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La Violoncelliste qui inventait des mots croisés érotiques : avec un titre pareil, le roman d’Hélène Élisabeth ne pouvait qu’interpeler et promettre un roman mêlant musique, romance, érotisme et un je ne sais quoi de feel good. Cependant, assez rapidement, ce roman paru aux éditions Librinova met en sourdine l’érotisme pour s’attacher aux aventures amoureuses d’Héloïse.
Elle est violoncelliste dans un quatuor, avec son amie Solène. Elles sont accompagnées de deux garçons, Thomas et Cyril, ce dernier se montrant à la fois entreprenant et agaçant.
La jeune musicologue trouve un petit boulot très original : concevoir des grilles de mots érotiques. Pour cela, la jeune femme commence à se documenter en dénichant des chefs d’œuvre de la littérature érotique : Les Contes de Canterbury, Justine, Les Liaisons dangereuses, Histoire d’O ou le Kamasutra.
Héloïse a une autre passion : le tango, qu’elle pratique en semaine. Un soir, elle rencontre un danseur, Alejandro. Mais Cyril peine à cacher sa jalousie.
Un roman mêlant légèreté et complications
Hélène Élisabeth se la joue sans esbroufe dans un roman mêlant légèreté et complications. La romance que l’auteure veut piquante grâce à cette astucieuse idée des mots croisés érotiques fait la part belle à la musique et à la vie d’un orchestre de chambre. Le lecteur entre comme par effraction dans les journées d’un quatuor classique, composé de deux femmes et deux hommes – parfait pour susciter les jeux de séduction et attiser les tensions, y compris sexuelles. Dans le même temps, la violoncelliste cherche à trouver des définitions sur des termes et des expressions grivois. A la fin du livre, l'auteure consacre d'ailleurs 20 pages de grilles.
Et puis il y a le tango, la danse des couples par excellence, l'un des arts les plus sexy. Ce qui ne veut pas dire que le couple qui va se former ne va pas connaître des atermoiements. Ce serait trop facile. Et c'est tout le sel de ce joli roman.
C’est un livre de témoignages tout à fait exceptionnel que nous propose Benoit Vidal avec son ouvrage, Gaston en Normandie (éd. FLBLB). Les monographies, autobiographies, enquêtes et documents sur le Débarquement du 6 juin 1944 sont très nombreux. L’auteur rappelle aussi les films aussi emblématiques que Le jour le plus long ou Il faut sauver le soldat Ryan.
Là où Benoit Vidal étonne c’est la facture de son ouvrage se voulant au plus près des témoins ordinaires de cette journée capitale dans l’histoire du XXe siècle : il choisit le roman-photo, un genre qui a été popularisé par les romances populaires.
Pour Gaston en Normandie, le lecteur découvre que ce type de livre se prête si bien à ce genre de projet littéraire et historique qu’il est étonnant qu’il n’ait pas été si souvent utilisé. Sans doute trouverait-il un nouveau public et une nouvelle manière de vulgariser l’histoire. Mais fermons la parenthèse.
Le Gaston en question est le père de l’auteur, un témoin jeune à l’époque des fais – il avait 7 ans en juin 1944 – mais à la mémoire intacte. Si intacte que, grâce à Gaston, l’auteur dévoile par exemple un discours du Général de Gaulle à Bayeux en juin 1945 (en plus de ceux de 1944 et de 1946) que l’Histoire avait oublié. "L’histoire vue par le bas, comme disent les historiens, ne correspond donc qu’imparfaitement à l’histoire vue d’en haut" écrit en avant-propos Olivier Wieviorka, de l’ENS Paris-Saclay, comme pour faire écho à cet "oubli".
Ce qui intéresse Benoit Vidal est l’histoire vue par les gens ordinaires : ces témoins, résistants ou non, découvrant le débarquement un petit matin de juin. Ce sont ces Normands apeurés par les bombardements alliés, hésitant à quitter leur domicile comme le confie Joséphine, la grand-mère maternelle de l’auteur. Son témoignage recueilli par Benoît Vidal est riche de ces petits faits ignorés par la grande histoire et pourtant poignants et mémorables : ce soldat anglais capturé par les Allemands, les jeunes filles s’improvisant infirmières de campagne ou encore cet homme enseveli suite à un bombardement et sauvant son bébé.
Le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu
Olivier Wieviorka dit encore ceci : "Le livre de Benoit Vidal (…) ne retrace ni la bataille de Normandie ni les hauts faits des guerriers alliés. Il se propose de présenter le débarquement et ses suites à hauteur d’homme, tels que les événements ont été vécus par des Français moyens — sa famille en l’occurrence."
Les témoignages de Gaston, que son fils a enregistré en dépit du caractère pudique du vieil homme de 80 ans, viennent apporter la saveur du regard d’un enfant de sept ans. Un gosse traumatisé par la guerre ? Non, bien au contraire. En dépit de la prudence exigé par ses parents pour éviter les dénonciations (l’auteur s’arrête sur le cas épouvantable et inhumain d’un médecin dénoncé par une jeune femme, maîtresse d'un militaire allemand), le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu ("À l’époque on n’avait pas peur. On laissait faire les enfants d’une façon incroyable !… On était très libres").
Le témoignage déborde de son cadre lorsque Benoit Vidal fait entrer dans ce récit centré sur le 6 juin 44 l’intime, les souvenirs familiaux, au point d’évoquer des secrets de famille. Dans les derniers chapitres, Gaston en Normandie s’apparente à un face-à-face émouvant entre un père et son fils, comme le dit l’auteur : "Mais je prends conscience dans le même temps que la quête qui me pousse à collecter la mémoire familiale est motivée par la volonté de combler un manque de communication". Cette rencontre entre un père et son fils est l'une des très belles surprises de ce roman-photo pas tout à fait comme les autres.
S’attaquer à un morceau comme ce Churchill d’Andrew Roberts (éd. Perrin) demande une sacrée ténacité : plus de 1 300 pages en comptant l’index et une biographie. Il faut cependant bien cela pour saisir la vie d’une des figures majeures du XXe siècle, celui qui a largement permis la victoire des Alliés pendant la seconde guerre mondiale tout autant qu’il a fait entrer l’Angleterre dans la modernité.
Un homme exceptionnel, donc, dont on peut dire qu’il a un pied dans le XIXe siècle post-victorien et l’autre dans le XXe siècle post-colonial. Il faut citer pour la traduction française Antoine Capet pour son remarquable travail, permettant au lecteur français de découvrir ou redécouvrir "le vieux lion".
Connaît-on réellement Churchill ? Andrew Roberts a une étonnante réponse en toute fin de l’ouvrage, lorsqu’il parle de la jeune génération : "Dans un sondage de 2008 auprès de 3 000 adolescents britanniques, pas moins de 20 % d’entre eux pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction…" Hormis le fait que cela remet en question les programmes scolaires anglais où Churchill a été presque totalement éliminé, apprend-on, cela reste cependant un "hommage" singulier pour le premier ministre britannique, comme si sa destinée était trop invraisemblable pour avoir été réelle.
La biographie d’Andrew Roberts est constituée de deux parties : "La préparation" et "L’épreuve". Les jeunes années de Churchill, ce fils de l’aristocratie anglaise ayant fait ses armes sous les drapeaux, semblent être, comme l’a dit lui même l’intéressé, une période de formation avant l’épreuve de la seconde guerre mondiale. Le lecteur a peine à imaginer le futur premier ministre rondouillard de l’Empire Britannique en soldat aguerri : "À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon", raconte un portrait de l’époque.
Courageux jusqu’à la témérité, Churchill devient aussi un homme de lettres autant qu’un tribun, laissant une œuvre aussi impressionnante que l’homme lui-même, récompensée par ailleurs d’un Prix Nobel de Littérature.
Impérialiste libéral, Churchill se lance dans la politique à l’âge de 26 ans. C'est le début d’une carrière impressionnante, non sans soubresauts et traversées du désert qu’Andrew Roberts détaille avec patience. L’homme monte les échelons : sous-secrétaire d'État aux Colonies, ministre de l'Intérieur puis Premier Lord de l'Amirauté, une nomination qui le rendra le plus heureux comme jamais, comme en témoignera plus tard son amie Violet Asquith.
C’est sous son mandat que commence la première guerre mondiale. Il est déjà aux avant-postes de la Grande Histoire. C’est aussi et surtout une période d’apprentissage, avec des victoires (la création du MI5 et du MI6) mais aussi des erreurs (l’opération des Dardanelles en 1915, qui le marquera toute sa vie), erreurs qui lui seront profitables des années plus tard.
Le lecteur qui croit au destin historique, pourra s’appuyer sur cette éloquente citation de l’intéressé au moment où il accède au poste de premier ministre en mai 1940 : "J’avais l’impression d’être guidé par la main du destin, comme si toute mon existence préalable n’avait été qu’une préparation en vue de cette heure et de cette épreuve…"
"À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon"
Cette épreuve, c’est bien évidemment la seconde guerre mondiale. L’armée d’Hitler conquiert l’Europe et l’Angleterre est à deux doigts de sombrer comme la France, piteux vaincu après quelques semaines d’une bataille peu glorieuse. Churchill va se servir de son expérience pour convaincre son peuple que la défaite n’est pas inéluctable, en dépit des bombardements nazies sur Londres. "Âgé de 65 ans, il était magnifiquement préparé (…) pour les épreuves qui l’attendaient".
Ces cinq années éprouvantes, il les affronte avec un courage frôlant la témérité, lui qui n’hésite pas à parcourir le monde en avion ou en bateau en dépit des dangers. La Bataille d’Angleterre fait l’objet de longues pages, et l’auteur ne tait pas les combats politiques, rythmés par les discours légendaires du prime minister, tout au long de ces 5 années de guerre, développées sur environ 400 pages, avec minutie et grâce à une documentation impressionnante.
Andrew Roberts rappelle que les États-Unis sont aux abonnés absents au début du conflit et qu’il a fallu toute la pugnacité de Churchill pour convaincre Roosevelt d’entrer en guerre, chose faite après Pearl Harbour en décembre 1941. L’essayiste souligne l’importance capitale de la Bataille de Dunkerque en mai 1940 avec l’Opération Dynamo qui a eu une importance capitale dans la résistance anglaise en ce qu’elle a permis de préserver la marine britannique. Le Blitz et la Bataille d’Angleterre constituent deux chapitres pour ce tournant décisif. Ce que le lecteur découvrira sans doute c’est la saignée dans les forces aériennes anglaises lors de la Bataille d’Angleterre ("en tout, depuis le 10 mai, la RAF avait perdu 1 067 appareils et 1 127 aviateurs"). Cela rend la résistance menée par Churchill tout à fait remarquable ("Nous sommes résolus à poursuivre le combat encore et toujours"), d’autant que le premier ministre lui-même a plusieurs fois risqué sa vie au milieu des bombardements, en raison de sa proverbiale témérité, même si des observateurs ont trouvé qu’il s’était malgré tout "assagi". L’auteur nous apprend que pendant ces 1 900 jours de guerre, il a parcouru 180 000 kilomètres en bateau, en train et en avion.
Avec un luxe de détails, le biographe suit Churchill du 10 Downing Street au Canada en passant par Washington ou Téhéran, le chef de guerre se révélant un diplomate parfois dupé par un Staline lors de tractations narrées avec précision et un grand sens de la théâtralité, comme on le découvre lors d’une série de rencontres à Moscou.
Andrew Roberts parle du tournant qu’a été 1942, année décisive au cours de laquelle le monde a été sur une ligne de crête, entre victoire annoncée et défaite inéluctable. Du point de vue intérieur, Churchill est critiqué ("le plus grand marchand de défaites de l’histoire anglaise" est-il dit de lui). En dépit de cela, le peuple le suit, comme le montrent des sondages de l'époque. Le débarquement en Normandie, imaginé dès le début du conflit mondial, est finalement brièvement évoqué, en dépit de son importance stratégique considérable.
"Victoire et défaite" : tel est le titre du chapitre consacré à la période de janvier à juillet 1945. S’il est vrai que le triomphe de Churchill est l’anéantissement de l’armée nazie, pour autant le premier ministre se voit débarqué après la perte des élections par les conservateurs à l’été 1945.
Les derniers chapitres de ce Churchill sont consacrés aux années d’opposition, à des discours importants consacrés à la Guerre Froide naissante, aux colonies britanniques et à l’Europe. Puis, advient le retour au pouvoir de Churchill de 1951 à 1955, dans une période que l’auteur juge plus crépusculaire.
On ressort de la lecture du livre d'Andrew Roberts éclairés par un des plus grands hommes de l’histoire britannique et sans doute du XXe siècle. Sans doute la meilleure conclusion à apporter à ce Churchill reste le portrait "multiple" qu’en a fait un autre biographe : "Homme politique, sportif, artiste, orateur, historien, parlementaire, journaliste, essayiste, joueur de casino, soldat, correspondant de guerre, aventurier, patriote, internationaliste, rêveur, pragmatique, stratège, sioniste, impérialiste, monarchiste, démocrate, égocentrique, hédoniste, romantique".
S’arrêter au bord d’un torrent, grimper une colline, déambuler entre les allées d’un jardin familial, se perdre dans des forêts, ramasser des branches mortes ou gambader sous des chênes : Sophie Loizeau fait de la nature le fil conducteur de son recueil Les Épines rouges (éd. Le Castor astral). Cette nature est vécue à hauteur d’homme – et de femme.
Le parti pris de l’auteure est de faire de ces textes un hommage à des plantes mal-aimées, "maltraités") et parfois menaçantes, dans un livre où la sensualité affleure à tout moment : "À Célesteville Virginia et moi sommes sur la plage / je la regarde délasser ses bottines / remonter sa robe s’avancer vers l’océan". Sophie Loizeau insuffle une singulière modernité dans ces textes où elle parle de déambulation en pleine nature : "Je cherche le silence mystique dans les forêts sans Freddy Krueger".
L’auteure tire de ses souvenirs, dans la maison familiale d’Arnouville dans les Yvelines, une poésie essentielle, lorsqu’elle parle par exemple d’elle "toute rayonnante encore d’orgasmes" après avoir fait l’amour. Le jardin et la nature sont indissociables de la vie intime et familiale, avec l'évocation du père mourant, de la mère en mules ou de la grand-mère Eugénie. Il y a aussi cette sœur évoquée à plusieurs reprises : "En fait je ne me pardonne pas / sœur nantie d’avoir / vécu au contraire dans une bien / heureuse innocence / l’innocence crasse des animaux comme moi : c’est que j’ai pu être totalement dénuée de culpabilité".
Sophie Loizeau part des ronces, les plantes les plus méprisés sans doute, pour construire une série de chants plongeant tout entiers dans une nature à la fois simple, proche et exigeante. "Qu’est-ce de dire je suis / l’égale de l’arbre (saule pin noyer) à cette seconde / féconde que je suis/ solidaire / et pas supérieure / à part lire & écrire".
Va-et-vient entre la nature et l’amour
La poétesse fait des va-et-vient incessants entre observations de plantes ("Je suis Rubus fruti / cosus épineux des Rosacées je produis le / mûron") et textes où l’auteure se met en scène : "Au dictaphone ai-je fait j’étais sans stylo au bord de la rivière à voix basse de peur qu’on me lève".
Le cœur des Épines rouges bat à chaque page, entre souvenirs d’enfance ("Ma sœur m’accuse de l’avoir jetée petite aux orties – aux ronces"), propos sur la mort ("Seule voilà ce qu’à moi sa mort m’a fait / il n’y a pas d’autre rupture que celle-là"), le sexe et l’amour ("On donne à entendre que la « petite graine » du mâle chez l’humain est l’étincelle / un échange de cellules sexuelles de part et d’autre").
Un passage illustre ce va-et-vient entre la nature et l’amour : "Je me fais belle car je sais que JF sera là (peut-être) et qu’il aime que je sois en jupe / il y a trente ans le cerisier tout de suite à droite du jardin quand on arrive n’offrait rien avant août / ses cerises blanches étaient des olives en attente de chaleur jaunes d’or – pâles elles sont un peu amères / à la mi-juin on les croque". Le regret et l’amertume affleurent à chaque page comme l’écrit l’auteure : "Est-ce que je mourrai plus douloureusement / d’être poète à la vue des cercueils / j’aurais dû me consacrer à lire à ma mère / tout le temps de sa mort".
Outre un singulier calligramme, il y a des descriptions poétique rarement écrites sur nos amies les plantes, des plantes incarnant la puissance des femmes : "La Gynescrie mi-femme mi ronce / ses dents vibrionnent dans sa bouche / – ce qui altère son langage / et ses baisers plusieurs autres forment / en petit des chaînes / de pics ou Femme de la lune (woman in the moon)". L’art est omniprésent dans un recueil qui s’interroge sur la représentation de la femme : "Redon la beauté de vos sarments fleuris d’un rouge mimosas qui pourrait bien être des flocons de viande crue".
L’auteure complète ce recueil par un bestiaire "par ordre d’apparition", qu’elle a vu, raconté ou simplement rêvé mais aussi une palette chromatique, établie comme pour faire une nomenclature technique – et poétique. La deuxième partie, Feue, la nature fait place à l’élément du feu, avec toujours ces souvenirs d’enfance, la campagne, la nature et des émois remontant à la surface.
Mes cahiers de Malte forme la troisième partie du livre, avec ces textes écrits en 2020, tel un journal en friche : "Mon jardin périclite / il meurt d’une mort qui excède mon amour / qui l’impatiente". Sophie Loizeau ne manque pas de faire référence à l’incendie de Notre-Dame et à sa restauration : "Abattage des mille chênes suite à l’élection des huit pour refaire la forêt de Notre-Dame et partie de la flèche selon le plan de Viollet à l’identique ces cons – je vote pour une qui soit comme à Reims en béton".
Il n’est pas rare d’entendre, surtout dans le milieu professoral : "Il faudrait que je note tout ce que j’ai pu entendre pour en faire un livre". Finalement, bien peu ont mis cette idée en application, contrairement à Patrice Romain, ex-prof et ex-proviseur, qui signe avec Collégiens Casse-couilles (éd. de L’Opportun) un florilège de propos entendus durant sa carrière. L’auteur, qui avait déjà épinglé les Inspecteurs de l’Éducation Nationale (Inspecteurs Casse-couilles) présente ainsi ce recueil : "Deux sortes de collégiens atterrissaient dans mon antre éditorial : 1. les collégiens volontaires et déterminés qui s’exprimaient spontanément. 2. Ceux qui s’étaient fait prendre par la patrouille et qui, accompagnés par un assistant d’éducation, subissaient mon ire moralisatrice."
Les témoignages de ces charmants – ou moins charmants – bambins sont à prendre comme des instantanés, sans commentaires, proposant une image en creux de notre jeunesse et, plus largement de la société.
Il y a d’abord ces propos naïfs et crédules ("On a volé mon doudou pendant la récré !") qui peuvent aussi bien concerner les problèmes de discipline en classe, les altercations pendant les récrés ou encore les confidences sur la vie privée et familiale. "Ma mère, elle a accouché de moi, et ensuite, je ne l’ai plus intéressée", confie par exemple la petite Sylvaine. Une autre lance un appel à l’aide : "Monsieur ! Il faut que vous m’aidiez ! Mon père m’a fiancé !"
"Ma mère, elle est partie faire la gogo danseuse dans le bar à putes du père d’un de ses élèves"
En creux, Patrice Romain propose une série d’instantanées couvrant plusieurs décennies. Le lecteur pourra ainsi trouver des traces des années 90 (Britney Spears) à l’Internet (Wikipédia), en passant par les années 80 et le Covid ("Monsieur, si on ne fait pas nos devoirs pendant le confinement, comment ils vont faire, les profs, pour nous coller ?").
Il y a autant du bon sens dans ces confidences que des aveux cash sur tel ou tel prof, sur la sexualité et les hormones qui titillent et plus généralement sur les relations entre collégiens ou entre adultes et enfants. Et évidemment, les incompréhensions sont légion : "On dirait que vous avez fait exprès de mettre tous les canons en 3B ! Et moi, évidemment, je suis pas dans cette classe !" se plaint par exemple le déjà ado Gustave.
Moins drôle, on imagine l’impuissance du proviseur à l’écoute de cet autre aveu d’un élève de quatrième, surpris avec son téléphone en classe : "Je lisais mes messages pour voir s’il y en avait un de ma mère. Elle est à l’hôpital en phase terminale. Elle va mourir…"
Le proviseur est en première ligne lorsqu’il est témoin du désœuvrement de certains enfants, que ce soit un divorce compliqué, la misère sociale, la violence domestique, la maladie, la délinquance ou les différences culturelles.
Le bon sens de ces gamins n’est jamais aussi présent que lorsque les professeurs ou le proviseur lui-même sont évoqués par les élèves : "Elle est prof de sport, mais ça m’étonnerait qu’elle en fasse du sport !" confie par exemple la petite Kenza, en colère. Et on peut imaginer le proviseur rester pantois à l’écouter de cette confidence à peine croyable : "Ma mère, elle est partie faire la gogo danseuse dans le bar à putes du père d’un de ses élèves."
Navigatrices, pilotes de courses, peintres, écrivaines, scientifiques, cinéastes, philosophes, ministres et même présidentes de Républiques : ces femmes brillantes et souvent oubliées sont au cœur de l’ouvrage de Benjamin Valliet, 366 Dates pour célébrer les Femmes (éd. Favre). Le choix de l’almanach sert de cadre à ce projet éditorial exemplaire et qui apporte sa pierre au combat féministe.
En préface de l’ouvrage, Louise Ebel présente ainsi ce travail : "Benjamin Valliet, qui s’est penché sur ces dates clés que les manuels continuent de dédaigner, et sur les destins inspirants qui leur sont associés. En attendant que ces exemples soient un jour enseignés à l’école".
366 Dates pour célébrer les Femmes se présente comme un almanach traditionnel, découpé en mois. Le calendrier énumère, du 1er janvier au 31 décembre, les grandes et les petites dates autour de l’histoire des femmes, du féminisme et de l’émancipation de l'autre moitié de l’humanité.
Le livre aborde la plupart des domaines publics où les femmes se sont engagées, voire imposées : les médias (la journaliste belge Janine Lambotte), les arts et la culture (Marguerite Duras, Frida Kahlo ou Elsa Triolet, la première lauréate du Goncourt en 1945), l’économie (la businesswoman Ruth Handler, la créatrice de l’emblématique – et a priori peu féministe – poupée Barbie), le sport (Nadia Comaneci ou la nageuse australienne Fanny Durack), la technologie et les sciences (Irène Joliot-Curie ou l’astronome Edmée Chandon), la politique (Samia Suluhu Hassan, la présidente de la République unie de Tanzanie) et les grandes découvertes (Alexandra David-Néel).
Le lecteur pourra y trouver les dates de naissance et de décès de grandes figures féminines. Citons les naissances de la résistante allemande Sophie Magdalena Scholl (le 9 mai 1921), de la politique et ancienne candidate à la Présidentielle française Christiane Taubira (le 2 février 1952) ou encore de Sarah Bernhardt le 22 octobre 1844 . Côté décès, l’auteur cite celui de Louise Weber, dite La Goulue (29 janvier 1929), celui de la Suissesse Kitty Ponse, scientifique, pionnière de la génétique et de l’endocrinologie (10 février 1982) ou de la navigatrice Florence Arthaud (9 mars 2015).
"Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"
La plupart des dates couvrent le XXe et XXIe siècle. Cependant, l’almanach peut remonter plus loin, preuve que le féminisme est un mouvement qui vient de loin : ainsi le 13 mars 1774 voit la naissance de la femme d’affaire américaine, née de parents esclaves, Rose Fortune. Bien avant, le 14 avril 1663, Catherine Duchemin, artiste peintre française, est la première femme admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 7 mai 1748 voit la naissance de Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, quelques années avant celle de Jane Austen (le 16 décembre 1775).
Benjamin Viallet fait aussi une place aux "Milléniums", avec la naissance de Billie Eilish le 18 décembre 2001 et celle de Greta Thunberg le 3 janvier 2003.
L’ouvrage, bien entendu, n’oublie pas le militantisme et les grandes avancées du féminisme : le droit de vote aux citoyennes françaises le 29 avril 1945, le manifeste des 343 le 5 avril 1971, le discours de Simone Veil pour l’IVG le 26 novembre 1974, avant la promulgation de la loi dépénalisant l’avortement le 7 janvier 1975.
Des événements moins connus mais essentiels sont abordés. Ainsi, en 1930, Jane Evrard (1893 – 1984) décide de fonder elle-même son orchestre, "l’orchestre féminin de Paris". Elle devient la première femme cheffe d’orchestre professionnelle en France.Le 8 avril 1908, Madame Decourcelles obtient l’autorisation de conduire ses premiers clients en qualité de "chaufferesse", autrement dit de conductrice de taxi. Plus près de nous, le 28 février 2019, l’Académie française se prononce en faveur d’une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades, alors qu’aux États-Unis, le 7 février 2021, Sarah Thomas devient la première femme à arbitrer le Superbowl.
Des biographies de femmes, modèles ou militantes, ponctuent l’almanach. Outre des citations mises en exergue tout au long du livre ("Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"), l’auteur décide de mettre en avant des figures souvent peu connues, que ce soit Kate Warne, la première femme détective aux États-Unis, la cinéaste Alice Guy ou les sportives Violette Morris et Suzanne Lenglen.
Au final, Louise Ebel commente ainsi le projet de Benjamin Valliet : "La mise en lumière des destins de femmes à travers l’histoire n’est pas seulement notre affaire, c’est une affaire universelle". L’auteur ose un clin d’œil personnel inattendu avec une mention du 25 décembre 1949, la date de "naissance de Christiane Valliet, ma mère, une femme formidable", écrit son fils et auteur de cet Almanach peu commun.
Un an après sa biographie sur Simone Veil, c’est sur une autre femme que s’est penchée Amandine Deslandes : Diana, que la postérité à surnommé Lady Di (Diana, éd. City). Celle qui fut princesse de Galles, mariée à Charles, héritier du trône britannique, a connu une célébrité aussi brève que flamboyante. Son décès tragique le 31 août 1997 à Paris, suite à un dramatique accident de la route, a été aussi surmédiatisé que sa vie d’altesse royale et de people.
Une abondante littérature est revenue sur l’existence de Diana. La biographie d’Amandine Deslandes déroule avec limpidité l’histoire de cette jeune femme morte à l’âge de 36 ans et qui a bousculé, comme personne avant elle, les traditions pour le moins sclérosées de la couronne britannique.
L’histoire débute pour elle comme un conte de fée : Diana Spencer est issue d’une double lignée aristocratique, avec des ascendances "impressionnantes" (avec notamment "un lien d’alliance avec Churchill", tout de même). Son histoire familiale est cependant déchirée par le divorce de ses parents. Ce scandale pour l’aristocratie britannique ne va pas pour autant empêcher son union avec le Prince désigné de la couronne : Charles de Windsor, le Prince de Galles.
À l’âge de 17 ans, Diana rencontre le fils d’Elisabeth II lors d’une partie de chasse. Celui dont la réputation de coureur de jupons n’est plus à faire jette son dévolu sur cette fille simple, "fleur bleue" et timide qui lui a tapé dans l’œil : "Elle était belle, joyeuse, amusante et pleine de vie". Le hic c’est qu’une autre femme est déjà au cœur de l’existence du Prince Charles : Camilla Parker Bowles.
Le couple Charles-Camilla aurait mérité à lui seul un chapitre entier, tant leur relation est à la fois passionnée, complexe et romanesque. La maîtresse de Charles est omniprésent dans la vie de Diana ("l’ombre au tableau"), y compris le jour de son mariage, un événement médiatisé comme jamais avant lui : le faste et la pompe royale côtoient la modernité d’une retransmission télé et d’un merchandising qui prend des proportions inédites.
Le "mariage du siècle", en juillet 1981, est le réel point de départ d’une Dianamania : le public qui se reconnaît dans la nouvelle princesse ("[Les Anglaises] veulent toutes lui ressembler") et la presse populaire sont fascinées par cette jeune femme aux cheveux bonds et courts qui va vite devenir une égérie de la mode et une people incontournable. Une nouveauté pour l’époque, qui ne va pas être sans conséquence sur sa propre existence. "Diana est devenue le membre le plus populaire de la famille royale", ce qui n’est pas sans provoquer jalousies et désapprobations, y compris chez la reine, pourtant attachée à sa belle-fille.
Amandine Deslandes consacre de longues pages aux projets humanitaires de la princesse de Galles
L’auteure revient longuement sur les aspects de sa vie privée : les relations avec le Prince Charles qui font alterner froideur, dédain, incompréhension et franche haine, y compris lors des voyages officiels. La personnalité de Lady Di peut être vilipendée ("La princesse serait capricieuse, tatillonne et difficile à vivre"), le public voue une admiration sans borne à "la prisonnière de Galles".
Les aventures et les amants de Lady Di ne sont pas oubliées (un de ses amants parle à ce sujet de "baise de protestation"). La famille princière, agrandie très vite de deux fils, William et Henry, se déchire, jusqu’à rendre public leurs affaires privées : c’est le Camillagate en 1992 puis l’interview choc de Lady Di en 1995, qui a fait scandale 25 ans plus tard en raison des méthodes douteuses du journaliste Martin Bashir.
Amandine Deslandes consacre de longues pages aux projets humanitaires de la princesse de Galles : luttes contre la pauvreté, sensibilisation au problème du Sida, mines anti-personnels. Finalement, c’est dans ce domaine que l’action de Diana a été la plus déterminante, quitte à faire de cette aristocrate anglaise une madone qui a bousculé les comportements (notamment lorsqu’elle "a touché un malade du Sida") et qui a fasciné autant qu’elle a permis de drainé des centaines de millions de dollars en faveur des plus pauvres et des plus faibles.
Avec le divorce de Diana, négocié pied à pied avec la famille royale, l’existence de celle qui ne voulait et qui ne sera pas reine prend un nouveau virage, jusqu’à l’accident du Pont de l’Alma.
Amandine Deslandes consacre un dernier chapitre sur les suites de son décès. Elle pointe du doigt la mainmise des Spencer sur sa mémoire ("Nul ne saura jamais où la princesse repose") autant que les influences de Diana sur la couronne britannique, à commencer par ces fils qui ont été les premiers marqués par leur mère, disparue trop tôt.
Nul doute que cette biographie tombe à point nommé, alors que nous fêteront en août prochain les 25 ans de sa mort.
Si le terme de dandy s’applique à quelqu’un, c’est bien à Luc Loiseaux. Son univers est fortement influencé par les artistes de la fin du XIXe siècle, que ce soit Baudelaire, Verlaine, Edgar Allan Poe ou encore Oscar Wilde. De cet intérêt pour la décadence fin de siècle, Luc Loiseaux en a fait le leitmotiv de son recueil où la mort rôde, insidieuse et parée souvent des plus beaux atours.
"Les naufragés", la nouvelle qui ouvre le récit est une déambulation dans une ville dont le lecteur ne sait rien. Le narrateur décrit avec talent cette "nuit lamentable" où il traîne comme une âme en peine "de bars « canaille » en cabarets borgnes". Il y parle des hères croisés au gré des rencontres, "de pauvres égarés", "spectres du passé" et autres "anciennes gloires". Ce premier texte bref à la sombre mélancolie ouvre un recueil où ce sont des fantômes, des êtres inquiétants, voire la mort elle-même, qui intéressent l’auteur.
La nouvelle qui donne son nom au livre donne la parole à Isis, quelques heures après un assassinat d’autant plus pervers qu’il a été imaginé par elle et sa victime comme un jeu sous forme d, le double suicide raté... Isis se félicite d’avoir joué ce sale tour à la personne qu’elle a à la fois le plus aimée ("Tu es mort de m’avoir trop aimée") et le plus haïe ("Je n’aurais jamais osé te dire combien j’avais envie de rire"). Contre toute attente l’éternelle victime a ainsi pris sa revanche, comme le dit avec ironie : "C’est une femme, une faible femme, elle ne me tuera pas. Quand donc cesserons-nous ces enfantillages ?" C’est non sans délectation, ni surprise, que le lecteur découvre cette histoire familiale de vengeance, dans laquelle l’influence d’Oscar Wilde est bien présente.
La décadence comme un des beaux-arts
Un autre auteur imprime sa marque dans l’ouvrage de Luc Loiseaux : Edgar Allan Poe. A l'instar de l'auteur américain, avec "Le chat pétrifié", nous voilà cette fois dans un univers fantastique fait de mystères, de magies, de sorciers d’un autre âge, de phénomènes inexpliqués et de sorts funestes. "Le double" pourrait lui aussi sortir d’un recueil des Histoires extraordinaires.
La mort est plus que présente dans Le Poison et autres nouvelles : elle est personnifiée et se joue du rationnel et de l’évidence. Ainsi, dans "Ange", lorsque Claire voit Paul, son amour éconduit tambouriner à la porte de sa chambre, elle ne peut soupçonner que c’est un étrange voisin qui va donner une issue à une relation pour le moins compliquée. Dans "Julia", c’est dans un cimetière que le narrateur, un certain Honoré Moustache, romancier de son état, va chercher à la fois l’inspiration mais aussi l’amour.
La nouvelle qui vient clore le recueil, "À trois sur la banquette arrière" – dont on peut saluer le titre – fait le choix plutôt rare de personnifier la grande faucheuse, à travers l’enquête menée par une journaliste aussi curieuse que naïve. Mal lui en prend : "Quand à toi ma belle Isabelle, j’avais très envie de te faire connaître les mystères, tous les mystères assurément, jusqu’à celui de la mort !"
Pour illustrer son livre mêlant finesse d’écriture, romantisme noir et efficacité, Luc Loiseaux a fait le choix d'ajouter des calligrammes de sa composition. Ce sont autant de ponctuations visuelles et poétiques qu’Apollinaire n’aurait pas reniées.
L’auteur ne fait pas mystère que le noir lui va très bien. En donnant à la mort le premier rôle dans ses nouvelles, il entend bien montrer que la décadence peut être un des beaux-arts.