. 

    Maison abîmée et habitée

    Sur un peu plus de 180 pages, c’est une lente descente aux enfers que propose Mélissa Perrot-Marquez. La maison abîmée et habitée est bien entendu une allégorie de l’existence de ces deux marginaux totalement paumés. L’auteure a su parfaitement rendre l’ambiance poisseuse, d’autant plus que, rapidement, c’est dans le huis-clos de la demeure que se terre Mathilde, la véritable personnage principale du livre.

    Les chapitres s'égrainent au fil des journées, des semaines et des mois interminables – mais qui devront bien s’achever un jour où l’autre car les locataires devront rendre les clés au printemps. Soit trois mois dans une ambiance terrifiante. Entre débrouillardise, recherche de quelques euros pour affronter la dèche, gestion de leur petit business de dope, l’existence de ces "oubliés" devient vite un cauchemar. Les manifestations surnaturelles viennent se rappeler à leurs bons souvenirs. On en saura guère plus sur ces esprits, sinon que deux hommes sont morts dans la maison quelques temps plus tôt.

    Là n’est pas l’essentiel, dit en substance Mélissa Perrot-Marquez qui porte avant tout son attention sur deux pauvres hères, parfois agaçants mais souvent attachants, aussi perdus et oubliés que les fantômes dont ils partagent les murs.    

    Mélissa Perrot-Marquez, La demeure des oubliés, autoédition, 2024, 181 p.
    https://www.amazon.fr/Demeure-oubli%C3%A9s-M%C3%A9lissa-Perrot-Marquez/dp/B0D6851VB9/ref=sr_1₁
    https://www.facebook.com/melissaperrotmarquez
    https://mperrotmarquez.wordpress.com
    https://www.instagram.com/melissapm_autrice

    Voir aussi : "Une disparue encombrante"

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  • Un pied dans la porte pour le manipulé

    La manipulation. Voilà un sujet particulièrement rebattu, partout, que ce soit dans les conversations privées, sur les réseaux sociaux. Pour tout dire, dans cette époque obsédée par le complotisme et la liberté en danger, la manipulation devient un sujet à la fois épineux et source de fantasme. Voilà qui rend d’autant plus pertinent l’essai des chercheurs en psychologie sociale, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (décédé en 2020), Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (éd. PUG).

    Il s’agit en réalité de la réédition de leur best-seller, déjà vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Cette nouvelle édition est augmentée de près de 50 pages et 16 nouvelles techniques de manipulation. Le lecteur y trouvera matière à réfléchir sur la manière dont ses gestes quotidiens peuvent se trouver influencer par une ou plusieurs tierce personne, et cela sans qu’il s’en rende compte.

    Pas besoin d’être expert en psychologie ou en sciences sociales pour dévorer ce passionnant livre, si l’on excepte un chapitre plus technique, justement nommé "Un peu de théorie". Par ailleurs, l’essai est enrichi de citations d’études, d’enquêtes et d’ouvrages sérieux. Pour le reste, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois optent pour la vulgarisation qui explique en grande partie l’énorme succès de leur essai. Il y a aussi l’ensemble de mises en situation en la personne de Madame O vivant dans le pays imaginaire de Dolmatie – mais qui pourrait être aussi bien la France, le Canada, l’Italie ou les États-Unis. Que cette femme – anonymisée – existe ou non est moins important que les faits quotidiens et anodins qu’elle vit : une après-midi de farniente, des courses au supermarché, une journée de shopping dans sa ville, des appels téléphoniques de commerciaux ou de militants associatifs ou encore une soirée seule chez elle en l’absence de son mari, soirée au cours de laquelle elle ne fait l’objet d’aucune interaction ni manipulation extérieure – en apparence seulement.

    À partir de ces saynètes, les auteurs nous parlent de pratiques et de méthodes qui permettent à un interlocuteur ou interlocutrice de faire faire à quelqu’un une chose sans contrainte ou force, et même en lui laissant une illusion de liberté. "Pas besoin, en effet, d’être séduisant ou d’occuper une place de pouvoir pour obtenir d’autrui ce qu’on attend de lui ; pas besoin non plus d’être un petit génie de la persuasion. Il suffit de connaître ces techniques".

    Donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre"

    Les auteurs ne cessent, à grands coups d’humour, de dédramatiser ces manipulations et de les rendre visibles et explicables. "La manipulation reste (…) l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen de pression", disent-ils. Quels sont au juste ces moyens ? Les exemples de Madame O. permettent à Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois d’examiner les comportements de leur "cobaye", insistant à plusieurs reprises le concept de "soumission librement consentie". Les auteurs montrent que "le lien entre motivation et comportement, et a fortiori entre attitude et comportement, n’est pas direct". Ils en viennent à parler de la "notion d’effet de gel".

    Des exemples en entreprise, essentiellement dans le management, introduit d’autres concepts, à l’instar de "la dépense gâchée". Les faits historiques et politiques, comme l’escalade de la guerre du Vietnam, parlent également de ces "escalades d’engagement" qui peuvent nous conduire à des impasses, parfois en toute bonne foi.

    Les auteurs étudient plusieurs méthodes de manipulation, souvent utilisées dans les contextes commerciaux : l’amorçage, le leurre, les techniques du "pied-dans-la-porte", celle de la "porte-au-nez", le "pied‑dans‑la‑bouche", le "pied‑dans‑la‑mémoire", notamment. Sans compter ces 16 autres méthodes : le "donner‑un‑peu‑pour‑recevoir‑beaucoup", "l’acquiescement répété", "l’indisponibilité présumée", le "nous‑avons‑un‑point‑commun", le mimétisme, le "j’ai‑besoin‑de‑personnes‑comme‑vous", l’activation normative, le "juste‑une‑personne‑de‑plus", le "vous‑allez‑probablement‑refuser", le "pied‑dans‑la‑main", le "dites‑moi‑si‑ma‑demande‑vous‑paraît‑déplacée", le "je‑ne‑vous‑demanderai‑rien‑d’autre", le "piquer‑la‑curiosité", le "décadrer‑recadrer", le "pourriez‑vous‑me‑rendre‑un‑service ?" et le "j’espère‑que‑je‑ne‑vous‑dérange‑pas".

    L’essai rengorge d’exemples, d’études, de mises en situation, de faits réels mais aussi d’analyses. L’objectif est que chaque lecteur et lectrice devienne un citoyen et une citoyenne capable de réfléchir sur sa vie en société. Le maître mot n’est pas de donner des armes de manipulation  à des personnes mal intentionnées – que les auteurs condamnent, mais plutôt de donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre".

    Bref, voilà un ouvrage passionnant et d’utilité publique. 

    Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens,
    éd. PUG, 2024, 368 p.

    https://www.pug.fr

    Voir aussi : "Enquêtes pour de faux"

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  • Sombres papillons

    La prestigieuse maison Gallimard lance cet automne sa nouvelle collection Papillon Noir et, comme il fallait s’y attendre, le vénérable éditeur n’a pas fait dans la demi-mesure avec un projet ambitieux. À la tête de cette collection, il y a Benjamin Lacombe qui entend bien remettre au goût du jour la tradition du beau livre illustré, celle qui avait court avec des artistes comme Gustave Doré ou Odilon Redon.

    Parce que le monde de l’édition subit de plein fouet la crise économique et numérique, Gallimard a fait le pari de la qualité, de la créativité et de l’illustration. Là, on applaudit des deux mains.

    Les deux premiers ouvrages de la collection Papillon Noir sont un ouvrage classique, Le Portrait de Dorian Gray par Oscar Wilde, illustré par Benjamin Lacombe lui-même (postface de Merlin Holland) et une création actuelle, Les Sorcières de Venise de Sébastien Perez, illustré par Marco Mazzoni.  

    Pour le chef d’œuvre d’Oscar Wilde, le choix a été fait par Benjamin Lacombe d’une version non-censurée, l’ouvrage ayant entraîné de nombreux et lourds déboires à Oscar Wilde en raison de l’évocation de l’homosexualité, à la fois "dite" et "voilée". Pour illustrer le roman, et en particulier le bel éphèbe blond et androgyne Dorian Gray, Benjamin Lacombe s’est inspiré de Lord Alfred Douglas, l’amant d’Oscar Wilde qui a entraîné un retentissant procès et la condamnation à la prison de l’auteur anglais.

    Des portraits du fascinant personnage, souvent entouré de fleurs, ponctuent l’ouvrage. Le lecteur pourra tout aussi bien s’arrêter sur le portrait de Lady Henry, semblant tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Signalons aussi la double page (pp. 72-73), avec une onirique Lady Henry flottant au milieu d’un océan sous l’orage.

    Nous parlions de ces papillons noirs, choisis pour l’identité de la nouvelle collection. Ils apparaissent à plusieurs reprises sous le pinceau de Benjamin Lacombe, sur une scène de théâtre, dans des portraits au fusain ou dans un cabinet de curiosité. 

    Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches

    Parlons justement de ces fameux lépidoptères. Pour Les Sorcières de Venise, l’autre nouveauté proposée par Gallimard, ces animaux sont au cœur du récit proposé par Sébastien Perez. Ce roman inédit, illustré par Marco Mazzoni, est à la croisée de plusieurs genres. Conte fantastique, roman historique et science-fiction post-apocalyptique (nous sommes en Italie, en 2045), Les Sorcières de Venise a aussi une résonance très moderne puisque le récit commence par une pandémie.

    Une mystérieuse maladie, surnommée "le virus du papillon", a touché la terre et provoqué un véritable cataclysme. Les deux tiers de la population mondiale ont disparu. Heureusement, un sérum a été trouvé, ce qui a pour conséquence d'établir une ségrégation sociale entre, d’un côté les personnes non-infectés et de l’autre les malades soignés. Cela suscite également beaucoup de fantasmes et d'idées reçues. Simone, qui a vécu de très près sa mère médecin mobilisée, se lance dans un jeu fou et dangereux avec ses jeunes amis : rencontrer des "papilloneurs". Le but ? Essayer un nouveau trip en se faisant mordre pour ressentir les "sensations extraordinaires du virus. Mais c’est sans compter les "viventisti", des chasseurs de "zombie". Bientôt, Simone, accompagné de Manuele, un nouvel ami qui a été infecté, fuie vers Venise, à la rencontre de sorcières. Le virus y aurait été créé là-bas.   

    Marco Mazzoni s’est chargé des illustrations du texte de Sébastien Perez. Le dessinateur italien a fait le choix de l’onirisme dans ce conte moderne s’étalant sur plusieurs centaines d’années. Saynètes contemporaines (rues dévastées, intérieurs angoissants, véhicules au pastel, compositions surréalistes) côtoient des tableaux somptueux, entre rêves et cauchemars, à l’instar de ces visages couverts de papillons ou le portrait de la sœur de Manuele, véritable piéta médiévale. À ce sujet, l’illustrateur devient un véritable copiste lorsqu’il reproduit un (faux) manuscrit de 1463. Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches. Un magnifique ouvrage.    

    Ajoutons que ces derniers jours, la collection Papillon Noir s’est enrichie d’un troisième ouvrage, un classique de la littérature française, Carmen de Prosper Mérimée, illustré par Benjamin Lacombe.

    Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, ill. Benjamin Lacombe,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 248 p. 

    Sébastien Perez, Les Sorcières de Venise, ill. Marco Mazzoni,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 120 p. 

    https://www.gallimard.fr/collections/papillon-noir-gallimard

    Voir aussi : "À Karim Berrouka, la fantasy reconnaissante"

    @lacombebenjamin Aujourd’hui était un jour important pour moi. C’est le jour où j’ai présenté à mes chers libraires un rêve, un projet : une collection de littérature, de livres illustrés, de livres objects et de romans graphiques ou tout cela à la fois. La collection Papillon Noir déploiera ses ailes à l’automne chez les si belles @editions_gallimard avec trois premiers livres dont un par les extraordinaires Sebastien Perez (@plumederossignol) et Marco Mazzoni (@marcomazzoniart)… mais je vous en reparle plus bientôt… #benjaminlacombe #sebastienperez #marcomazzoni #collectionpapillonnoir #papillonnoir #editionsgallimard #gallimard #lessorcieresdevenise #doriangray #leportraitdedoriangray #oscarwilde #prospermerimee #carmen ♬ What Was I Made For? [From The Motion Picture "Barbie"] - Billie Eilish

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  • Églantine

    tatiana colas,poésie,poèmes,confrériePassions, séparations, coups de foudre, intimités, attentes déçues, vie quotidienne à deux ou en famille : toute la palette du sentiment amoureux est réuni dans ce bref recueil de poèmes. Peu original, diriez-vous ? Je n'ai cependant pas boudé mon plaisir avec ces textes courts sur l'amour, le plus partagé des sentiments mais aussi celui qui a inspiré le plus grand nombre d'écrivains.

    Tatiana Colas, Églantine, éd. EdiLivre, 87 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2013/04/25/27011343.html
    https://www.edilivre.com/eglantine-colas-tatiana.html 
     
    Voir aussi : "Agenda d'une grossesse heureuse"

     

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