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Livres et littérature - Page 41

  • Borges magyar

    S’il est fait référence à Jorge Luis Borges dans cette chronique sur Le chef-d’œuvre Károly Agócs (éd. Vérone) c’est que, comme l’auteur argentin de Fictions, l’écrivain magyar a opté pour des nouvelles fantastiques, souvent très courtes même, pour des histoires où le fantastique côtoie le réalisme, dans des contes moraux et philosophiques.

    Károly Agócs a traduit lui-même ce livre paru en Hongrie en 2016 (A fekete kristálygömb – La boule de cristal noire, éd. Duna Könyvklub). L’éditeur français présente Le chef-d’œuvre comme un recueil de seize paraboles et quarante-quatre miniatures. Pour être plus exact, il faudrait parler de soixante nouvelles et micro-nouvelles de quelques lignes (Épreuves sélectives, En Route, Pénitence, Un Crime parfait, Consolation, Enfant prématuré) à huit pages (Le Labyrinthe fantôme, Le chef-d’œuvre).

    Károly Agócs propose des récits résolument anti-modernes en ce qu’ils semblent avoir été écrits pour un lecteur du XIXe siècle ou du XXe siècle, voire des siècles précédents. Pas de technologies, de personnages incarnés au sein de notre époque ou de réflexions sur le monde contemporain : l’auteur magyar fait intervenir des diable (Le Chantre du Diable), des mages venus de nulle part (Vanité), des artefacts (Le Charbonnier) ou des destins hors-normes (Le chef d’œuvre).

    Károly Agócs se fait auteur moral dans ses paraboles et ses miniatures, des dénominations qui renvoient respectivement à la tradition du Nouveau testament et à l’iconographie religieuse. La vanité, le destin illisible (Le Voyageur), la culpabilité (Captivité, La Pénitence), la puissance des rêves (Ève), l’amour introuvable (Bal masqué) ou la mort sublimée (Un crime parfait) : l’auteur hongrois fait de ses récits des constructions symboliques transmettant autant de messages universels.

    La nature, la religion et la magie sont omniprésents dans ce recueil à l’écriture précise, et dont la traduction est d’autant plus fidèle aux textes originaux qu’elle a été faite par l’auteur lui-même. Le lecteur s’arrêtera particulièrement sur la nouvelle qui donne son titre au livre et qui raconte l’histoire croisée de deux écrivains que tout oppose. Károly Agócs adresse également des coups d’œil appuyés à l’écrivain argentin dans plusieurs nouvelles, dont Le Labyrinthe fantôme et les deux hommages à Luis Borges. Logique.

    Károly Agócs, Le chef-d’œuvre, éd. Vérone, 2019, 132 p.
    https://www.editions-verone.com/auteur/karoly-agocs/le-chef-d-oeuvre

    Voir aussi : "Courts mais bons"

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  • Elles causent des femmes

    C’est de deux livres dont il sera question ici : deux livres bien différents, écrits à trois ans d’intervalle mais qui parlent chacun à leur manière de la cause des femmes. Le premier, le témoignage de Vanessa Springora, Le Consentement (éd. Grasset), a fait la une de l’actualité en mettant sous le feu des projecteurs un récit de détournement de mineure et de pédophilie, habillé au départ sous les beaux atours d’une romance improbable entre un écrivain reconnu et une adolescente de plus de trente ans sa cadette. Le second ouvrage, un témoignage lui aussi, est celui d’Adeline Fleury. Femme absolument (éd. JC Lattès). Écrit en 2017, quelques mois avant le raz de marée de l’Affaire Weinstein – une autre sordide affaire de mœurs – il est certes moins spectaculaire que le best-seller de Vanessa Springora, mais il parvient cependant à apporter sa contribution à un féminisme assumé mais apaisé.

    Ce dont Vanessa Springora parle est une plongée sordide au cœur d’un secret de polichinelle. Le Consentement met en accusation les mœurs d’un autre auteur, Gabriel Mazzneff, dont les goûts pour les jeunes adolescents ont toujours été revendiquées par lui-même. D’ailleurs, au moment de son récit, Vanessa Springora est jeune. Très jeune même. Tout juste adolescente, elle ne connaît de l’amour que quelques flirts. G. (c’est cette initiale qui sera utilisée tout au long de son livre) a, à l’époque 50 ans, et jette son dévolu sur celle qui n’est au départ que la fille d’une connaissance. Il convient de préciser que si l’auteure est impitoyable pour cet ancien amant de trente-cinq ans son aîné, elle se montre aussi implacable pour sa mère. Celle-ci, non content de lui donner sa bénédiction à cette relation improbable (elle-même semble regretter de ne pas avoir été "choisie" par cet écrivain réputé dans le petit milieu littéraire),va en plus marquer son étonnement au moment où la jeune fille rompt finalement avec celui qu’elle considère comme un "vampire" : "Le pauvre, tu es sûre ? Il t’adore !"

    Sur les quelques mois d’une relation sulfureuse, Vanessa Springora ne cache rien : ni ses émois amoureux, ni sa fascination pour cet homme brillant, ni le choc de la première fois, ni la manière dont ce couple a vécu, ni les conséquences sur la santé qu’a eu cette relation, ni la découverte des secrets d’un homme qui ne dédaignait pas se rendre en Thaïlande pour avoir des relations sexuelles avec de jeunes garçons. Leur rupture ne sera pas simple non plus : en faisant le choix professionnel de travailler dans une maison d’édition, d’abord comme stagiaire, V. se place en position de croiser G.

    Le lecteur sort secoué de ce témoignage qui est aussi une violente diatribe contre l’impunité d’un écrivain qui n’a jamais caché son attirance pour les mineurs, filles ou garçons :"En dehors des artistes, il n’y a guère que chez les prêtres qu’on ait assisté à une telle impunité. La littérature excuse-t-elle tout ?" Mais plus largement, le récit de celle qui utilise des abréviations (Vanessa S., G.) ou de simples prénoms (Emil pour Emil Cioran), s’en prend aussi à la société toute entière et à une époque pas si lointaine : "Pourquoi tous ces intellectuels de gauche ont-ils défendu avec tant d'ardeur des positions qui semblent aujourd'hui si choquantes ? Notamment l'assouplissement du code pénal concernant les relations sexuelles entre adultes et mineures, ainsi que l'abolition de la majorité sexuelle ? C'est que dans les années soixante-dix, au nom de la libération des mœurs et de la révolution sexuelle, on se doit de défendre la libre jouissance de tous les corps."

    "Nous ne sommes pas là pour vous émasculer"

    Dans Femme absolument, Adeline Fleury, de la même génération que Vanessa Springora, délivre, de son côté, autant un récit personnel qu’un essai féministe, dans lequel sa propre existence sert de matériau vivant. Qu’est-ce qu’être femme ? Sommes-nous prédisposés à un rôle social ? Simone de Beauvoir est-elle ringarde ? Sur ces questions, et bien d’autres, Adeline Fleury apporte moins des réponses que des réflexions. "J’aime être femme avec tout ce que cela comporte de force et de fragilité, d’audace et de prise de risque, j’aime être femme avec tout ce que cela comporte de remises en question, d’échecs, de doutes, d’avancées," dit-elle dans son très beau livre qui est une ode à la féminité au coeur d'une société encore très patriarcale et où, justement, la place de la femme est insuffisamment reconnue. Alternant souvenirs personnels (notamment sur le viol dont elle a été victime), focus sur l’actualité et réflexions sur les genres masculin et féminin, l’auteure esquisse ce qui pourrait être le féminisme au XXIe siècle, sans oublier des références à des intellectuelles, et en premier lieu Simone de Beauvoir.

    Ajoutons tout de suite que Femme absolument est sorti quelques mois avant l’éclatement de l’affaire Weinstein. Réécrit aujourd’hui, il est probable que cet essai serait être différent, bien que pas fondamentalement bouleversé. Adeline Fleury, qui se décit comme "célibatante", s’inscrit dans un féminisme de combat pour les libertés, en assumant sa propre liberté, professionnelle, privée ou sexuelle. Elle parle des hommes, souvent avec bienveillance, et aborde des faits sociaux sous l’angle féminin (le monde du travail, le prono mainstream, les scums, la maternité, le harcèlement de rue, la culture du viol ou les injonctions religieuses au sujet du voile par exemple). La coexistence et la compréhension entre hommes et femmes sont-elles possibles ? Oui, répond-elle : ce qui se joue, dit-elle en substance, est une manière de vivre avec les hommes et, non pas les affronter, mais les convaincre que le féminisme est une chance pour la société : "Amis, amoureux, amants masculins, nous ne sommes pas là pour vous émasculer, au contraire pour vous aider à sublimer plus que votre virilité, votre masculinité. C’est peut-être cela le féminisme de la quatrième génération, une sublimation de la féminité et de la masculinité conjuguée."

    BC

    Vanessa Springora, Le Consentement , éd. Grasset, 2020, 216 p.
    https://www.grasset.fr
    Adeline Fleury, Femme absolument, éd. Jean-Claude Lattès, 2017, 221 p.
    @AdelineFleury https://twitter.com/adelinefleury?lang=fr
    https://www.hachette.fr

    Voir aussi : "Deborah de Robertis l’ouvre"

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  • Schopenhauer révélé

    schopenhauer,philosophe,allemagne,goethePour qui n’est pas familier de Schopenhauer, l’essai synthétique d’Ugo Batini est parfait pour découvrir le philosophe le plus lu au XIXe siècle. L’auteur du Monde comme Volonté et comme Représentation (1819), ouvrage majeur s’il en est, s’est pourtant fait connaître sur le tard. Il a 60 ans lorsqu’une revue anglaise s’intéresse à cet "iconoclaste dans la philosophie allemande." C’est le point de départ d’une notoriété qui ne s’arrêtera plus, jusqu’à son décès sept ans plus tard en 1860. Arthur Schopenhauer, "philosophe autant qu’artiste", a laissé l’image tenace et largement galvaudée d’un intellectuel aigri, pessimiste et vouant un mépris pour les hommes (il leur préfère largement ses chiens, dit-on).

    Cette légende, Ugo Batini entend la démystifier grâce à son essai, mêlant la biographie et et l’essai de philosophie. Et l’on découvre un homme prenant chair, dans une époque troublée. Né à Dantzig l’année précédant la Révolution française, Arthur Schopenhauer vit dans une Europe abîmée par les guerres napoléoniennes. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie allemande, le jeune homme sera toute sa vie hantée par un père qu’il a toujours vénéré et une mère intellectuelle, tenant un salon réputé. Elle sera aussi la célébrité de la famille grâce à des succès éditoriaux.

    En suivant ses parents en voyage à Toulon puis à travers l’Allemagne, et en touchant au commerce et à la médecine, Arthur Schopenhauer bâtit peu à peu un système philosophique, inédit par ses influences comme par ses concepts : "[Il] développe une véritable Natur-philosophie, qui cherche à expliciter la totalité des phénomènes de la nature sans les réduire à la simple opposition de la matière et de l’esprit."

    Ugo Batini parle des influences de philosophes et de courants de pensée : Platon, le scepticisme (Gottlob Ernst Schulze) et Kant, qu’il étudie avec passion, avant d’en critiquer les idées. Schopenhauer met en jeu la question de l’intuition et de l’expérience, contre l’idéalisme sous toutes ses formes (critique, subjectif ou absolu).

    Une influence inattendue : celle du bouddhisme

    En pleine guerre napoléonienne, Arthur Schopenhauer rencontre Goethe, qui salue en lui "un homme remarque et plein d’intérêt." Ensemble, ils travaillent sur un Traité des Couleurs, en 1810, qui marque à la fois une rupture entre ces deux génies et qui constitue aussi le ferment du Monde comme Volonté et comme Représentation : "Schopenhauer a besoin pour établir son système de rapatrier les couleurs dans l’œil alors que le tempérament réaliste de Goethe ne pouvait l’empêcher de les laisser aux mains de la nature."

    Le lecteur trouvera dans cet essai biographique un chapitre passionnant sur une influence inattendue : celle du bouddhisme. Au début du XIXe siècle, les sciences orientales sont en pleine renaissance, et le philosophe allemand y trouve une puissante inspiration : "[Il] n’en retient spécifiquement que trois éléments : sa conception non-individuelle des âmes ou métempsychose (…), l’appréhension purement négative de la délivrance… [et] l’idée un peu réductrice d’une religion athée." La référence au brahmanisme est au cœur du Monde comme Volonté et comme Représentation.

    Son essai majeur est publié en 1819, ne suscitant que peu de réactions, jusqu’à la parution de cet article anglais élogieux, trente ans plus tard. Ugo Batini consacre les cent dernières pages de son essai à expliquer la portée de son système de pensée. Le lecteur est pris par la main pour découvrir les concepts développés par le philosophe : la conscience meilleure ("un négatif de la conscience empirique"), la contemplation esthétique (car Schopenhauer peut être vu autant comme un philosophe que comme un artiste), l’irréalité du monde (cette "fragilité de la représentation"), l’"intrication intime du sujet et de l’objet" et la place centrale de la volonté. Ugo Batini avance pas à pas pour nous faire saisir les concepts novateurs - et parfois complexes - de Schopenhauer. "Ainsi, le monde entier nous apparaît bien comme une représentation, mais il se trouve qu’au sein de toutes nos représentations il en existe une singulière dont nous saisissons la face cachée : le corps."

    "Quelle est la clef de l’énigme de l’essence du monde" ? Quel est le lien entre corps et volonté ? Peut-il y avoir une métaphysique de la nature ? Quid de l’art et de l’expérience esthétique ? Ce sont autant de questions qu’aborde ce Schopenhauer.

    Hugo Batini réussit à faire du philosophe non plus ce vieillard acariâtre mais un homme sachant parler de la nature, de la compassion, de l’amour et des arts. Un Schopenhauer enfin révélé.

    BC

    Ugo Batini, Schopenhauer, éd. Cerf, coll. Qui es-tu ?, 2020, 200 p.
    https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18941/schopenhauer
    https://www.schopenhauer.fr

    Voir aussi : "Dante, voyage au bout de l'enfer"

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  • La littérature aux trips

    Voici un livre exceptionnel à plus d’un titre, né des expériences de son auteur, l’Américain Tao Lin. Trip (éd. Au Diable Vauvert) est une plongée hallucinante, dans tous les sens du terme, dans les univers des drogues, psychotropes, acides et autres plantes stupéfiantes.

    L’entrée dans cet ouvrage hors-norme, comme seule la littérature américaine sait nous en proposer, en désarçonnera plus d’un. Tao Lin, propose sa vision des drogues, qu’il a consommé assez tardivement, dit-il : "J’ai commencé tard, n’ayant rien consomme d’autre que de la caféine avant mes vingt-six ans." Car Trip, ouvrage documenté sur ces produits bien plus anciens qu’on ne se l’avoue, est aussi une longue série de confessions, d’expériences et d’analyses sur les effets des drogues : que ressent-on après la prise de champignons hallucinogènes? Quelles sont les différentes étapes de ces "aliénations" ? Comment l’auteur appréhende-t-il son existence sans mais aussi avec ces drogues qu’il a essayées, de manière plus ou moins prolongée.

    La figure de Terrence McKenna, théoricien des drogues (illégales pour la plupart), ouvre et ferme Trip. La dernière partie du livre est un long épilogue de près de 90 pages (sic), sous forme de voyage initiatique auprès de Kathleen Harrison, la veuve de McKenna. Contrairement aux chapitres précédents, l’auteur s’exprime à la troisième personne pour parler d'un microcosme tourné vers les drogues mais aussi un certain art de vivre : "La nature aime que nous prenions des psychédéliques et que nous nous promenions en l’admirant," comme l’écrit la femme qui accueille l’écrivain durant l’été 2016. Occasion aussi pour l’écrivain de proposer une mise en abîme, une sorte de réflexion sur l’acte de création : "L’existence de ce livre dans le monde, en tant que source et objet de discussion, catalysera des changements dans sa vie."

    Pourquoi les psychédéliques sont-ils illégaux ?

    La figure de McKenna sert de socle à ce qui est une mise au point sur les drogues : d’où viennent-elles ? Pourquoi leur histoire est liée aux civilisations humaines ? Quelles rapport entretiennent-elles avec les religions ? Pourquoi ont-elles perdu leur importance culturelle au point d’être interdites et illégalisées ? Au passage, Tao Lin parle tour à tour du développement de l’agriculture dans le Croissant fertile il y a 10 000 ans, des civilisations sumériennes et égyptiennes, des Mazatèques (au sujet de la salvia) ou de la religion de la Déesse mise à mal par le monothéisme. L’auteur pose aussi cette question : "Pourquoi les psychédéliques sont-ils illégaux ?" Ce chapitre particulièrement savoureux raconte une expérience de Tao Lin, tiré au sort pour faire partie d’un jury chargé de statuer sur des affaires de stupéfiants. Une mission civique que l’auteur s’évertue à remplir au mieux, alors qu’il est lui-même le plus souvent sous l’emprise du cannabis.

    Voilà qui fait toute la force de Trip, ouvrage hors-norme sur les drogues : Tao Lin sait de quoi il parle. Non content de traiter de l’emprise que ces produits ont sur lui (les chapitres sur la psilocybine, la DMT, la salvia et le cannabis), il trace un tableau précis des drogues pour mieux les démystifier : "Quand j’étais enfant, le terme de « drogues » renvoyait à une seule chose indistincte, puis il s’est divisé en stimulants et calmants, avant de caractériser les MDMA, les benzodiazépines, les opiacés…" Tao Lin s’affirme comme un véritable aventurier pour "commencer à nous faire une idée du territoire" de ces produits – très souvent autorisés lorsqu’ils sont conçus, produits et vendus par les grands laboratoires pharmaceutiques (les drogues de niveau IV : Xanax, Soma, Darvon, Darvocet, Valium, Ativan, Talwin, Ambien, Tramadol) ! Pour dire les choses autrement, l'écrivain américain se révèle comme un véritable spécialiste. "L’exploration métaphysique m’apparaît comme une chose à laquelle il est possible de consacrer sa vie entière, une connaissance transmise de génération en génération comme l’ont fait les aborigènes."

    En documentant sa vie, comme il le dit, Tao Lin dit stimuler son esprit comme son corps. Voilà sans doute une des clés de cet ouvrage : la souffrance et la manière de s’en échapper grâce aux produits les plus improbables, ce qu'il confie avec une grande pudeur : "Il [l'auteur] dit que, six mois plus tôt, il a appris que les douleurs dans les hanches et dans le dos que lui cause la spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune peuvent être soulagées par le curcuma." Les drogues sont, pour l’auteur, une part importante de son existence : "Ses voyages sous DMT, ses romans, ses nouvelles et autres séquences (…) stabiliseront et complexifieront sa vie, le mèneront en des lieux où il ne serait jamais allé autrement."

    Tao Lin, Trip, Psychédéliques, Aliénation et Changement
    éd. Au Diable Vauvert, 2019, 408 p.
    Trad. Charles Recoursé

    https://audiable.com/authors/tao-lin
    https://twitter.com/tao_lin

    Voir aussi : "Charles Bukowski, affreux de la création"

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  • Le top 50 des livres en 2019

    En 2019, les 50 meilleures ventes de livres ont totalisé 11,8 millions d’exemplaires, un chiffre stable comparé aux ventes 2018 (-0,2%). Livres Hebdo et GfK révèlent le bilan complet des meilleures ventes de livres en 2019, dans l’édition de Livres Hebdo du vendredi 17 janvier.

    Le palmarès des meilleures ventes 2019 est dominé par les nouvelles aventures d’Astérix, La fille de Vercingétorix avec 1,57 millions d’exemplaires vendus. Un exploit habituel pour le petit Gaulois, les précédentes parutions s’étant déjà hissées à la première place du classement.

    Sur les 2 autres places du podium, nous retrouvons Guillaume Musso. L’édition au format poche de La jeune Fille et la Nuit s’est écoulée à 565 200 exemplaires et sa nouveauté La Vie secrète des écrivains (Calmann-Lévy) prend la 3e place avec 391 000 ex vendus.

    Tout comme en 2018, la Fiction domine largement avec 41 romans et 3 bandes dessinées dans le Top 50. Le poids du format poche reste stable avec 31 références contre 32 l’an dernier. Le palmarès est complété par des ouvrages non-fictionnels (deux titres), pratique (trois titres) et jeunesse (un titre).

    Le Gaulois le plus célèbre de la bande dessinée est de retour

    La bande dessinée est moins présente dans le top par rapport à 2018 avec seulement deux séries en plus d’Astérix. Ainsi, les deux nouvelles aventures de Blake et Mortimer se positionnent respectivement en 21e position pour La vallée des immortels, tome 2 (196 900 ex.) et en 29e position pour Le dernier pharaon (183 800 ex.). La bande dessinée n’en reste pas moins un segment très dynamique du marché en 2019.

    La littérature française est à l’honneur avec 38 titres dans les 50 meilleures ventes et un top 10 exclusivement composé d’auteurs français ou francophones. Sérotonine de Michel Houellebecq (385 000 ex.) se place en 4e position et les autrices Valérie Perrin, Laetitia Colombani, Virginie Grimaldi et Raphaëlle Giordano complètent le top 10.

    Cette année est marquée par les belles performances des prix littéraires : le lauréat du Goncourt, Tous les Hommes n’habitent pas le Monde de la même Façon de Jean-Paul Dubois, est 5e avec 367 600 exemplaires (éd. de l’Olivier) et le prix Renaudot La Panthère des Neiges de Sylvain Tesson (Gallimard) se hisse à la 7e place, avec 351 900 ventes,.

    Le Top 50 des meilleures ventes de livres 2019 totalise 11,8 millions d’ouvrages écoulés, stable comparé aux ventes 2018 (-0,2%) soit un chiffre d’affaires valorisé par GfK à 142 millions d’euros (-3% par rapport à l’an passé).

    Top 50 GfK/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres en France en 2019
    https://www.livreshebdo.fr/thematiques/gfk

    Voir aussi : "Astérix et la fille de Vercingétorix"

    Photo : Pixabay – Pexels

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  • Silence, on vit

    "Qui va lire un bouquin qui parle de nous ?" Ainsi commence l’essai de Benoît Coquard, Ceux qui restent (éd. La Découverte). Cette phrase, que l’auteur reprend à plusieurs reprises tout au long de son étude, tel un leitmotiv, est l’indice que son travail sociologique est remarquable par sa nouveauté et par ses analyses pointues.

    Benoît Coquard, jeune sociologue à l’INRAE, est revenu dans le pays de son enfance et de son adolescence pour y interroger celles et ceux, de son âge, qui sont restés au pays. Comment font-ils leur vie dans des campagnes en déclin depuis les dernières grandes crises économiques ? Pourquoi ont-ils choisi d’y rester et, au contraire, comment s’est fait le départ de celles et ceux qui ont pris le parti de quitter leur région natale ? Comment vit-on dans ces régions souvent abandonnées ? Comment y trouve-on du travail, lorsque c’est possible ? Comment décrire les relations sociales dans des régions minées par le chômage et la pauvreté ? Benoît Coquard entend, dans Ceux qui restent, sortir des archétypes de ces néoruraux vite identifiés comme des "cassos" alcooliques, drogués et beaufs.

    Le sociologue a pour lui la connaissance du terrain, même s’il s’en est éloigné pour des raisons scolaires puis professionnelles. Pour autant, son passé et son expérience personnelle lui permettent d’éclairer son travail de terrain : "J’ai essayé de me mettre dans une posture de « traducteur » entre deux mondes que je côtoie par allers-retours, celui des enquêtés et celui des lecteurs de sciences sociales."

    Un vrai travail scientifique autant que de médiation. En prenant de la hauteur, Benoît Coquard décrypte les liens sociologiques (le "déjà, nous", "les bandes de potes"), les relations d’interdépendance, les vécus, les loisirs, "la proximité entre petits patrons et salariés", la précarité, les pistons, "la mauvaise réputation", les petites élites plus ou moins artificielles ("l’honorabilité locale"), ou les relations avec les plus âgés.

    Ces aînés et la manière dont les plus jeunes les voient, font l’objet d’un chapitre à part, qui n’est sans doute pas le plus frappant dans l’essai, mais qui pose les problématiques d’une génération se sentant mal dans son époque autant que dans son pays. Dans les revisites d’un passé d’autant plus fantasmé qu’il n’a pas été vécu, nous dit l'auteur, les jeunes qui restent ressentent la nostalgie d’une sorte "d’âge d’or." Une nostalgie du reste essentiellement masculine. Le "c’était mieux avant" concerne tout autant le travail que la sociabilisation, l’autonomie, le respect pour les hiérarchies ou… "la libération sexuelle." Benoît Coquard choisit aussi de faire un focus sur la disparition des bals dans les campagnes en déclin, comme la fermeture de bistrots qui fait l'objet d'une place à part dans l'essai.

    "Le rôle social du pastis"

    Le chômage est au cœur de l’étude du sociologue, comme l’épicentre de toutes les crises qui ont malmené ces régions : petits boulots, concurrences entre habitants pour l’obtention d’un emploi sur place, longues distances à parcourir pour aller travailler, manque d’épanouissement et de reconnaissance sociale. Le non-emploi et le sous-emploi sont illustrés par de nombreux exemples et d’extraits d’entretiens, chez des femmes et des hommes souvent habitués à l’intérim ou au CDD.

    Les crises économiques et la désindustrialisation alliés à une reproduction de modèles patriarcaux, font des femmes les premières victimes – lorsqu’elles ne choisissent pas de partir. Le "qui part" et le "pourquoi" est d'ailleurs questionné dans un chapitre passionnant sur la place de l’école, et sur la méconnaissance ou les fantasmes autour de l’étudiant "qui coûte cher." Mais ce qui intéresse aussi le sociologue ce sont les allers-retours plus ou moins réguliers et plus ou moins fréquent entre les campagnes en déclin et les (grandes) villes – Paris ou une capitale régionale – qui peuvent, elles, proposer d’importantes opportunités (d’études, de travail ou de rencontres), avec aussi leur lot de contraintes ou des dangers, réels ou non.

    Le chapitre sans doute le plus passionnant est celui consacré à la fin des bistrots et ses conséquences. L’auteur cite un canton passant d’une trentaine de cafés à trois, en trente ans. La quasi disparition de ces  lieux de sociabilisation a transformé la manière dont les habitants se rencontrent et se côtoient. C’est désormais à l’intérieur du foyer que l’on se retrouve et que l’on se replie, explique Benoît Coquard, qui fait de ses enquêtes sur le terrain de fertiles analyses scientifiques : les invitations aux apéritifs à rallonge, les relations amicales, la place des femmes, les guerres de sexe, les inégalités jusque dans le fonctionnement de ces moments festifs ou… "le rôle social du pastis"…

    Bien que l’étude de Benoît Coquard se soit terminée avant la crise des Gilets Jaunes, l’auteur consacre plusieurs pages à cette mobilisation sans précédente de la France dite "périphérique." Ce mouvement est d’autant plus remarquable, précise-t-il, que les habitants de ces campagnes en déclin sont, dit-il, "très peu revendicatifs en temps normal." La limitation des routes à 80 kilomètres à l’heure a "fait péter les plombs" de ces territoires en déprise : "On vit moins bien" est-il dit par les manifestants sur les ronds-points ou autour des péages d’autoroute. C’est une France populaire et silencieuse qui fait son arrivée fracassante sur la scène française. L’ouverture et la conclusion de Ceux qui restent font de cet essai de sociologie un ouvrage d’actualité, proposant également une lecture politique passionnante, qui vient répondre à sa façon à la remarque de Vanessa, cette trentenaire questionnée :"Qui va lire un bouquin qui parle de nous ?"

    Benoît Coquard, Ceux qui restent, Faire sa vie dans les campagnes en déclin
    éd. La Découverte, 2019, 211 p.

    https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Ceux_qui_restent
    https://www2.dijon.inrae.fr/cesaer/membres/benoit-coquard

    Voir aussi : "La France de Boucq"

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  • À la recherche de Gérard de Villiers

    julien moraux,roman,gérard de villiers,sas,malko lingeComment définir Mais rien ne vient (éd. Du Rocher), le premier roman de Julien Moraux ? Hommage aux "romans de gare" de Gérard de Villiers ? Polar psychédélique dopé aux amphétamines ? Réflexion et autofiction sur la difficulté d’être écrivain ? Ou bien encore, comme je l’ai lu sur la page Facebook de l’auteur, "la plus atroce et la plus merveilleuse des fictions sur l’alcoolisme" ? À vrai dire, cette dernière critique peut laisser dubitative, dans la mesure où celui qui la prononce ne serait autre que Kingsley Amis, auteur d’un James Bond (Colonel Sun), mais décédé… en 1995, soit il y a vingt-quatre ans. Voilà qui prouve en tout cas deux choses : le romancier d’origine normande est bourré d’humour autant que de références littéraires.

    Nous parlions de James Bond. Bien entendu, l’agent 007 britannique reste dans le coin de la tête de Julien Moraux. Cela dit, ce n’est ni Ian Flemming ni Kingsley Amis qui l’intéressent mais un autre auteur de roman d’espionnage : Gérard de Villiers et sa créature, Malko Linge. Au moment où démarre Mais rien ne vient, le narrateur se lance dans un projet de roman sur l’auteur prolifique de quelque 200 SAS, entre 1965 et 2013.

    Voilà donc notre écrivain lancé dans une enquête sur Gérard de Villiers, enquête qui démarre en Bretagne et qui va rapidement mettre notre écrivain, déjà mal engagé pour ce projet biogtraphique, dans de sales draps. Il croisera tour à tour Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq, Thomas Pynchon, mais aussi Gérard de Villiers en personne, les personnages de Malko Linge, d'Aimé Brichot et de Boris Corentin, de la série Brigade Mondaine. Il y aura aussi un génie du mal bien destiné à détruire la littérature des hommes-singes nazis et quelques vamps pour corser le tout – même si les amateurs des SAS regretteront que l’impitoyable agent de la CIA ait perdu son côté bad boy, sexiste et un tantinet misogyne.

    Un roman qui semble foncer à toute vitesse comme une machine infernale

    L’aventure narrée par un écrivain devenu acteur de sa propre histoire se déroule aux quatre coins du monde, dans les endroits les plus reculés et les plus improbables qui soient. Pour autant, avec Mais rien ne vient, Julien Moraux ne propose pas de énième intrigue autour de SAS mais un hommage aussi démesuré que ne l’était son auteur Gérard de Villiers. Véritable monstre de la littérature mondiale, souvent moqué pour sa production de "romans de gare", le créateur de Son Altesse Sérénissime a droit à un hommage d’autant plus vibrant que le livre peut se lire comme l’aventure d’un projet artistique qui peine à prendre forme : les personnages surgissent, aimantent et se dérobent à l’écrivain, lui même entraîné dans une histoire où de les enjeux lui échappent. L’humour et le non-sens sont omniprésents dans un roman qui semble foncer à toute vitesse comme une machine infernale. Jusqu’à un final étonnant qui vient donner la clé du roman et se termine singulièrement par un "chapitre 1" sur la jeunesse de Gérard de Villiers.

    Julien Moraux a reçu, pour son roman Mais rien ne vient, le Prix Café Joseph.

    Julien Moraux, Mais rien ne vient, éd. Du Rocher, 2019, 318 p.
    https://www.editionsdurocher.fr/auteur/fiche/53352-julien-moraux
    https://www.facebook.com/shakaljaga
    http://www.editionssas.com

    Voir aussi : "Les actrices rêvent et se couchent tard la nuit"

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  • Des bulle en maths

    Voilà sans doute la bande dessinée la plus étonnante qui soit, et qui risque d’intégrer les rayons de pas mal de CDI et de bibliothèques spécialisées. Disons aussi que que Les Mathématiques en BD de Grady Klein et Yoram Baumain, livre adaptée en français par Christophe Bontemps (éd. Eyrolles), fait partie de ces ouvrages de vulgarisation ayant choisi de ne pas transiger avec la rigueur scientifique.

    Comment traiter des mathématiques en bulles ? Est-il possible de parler d’analyse, de dérivées, d’intégral et de calculs différentiels avec précision, humour et fantaisie ? Un pari impossible ? On pouvait faire confiance à Grady Klein pour relever le défi, lui qui a récemment publié, avec Danny Oppenheimer, Psychologix (Les Arènes, 2018).

    C’est d’analyse dont il est question ici : calcul différentiel, calcul intégral, dérivés ou limites sont les personnages principaux d’une bande dessinée qui choisit de mettre en images et en histoires des concepts redoutables, pour ne pas dire abscons.

    Certes, pour le commun des mortels, une seule lecture ne sera sans doute pas suffisante pour appréhender les subtilités de l’ouvrage de vulgarisationn : un ouvrage qui maîtrise à merveille la vulgarisation scientifique et avance pas à pas dans un domaine particulièrement retords. À ce sujet, on ne saurait malgré tout que conseiller de commencer la lecture des Mathématiques en BD par la fin, à savoir le glossaire.

    Du voyage de Zénon vers l’oracle de Delphes jusqu’aux radars automobiles

    Que recouvrent les dérivés et les intégrales ? En quoi sont-elles utiles, par exemple dans le calcul des aires et des vitesses ? Les auteurs utilisent l’image de l’escalade pour entrer doucement dans le sujet ("Le théorème fondamental de l’analyse est une sorte de tyrolienne pour éviter les difficultés") : une image qui fera sans doute hurler les cadors en maths, mais, pour ceux qui collectionnaient des bulles au lycée, l’expression a le mérite d’être autant poétique que parlante.

    Grady Klein et Yoram Baumain font intervenir dans leur BD de vulgarisation à la fois des mathématiciens et scientifiques illustres (Newton, Leibniz, Ramanujan) et en même temps des personnages anonymes perdus au milieu de formules, d’équations, de courbes mais aussi d’expressions fonctionnant comme des articulations permettant de ne pas se perdre totalement ("Dérivation et intégration sont des opérations réciproques – tout comme la multiplication et la division").

    Les auteurs ont parsemé leur BD de saynètes qui n’ont rien de gratuites puisqu’à chaque fois elles permettent de faire avancer non pas l’intrigue mais la compréhension du sujet : on passe du voyage de Zénon vers l’oracle de Delphes jusqu’aux radars automobiles pour parler des limites, et arriver finalement au cœur des maths : c’est-à-dire à des formules imparables qui ont fait cauchemarder des générations d’étudiants.

    Tout cela est mené tambour battant : les courbes se lient et se délient joyeusement, les formules sont amenés avec fantaisie, les auteurs ne dédaignent pas des comparaisons simples mais parlantes et les personnages discutent, s’interrogent, doutent, voire se perdent, comme pour mieux se mettre à la place d’un lecteur peu familier avec l’analyse mathématiques.

    Nous ne dirons pas qu’au bout de 200 pages les dérivés ou les intégrales ne soient plus un mystère. Il est même possible que l’on se soit perdu au sommet des extrema du chapitre 8. Pour autant, il paraît impossible de ne pas terminer cet ouvrage particulièrement osé et intelligent que les professeurs de maths au lycée ou en université feraient bien de conseiller à leurs étudiants. Le message est passé.

    Grady Klein et Yoram Baumain, Les Mathématiques en BD, L’analyse
    trad. et adaptation Christophe Bontemps, éd. Eyrolles, 2019, 207 p.

    www.gradyklein.com
    www.standupeconomist.com

    Voir aussi : "La bosse des maths"

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