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Josef Mengele représente une figure hors du commun dans l’histoire de la Shoah. D’abord pour ses responsabilités pendant la seconde guerre mondiale : fonctionnaire nazi fanatique et zélé, il fut nommé médecin en chef à Auschwitz de 1943 à 1945, une fonction qu’il occupa en véritable docteur Mabuse, envoyant à la mort des centaines de milliers de déportés. Ensuite par la manière dont il est parvenu à disparaître de la circulation après 1945. De ce point de vue, son itinéraire de fuyard est symptomatique des lacunes de la dénazification après la seconde guerre mondiale.
Olivier Guez raconte dans son roman historique, La disparition de Josef Mengele (éd. Grasset, Prix Renaudot 2017), le parcours clandestin de cette sinistre figure de la Shoah, des quartiers sinistres de Buenos Aires jusqu’à une ferme isolée de Nova Europa, en passant par le Paraguay de Stroessner ou l’Uruguay. C’est notamment là que Mengele épousa en 1958 en seconde noce Martha, sa propre belle-sœur.
En véritable détective, Olivier Guez nous prend par la main pour nous entraîner sur les pas du criminel de guerre, certes condamné par contumace, mais qui réussit grâce à ses nombreux soutiens en Amérique latine comme en Europe, à échapper à ses juges. En 1956, l’ancien médecin en chef et bourreau d’Auschwitz va même pouvoir revenir en Europe quelques mois pour voir ses proches, dont son fils.
Il épouse en 1958 sa propre belle-sœur
Le lecteur découvre, effaré, une idéologie nazie bien vivace, que ce soit dans l’Argentine péroniste ou dans une RFA traumatisée mais peu encline à véritablement aider à la chasse aux criminels de guerre. En Amérique latine, les anciens fonctionnaires ou militaires du IIIe Reich peuvent trouver des soutiens ou, à tout le moins, de l’indifférence, sinon de l’indulgence.
À partir de 1960 et l’arrestation d’Eichmann, les choses se corsent cependant pour Mengele qui s’angoisse à l’idée de tomber entre les mains du Mossad. Le nazi en fuite vit dans la peur et la paranoïa permanente, qui ne le quitteront qu’avec sa mort en 1979, au cours d’une noyade au Brésil, sur les côtes atlantiques.
Olivier Grez signe dans avec ce roman historique un récit plus vrai que nature des trente années d’une vie clandestine, au cours de laquelle jamais Mengele ne manifestera le début d’un remord.
Olivier Guez, La Disparition de Josef Mengele, éd. Grasset, 2017, 237 p.
Je sais ce que vous allez dire : le complotisme n’a pas excellente presse depuis 2001, lorsque les attentats islamistes contre Al Qaïda ont eu pour dégât collatéral de réveiller des mauvaises consciences tour à tour antisémites, anarchistes ou d’extrême-droite. Aujourd’hui, parler en public de complot c’est déjà se ranger dans un camp aux contours gris, sinon peu recommandable.
Il y a pourtant un complot sur lequel il convient de s’arrêter. Il a récemment été mis au devant de la scène à l’initiative de Donald Trump. Le président populiste américain a pris une des rares décisions à saluer : celle de déclassifier 3100 documents secrets défense autour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963. Il était temps.
Le moins que l’on puisse dire c’est que plus de cinquante après la mort de JFK, les braises sont encore si chaudes que l’administration américaine – le FBI et la CIA en tête – est peu pressée de livrer au public les dernières documents sous scellés de ce meurtre. Elle se réserve d'ailleurs le droit de garder sous le coude quelques pièces jugées trop sensibles. "Sensibles pourquoi ?" se demandent comme un seul homme celles et ceux qui voient derrière cet assassinat autre chose qu’un coup de folie entrepris par un meurtrier solitaire obnubilé par des idées marxistes ?
Certes, il y a toujours la version officielle : JFK a été assassiné par l’ancien marine Lee Harvey Oswald de trois coups de fusil tirés depuis le Texas School Book, une bibliothèque de Dallas, avant d’être arrêté dans la journée dans une salle de cinéma de la ville. Le coupable idéal est lui-même assassiné quelques jours plus tard par Jack Ruby, un personnage au parcours pour le moins trouble.
Cette thèse, appuyée et soutenue par la commission Warren, est également défendue par Vincent Quivy dans son enquête Qui n’a pas tué John Kennedy ? (éd. Seuil) Le journaliste et écrivain malmène les théories complotistes des plus rocambolesques aux plus réalistes dans un essai aussi précis que tendu. En tordant le coup aux légendes d’un "coup d’État" fomenté par une administration conservatrice irritée par le jeune président américain, d’une opération menée par des barbouzes plus ou moins soutenus par la CIA ou d’une vengeance ourdie par les mafias, Vincent Quivy se fait l’apôtre de la version racontée par les manuels d’histoire : un assassinat ordinaire menée contre un personnage extraordinaire.
D’où vient alors le malaise de la lecture de ce livre ? Sans doute à cette impression que les questions posées et les zones d’ombres sont chassées avec un mélange d’agacement, de froideur et d’ironie.
Bien différente est la posture de Thierry Lentz qui, dans un essai documenté et épais, décortique jusqu’au moindre détail les faits et les circonstances de l’événement du 22 novembre 1963. L’Assassinat de John F. Kennedy (éd. Nouveau Monde) propose une lecture à plusieurs facettes d’un fait historique majeur de ces cinquante dernières années. Thierry Lentz souligne d’abord à quel point la société américaine des sixties, annihilée par une prospérité insolente, a pu accepter avec une certaine naïveté un crime commis par un jeune homme à la carrière bien mystérieuse : marine, passé à l’Est avec la même facilité qu’il est revenu dans son pays natal, ayant fréquenté aussi bien les cercles anti-castristes que pro-castristes, et capable de tirer à bout portant sur un Président à l’aide d’un fusil italien en mauvais état. L’auteur pose énormément de questions et le lecteur ne peut qu’en sortir pour le moins troublé : pourquoi la commission Warren a-t-elle toujours appuyé que JFK avait été tué par deux balles par l’arrière alors que le film amateur d’Abraham Zapruder – qui fut d’ailleurs longtemps caché du grand public – montre le Président touché par l’avant ? Comment expliquer le parcours intrigant de Lee Harvey Oswald ? La théorie de l’homme au parapluie pourrait-elle cacher quelque chose ? Qui sont ces clochards arrêtés puis relâchés après le meurtre ? Pourquoi tant de zones d’ombres autour de l’autopsie du Président, au point que le rapport original a été brûlé dans la cheminée du médecin légiste ? Et pourquoi tant de morts brutales de suspects et de témoins dans les mois et les années qui ont suivi l’assassinat ?
Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles ont été soulevées à partir de 1965 par Jim Garrison, le District Attorney de La Nouvelle Orléans. Outre son témoignage écrit (On the Trail of Assassins), le travail de ce procureur minutieux et opiniâtre ont fait l’objet d’un film à succès d’Oliver Stone à la fin des années 80 (JFK - Affaire non classée). Jim Garrison pointe du doigt la responsabilité de l’administration d’État, et en premier lieu de Lyndon Johnson, vice-président en exercice sous Kennedy, devenu suite à son assassinat son successeur avant d’être élu Président un an plus tard.
Alors, complot ou pas complot ?
Durant les années 50 et 60, la société américaine corsetée et engourdie par des envies de consommation et de richesse, la parole officielle pouvait être rassurante. Marc Dugain revisite cette période dans Ils vont tuer Robert Kennedy (Gallimard). Sorti cet automne, ce roman auto- fictionnelle entend parler d’un autre crime célèbre – et d’un autre Kennedy. Il est encore question de complots, que l’auteur lie à sa propre histoire familiale (les décès de son père et de sa mère à un an d’intervalle). Il lie ces interrogations à une analyse forte et troublante de la contre-culture américaine. Marc Dugain transforme sa soif de vérité et sa recherche de complots – imaginaires ou non – à une véritable quête humaine, sinon humaniste, qui n’est pas exempte de paranoïa et de folie.
Dans son livre dense et passionnant il est amplement question de ces complots qui ont touché une autre famille, les Kennedy et d’autres interrogations portant sur des personnages fondamentaux mais rarement évoqués dans les études sur l’assassinat de Dallas : que faisaient les futurs présidents George Bush, un familier de la CIA, dont il prendra la tête quelques années plus tard, et son fils George W. Bush dans cette ville ? Pourquoi une telle amnésie ?
Autant de questions que l’ouverture des archives publiques américaines pourraient bien aider à éclaircir. À moins que le FBI et la CIA ne se gardent pour encore quelques années les documents les plus fondamentaux. Jusqu’au décès des derniers acteurs, George Bush en tête ?
Vincent Quivy, Qui n’a pas tué John Kennedy ?, éd. Seuil, 2013, 285 p. Thierry Lentz, L’Assassinat de John F. Kennedy, éd. Nouveau Monde, 2010, 446 p. Jim Garrison, JFK, éd. J’ai Lu, 1988, 319 p. Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, éd. Gallimard, 399 p.
Durant la Grande Guerre, un soldat déserte en se travestissant en femme. Le synopsis du film d’André Téchiné, Nos Années folles, est la trame d’une autre œuvre, le roman de Frédéric Lenormand, Seules les Femmes sont éternelles (éd. de la Martinière). L’auteur des Nouvelles Enquêtes du Juge Ti (éd. Fayard) inaugure avec ce polar enlevé et haut-en-couleur une nouvelle série policière : Les Enquêtes de Loulou Chandeleur.
Loulou Chandeleur est en réalité Raymond Février, brillant inspecteur de police que l’armée appelle pour venir mourir dans les tranchées. Très peu pour ce fin limier, bien décidé à faire le mort pour échapper à la patrie plutôt qu’à l’être vraiment dans la boue. Le fonctionnaire Ray déserte donc en disparaissant et choisit, avec la complicité de Léonie, une prostituée qu’il a tirée d’affaire, de se travestir en femme sous l’identité de Loulou Chandeleur.
Et parce qu’il est un enquêteur hors-pair, c’est aussi comme enquêteur – ou plutôt enquêtrice – que Ray/Loulou réapparaît dans un Paris en guerre, vidé de ses hommes partis au front et peuplé de femmes devenus conductrices de tramway, ouvrières ou détectives privées. C’est justement une détective privée qui recrute Loulou Chandeleur pour l’agence qu’elle dirige depuis la mobilisation de son père. La sémillante mais inexpérimentée Cecily Barnett va former avec cette employée douée et tombée du ciel un duo détonnant.
Leur première affaire concerne une étrange histoire de chantage : la baronne Schlésinger charge l’agence de détective de découvrir le maître-chanteur qui menace son fils Paul parti au front. Pour alléger le compte en banque de l’aristocrate bien sous tout rapport, le corbeau laisse sur son passage des macchabées. L’enquête mène Loulou et Miss Barnett dans des endroits interlopes et en compagnie de personnages peu recommandables, avant un dénouement inattendu.
"Je suis avec vous mes sœurs"
La vraie originalité de cette première enquête de Loulou Chandeleur réside dans l’histoire de travestissement, inspirée par l’authentique subterfuge du soldat déserteur Paul Grappe. Ici, Frédéric Lenormand en fait le point de départ d’un roman policier à la Arsène Lupin, virevoltant, ponctué de rebondissements, de traits d’humour et de dialogues qui font mouche. En endossant, pour sa survie, les atours que lui conseille Léonie ("Décidément, la femme était l’avenir de l’homme planqué."), Ray devient un semblable de celles qu’il considère très vite comme ses semblables.
Métamorphosé, l’ancien policier élevé dans une société machiste découvre la réalité de ces Françaises tenant à bout de bras l’arrière d’un pays plongé dans une guerre inhumaine : "Sa mission était de se battre pour la vie. Cela pouvait très bien se faire en jupe, personne n’avait besoin d’un pantalon pour ça. Il regarda les femmes autour de lui, celle qui se lamentait, celles qui retournaient à leur travail, et se dit : « Je suis avec vous mes sœurs ! »"
L’émancipation féminine est aussi au cœur de Seules les Femmes sont éternelles. Il y a par exemple cette scène de "sédition" au cors de laquelle Loulou et Cecily se muent en suffragettes au cours d’une investigation auprès d’ouvrières : "Miss Barnett (…) se sentait devenir la Cecily Engels de Loulou Marx."
Devenu femme "dans un océan d’autres", Ray n’en reste pas moins un homme devant soigner sa couverture s’il veut vivre parmi les "survivantes", ce qui ne va pas sans dilemme : "Il avait le choix entre s’exiler dans des tranchées dépourvue de femmes ou rester ici sans pouvoir profiter de sa chance."
Le lecteur se plongera enfin avec plaisir dans un polar à l’ancienne qui est aussi un roman historique pour sa peinture plus vraie que nature de la vie à l'arrière du front. Et parce que le crime ne s’arrête pas pendant la guerre, on peut faire confiance à Loulou Chandeleur et son amie Cecily Barnett pour mener à bien leurs enquêtes, que ce soit en jupon ou en pantalon.
Frédéric Lenormand, Seules les Femmes sont éternelles, Une Enquête de Loulou Chandeleur, éd. de la Martinière, 286 p., 2017
Sur Bla Bla Blog, nous adorons Nathalie Cougny pour des tas de raisons : son caractère entier, son opiniâtreté, son engagement auprès de causes qui lui tiennent à cœur (le féminisme et la protection de l’enfance) mais aussi et surtout son travail d’artiste se jouant des barrières et des étiquettes. N’avait-elle pas présenté au Julia (Paris 3e) en décembre 2015 son roman Amour et Confusions…(éd. Sudarènes) dans le cadre d’une exposition de peintures et de photos, au cours de laquelle étaient accrochée ses propres toiles ? Plus récemment, c’est le théâtre que l’artiste a choisi d’investir, à travers Sex&love.com, une pièce abrupte et sincère – sur l’amour et les femmes, toujours.
Nathalie Cougny est entière, sincère et sans artifice. La poésie tient pour cette raison une place essentielle dans sa vie comme dans son œuvre. Mais il s’agit d’une poésie proche de nous, sensuelle et au plus près des corps : "Ma poésie traite essentiellement du sentiment amoureux. Depuis des changements importants dans ma vie personnelle, je pose des mots en musique, celle des émotions du corps et de l’âme" dit-elle au sujet de son dernier ouvrage.
Adoration (éd. Mon Petit Éditeur) entre dans le domaine de l’intime, celle "des coups de reins, des coups de rien. / Emmêlés dans cette jouissance en fusion." Nathalie Cougny s’est emparée de la poésie pour libérer ses propres tourments et s’interroger sur l’amour, le thème le plus traité en littérature. Nathalie Cougny prend à bras le corps ce sentiment universel : "Tu éclaires tous les contre-jours de ma vie", écrit-elle dans un élan qui ne saurait faire de distinction de genre et de sexe. Dans sa bouche, l’amour devient une religion envoûtante qui se joue de toutes les règles : "Délivre-moi du bien /Jusqu’à la défaillance."
Les poèmes en vers ou en prose de Nathalie Cougny ne s’embarrassent pas de mièvreries. Ils sont racés, colorés, épanouis, et en même temps piquants comme autant de roses offertes en bouquets : "Je voudrais pleurer encore, de cet amour-là, / Qui me parlait en secret, pour ne rien me dire. / M'étrangler de tes silences, en liberté, / Égoïste, je les veux tous pour moi."
"La belle charogne"
Il est question de pulsions insensées et libératrices ("Je m’offre à ton emprise, / Comme une viande / À la belle charogne, / Léchant jusqu’à l’aube, / Ma cuisse, mon sexe et l’autre. / Profite, salive, viens !"), mais aussi de trahisons ou de fuites ("Tu n’as pas su m’habiller de tes souffrances. / Tu as pris le chemin de la fuite en instance"), avec ces mots qui savent happer le lecteur, le séduire, le désarçonner et se jouer de lui : "De ton âge à mon âge il y a deux pas, / Encore et encore, il n’y a qu’un pas. / Que dit ton corps à demi-mot ? / Un pas de plus, un pas de trop."
C’est à pas feutré que l’auteure nous fait entrer dans ces intimités, telle cette "chambre blanche" qui a accueilli les étreintes de deux amants éperdus : "Nos mains désinvoltes, offertes aux instants, : Qui ont tout pris de ton corps, de mon corps. / Caresses sur caresses, langues curieuses, / Assoiffées de désir, puis nos souffles, chauds."
Un grand souffle chaud balaie ce recueil. Il respire de vies et d’envies : "Au risque de me perdre, je fais ce voyage, / De mon corps à ton corps, sans aucun bagage, / J’approche ma bouche de tes envies, / Tu es cette sublime et divine rêverie." Nathalie Cougny a choisi de faire de ces amours-là une matière littéraire et libératrice – qui fait du bien.
Après la réussite de sa première édition, le Salon de La Littérature Érotique remet le couvert le dimanche 26 novembre de 15 heures à 21 heures au 153 (Paris, 3e).
Bla Bla Blog avait suivi en 2016 la création de cet événement, qui était à l’époque organisée autour d’une exposition de peinture du dessinateur érotique Alex Varenne. Cette année encore, la littérature érotique aura l’honneur d’être mise en avant, mais aussi démystifiée. Vaste projet pour ce genre spécialisé, souvent considéré avec méfiance, et dans lequel les femmes tiennent sans conteste le haut du pavé. Lors de sa première édition, le public se pressait dans une galerie d’art cosy mais étroite. Cette fois, c’est sur les trois étages du bar Le 153 que se retrouveront une dizaine d’auteurs pour des rencontres et des dédicaces.
Pour faire sortir la littérature érotique des fantasmes courant à son sujet, plusieurs conférences seront proposées : "Le retour de la morale dans la littérature érotique" par Spengler Franck , "Le sexe sans enjeux est un jeu délicieux" par Simpere Françoise, "Comment poser sa voix sur de la littérature érotique ?" par Philippe Lecaplain, avec également des lectures du jeu concours Chuchote-moi.
Les organisateurs ont également mis en place des défis d'écritures organisés toute la journée, avec des cadeaux à gagner pour celles et ceux qui voudraient s’initier à ce genre littéraire.
Des happenings et des surprises compléteront cet événement, avec notamment une exposition de planches de BD érotique par Tabou éditions, une animation des comédiens d'Une femme extraordinaire, le cadavre exquis des fantasmes par Nathalie Giraud et Isabelle Bize.
À partir de 21 heures, le salon se transformera en soirée libre, pour les plus motivées et les plus coriaces.
On entre dans l’univers de Nicolas Le Bault comme s’il s’agissait d’un territoire hors du temps. Rien ne ressemble à ses créations déroutantes, et c’est bien pour cela qu’il faut absolument découvrir cet artiste aux multiples facettes.
Bla Bla Blog avait consacré une chronique à son élégant et très lynchien roman graphique Hygiène Rose, toujours disponible aux éditions Réseau Tu Dois. Nicolas le Bault s’est lancé cette fois, avec trois acolytes, Frederika (pour le texte), Frédéric Fenollabbate (pour les dessins en noir et blanc) et Stéphane Rengeval (pour les photographies), dans une nouvelle aventure artistique, White Rabbit Dream. Le premier volume, La Coupure, sort cet automne.
Autant dire tout de suite que l’on aime ou que l’on déteste cet imaginaire fait de rêves, de cauchemars, d’illusions, de fantômes, de perversions et de personnages ambivalents. En tout cas, la patte de Nicolas Le Bault est reconnaissable entre toutes : dessins tout droit sortis de l’enfance, visages expressifs, couleurs vives. L’univers de l’enfance est récupéré, recyclé et dynamité à la TNT afin de mettre à nue toute la cruauté du monde et son absurdité. Hygiène Rose proposait, sous l’aspect d’un innocent conte pour enfant, un voyage sensuel et morbide dans lequel l’amour conduit à l’aveuglement, à la souffrance, au meurtre et au martyr. Nous nous trouvons ici dans un monde similaire mais créé en collaboration avec trois autres artistes.
Dans le premier volume de White Rabbit Dream, présenté comme un "magazine d'art contemporain & de transgression", les quatre auteurs proposent un concept de série graphique compacte, dense et truffé d’inventions visuelles. Textes, BD, anagrammes, photographies ou dessins inspirés de l’œuvre d’Aurélie Dubois se répondent dans un récit truffé de symbolismes, de dessins faussement enfantins et d’admonestations : "Je me demande dans quel terrier tu as vécu jusque-là. On dirait que tu n’as rien vu."
L’invitation à la coupure, qui se traduit ici par "vivre à la campagne", est le début d’un récit horrifique et "très dangereux", que Nicolas Le Bault représente sous forme d’une courte bande dessinée sanglante et sans paroles (The Bleeding Tree Horror). C’est par ellipse visuelle que les deux auteurs nous entraînent ensuite vers une histoire d’apocalypses, de meurtres et de rituels étranges "par notre Sainte-Mère-Furie… une entreprise de démolition contre l’esprit."
C’est chez le Marquis de Sade qu’il faut chercher les influences de la seconde partie de ce volume : enfermements, univers carcéral dominé par une "caste d’Eunuques à l’envers", violence omniprésente et éducation à la perversité et au sadisme. Le premier volume de la série nous met en présence d’une narratrice, Amandine L., victime sur le chemin de la rédemption et de la fuite, alors que "le monde est en train de se restructurer". Pour en savoir plus, il faudra au lecteur patienter pour découvrir la suite de ce cycle où arts et transgressions font bon ménage. Bienvenue dans le monde enfantin, sensuel et terrifiant de Nicolas Le Bault.
Une citation du poète belge Jacques Goorma ouvre la dernière partie du récit de Mélanie Hamm, Écoute : "Les mots s’échangent. Seul le silence se partage." Cette citation pourrait servir d’exergue à l’ensemble du récit de l’auteure qui nous délivre le récit d’une jeune femme atteinte d’un handicap très peu connu. Être malentendant c’est vivre, nous dit Mélanie Hamm, avec une particularité "insoupçonnée" et invisible. C’est être ni sourd ni vraiment entendant : "Parfois sourde, parfois entendante," c’est condamner "à rester entre les deux."
La malentendance est ici racontée avec pudeur mais néanmoins précision dans les rapports de l’auteure avec les autres : ses proches, sa famille, ses amis, ses camarades d’écoles mais également ses professeurs. Spécialisée dans les sciences de l’éducation, Mélanie Hamm consacre de nombreuses pages à l’école, à l’apprentissage et à ses difficultés à se faire une place dans une société qui peine à s’adapter à son écoute mal aisée, ce que l’auteure formule ainsi : "Un goût de citron naquit dans ma bouche, celui de la gêne d’être différente face à autrui."
Le silence est un sport de combat, et plus encore la lutte pour apprivoiser une conversation et naviguer "entre deux mondes, le silence et le bruit." Le mot handicap n’est pas tu par l’auteur et l’apitoiement convient bien mal à ce qui est aussi une histoire d’initiation. La construction de soi, la découverte du handicap, l’ouverture vers les autres, les incompréhensions réciproques, la découverte des mots, la littérature, le lycée, l’adolescence et l’amour font d’Écoute un récit sans pathos ni leçons moralisatrices. Le lecteur trouvera aussi quelques jolis passages consacrés à… la musique classique, l’une des passions de l'auteure.
Mélanie Hamm écrit sans doute le passage le plus poignant dans l’histoire d’une idylle marquante mais inaboutie avec un professeur brillant. Celui-ci se révèle comme englué dans un échec personnel, offrant à la lycéenne malentendante le visage d’un homme "handicapé" par ses faiblesses, ses doutes et ses lassitudes. Où la personne handicapée n’est pas là où on le pense.
Vivant au milieu des "entendants", c’est aussi parmi les sourds que la jeune femme découvre une forme de sérénité : "J’aimais de plus en plus leur compagnie. Leur silence m’apaisait, leurs signes me ravissaient. Avec eux, je me sentais instantanément protégée du bruit et de la trépidation de la vie."
Plus qu’un simple témoignage, Mélanie Hamm livre une analyse rare, sensible et percutante sur l’ouïe et sur l’écoute, que, paradoxalement, la malentendante a réussi à "surdévelopper" et, à force de combat, à utiliser telle une arme pour vivre et survivre : "Qu’est-ce qu’entendre ? C’est entendre avec le corps. l’oreille entend le rythme oral, le corps comprend l’expression verbale… Ma force intrigue. Faut-il que je l’écrive autrement : le silence est ma force ? Il fend les monts et les océans."
Les récits de guerres sont nombreux, beaucoup moins ceux concernant la Guerre de Corée (1950-1953), un conflit oublié et pourtant fondamental dans l’histoire de la Guerre froide. La Guerre de Corée prend une résonance particulière aujourd’hui avec la crise nord-coréenne et les tensions entre le Président américain Donald Trump et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.
Leonard Adreon, ancien lobbyiste puis conseiller auprès de Ronald Reagan, est l’auteur d’un récit sur son passé de soldat pendant la guerre de Corée : Hilltop Doc (éd. BookBaby, non-traduit en français).
Leonard Adreon a vécu certains des pires carnages de la guerre de Corée mais aussi des moments plein d'humanité. Sa description saisissante donne vie à la guerre entre l'armée chinoise et les Marines américains, au cours de batailles faisant rage pour la conquête de collines en Corée. Aide-soignant dans les Marines, Leonard Adreon raconte son histoire, celle d'un jeune homme de Saint-Louis sans expérience médicale mais chargé de sauver des vies au milieu du chaos sanglant de la guerre. Il décrit des scènes sinistres, bouleversantes et parfois comiques des champs de bataille, avec sa propre histoire en arrière-fond – qui est aussi celle de ses erreurs et des vicissitudes de l'armée qui l'ont fait atterrir sur le 38e parallèle.
Leonard Adreon a accepté de répondre à nos questions. Il nous parle de son expérience de vétéran, nous livre sa vision de la crise nord-coréenne et propose des leçons à tirer de la guerre à laquelle il a participé.
Bla Bla Blog : Pensez-vous que la Guerre de Corée soit une "guerre oubliée" ? Leonard Adreon : Oui, la guerre de Corée est une guerre oubliée. Elle était coincée entre la monumentale seconde guerre mondiale et la tragique guerre controversée du Vietnam. Elle a commencé sur le 38e parallèle et s'est terminée sur le 38e parallèle. La perception en Amérique est qu’elle avait lieu au milieu de nulle part et qu’elle n’a rien changé. Les 50 millions de personnes qui ont été sauvées en Corée du Sud seraient en désaccord avec cette perception. BBB : Cette guerre est inconnue par une majorité de Français. Et les Américains ? LA : Ma précédente déclaration répond à cette question sur la méconnaissance de cette guerre par les Américains. BBB : Pourquoi êtes-vous allé à la guerre ? Quel âge aviez-vous ? Le regrettez-vous aujourd’hui ? LA : J'ai été enrôlé à l'âge de 17 ans en 1944. J’ai rejoint les réserves, avant d’être libéré de mes obligations. Puis, j’ai été remobilisé en 1950 lorsque la guerre de Corée a commencé. BBB : Vous parlez dans votre livre de la Dog Company (Compagnie des Chiens) Qu'est-ce que la Dog Company ? LA : Les compagnies marines étaient désignées par des lettres. Ma compagnie était la compagnie D. Elles étaient ensuite surnommées à partir de ces lettres : Able, Baker, Charlie, Dog, et Easy, etc. BBB : Sur quels champs de bataille avez-vous été ? LA : Les champs de bataille étaient les collines et les vallées autour du 38e parallèle. BBB : Pourquoi avoir attendu 60 ans pour raconter votre histoire, et pourquoi avez vous décider de parler maintenant ? LA : J'ai attendu plus de 60 ans parce que quand j'ai quitté la Corée, moi et les membres de mon peloton avons décidé que nous allions mettre l'expérience coréenne derrière nous et passer à autre chose dans nos vies quand nous retournerions à la maison et si nous y pouvions y retourner. J'ai décidé de parler maintenant parce que ma mémoire est claire et précise sur ce qui s'était passé. Par ailleurs, la faculté de l'Université Washington de Saint Louis, où j’exerce dans le cadre de cours d'écriture, a découvert que j'avais fait la guerre et m'a encouragé à écrire un livre. BBB : Quels camarades et amis proches avez-vous perdu là-bas ? Qu'aimeriez-vous leur dire aujourd'hui ? LA : J'ai perdu un certain nombre de camarades de Marines très proches. Je parle d’eux dans HilltopDoc. Je voudrais leur dire qu'après un long silence, j'ai écrit ce livre pour les honorer et que je penserai à eux jusqu'à ma mort. BBB : Pouvez-vous nous parler d'un événement en Corée qui vous a particulièrement touché ? LA : Dans le prologue du livre, je fais référence à Big Mike, un Marine de carrière qui avait survécu aux affreuses batailles d'Iwo Jima [février-mars 1945] pour finalement perdre la vie sur une colline en Corée. Il a succombé après que ses instincts affûtés m’aient sauvé de la mort moi et son équipe de pompiers à cause d’une grenade chinoise. Par la suite, je n'ai pas réussi à le sauver. Je l'ai porté en bas de la colline et j'ai aidé à charger son corps sur un camion, avant son long voyage de retour. Je lui devais ma vie. Cela m’a profondément affecté. BBB : Êtes-vous retourné en Corée après la fin de la guerre ? LA : Non, je ne suis pas retourné en Corée. BBB : Avez-vous parlé à vos enfants de votre expérience de soldat ? LA : Mes filles en ont entendu parler quand j'ai commencé à écrire ce livre. BBB : Qu'aimeriez-vous dire à vos petits-enfants au sujet de votre expérience militaire ? LA : Je veux dire à mes six petits-enfants que la guerre est le pire des règlements lorsqu’il y a un différend entre parties. S'ils lisent Hilltop Doc, ils devraient comprendre le message. BBB : Est-ce que la situation en Corée vous inquiète ? Pourquoi ? LA : Je suis préoccupé par la situation aujourd'hui. À moins que la Chine n'intervienne et que Kim Jon-un abandonne son programme nucléaire en échange d'une garantie de survie de la Corée du Nord, la menace d'une conflagration majeure risque de tuer beaucoup de personnes en Corée du Nord, en Corée du Sud et dans de nombreux endroits d’Asie du Sud-Est, sans compter aux États-Unis. BBB : Pensez-vous que nous pouvons revivre aujourd'hui ce qui s'est passé il y a 60 ans ? LA : Nous ne pouvons pas revivre ce qui s'est passé il y a 60 ans, mais nous pouvons comprendre cet événement. En tout cas, c’est ce que mon livre tente de faire. BBB : Si vous pouviez conseiller le président Trump, que lui diriez-vous ? LA : J'espère que le président Trump épuisera toutes les possibilités de faire pression sur Kim Jong-un, probablement via la Chine, pour mettre un terme à ses programmes nucléaires potentiellement désastreux. Si la Chine ne peut ou ne veut pas le faire, le président devrait chercher un changement de régime. Attaquer la Corée du Nord est un dernier recours désespéré. BBB : Si vous pouviez dire quelque chose au président français Emmanuel Macron au sujet de la guerre de Corée et de la Corée de Kim Jong, qu'est-ce que ce serait ? LA : J'espère que le président français se joindra à d'autres pays du monde pour forcer la Corée du Nord à cesser ses programmes nucléaires intercontinentaux. BBB : Comment pouvons-nous mieux aider les anciens combattants de la guerre de Corée et et des autres guerres ? LA : Les vétérans de la guerre de Corée diminuent en nombre. Je pense que la meilleure chose que nous pouvons faire est de les honorer pour leur service en se souvenant de cette guerre oubliée. Les vétérans, vivants et morts, comme les victimes de la guerre, méritent de ne pas être oubliés et d’être respectés. BBB : Merci pour vos réponses, Leonard Adreon.
The books about wars are numerous, much less those concerning the Korean War (1950-1953), a conflict that is fundamental in the history of the Cold War. We are talking today about this war forgotten because of the North Korean crisis and the tensions between US President Donald Trump and North Korean dictator Kim Jong-un.
Leonard Adreon, a former lobbyist and Ronald Reagan advisor, is the author of a story about his past as a soldier during the Korean War: Hilltop Doc (BookBaby).
As a Marine corpsman, Leonard Adreon saw some of the worst of the Korean War’s carnage and the best of its humanity. His gripping description brings to life the war between the Chinese army and the U.S. Marines as they battled to take the high ground. As a corpsman, Adreon tells the story from the unique perspective of a young man from St. Louis, with no medical background, thrown into the role of saving lives amid the war’s violence. He leavens the grim, emotional, and sometimes ironic battlefield scenes with his background story – of how his own mistakes and the military’s bumbling landed him at Korea’s 38th Parallel.
Leonard Adreon accepted to answer our questions. He talks about his experience as a veteran, tells us his vision of the North Korean crisis and gives some lessons after his military past in Korea.
Bla Bla Blog: Do you think that the Korean War is a “Forgotten War” ? Leonard Adreon: The Korean War is a forgotten war. It was squeezed in between the monumental WW 2 and the tragic, controversial Viet Nam War. It started at the 38th Parallel and ended at the 38th Parallel. The perception in America was that it went nowhere and accomplished nothing. The 50 million people of South Korea who were saved would disagree with that perception. BBB: This war is unknown by a majority of French. What about the Americans? LA: My statement above answers the question about American’s knowledge of the war. BBB: Why did you go to war?" How old were you ? Do you regret it? LA: I was drafted at age 17 in 1944. Joined the reserves when released from service and called back in 1950 when the Korean War began. BBB: You're talking about the Dog Company (Chapter 15) What is the Dog Company? LA: Marine companies were designated by letters. My company was D Company. Companies were called Able, Baker, Charlie, Dog, and Easy etc. BBB: On what battlefield have you been? LA: The battlefields were the hills and valleys in the area of the 38th Parallel. BBB : Why do you waited 60 years to tell tour story, and why do you decide to speak now? LA : I waited more than 60 years because when I left Korea the members of my platoon decided that we were going to put the Korean experience behind us and move on with our lives when and if we made it home. I decided to speak now because my memory was vivid and clear about what happened and the faculty of Washington University of St. Louis, where I facilitate writing classes, discovered that I was in the war and urged me to write a book. BBB : What companions and close friends have you lost there? What would you like to tell them today? LA : I lost a number of close Marine buddies and I have written about them in Hilltop Doc. I would like to tell them that, after a long delay, I wrote a book to honor them and that I will think of them until I die. BBB : Can you tell us about an event in Korea that particularly affected you? LA : In the prologue of the book I make reference to Big Mike, a career Marine who had survived the horrible battles of Iwo Jima [february-march 1945] only to loose his life on a hillside in Korea. He lost his life after his quick instincts saved me and his fire team from death by a Chinese grenade. After I was unsuccessful in saving him, I carried him down the hill and helped load his body on a truck to start his long journey home. I owed him my life. It had a profound effect on me. BBB : Did you return to Korea after the end of the war? LA : I did not return to Korea. BBB: Have you talked to your children about your experience as a soldier? LA: My daughters heard from me about it when I proceeded to write the book. BBB: What would you like to tell your grandchildren about your military experience? LA : I tell my 6 grandchildren that war is worse alternative to settling disputes between people. If they read Hilltop Doc they will get the message. BBB : Does the situation in Korea worry you? Why ? LA : I am concerned about the situation today. Unless China steps in and causes Kim Jon-Un to give up its nuclear program in exchange for a guarantee by China of North Korea’s survival, there is a serious danger of a major conflagration that will kill many in North Korea, South Korea and, possibly, in many places in Southeast Asia and the United States. BBB : Do you think that we can relive today what happened 60 years ago? LA : We can’t relive what happened 60 years ago, but we can understand it which is what my book attempts to do. BBB : If you could advise President Trump, what would you tell him? LA : I hope President Trump will exhaust all possibilities of pressuring Kim Jong-Un, probably via China, to discontinue his potentially disastrous nuclear programs. If China can’t or won’t do it, the President should seek regime change. Attacking North Korea is a desperate last resort. BBB : If you could say something to french President Emmanuel Macron about the Korean War and the Korea of Kim Jong un, what would that be? LA : I hope the French President will join with other world nations to force North Korea to cease its intercontinental nuclear programs. BBB : How we can better serve veterans of the Korean War and beyond? LA : The veterans of the Korean War are diminishing in numbers. I think the best thing we can do is to honor them for their service by remembering the forgotten war. The veterans, living and dead, and the casualties of the war deserve to be remembered and appreciated. BBB : Thank you for your answers, Leonard Adreon.
Leonard Adreon, Hilltop Doc: A Marine Corpsman Fighting Through the Mud and Blood of the Korean War, BookBaby, 244p. 2017 http://www.hilltopdoc.com