Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Livres et littérature - Page 43

  • Nous nous sommes tant aimés

    marie rault,roman,love story,histoire d’amour,lisbonneLe titre du premier roman de Marie Rault, Une prodigieuse Histoire d’Amour (éd. Le Lys Bleu), a le mérite d’intriguer en raison de son apparente banalité. Il est en tout cas fidèle à l’intention de l’auteure qui déroule une love story s’étalant sur une dizaine d’années – si l’on oublie le dernier et singulier dernier chapitre.

    Léa, la narratrice, est une manageuse dans un palace parisien. Cette professionnelle aguerrie est aussi et surtout une femme aux fêlures secrètes, à la fois assoiffée d’idéal amoureux mais ne croyant pas aux contes de fée : "Quand avait-elle cessé d’être une jeune femme comme les autres ? D’où lui venait cette inaptitude à la vie ? Ou plutôt cette nécessité du trop-plein de vie ? Cette frénésie de l’exception, cette boulimie de la tachycardie, cette addiction à l’absolu."

    La brillante responsable est envoyée à Lisbonne pour convaincre l’auteur à succès Pierre Capucin de tourner adaptation d’un de ses romans dans l’hôtel où elle travaille. Elle rencontre par là-même son écrivain fétiche ("Ses livres étaient pour elle une bouffée d’oxygène, un repère, une fenêtre nécessaire vers ceux de son espèce"). Entre les deux, le courant passe immédiatement : "Léa avait reconnu Pierre comme un de son espèce."

    Dix ans de la vie amoureuse d’une jeune femme de la génération Y

    Marie Rault aurait pu bâtir une simple histoire de fan concrétisant le rêve absolu de connaître intimement l’objet de sa passion. Au lieu de cela, l’auteure choisit habilement et subtilement d’arpenter les souvenirs de cette femme grande voyageuse et grande amoureuse.

    De Paris à Lisbonne, en passant par Pondichéry ou Barcelone, les temps et les lieux s’entrecroisent dans un bloc espace-temps insécable : la famille, les amis, les amants, les secrets, les maladies, les séparations et la mort sont vus à travers le prisme de la relation passionnelle entre Léa et Pierre.

    Marie Rault a fait le choix de chapitres courts et elliptiques pour écrire en moins de 120 pages dix ans de la vie amoureuse d’une jeune femme de la génération Y.

    L’ écriture délicate, précise et sans ostentation prouve la naissance d’une prometteuse auteure qui sera absolument à suivre : "Au milieu de la foule, elle chérissait le secret qu’elle portait. Elle avait l’impression d’être devenue une ombre, un fantôme. Pas quelque chose d’effrayant et d’étrange, plutôt une âme drapée de soie."

    Marie Rault, Une prodigieuse Histoire d’Amour, éd. Le Lys Bleu, 2019, 119 p.
    https://cassenoisette383.wixsite.com/marierault

    Voir aussi : "À la recherche du diable perdu"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • T.A.M.A.R.A.

    Tamara par Tatiana de Tatiana de Rosnay est atypique dans son œuvre à plus d’un titre. Tout d’abord, l’auteure de Sentinelle de la Pluie s’est associée pour l’occasion à Charlotte Jolly de Rosnay pour cet livre conçu à quatre mains, un livre qui plus est édité chez Michel Lafon – et non pas Héloïse d’Ormesson comme ses livres précédents. Autre particularité : c’est un essai que propose Tatiana de Rosnay. Pas franchement une nouveauté, après le brillant livre sur Daphne du Maurier, sorti il y a moins de cinq ans. Cette fois, c’est à Tamara de Lempicka (1899- 1980) que s’intéresse Tatiana de Rosnay.

    Quels points communs peuvent-ils exister l’auteure de Rebecca et la peintre emblématique des années folles ? Ces deux artistes, qui ont été toutes deux de grands voyageuses autant que des habituées des mondanités en Europe ou aux États-Unis, ont traversé le XXe siècle tourmenté sans jamais transiger sur leur liberté de femme. À leur façon – la Polonaise aristocrate devenue une immigrée en France après la Révolution russe et l’héritière britannique, fille d’un comédien victorien devenue une importante figure de la littérature anglaise – Daphne du Maurier et Tamara de Lempicka vivent de plein fouet les périodes tourmentées des deux guerres mondiales comme les grandes transformations sociales. L’une comme l’autre vont se battre pour leur émancipation.

    Tatiana de Rosnay propose un essai sensible sur celle qu’elle appelle fraternellement Tamara, et dont les lettres du prénom sont déclinés en six chapitres chronologiques : "T comme Talentueuse", "A comme Ambitieuse", "M comme Magnétique", "A comme Arrogante", "R comme Rebelle" et "A comme Artiste." Mais qui se cache derrière cette femme emblématique des années 20 et 30, dont les tableaux ont été redécouverts à la fin des années 70 ? Tatiana de Rosnay écrit ceci, sous forme d’adresse à cette peintre au parcours fulgurant : "Ton nom. Presque un nom de plume. Un nom de scène ? Un nom d’ensorceleuse. Un nom que tu écris fièrement en bas de tes œuvres. Qui se cache derrière l’image de perfection absolue que tu souhaites tant projeter ? "

    Une vraie vie romanesque

    Car il y a sans nul doute un mystère Tamara de Lempicka, dont la carrière ressemble à une comète brève mais éclatante. Après une enfance et une adolescence dorée entre Varsovie, la Côte d’Azur, Paris et Saint-Pétersbourg, la grande histoire oblige la jeune femme gâtée à venir se réfugier en France, avec sa fille Kizette et son mari. Ce mari, Tadeusz Lempicki, elle le traînera comme une âme en peine : l’ancien aristocrate habitué à la belle vie ne peut se faire à un train de vie modeste qui l’oblige à travailler. À l’inverse, Tamara de Lempicka trouve dans cet exil une nouvelle raison de vivre et des plaisirs qu’elle ne soupçonnait pas : l’art, les soirées littéraires, les fêtes démesurées et des relations sulfureuses, que ce soit avec des hommes ou des femmes. Une vraie vie romanesque, comme le souligne Tatiana de Rosnay. Mais c’est bien entendu la peinture qui est sa grande révélation.

    Celle qui possédait un réel talent avant son arrivée à Paris se lance dans la création, après une période de formation qui sera capitale dans l’élaboration de son style inimitable. En 1921, l’Académie Ranson, avec comme professeurs les Nabis Maurice Denis et Paul Sérusier, mais surtout la découverte d’autres artistes (Bronziono, Ingres, Albert Gleizes et surtout André Lhote) va lui permettre d’imaginer son propre chemin artistique.

    Dès 1922, Tamara de Lempicka peint ces portraits et ces scènes de groupes sensuelles, sophistiquées, mêlant réalisme, cubisme et influences renaissantes : Le Rythme (1924), Groupe de quatre nus (1925), Portait d’homme inachevé (1928), Mon portrait (1929), L’écharpe bleue (1930), Le Turban vert (1930), La jeune fille aux gants (1930), Adam et Ève (1931), sans oublier La Belle Rafaela de 1927.

    Une carrière fulgurante donc, faite de passions, de découvertes mais aussi d’excès, qu’un autre conflit, la seconde guerre mondiale, stoppe net. Avec son départ pour les Etats-Unis, Tamara de Lempicka disparaît des radars, jusqu’à sa redécouverte par le galeriste d’art Alain Blondel en 1972.

    Pour illustrer cet essai intime, Tatiana de Rosnay a fait le choix d’illustrations de la peintre mais aussi de photographies contemporaines de Charlotte Jolly de Rosnay. L’atmosphère des années folles est mise en scène à travers des clichés soignés, des portraits au noir et blanc somptueux mais aussi des gros plans collant au plus près du grain de pain des modèles. Cet essai sur Tamara de Lempicka se démarque des beaux livres habituels pour offrir l’éclairage sensible que voulait Tatiana de Rosnay.

    Tatiana de Rosnay et Charlotte Jolly de Rosnay, Tamara par Tatiana
    éd. Michel Lafon, 2018, 223 p.

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Sur les pas de Daphnée du Maurier"
    "La naissance de la belle Rafaëla"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Voilà l’homme

    Comment qualifier le dernier livre de Nathalie Cougny, Paris-Rome ? Uchronie, roman d’amour ou conte philosophique ? Un peu de tout cela sans doute, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce roman – qui est complété par une nouvelle, Rencontre à risque.

    Paris-Rome suit Charlotte K., de nos jours (la précision est importante), dans un voyage qui doit mener la jeune et célèbre peintre parisienne à Rome pour une exposition à la Villa Borghèse. Dans le train qu’elle prend, un homme s’installe dans le même compartiment : il s’agit de Friedrich Nietzsche en personne. Il va lui aussi à Rome et sa rencontre avec la jeune femme est tout sauf un hasard. Entre les deux voyageurs – l’artiste mondialement admirée pour ses œuvres "lyriques" et le philosophe légendaire – une conversation s’engage, et la personne la plus fascinée n’est sans doute pas celle que l’on croit.

    Il fallait l’audace de Nathalie Cougny pour imaginer une telle rencontre, aussi inattendue que surréaliste. Le postulat que Nietzsche soit toujours vivant en 2019 n’est ni expliqué, ni développé : cet "éternel retour" est un fait, que le lecteur doit accepter dès les premières pages.

    La vraie surprise vient de la rencontre fortuite de Charlotte et de Friedrich, dans le huis-clos d’un train. Le roman se déroule pendant un voyage qui sera tout sauf un périple ordinaire. D’ailleurs, rien ne se passe comme prévu. Des menaces font craindre pour la sécurité des passagers, en particulier pour Nietzsche, et des manifestations perturbent le voyage. Des militaires se sont installés dans le train afin de protéger le philosophe aussi célèbre que controversé. Le périple et les conversations entre Charlotte et Friedrich se déroulent dans ce climat tendu. Tout peut basculer à chaque instant. Mais pourtant les deux célébrités conversent avec une courtoisie très XIXe siècle, tout en se mettant à nu pour la première et sans doute la dernière fois.

    Faire descendre Nietzsche de son piédestal, comme Zarathoustra

    Assez singulièrement, c’est sur le passé de la peintre que Nathalie Cougny s’intéresse : son enfance endeuillée par le décès de ses parents, sa découverte de l’art, ses succès, ses dépressions ou sa vie sentimentale. Nietzsche apparaît comme un homme presque ordinaire, débarrassé d’une forme de carcan que l’histoire et la légende lui ont laissée. "Ecce homo" : semble nous dire l’auteure, pour reprendre le titre d’un de ses livres. "Voilà donc cet homme", semble répondre en écho Charlotte K., devenue l'espace du voyage l’alter ego de Nietzsche.

    Charlotte, interlocutrice et égale du philosophe dans ce roman surprenant à plus d’un titre, porte une voix universelle à laquelle lui répond une autorité morale et intellectuelle, mais dont l’armure vient se fissurer au fur et à mesure que le dénouement approche. Voilà qui est paradoxal pour ce "philosophe au marteau" ! Nathalie Cougny, avec ce dialogue philosophique défiant la logique et le temps, vient faire parler l’auteur de Par-delà le Bien et le Mal de nous et de notre monde, sans pour autant en faire la star ou la légende vivante qu’il est devenu dans le monde parallèle de Paris-Rome. Nathalie Cougny choisit en effet assez audacieusement de faire descendre Nietzsche de son piédestal, comme Zarathoustra lorsqu'il quitte la montagne pour descendre parmi ses semblable.

    La nouvelle Rencontre à risque vient compléter ce conte moderne, comme si ce récit à la première personne était celui de Charlotte elle-même, dans une autre circonstance. Mais au contraire de Paris-Rome,l’auteure délaisse le dialogue enlevé pour un texte dense, âpre et sensuel sur un amour sans retour. Nathalie Cougny ausculte une relation empoisonnée entre une narratrice et un homme plus jeune qu’elle, avec acidité et sans concession, comme autant de coups de marteau adressés à cet homme.

    Nathalie Cougny, Paris-Rome, Et Nietzsche rencontre Charlotte
    suivi de Rencontre à risque
    éd. Publilivre, 2019, 234 p.

    https://www.nathaliecougny.fr

    Voir aussi : "Nathalie Cougny, en adoration" 
    "Mes hommes"
    "En corps troublé"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Des expressions plein la musette

    Il convient tout d’abord de signaler les noms des illustratrices et illustrateurs cités en page 121 de ce deuxième volume du Catalogue déjanté des expressions de la langue française (éd. d’Enfer). Caroline Bittner, Ciruela Barreto, Noélie Meckenstock, Noël Rasendrason et Émilie Bertolin donnent vie à ce drôle de livre imaginé par Jacques Seidmann.

    Après un premier tome consacré aux loisirs, à la santé, à la beauté et à l’amour, les Éditions d’Enfer proposent une liste de 50 nouvelles expressions populaires françaises illustrées, sur les thèmes de l’argent, de la société, de la survie et du travail – les uns n’allant pas sans les autres. Ces ouvrages conçus par Jacques Seidmann et le Collectif des Crayons ont été sélectionnés dans le cadre des Journées européennes de la francophonie qui se sont déroulées du 16 au 24 mars 2019.

    Une campagne de crowdfunding

    Véritable catalogue absurde fait de mots-valises, d’expressions prises au pied de la lettre et d’inventions lexicales aussi loufoques et surréalistes les unes que les autres, ce catalogue pas tout à fait comme les autres met en image la richesse de la langue française en imaginant de drôles d’objets : des chaussettes à mettre les pieds dans le plat, une cisaille à couper les ponts, des ciseaux à couper les cheveux en quatre ou un vernis à langue de bois.

    Les illustrations soignées, qui ne sont pas sans rappeler les créations absurdes de Topor, font de ce livre un vrai bel objet, imaginé par Jacques Seidmann, créateur de noms de marques depuis plus de de vingt ans. Il s’explique ainsi : "Quand on fait de la création de marque, on est obligé de triturer la langue, de trouver des formulations inédites. En jouant avec les mots, on acquiert de l’agilité et de la liberté. C’est un rapport au langage qui n’est pas très fréquent et qui m’a sûrement préparé à l’invention de ces objets loufoques."

    Une campagne de crowdfunding et la création des Éditions d’Enfer ont fait le reste. Ces deux premiers volumes offrent un regard à la fois amoureux, caustique et même dadaïste sur notre langue, bien loin de l’académisme de bon aloi. Mais ce deuxième volume peut aussi se lire comme un manifeste contre l’absurdité de la société de consommation. Un vrai ouvrage engagé, mine de rien.

    Catalogue déjanté des Expressions de la Langue française, tome 2
    Illustré par le Collectif des Crayons, Éditions d’Enfer, 2019, 123 p.
    http://cataloguedejante-desexpressionsfrancaises.fr

    Voir aussi : "Attache ta tuque ou le français dans tous ses États"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Heureux comme Sade en Italie

    marquis de sade,italie,rome,naples,florence,siècle des lumières,michel delon,vincennes,pierre leroy,carnet de voyageDurant l’été 1775, le marquis de Sade est pris à la gorge par trois sérieuses affaires de mœurs à Arcueil, Marseille puis Lacoste. Malgré le soutien de sa famille, dont sa femme Renée-Pélagie de Montreuil, marquise de Sade, le futur auteur des Cent Vingt Journées de Sodome fuit incognito pour l’Italie, sous le pseudonyme du comte de Mazan. Après un passage à Turin, Parme et Bologne, il parvient à Florence le 3 août 1775. Il est à Rome en octobre 1775. Il y reste jusqu’à la fin de l’année, avant de se rendre à Naples pour un séjour de janvier à mai 1776. Durant l’été, il est de retour en France. Six mois plus tard, il est arrêté et incarcéré à Vincennes. C’est le début d’une longue période de captivité, mais aussi d’écriture forcenée, sombre et explosive.

    De son excursion en Italie, le marquis de Sade ramène un journal de voyage, en réalité un véritable work in progress que les éditions Flammarion présentent dans une édition établie et commentée par l’universitaire et spécialiste du siècle des Lumières, Michel Delon. Il signe également une préface éclairante de ce Voyage d’Italie, indispensable pour entrer dans un ouvrage à la fois documenté, inachevé et essentiel dans l’œuvre de Sade. Un entretien avec le collectionneur Pierre Leroy vient compléter cet ouvrage.

    Critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants

    Avec le recul le périple du marquis de Sade organisé dans l’urgence afin d’échapper à la justice française est l’une de ses périodes les plus enthousiasmantes. Son séjour dans la péninsule italienne lui permet de découvrir un pays passionnant, aux trésors antiques et artistiques inestimables, ce qui ne l’empêche pas de se montrer critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants : "Il faut convenir (…) qu’on trouve des vertus au travers de tous les vices dont je viens de caractériser cette nation. Le peuple, sans doute, est rustique grossier, superstitieux et brutal, mais il a de la franchise et même quelque fois de l’aménité…"

    Sade est un voyageur avide de documentations comme d’expériences. Il y rencontre plusieurs femmes, connaît des relations parfois sulfureuses et croise quelques aventuriers comme lui. Le marquis ramène d’Italie de multiples cahiers, dossiers, feuilles et notes qu’il ne mettra jamais en forme de son vivant mais dont il se servira pour ses livres futurs, dont L’Histoire de Juliette (1799). Le lecteur trouvera quelques pages pittoresques sur des monuments qu’il découvre à Florence, Rome ou Naples. Il est par contre beaucoup plus dissert et caustique lorsqu’il est question de folklores et de traditions. Plus surprenant, le marquis de Sade se montre offusqué lorsqu’il est question de crimes et de mœurs qu’il juge choquants : "Les murs épais et reculés des vastes palais de la noblesse recèlent, dit-on, bien des horreurs. Et combien de jeunes malheureuses, conduites furtivement et de nuit dans ces criminelles enceintes, y ont-elles laissé leur honneur et la santé !"

    Le lecteur sera surpris par ces lignes écrites dix ans avant Les Cent Vingt Journées de Sodome ; il le sera moins par cette forme de confession : "Cette manie bizarre de faire le mal pour le seul plaisir est une des passions de l’homme la moins comprise et par conséquent la moins analysée."

    C’est en Italie que Sade se laisse porter par ses rêveries les plus lumineuses – nous sommes en plein Siècle des Lumières. Il y connaît le plaisir de l’aventure et des découvertes, et se montre même philosophe éclairé. Michel Delon conclue ainsi : "Imagine-t-on Sade heureux ? En Italie, pourquoi pas ?"

    Sade, Voyage d’Italie, préface et commentaires de Michel Delon
    éd. Flammarion, 2019, 305 p.

    http://www.sade-ecrivain.com

    Voir aussi : "Sade, celui que l'on aime détester"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Au cœur d’une femme

    Paru chez Plon en 1998, avant de faire l’objet d’une réédition dix ans plus tard, Le Cœur d’une Autre est le troisième roman de Tatiana de Rosnay. Tout comme L’Appartement témoin, l’auteure s’intéresse à la quête d’un homme paumé, un anti-héros que le destin fait basculer dans une histoire hors-norme.

    Bruce Boutard est un antipathique et fieffé misanthrope, divorcé et à la vie sans aspérité autre que son fils Mathieu : "J'avais les habitudes lugubres d'une vieille fille ; ces vieilles filles velues à bouillottes qui se parlent seules à voix basse, qui portent des chaussettes de laine pour dormir et leur Damart même quand il fait chaud. Rien de tragique, pourrait-on dire. Rien d'extraordinaire. Cependant - hélas ! -, il s'avère que je suis un homme." Un être franchement antipathique que le lecteur va pourtant suivre avec passion.

    Suite à un malaise, Bruce apprend qu’il souffre d’une maladie du cœur et qu’il doit être greffé en urgence. Au bout d’une attente interminable, une bonne nouvelle arrive et Bruce reçoit un nouvel organe. De retour de l’hôpital, l’ancien homme acariâtre et misogyne se trouve changé, tant dans le caractère, que la sensibilité et les goûts. Un voyage en Italie avec son fils le convainc que son nouveau cœur l’a profondément transformé. Il parvient à connaître l’identité de la donneuse, décédée la veille de sa greffe. Elle se nommait Constance Delambre et semble maintenant revivre "à travers ce cœur transplanté." La vie du greffé est transformée à jamais. Bruce n’a désormais qu’une obsession : savoir qui est cette femme à qui appartenait son nouveau cœur, un cœur qui semble être possédé d’une mémoire.

    Une quête impossible

    C’est une quête de la vérité qui est au centre de l’histoire, une quête au départ impossible car, comme le rappelle l’auteure, le don d’organe est anonyme. Il fallait une astuce de romancière pour permettre à Bruce de se mettre en piste : la rencontre avec Joséphine – de nouveau une histoire de cœur – va s’avérer décisive.

    Comme pour L’Appartement témoin, c’est en Italie que se déroule l’enquête sur la piste de Constance, mais qui est aussi celle du peintre Paolo Ucello et d’un mystérieux tableau. C’est l’occasion pour Tatiana de Rosnay de proposer de belles pages sur l’artiste florentin, notamment cette description de La Bataille de San Romano : "C’était un grand tableau sombre aux teintes ocre et bistre, peint avec une vigueur candide et une rigueur des lignes qui me fascina. Intrigué par le tumulte discipliné de l’œuvre, la symétrie parfaite des lances et des plumes plantées dans les armets, il me semblait que je me trouvais transporté au milieu d’une bataille. J’entendais la clameur sourde d’une lutte, le choc de boucliers contre armures, les bruits métalliques des cuirasses, des épées, des glaives, les hennissements des chevaux enchevêtrés, harnachés de pourpre et d’or, dont deux gisaient au sol, l’un agonisant, l’autre figé par la mort… Derrière la violence de la bataille s’étirait un paysage tranquille; des vendangeurs travaillaient dans les vignes, et un chien poursuivait des lièvres à travers champs."

    Comme l’explique Tatiana de Rosnay dans la préface écrite en 2011 de ce roman, ce n’est pas un lieu qui déclenche l’intrigue mais "un cœur qui, en changeant de corps, va se remettre à palpiter dans une nouvelle poitrine, encore empreint d’émotions antérieures." La seconde préface de cette édition, de Joël de Rosnay, aborde le thème de la greffe sous le regard du scientifique : "Une greffe de cœur peut-elle changer la psychologie et le comportement d’une personne ?" se demande-t-il. Un début de réponse est donnée par l’épigénétique, poursuit-il : une discipline récente qui tendrait à montrer que la base du livre de sa fille Tatiana est loin d’être absurde.

    Le lecteur oublie rapidement les doutes sur les effets de ce nouvel organe et se laisse porter par cette histoire de "mémoire neuve" – pour reprendre un titre de Dominique A. Il suit les pas d’un Bruce transformé en vrai beau personnage romanesque, grâce à une mystérieuse donneuse qu’il n’aurait jamais dû connaître et qui lui a fait pourtant don du plus grand des cadeaux  : "Je lui dois la vie, et le goût de la vie. Comment lui dire merci, puisqu'elle n'est plus sur terre ?"

    Tatiana de Rosnay, Le Cœur d’une Autre
    éd. Le Livre de Poche, 1998, éd. Héloïse d’Ormesson, 2009, 282 p.

    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Premiers fantômes"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Perdu au milieu des elfes

    fantasy,elfe,centaure,christine ringuet,romanElfes, licornes, hippogriffes, nains, centaures ou dragons : rien ne manque dans ce petit roman de fantasy qu’est La Constellation des Elfes, écrit et auto-édité par Christine Ringuet (Amazon).

    Dans le pays de Galiaé, un jeune homme, Kalen, recueille accidentellement une elfe et sa licorne. En quelques heures, sa vie ennuyeuse et pleine de frustration prend un tour féerique, dans tous les sens du terme. C’est aussi l’occasion pour lui de vivre sa va vie avec des créatures fantastiques et dans des pays pas moins imaginaires.

    On accroche ou pas à ce premier roman, relativement court pour un livre de fantasy (environ 200 pages). Les amateurs se laisseront conduire en douceur dans cette quête initiatique qui se laisse goûter sans honte.

    En début d’année, Christine Ringuet a publié son deuxième roman, Eléanor X (auto-édité lui aussi).

    Christine Ringuet, La Constellation des Elfes, Amazon, 2018, 205 p.
    https://www.facebook.com/christine.ringuet.7

    Voir aussi : "Taddeuz à l’école des sorciers"

    fantasy,elfe,centaure,christine ringuet,roman

  • Ça restera entre nous

    Je vous avais parlé, il y a quelques mois, de Spirales, le roman hitchcockien de Tatiana de Rosnay sorti en 2004. À partir de cette semaine, Arte propose l’adaptation de ce thriller psychologique, feutré et cruel à souhait, sous le titre de Tout contre Elle.

    Hélène Dewallon (Astrid Whettnall), l’épouse enviée d’un notable et homme politique lyonnais quitte précipitamment l’appartement de son amant Sven après une rencontre amoureuse qui vient de se terminer dans le drame. Sven vient de mourir brutalement, terrassé par une attaque. Mais Hélène, dans sa fuite, a laissé ses papiers d’identité que récupère Alice Mercier (Sophie Quinton), la femme de ménage de Sven. Elle prend contact avec sa maîtresse pour les lui rendre. S’engage entre les deux femmes un jeu du chat et de la souris, sur fond de chantage, car Alice a des pièces compromettantes qui menacent de tout détruire dans la vie rangée et impeccable d’Hélène Dewallon. Voilà qui est d’autant plus fâcheux qu’Henri, son époux, se lance dans une ambitieuse campagne électorale.

    Relations empoisonnées, lutte des classes et un véritable supplice chinois

    Pour l’adaptation du roman de Tatiana de Rosnay, Gilles Tauran et Gabriel Le Bomin ont choisi de déplacer l’histoire de Paris à Lyon. On perd la ville familière de l’auteure franco-britannique au profit de lieux plus modernes, plus aseptisés et plus lumineux. Les personnages déambulent dans des maisons, des appartements ou des galeries moins claustrophobiques que dans le roman, à facture simonienne, mais tout aussi inquiétants. Couloirs, escaliers et jeux de miroirs concourent à accentuer le climat de malaise dans ce thriller psychologique.

    L’adaptation s’étend assez peu sur l’adultère d’Hélène. Je parlais dans ma chronique sur Spirales d’"accouplement sauvage" pour ce qui n’était qu’un one shot, un "moment d’égarement" dans un lieu sordide. Ici, la personnage principale est dans une relation adultère suivie, comme elle le confie à son amie Lucie (Aurélia Petit). Autre entorse au livre : il n’est plus question d’immigrés roumains ou d’un simple chantage financier mais de relations empoisonnées, de lutte des classes et d’un véritable supplice chinois entre une femme de la grande bourgeoisie et une modeste femme de ménage.

    Sophie Quinton est parfaite dans ce rôle de petite souris timide se transformant en véritable vampire mental. Impossible de ne pas parler non plus des deux piliers de ce film : Astrid Whettnall et le prodigieux Patrick Timsit jouent à merveille les notables bourgeois pris dans un drame prêt à tout faire exploser, y compris leur famille – l’autre thème cher à Tatiana de Rosnay. Celles et ceux qui auront lu Spirales découvriront une autre fin pour cette adaptation. Une raison de plus de découvrir Tout contre Elle film que propose Arte en replay jusqu’au 14 mai 2019.

    Tout contre Elle, thriller psychologique de Gabriel Le Bomin, avec Astrid Whettnall, Sophie Quinton, Patrick Timsit et Aurélia Petit
    Calt Production / Belga Productions / Noon / Arte, France, 2018, 88 mn

    Disponible en replay sur Arte du 9 avril 2019 au 14 mai 2019
    https://www.arte.tv/fr/videos/077293-000-A/tout-contre-elle

    Voir aussi : "Juste un moment d’égarement"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partageztwittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !