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Livres et littérature - Page 66

  • Ces inconnus qui nous gouvernent

    circus_politicus.jpgCircus Politicus, essai ambitieux, entend décrire les dérives de nos démocraties actuelles, en ce que la parole des peuples (le "vox populi, vox dei") est très souvent (trop souvent selon les auteurs) considéré par nos dirigeants comme un obstacle à des décisions qui semblent s'imposer. Ces décisions sont liées à de bonnes intentions (une meilleure gouvernance) et à d'autres moins avouables (l'idéologie libérale). Le "circus politicus" est cet univers public et politique fait de faux-semblants, d'apparences, de langues de bois, de discours trompeurs (pour ne pas dire mensongers), de non-dits et surtout de décisions secrètes imposées à tous.

    Un des chapitres du livre s'intitule "ministères du monde". Derrière ce terme se cachent des organisations officielles et d'autres officieuses : conseils européens, BCI, agences de notation, organisation mondiale Bilderberg, lobbys internationaux, etc. Pour être honnête, cette première partie gêne aux entournures en ce qu'elle semble faire la part belle à une sorte de complot mondial.

    Mais là où l'essai s'avère passionnant est son patient descriptif des institutions européennes. C'est la deuxième partie du livre, la plus volumineuse mais aussi la plus intéressante. Parlement, commission, conseil et autres organismes européens sont passés au crible, pour le meilleur et surtout pour le pire. Les auteurs ne sont pas tendres envers les conseils européens où se décident les grandes décisions à l'échelle du continent : les chefs d'Etat se montrent sous leur plus mauvais jour, d'autant plus que les débats y sont savamment cachés.

    On aurait pourtant tort de classer ce livre parmi les critiques des institutions européennes. Deloire et Dubois pointent au contraire du doigt la mesquinerie de l'ensemble de la classe politique française. En privilégiant les élections nationales tout en snobant des institutions aussi importantes que ne l'est, par exemple, le Parlement européen, la plupart des politiques français (mais aussi les énarques et futurs dirigeants) passent à côté de l'Histoire et des décisions les plus capitales pour les citoyens européens. Et, avec toutes ses imperfections, les organismes européens montrent, à la fin de cet essai, une image finalement beaucoup plus reluisante que nombre d'institutions françaises.

    Christophe Deloire & Christophe Dubois, Circus Politicus, éd. J'ai Lu, 503 p.

  • Valérie, François ne lui dit pas merci

    Le livre le plus important, médiatiquement parlant, de cette rentrée littéraire, a fait couler beaucoup d'encres. Tout ou presque a été dit sur le livre de Valérie Trierweiler, Merci pour ce Moment. À la sortie de ce brûlot, il semblait qu'un tel document se résumait à ces quelques lignes : Valérie aime François qui a quitté Ségolène pour elle, jusqu'à ce qu'elle découvre que celui-ci la trompe pour Julie... Une histoire d'adultère(s), en somme, banale et cruelle, transformée en grand déballage public.  Ajoutez à cela un matraquage éditorial frôlant l'indécence et tout était réuni pour donner au document de Valérie Trierweiler un parfum de scandale.

    Il reste qu'il faut bien parler de ce livre. Que contient-il ? Mérite-t-il les cris d'orfraies distribués par les journalistes, critiques, politiques, éditeurs (hormis les Arènes, bien entendu !), libraires et citoyens lambdas?

    Disons tout de suite que le lecteur de Merci pour ce Moment ne peut oublier que ce livre est au mieux un livre à charge contre l'ancien compagnon de Valérie Trierweiler, au pire un règlement de compte entendant solder quelques années de vie commune entre l'auteure et l'actuel chef de l'État. Aux pudibonds qui s'offusqueraient que l'intimité de l'ancien couple présidentiel soit mis en place publique, il convient de se souvenir que ce témoignage n'est qu'un retour logique de balancier, Valérie Trierweiler ayant été en première ligne après le dévoilement de sa vie privée. Et il faut bien concéder qu'elle même, surnommée publiquement par des détracteurs "Valérie Rottweiler", a rarement été bien traitée par les médias. 

    Conséquence :ces derniers ne sont pas ménagées dans son livre, attaques d'autant plus sévères que l'auteure est journaliste et sait taper où cela fait mal. Valérie Trierweiler n'hésite pas au passage à pourfendre la connivence entre les journalistes politiques et François Hollande.

    C'est à ce dernier que l'ancienne journaliste de Paris Match réserve ses plus beaux uppercuts. Le lecteur assiste ainsi aux pathétiques scènes de rupture dans le cœur même de l'Élysée. Jamais sans doute un livre n'est parvenu à entrer ainsi par la petite porte du palais de la République et nous montrer un homme public de cette importance sous un visage humain – hélas, trop humain !

    Le portrait tracé de François Hollande est à l'avenant : homme froid (d'une pudeur maladive, est-il dit), carriériste, passionné jusqu'à l'obsession par la politique, ambitieux et plus attiré par le monde de l'argent que par les gens simples (l'expression des "sans dents" a été commenté à multiples reprises). Valérie Trierweiler souligne d'ailleurs à plusieurs reprises ses origines populaires, bien loin des préoccupations du premier Président de la République socialiste. 

    Un règlement de compte donc. Mais pas seulement. Car Merci pour ce Moment se veut aussi le portrait – parfois caricatural, certes – d'un certain monde politique. Là encore, Valérie Trierweiler utilise le bazooka contre le cénacle socialiste qu'elle a suivi. Elle revient longuement sur le tweet contre Ségolène Royal, l'ex femme de François Hollande, à l'occasion des élections régionales de 2013. Cette dernière n'est, du reste, pas ménagée : le lecteur ressort avec l'impression que sa candidature aux présidentielles de 2007 était autant une audace politique qu'un moyen de court-circuiter une potentielle candidature de François Hollande. 

    Mise à part quelques personnalités plus ou moins préservées (dont Nicolas Sarkozy), le microcosme politique est durement décrit : un milieu sans foi ni loi, inhumain, machiste et brutal. S'agissant des hommes au pouvoir, Valérie Trierweiler considère que peu sont au niveau – hormis Laurent Fabius, est-il précisé.   

    Voilà un livre à charge donc, qui se voudraient être un long fleuve larmoyant, si l'auteur et narrateur ne faisait pas le choix, dans la dernière partie du livre, de revenir assez longuement sur son engagement humanitaire pendant et après son expérience à l'Élysée. Une manière aussi de relativiser son aventure personnelle, au regard des injustices criantes et des grands malheurs du monde.

    On referme le livre sonné par tant de confidences et de révélations peu flatteuses du Président de la République. La politique ne sort pas grandi de ce document à charge.

    Valérie Trierweiler a dégainé l'artillerie lourde pour solder un passé traumatisant et François ne lui dit pas merci.

    Valérie Trierweiler, Merci pour ce Moment, éd. Les Arènes, 320 p. 

  • Je vous salis ma rue, pleine de crasse

    bruck.jpgLe premier chapitre du roman La Maison des Anges est à lui seul un morceau d'anthologie que je n'aurai pas la cruauté de dévoiler. Disons qu'il s'agit moins d'une scène déclenchant l'intrigue qu'un épisode révélant une blessure profonde du personnage principal.

    Antonin Dampierre, trentenaire bien mis, agent immobilier doué et apprécié par son patron, vaguement épris de Monika, une ancienne mannequin – croquée avec humour et inspiration par l'auteur – est aussi un obsédé de la propreté. Et c'est cette obsession qui va entraîner sa chute. Le jour de la visite d'un appartement luxueux, un ivrogne lui fait rater sa vente. Par vengeance autant que par envie de "nettoyer" Paris, Antonin décide de s'en prendre à lui. À lui et pourquoi pas aux autres clochards qui errent dans la capitale ? Dans son projet meurtrier, Antonin découvre la Maison des Anges, un foyer pour SDF dirigé avec autorité par Isolde de Hauteluce, une sémillante et charismatique humanitaire. Cet havre de paix va servir ses desseins – à moins qu'il ne soit changé lui-même.

    Peintre cruel de la nature humaine, Pascal Bruckner l'est tout autant d'un Paris qui a été rarement décrit : celui de la plus basse des misères, des rejetés, de la crasse et d'une population miséreuse condamnée au plus grand désespoir. L'un des plus beaux portraits dans ce roman, qui est à lire comme un polar, est celui d'Isolde, bobo humanitaire, illuminée par une obsession quasi mystique : secourir les indigents. 

    Au terme de ce roman, au dénouement inattendu, je ne peux que conseiller la lecture des remerciements. L'auteur y dévoile la genèse de son roman et ses emprunts. Celui qu'il a fait à Jacques Prévert n'est pas le moindre. Il s'agit d'une citation utilisée dans son livre : "Je vous salis ma rue, pleine de crasse".

    Pascal Bruckner, La Maison des Anges, éd. Grasset, 2013, 315 p.

  • Je suis décontamineur dans le nucléaire

    95867988.to_resize_150x3000.jpgL'objectif de cet ouvrage sérieux et bien documenté est de plonger le lecteur dans l'univers peu connu du nucléaire. Que sait-on des centrales ? Finalement pas grand chose, ou du moins ce que les autorités publiques veulent ou peuvent révéler.

    Ce témoignage est unique - malgré quelques imperfections - en ce qu'il nous dévoile le quotidien des hommes (les jumpers) chargés de faire fonctionner les centrales nucléaires, parfois au mépris de pas mal de dangers. Les connaissances de Claude Dubout sont manifestes (il a d'ailleurs été conseiller technique pour le film Grand Central qui traitait de ce sujet, cf. bande annonce ci-dessous) au point que le lecteur peut être parfois perdu dans des aspects techniques.

    Au final, voilà un livre très intéressant qui nous laisse à penser que Claude Dubout fait partie de cette dernière génération de spécialistes et passionnés de l'atome. Qu'adviendra-t-il après eux?    

    Claude Dubout, Je suis Décontamineur dans le Nucléaire, éditions Paulo-Ramand

  • Le livre moche à la française

    éditions,couvertures,moches,éditeursUn article du Monde du 28 août 2014, "Quand l'habit fait le livre" s'intéresse à un sujet important dans la littérature mais méprisé par beaucoup d'éditeurs français: les couvertures de livres.

    Certes, comme le rappelle la journaliste Julie Carini, "ne jugez pas un livre à sa couverture" ("Don’t judge a book by its cover"), proverbe anglais équivalent de notre dicton "L'habit ne fait pas le moine". Pour autant, force est de constater que le pragmatisme anglais ne prend pas au pied de la lettre cette assertion.

    Car, là où le monde éditorial anglo-saxon considère le livre comme un objet à part entière, destiné à être vendu et, en tant que tel, à être sexy, les grands éditeurs français continuent de traiter leurs collections éditoriales comme des temples sacrés. 

    Résultat : alors que des éditeurs comme Penguin jouent la carte du graphisme et de l'identité, la tradition est forte chez les Gallimard, Grasset et autres Seuil à opter pour "l'élégance à la française" : couverture sobre, monochrome, typographie classique mais aussi indémodable. Le dernier mot doit être laissé au texte ! 

    Les origines de ce dédain – plus ou moins assumé – tiennent à ce que, pendant des décennies, la littérature populaire (celle des romans de gare et des polars bon marché) affichait sans vergogne des couvertures colorées, des illustrations explicites, au goût parfois douteux (la collection des SAS en est l'un  des plus beaux exemples). Au contraire de ces ouvrages, c'est la sobriété qui apparaît comme une règle quasi immuable pour tout éditeur entendant "faire de la littérature sérieuse".

    Mettons de côté cette dernière expression, sujette à bien des interprétations et considérons, à l'instar de Julie Carini, la valeur intrinsèque de la couverture. Certes, cette dernière n'est qu'une vitrine, imparfaite et forcément subjective – quand elle ne trahit pas l'œuvre qu'elle présente. Pour autant, elle est aussi la première chose qu'un futur lecteur voit du livre et, finalement, souvent, ce qui l'incitera ou non à se procurer – et lire – cet ouvrage. "Plus une couverture est sobre, voire sèche, plus elle est littérairement installée" comme le proclame un directeur éditorial cité dans cet article.

    Serait-ce à dire que les éditeurs français, obnubilés par cette antienne "le texte et rien que le texte", seraient totalement rétifs au changement dans ce domaine ? Pas tout à fait. Tout d'abord parce que le milieu de l'édition, comme le rappelle le journaliste du Monde, est constitué de professionnels qui ont ouvertement choisir de promouvoir leurs auteurs à travers des recherches graphiques attrayantes. Les éditions Philippe Rey, Au Diable Vauvert ou Zulma ne négligent ni l'iconographie, ni la typographie pour mettre en avant tel ou tel roman, tel ou tel essai. D'autre part, les grands noms de l'édition peuvent se rapprocher de graphistes pour telle ou telle collection. 

    Côté grands éditeurs, les lignes ont un peu bougé et on est arrivé à cet espèce de compromis à la française : garder l'héritage des livres à la couverture sobre (chiante ?) mais les orner de jaquettes illustrées en pleine page – sans parler des bandeaux rouges, utilisés souvent à tort à et à travers.

    Pour autant le chemin semble être encore long avant qu'un certain snobisme finisse par céder face aux sirènes des librairies ou des grandes plateformes Internet, type Amazon. Les graphistes piaffent d'impatience à l'idée de pouvoir – enfin – prendre la main sur les couvertures encore négligées, proposer de mettre en image l'univers d'un livre ou d'un auteur (car dans cette histoire, l'auteur est un peu le grand oublié) et redonner un nouveau souffle au livre.

    La bataille semble ne pas être gagnée. La tradition du "livre moche à la française" a encore de beaux jours devant elle.

    Julie Clarini, « Quand l'habit fait le livre », Le Monde, 28/08/14

  • Vous reprendrez bien un peu de fantasy ?

    92305233.png"Fantasy à la Carte" : le nom de ce blog résume bien l'objectif de ce site consacré à un genre qui a su se faire apprécier d'un large public : dresser une carte la plus complète de l'univers de la fantasy (et d'abord de la fantasy en littérature). 

    Ce site, animé par deux blogueuses, propose deux entrées principales  : une par date ("Archives") et une par thème ("Catégories"). Grâce à cette dernière, un panorama synthétique de la fantasy est dressé. L'internaute y trouvera des  sources, des références d’œuvres, des portraits d'auteurs, des illustrations et un découpage par sous-parties ("les classiques", "les pionniers", "les prometteurs"...). 

    On trouvera également dans Fantasy à la Carte des critiques de livres qui viennent régulièrement alimenter ce blog, critiques qui sont autant des idées de lectures.

    Fantasy à la Carte est loin d'être le seul site consacré à ce genre populaire et passionnant mais il reste sans doute l'un des plus ambitieux. Encore jeune (il a quelques mois d'existence seulement) et donc loin d'être complet, il mérite d'être suivi avec intérêt.

    http://fantasyalacarte.canalblog.com 

  • Groodtniques

    Vous ne le savez sûrement pas, et si vous le savez c'est que vous devez passer plus de temps à regarder la télévision qu'à lire, mais Stéphane de Groodt croûte grâce à des Groodt-niques sur Canal Plus...

    Ce livre rassemble une cinquantaine de portraits de célébrités : de Benoît XVI à Nicolas Sarkozy en passant par Zahia et Obama, ces chroniques sont l'occasion de multiplier jeux de mots et calembours dignes des meilleurs textes de Raymond Devos ou de Bobby Lapointe. Ces chroniques sont souvent très bien vues, d'une folle drôlerie. Comme le dit le génial Belge : elles permettent de conduire sa plume "aux quatre coins du monde, aux six côtés de l'hexagone, aux plus hauts sommets des profondeurs... pour des rencontres aussi sûres que réalistes, aussi curieuses que rieuses."

    Idéal pour les jours de cafards !

    Stéphane de Groodt, Voyages en Absurdie, éd. Plon, 200 p.

     

  • Tel est pris qui croyait prendre

    Nous avons tous reçu ce genre de spams dans nos boîtes mails : un correspondant mystérieux - le plus souvent, une femme - annonce qu'une grosse somme d'argent est disponible en échange de menus services. Presque rien : quelques centaines d'euros payables par Western Union, la photocopie de pièces d'identité ou un numéro de passeport. Ces courriers sont bien entendu l'oeuvre d'escrocs (la fameuse "arnaque nigériane") qui a permis de plumer quelques internautes naïfs. C'est à ce genre d'individus que s'attaque Les Milliards de dollars de Léon Robillard.

    Cet échange (véridique) de correspondances est un moyen diablement efficace de brocarder ces cyberscrocs, de les dénoncer mais aussi de venger ceux qui en auraient été victimes. L'auteur, Vincent Malone, a choisi de répondre à ces arnaqueurs à travers le personnage imaginaire de Léon Robillard, éleveur porcin (très) crotté de la région du Perche. Jouant le jeu de la victime naïve jusqu'à l'absurde, Léon Robillard s'accroche comme une sangsue aux pauvres veuves esseulées et richissimes cherchant un associé pour affaires, voire plus si affinités... Autres cibles de notre brave Normand : des marabouts renommés, de jeunes et jolies célibataires peu farouches ou bien des notaires promettant de superbes lots à récupérer moyennant quelques centaines d'euros de frais...

    Tout cela est très original, bien vu, écrit avec un humour ravageur, au point que l'auteur finit par faire tourner en bourrique quelques cyberescrocs qui ont trouvé plus fort qu'eux. Tel est pris qui croyait prendre!

    Vincent Malone, Les Milliards de dollars de Léon Robillard, éd. Versilio, 250 p.