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Livres et littérature - Page 21

  • Maman, je te hais, maman je t’aime

    Roman polyphonique, Ainsi naissent les Mamans d’Amélia Matar (éd. Eyrolles) suit trois personnages féminins en alternant les points de vue, donnant à ce récit personnel et familial un rythme qui tient en haleine le lecteur.

    Il y a d’abord Valentine de Barnay, une enfant de la bonne bourgeoisie parisienne, élevée sans amour par une mère dont "la cruauté (…) tissa une cote épaisse contre les vicissitudes de la vie", majore de promotion à HEC, brillantissime, ambitieuse, froide et mariée avec un homme mais sans passion ("Notre couple ne fut plus qu’une entente tacite, une alliance stratégique"). La deuxième protagoniste est sa fille Alice, élevée sans plus d’amour, mais qui porte en elle une intelligence folle, de l’humour à revendre mais aussi un immense besoin de tendresse que viendra lui apporter le troisième personnage de ce récit familial, Fatima Ayouch.

    Élevée dans une famille marocaine qui lui souhaite une réussite sociale et professionnelle, Fatima a choisi d’être éducatrice de jeunes enfants. Et c’est ainsi qu’elle devient la nounou d’Alice, dans le milieu bourgeois de Valentine, sa mère. Entre les trois, un fragile équilibre s’installe, jusqu’à une sortie au musée, qui va avoir des conséquences inattendues. 

    "C’est bien simple, je hais les hommes, surtout le mien." Voilà qui est dit.

    L’amour, la haine, la famille. Voilà une histoire vieille comme le monde et qu’Amélia Matar raconte sous l’angle de trois personnages qui vivent dans leur propre univers. C’est aussi la confrontation de deux mondes : Valentine, la bourgeoise de bonne famille et Fatima, la banlieusarde fille d’immigrée. Il s’agit d’une lutte des classes entre ces deux femmes, l’une étant la patronne de l’autre.

    Une autre fracture affleure : Valentine de Barnay, la manageuse impitoyable, a la sensation d’avoir travaillé et de s’être battue plus que n’importe qui – et surtout plus que n’importe quel homme – pour arriver à sa position envieuse. Elle en vient à poser le dilemme de la maternité et du féminisme : "Dès qu’une femme devient mère, elle se laisse absorber tout entière pour sa progéniture et c’en est fini de sa carrière… Les femmes doivent veiller à ne pas laisser les hommes occuper tout l’espace." Valentine émet également, plus expéditive encore : "C’est bien simple, je hais les hommes, surtout le mien." Voilà qui est dit.

    Au milieu de cette bataille, il y a une enfant, Alice. Le lecteur est attendri de lire ses mots, qui expriment la douleur de ne pas être aimée et bien aimée : "J’ai peur. — De quoi ? — De ne pas y arriver. — De ne pas arriver à quoi ? — À vivre."

    Ainsi naissent les mamans , brillamment écrit est le récit de trois personnages féminins dans l’incommunicabilité, voire la cruauté, mais qui arriveront finalement à faire un bout de chemin ensemble.

    Amélia Matar, Ainsi naissent les Mamans, éd. Eyrolles, 208 p., 2022
    https://www.facebook.com/webeuse
    https://www.instagram.com/ameliamatar
    @ameliamatar
    https://www.eyrolles.com

    Voir aussi : "Les cygnes du crime"
    "Les mots croisés, c’est sexy"

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  • Un podcast sur la fantasy pour les présenter tous 

    Alors que sort sur Amazon Les Anneaux de Pouvoir, le préquel du Seigneur des Anneaux, il n’est sans doute pas inutile de faire un focus sur ce genre littéraire passionnant qu’a révolutionné Tolkien en profondeur et pour longtemps. Mais que recouvre la fantasy ? d’où vient-elle ? Qui l’a créé ? Pour répondre à ces questions, rendez-vous sur la série de podcasts, C’est plus que de la fantasy, proposé par le site C’est plus que de la SF du journaliste Lloyd Chéry.  Anne Besson, la marraine de la saison 1, est l’invitée du premier épisode, "Introduction à la fantasy".

    L’universitaire et spécialiste en fantasy répond aux questions de Lloyd Chéry avec un plaisir et une passion communicative, balayant en moins d’une heure près d’un siècle et demi d’un genre littéraire  finalement très jeune. Elle commence par répondre à une question fondamentale : quel est le point commun de toutes ses œuvres de fantasy aussi différentes que Le Seigneur des Anneaux, la saga des Conan, Le Trône de Fer ou les œuvres de Robin Hobb. "La magie", répond-elle et les "mondes magiques", qu’ils soient autonomes, décalés, qu’ils ressemblent aux nôtres ou qu’ils y soient reliés.  

    L’Heroic fantasy, ce sous-genre ancré dans un monde médiéval imaginé (avec l’influence des légendes arthuriennes), est souvent identifié à la Fantasy. C’est un raccourci, commente Anne Besson, qui rappelle les autres sous-genres comme la dark fantasy.

    L’auditeur découvrira un auteur peu connu William Morris, l’auteur à la fin XIXe d’une série de romans constitués de contes et de mythes imaginaires (Aux Forges de Vulcain). Il est redécouvert des années plus tard et réédité. La fantasy est identifié comme un genre à part entière avec Linn Carter dans les années 60, mais il ne deviendra une littérature dite "sérieuse" qu’avec la reconnaissance de Tolkien.

    Les années 30 voient l’arrivée d’une deuxième étape dans l’émergence de la fantasy, avec la série Conan de Robert E. Howard, imprimée en pulps. Pourtant, c'est bien Tolkien qui "re-relance" la fantasy avec le Hobbit en 1937 et Le Seigneur des Anneaux en 1954. Des éditions pirates dans les années 60, puis le succès de Conan dans le même temps, voit l’explosion de la fantasy, y compris dans des aspects jusque là inédits : la naissance des jeux de rôles, des éditions pirates de Tolkien et des copies grossières du Seigneur des Anneaux.

    Fantasy et SF restent statistiquement genrés

    Les années  1990 seront celles d’un retour fracassant de la fantasy en France, avec de jeunes maisons d’éditions spécialisées (Mnémos, Bragelonne) et les premières recherches universitaires. Par contre, nuance Anne Besson, les universités n’ont pas encore ouverts complètement leurs cours à la fantasy, pour de bonnes et de mauvais raisons.

    La fantasy est un genre aimé particulièrement par un public jeune car il y "un lien fondamental avec l’enfance", que ce soit la place du merveilleux, de la magie ou encore l'importance de jeunes héros avec qui les enfants et les adolescents peuvent s'identifier.

    Qui dit fantasy, dit science-fiction. Entre les deux genres, la spécialiste fait remarquer que le premier est plus présent en littérature alors que le second est plébiscité au cinéma. Il est vrai que sur grand ou petit écran "la fantasy fait facilement kitsch". Deuxième observation : il faut admettre que fantasy et SF restent statistiquement genrés, la fantasy étant plus apprécié du public féminin et la SF plus masculin. Pour l’universitaire, la grande tradition des conteuses explique en partie l’attrait du public féminin pour les œuvres de Tolkien ou Hobb.  

    Anne Besson évoque deux sagas importantes : Game of Thrones d’abord, plus réaliste, plus politique, plus historique aussi. Mais est-ce un renouvellement ? Oui, répond l’universitaire, en ce qu’il plus âpre et plus manipulateur… Populaire grâce à la télévision, Le Trône de Fer est devenu une saga poids lourd.

    Autre œuvre poids lourd : Harry Potter. Mais est-ce de la fantasy ? Oui, répond Anne Besson. Et c’est aussi une œuvre qui a renouvelé  la fantasy en la rapprochant du fantastique, avec des moments d’horreur gothique.

    L’épisode se termine par l’évocation des autres univers de la fantasy : la fantasy africaine, asiatique et plus généralement non-occidental.

    Honneur enfin à la France, avec une fantasy de qualité mais manquant d’un grand succès pour faire sa mue. Il manque sans doute de relais – médiatiques ou adaptations télés à succès – pour faire sortir la "french fantasy" de sa niche.

    Avec cette introduction à la fantasy, C’est plus que de la fantasy entend bien participer à la reconnaissance d’un genre encore – très jeune – et appelé à se développer avec le temps. 

    Un autre podcast est d'ores et déjà en ligne : "La Quête de l'Oiseau du Temps - Régis Loisel & Serge Le Tendre"

    Podcasts, C’est plus que de la fantasy, saison 1, 2022
    https://podcast.ausha.co/c-est-plus-que-de-la-fantasy
    https://podcast.ausha.co/c-est-plus-que-de-la-sf

    Voir aussi : "Vous reprendrez bien un peu de fantasy ?"

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  • Les cygnes du crime

    Pour Encens (éd. SNAG), Johanna Marines transporte le lecteur à la Nouvelle Orléans, en 1919. Mais il s’agit d’une Louisiane imaginaire, dans un style steampunk. Ce sous-genre de la fantasy utilise la culture et l’esthétique des révolutions industrielles. Dans ces mondes imaginaires, se côtoient machines à vapeur, costumes victoriens ou second empire, bâtiments haussmanniens et omniprésence de l’acier.

    Dans Encens, l’Amérique de Johanna Marines est celle d’une Louisiane encore marquée par l’esclavagisme, la ségrégation et la Guerre de Sécession. Mais les progrès scientifiques ont conduit à la création d’illusionnautes, des ouvriers mécanisés qui ont remplacé les esclaves noirs ("[Les] automates [ont] remplacé nos pères dans les champs de coton") et ont pu par là même générer de nouveaux problème pour la société – imaginaire – de l’époque. Aux revendications de liberté pour ces machines répond une défiance de la part des êtres de chair et de sang. Cette coexistence difficile a conduit à des drames : "Les conflits entre automates et humains n’étaient qu’un éternel recommencement. Il y avait eu trop de morts dans les deux camps. Les souvenirs des fusillades et des exterminations de masse des illusionnautes, les automates de première génération, étaient dans toutes les têtes". Voilà pour le tableau général de ce roman. 

    Grace Parkins travaille au Mechanic Hall comme voyante dans le plus célèbre aérocabaret de la ville, au milieu d’artistes aussi bien humains que mécaniques. La jeune femme - noire - vit, comme ses contemporains, les pensées absorbées par une sombre menace : un tueur à la hache sévit à La Nouvelle Orléans. Il se trouve d’ailleurs que son propre père, policier, est chargé de l’enquête. Et si, en fait, il y avait deux tueurs au lieu d’un ? 

    Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés

    Le premier intérêt de cet étonnant roman de Johanna Marines est bien entendu l’univers de fantasy steampunk : une Amérique fantasmée, des robots mécaniques, un XIXe siècle imaginé. Nous voilà dans un monde fascinant, avec une héroïne attachante et non sans blessures ni secrets. Ajoutez à cela des inventions incroyables, avec notamment ce fameux cabaret aérien.

    Encens est aussi une histoire policière sur fond de tueur en série (au masculin ou au pluriel – je ne vous en dit pas plus). L’intrigue criminelle va vite mettre Grace Perkins, bien malgré elle, en situation de protagoniste mais aussi de témoin. Car le passé peut  revenir comme un boomerang : "Les objets et les gens de notre enfance nous semblent toujours en vie dans notre esprit. On pense qu’ils ne vieillissent pas quand ils sont loin de nous, pas vrai ? Pourtant le temps passe pour eux aussi. On croit qu’ils plongent dans un profond sommeil".

    Les meurtres particulièrement pervers deviennent une histoire personnelle et familiale, avec la présence de William Perkins et de son confrère Anton en enquêteurs perdus dans cette course au coupable. Et si les illusionnautes pouvaient être la clé de ce mystère ?

    Dans cette Amérique décalée et étrange, les ferrailleurs, machines humanoïdes et autres robots mécaniques font figure de victimes renvoyant à la ségrégation noire. Car, ici, le racisme change de couleur, si j’ose dire. Roman de fantasy autant que thriller, Encens envoie une série de messages engagés. Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés. 

    Johanna Marines, Encens, éd. SNAG, 2021, 500 p. 
    https://www.facebook.com/JohannaMarinesAuteur
    https://www.instagram.com/johannamarinesauteur
    http://www.gesteditions.com/snag/encens

    Voir aussi : "Les veilleurs immobiles"

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  • Le manga pour les nuls

    Voilà un livre qui mérite à coup sûr de figurer dans les bibliothèques de tous les amateurs de dessins, les professionnels qui désirent approfondir leurs connaissances dans le manga et, aussi, en général, tous les passionnés de culture nippone.

    L’auteur de ce très beau manuel, intitulé tout simplement Dessine et anime tes Personnages de Manga (aux éditons Hoëbeke), est proposé par Ali Amrabet. Il est plus connu sous le pseudonyme de ZeSensei_Draws, un nom avec lequel il sévit sur la toile et les réseaux sociaux. ZeSensei_Draws est suivi par plus de 820 000 personnes sur Tiktok et plus de 35 000 sur Instagram. Il propose sur ses posts de courtes animations pour apprendre à dessiner et ses animés sont parmi les plus likés du réseau social TikTok. Il est également présent sur Youtube et sur Pinterest.

    Voilà pour l’auteur. Parlons maintenant de son livre.

    Le guide Dessine et anime tes Personnages de Manga propose une approche simple et efficace du dessin. Mais aussi très pédagogique. Ali Amrabet propose en introduction de rappeler que derrière un talent se cachent d’abord une envie, une passion, et ensuite une technique qui est à allier avec le travail et la "patience".

    L’auteur désacralise ce "don" pour le dessin et entend montrer que représenter un personnage, une tête, une main ou un buste tient souvent à une bonne approche, à de l’observation et à des astuces parfois basiques.

    Grâce à de très nombreuses illustrations – d'Ali Amrabet lui-même – le lecteur pourra découvrir que "chaque dessin, même le plus complexe, est en réalité composé de formes simples" : ronds, carrés, triangles ou ellipses.

    L’auteur met en garde sur les facilités à représenter des seins : "deux ronds" ne suffisent pas

    Son vade-mecum commence par les yeux qui constituent la partie centrale et la plus importante d’un personnage. Précisons d’ailleurs que la tête constitue le premier chapitre et aussi la moitié du livre. L’auteur n’oublie pas d’expliquer comment exprimer des sentiments sur un regard ou un visage, grâce par exemple à des détails et des accessoires (cicatrices, piercings ou lunettes).

    Le lecteur découvrira qu’il y a des techniques particulières, mais néanmoins abordables, pour représenter un nez ou des oreilles sous toutes leurs coutures. Une section assez détaillée est consacrée à la manière de dessiner les cheveux, leurs implantations et leurs mouvements.

    Outre la tête, l’anatomie du corps fait l’objet d’un chapitre entier : Ali Amrabet s’intéresse à la restitution au dessin du torse, du bras, du cou, des pieds ou des mains. Le buste féminin n’est pas oublié et l’auteur met en garde sur les facilités à représenter des seins : "deux ronds" ne suffisent pas…

    Les positions du corps et quelques-uns de ses mouvements sont également abordés. Ce qui offre une transition idéale vers la dernière partie du livre, qui est une présentation des techniques basiques d’animation. En quelques dizaines de pages, le lecteur aura une bonne initiation des outils et des éléments pour commencer des scènes animées.

    Pas de quoi, bien sûr, devenir tout de suite le prochain Eiichirō Oda, mais de quoi avoir envie à coup sûr de titiller votre plus beau beau porte-mine et dessiner votre premier manga.

    Ali Amrabet, Dessine et anime tes Personnages de Manga, éd. Hoëbeke, 2022, 192 p. 
    https://www.youtube.com/c/ZeSenseiDraws
    https://www.instagram.com/zesensei_draws/?hl=fr
    https://www.tiktok.com/@zesensei_draws?lang=fr
    https://www.pinterest.fr/zesensei_draws
    https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hoebeke

    Voir aussi : "Complètement baba de bulles"
    "Une pièce de plus dans la saga One Piece"

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  • Analyse d’une analyse

    Au sujet de Jacques Lacan, dont Betty Milan est à la fois une admiratrice et une disciple, le lecteur de son court essai Pourquoi Lacan (éd. Érès) pourra avoir l’image d’un psychanalyste élitiste, obscur et qui cultivait cette approche déroutante : "Un maître dont la pratique exigeait la plus grande patience" et avait du mal à "se soumettre aux impératifs de la communication immédiate".

    Ceci dit, ce Pourquoi Lacan a cette immense qualité d’être immédiatement accessible. Il se lit comme le témoignage d’une femme dont la rencontre avec Jacques Lacan s’est d’abord faite sur le divan du plus grand psychanalyste, avec Sigmund Freud. "Il a changé ma vie. Il m’a permis d’accepter mes origines, mon sexe biologique et la maternité", écrit Betty Milan en début d’ouvrage.

    "J’ai fait mon analyse avec Lacan dans les années 1970. Quarante ans après sa mort, j’ai eu envie de revenir sur ce qui s’était passé au 5 rue de Lille" annonce l’auteure dès l'ouverture. À l’époque, celle qui n’est encore qu’étudiante brésilienne en psychiatrie se paie l’audace de frapper au cabinet du célèbre praticien et scientifique, au départ pour préparer un séminaire au Brésil sur les théories lacaniennes. Betty Milan est à Paris pour raisons universitaires mais cet exil s’expliquait aussi par les liens intellectuels de la France et de son pays d’origine. La situation politique du Brésil, en pleine dictature à l’époque, n’est pas non plus étrangère à sa présence au pays de Voltaire. La première visite chez Lacan sera suivie par plusieurs autres, dans le cadre d’une analyse.

    "Le Docteur"

    Grâce au témoignage de Betty Milan, le spectateur entre dans la tête d’une jeune Brésilienne des années 70, tiraillée entre plusieurs cultures puisque sa famille est originaire du Liban. Sa reconnaissance pour le psychanalyste ("Le Docteur" comme elle l’appelle) est immense : "Lacan  a éclairé ma route, en permettant qu’une descendante d’immigrants libanais, victime de la xénophobie des autres et de la sienne propre, puisse enfin s’accepter".

    L’ancienne analysée, devenue elle-même psychanalyste – lacanienne –, fait entrer le lecteur dans le cabinet du praticien et relate les échanges qu’elle a pu avoir avec lui au cours de séances souvent courtes. Elle raconte comment Jacques Lacan interrompait ses séances au moment où des informations pourtant importantes, commençaient à être révélées.

    Betty Milan parle des rendez-vous réguliers, de l’interprétation des rêves, de la place de l’argent mais aussi du problème de la langue maternelle qui constituait a priori un obstacle à l’analyse (en ce sens, le titre  Pourquoi Lacan – sans point d’interrogation – prend tout son sens). 

    Betty Milan parle aussi de la France, de Paris, des années 70 mais aussi du déracinement et de ses questionnements sur ses origines et sa liberté de femme. Car c’est bien de la réinvention de la vie dont il est question dans cette analyse d’une analyse chez une figure historique des sciences humaines disparue en 1981.

    Betty Milan, Pourquoi Lacan, éd. Érès, 2021, 160 p.
    https://www.editions-eres.com/ouvrage/4773/pourquoi-lacan
    https://www.bettymilan.com.br/fr

    Voir aussi : "En tongs avec Platon"
    "Lorsque les arbres pensent"

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  • Chefs-d’œuvre à la loupe

    Les amateurs de peintures seront sans doute frustrés par cette encyclopédie de 240 pages proposée par les éditions Larousse. Dans La vie secrète des chefs-d’œuvre, Vincent Brocvielle propose un choix de seulement 28 artistes ou courants picturaux (pour les œuvres les plus anciennes). Le but est de répondre à cette question : pourquoi cette peinture a une importance capitale dans l’histoire de l’humanité et peut être considérée comme un chef d’œuvre.  

    Vaste question et plus complexe qu’on veuille bien le dire. Disons aussi que, par sa démarche, l’auteur entend bien affirmer que, contrairement à l’adage populaire, les goûts et les couleurs ça se discute. Il le dit autrement dans son avant-propos : "Je suis convaincu que les œuvres d’art mènent leur propre vie".

    Outre les peintures pariétales, les créations égyptiennes, gréco-romaines et médiévales, Vincent Brocvielle a jeté son dévolu sur quelques peintures marquantes de Piero della Francesca, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Vélasquez, Goya, Courbet, Picasso ou Marcel Duchamp. On regrettera l’absence d’autres figures incontournables telles que Botticelli, Watteau, Ingres ou Matisse. Mais ainsi va la dure loi de ce genre de livres. 

    L’incroyable peinture d’Artemiscia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, est la plus symptomatique des déboires de son auteure

    C’est donc un choix extrêmement restreint, mais à travers des œuvres incontournables, que ce soit Le Jardin des Délices de Bosch, La Ronde de Nuit de Rembrandt ou Guernica de Picasso. Seules quatre femmes sont représentées : Artemisia Gentileschi, Rosa Bonheur, Berthe Morisot et Frida Kahlo. L’auteur de ce beau livre propose de revenir sur la genèse de chaque œuvre, en les plaçant dans l’histoire de son auteur ou auteure. À cet égard, l’incroyable peinture d’Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, est la plus symptomatique des déboires de son auteure, victime de viol autant que de la justice.

    L’aspect technique fait l’objet de développements, notamment pour les pages consacrées aux fresques romaines ou à l’art médiéval. Le lecteur français s’arrêtera avec grand intérêt sur le peu connu Hokusai, dans un livre largement consacré à l’art occidental.

    D’autres passages sont consacrés à l’accueil du public, aux techniques de restauration et à de multiples anecdotes. Autant d’informations qui entendent montrer et démontrer le caractère unique de ces œuvres. 

    Vincent Brocvielle, La vie secrète des chefs-d’œuvre, éd. Larousse, 2021, 240 p.
    https://www.editions-larousse.fr/livre/la-vie-secrete-des-chefs-doeuvre-9782036008168

    Voir aussi : "Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?"

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  • Bataille contre la mafia

    "Bataille" est traduit en italien par "Battaglia". "Battaglia" comme Letizia Battaglia, une photographe sicilienne qui s’est battue toute sa vie contre ce fléau qu’est la mafia. Elle est au cœur de l’ouvrage de Frederika Abbate, Letizia Battaglia, Une Femme contre la Mafia (éd. de la Reine Rouge).

    L’essai n’a pas vocation d’être exhaustif mais plutôt de faire découvrir une figure héroïque qui a fait de son art un combat contre la pieuvre mafieuse. Letizia Battaglia, décédée en avril dernier, s’est souvent expliquée sur sa démarche et sur ce choix qui a mis sa vie en danger : "On a voulu faire croire à l’opinion publique, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Italie, que la mafia prospérait en Sicile à cause de la société civile, d’une certaine mentalité. Mais c’est une affirmation injuste qui nous humilie et nous dénigre".

    L’appareil-photo de Letizia Battaglia est sa meilleure arme pour montrer que tout n’est pas perdu et que, face au crime, les mafiosos ne sont pas ces gentlemen dignes de figurer dans Le Parrain, mais des personnages vulgaires, violents et cruels. Disons aussi que sur l’œuvre de la photographe plane en premier lieu l’ombre de la mort.

    Cette mort, écrit Frederika Abbate, "elle la photographie avec respect". Ces clichés "sont aussi des actes de dénonciation et de combat qui produisent leur effet". Dans ses noirs et blancs, derrière la grâce, la beauté et l’innocence se cache le deuil, la violence et le désespoir. 

    Guerre civile en Sicile

    Le livre de Frederika Abbate pose quelques jalons chronologiques sur cette femme née une Sicile conservatrice, meurtrie par une agression sexuelle, enfermée par ses parents puis mariée jeune, avant que la photo ne la sauve littéralement. Elle vouera toujours un amour inconditionnel à la Sicile et à Palerme où elle est née, un amour auquel vient faire écho la propre histoire de l’auteure, transformant par moment l’essai biographique en hommage personnel.

    Le livre revient en quelques pages sur les décennies de crimes impunies suivies de l’opération "Mains propres" menée par quelques juges et personnalités incorruptibles qui ont souvent payé de leur vie leur bataille contre la mafia, qu’elle s’appelle Cosa Nostra, Camorra ou 'Ndrangheta. Un des chapitres du livre se nomme "Guerre civile en Sicile", comme pour mieux marquer l’extrême violence de ces États dans l’État. On peine à croire que Letizia Battaglia a pu survivre aux attentats, règlements de compte et exactions sur une île qu’elle a très peu quittée et qu’elle a photographiée, le plus souvent pour le journal communiste L’Ora. Elle est décédée le 13 avril dernier à l'âge de 87 ans. 

    S’écartant de l’essai biographe pur, Frederika Abbate consacre plusieurs chapitres sur les séries et les clichés de Letizia Battaglia pour mieux y faire ressortir ses influences classiques autant que sa modernité (sa passion pour Pasolini, ses photos montrant la vie quotidienne à Palerme et son engagement féministe par exemple). La mort y est toujours présente, d’une manière ou d’une autre, cette mort qu’elle savait photographier à hauteur de femme et d’homme pour mieux lutter contre la mafia, devenue son ennemi intime – et sans doute aussi le nôtre : "Avant de lutter contre la mafia, tu dois faire ton propre examen de conscience et ensuite, après avoir détruit la mafia à l’intérieur de toi, tu peux combattre la mafia qui se trouve dans ton cercle amical. La mafia, c’est nous-même et notre mauvaise façon de nous comporter". 

    Frederika Abbate, Letizia Battaglia, Une Femme contre la Mafia, éd. de la Reine Rouge), 2022, 182 p. 
    https://frederika-abbate.com
    https://www.facebook.com/letiziabattagliaofficial

    Voir aussi : "Rêves violents"

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  • Les mots croisés, c’est sexy

    La Violoncelliste qui inventait des mots croisés érotiques : avec un titre pareil, le roman d’Hélène Élisabeth ne pouvait qu’interpeler et promettre un roman mêlant musique, romance, érotisme et un je ne sais quoi de feel good. Cependant, assez rapidement, ce roman paru aux éditions Librinova met en sourdine l’érotisme pour s’attacher aux aventures amoureuses d’Héloïse.

    Elle est violoncelliste dans un quatuor, avec son amie Solène. Elles sont accompagnées de deux garçons, Thomas et Cyril, ce dernier se montrant à la fois entreprenant et agaçant.

    La jeune musicologue trouve un petit boulot très original : concevoir des grilles de mots érotiques. Pour cela, la jeune femme commence à se documenter en dénichant des chefs d’œuvre de la littérature érotique : Les Contes de Canterbury, Justine, Les Liaisons dangereuses, Histoire d’O ou le Kamasutra.

    Héloïse a une autre passion : le tango, qu’elle pratique en semaine. Un soir, elle rencontre un danseur, Alejandro. Mais Cyril peine à cacher sa jalousie. 

    Un roman mêlant légèreté et complications

    Hélène Élisabeth se la joue sans esbroufe dans un roman mêlant légèreté et complications. La romance que l’auteure veut piquante grâce à cette astucieuse idée des mots croisés érotiques fait la part belle à la musique et à la vie d’un orchestre de chambre. Le lecteur entre comme par effraction dans les journées d’un quatuor classique, composé de deux femmes et deux hommes – parfait pour susciter les jeux de séduction et attiser les tensions, y compris sexuelles. Dans le même temps, la violoncelliste cherche à trouver des définitions sur des termes et des expressions grivois. A la fin du livre, l'auteure consacre d'ailleurs 20 pages de grilles.  

    Et puis il y a le tango, la danse des couples par excellence, l'un des arts les plus sexy. Ce qui ne veut pas dire que le couple qui va se former ne va pas connaître des atermoiements. Ce serait trop facile. Et c'est tout le sel de ce joli roman.      

    Hélène Élisabeth, La Violoncelliste qui inventait des mots croisés érotiques,
    éd. Librinova, 2022, 158 p.
    https://www.facebook.com/Helene-Elisabeth-Books-101822975740973
    https://www.netgalley.fr/catalog/book/256353
    https://www.facebook.com/helene.elisabeth.7311
    https://www.instagram.com/heleneelisabethofficiel
    https://www.linkedin.com/in/helene-lesbats-84349075

    Voir aussi : "La vie des plantes"
    "Roman-feuilleton 3.0 sur un air de tango"

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