En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Héloïse Letissier, alias Christine & the Queens a été, comme on s'y attendait, la grande gagnante des Victoires de la Musique 2015.
En la consacrant artiste féminine de l'année et en récompensant son clip "Saint-Claude" (vidéo ci-dessous), l'académie des Victoires a consacré une artiste complète et exceptionnelle.
Christine And The Queens a surgi l'année passé et n'est pas passée inaperçue.
C'est sans doute cette photo emblématique de Christine And The Queens qui a d'abord marqué les esprits : une jeune femme (la fameuse "Christine" n'a pas 30 ans), vêtue de noir jusqu'à ses chaussures, est assise sur un bloc blanc – le sol est de la même couleur – devant un fond bleu foncé. Elle porte à la main un bouquet et semble regarder avec mélancolie en direction d'un parterre de public. A priori, le Parisien qui découvrait durant l'année 2014 cette photo placardée dans les couloirs du métro aurait pu penser à la promotion d'un spectacle pour un groupe anglo-saxon, tant Christine And The Queens sonne so British.
Double erreur. Car ce que le grand public découvrait à travers ce cliché était la présentation du premier album de la Française (et Nantaise) Héloïse Letissier, Chaleur humaine. Artiste complète, compositrice, interprète, danseuse (ses chorégraphies sont reconnaissables entre mille, comme le clip "Christine" en bas de cet article le montre), Christine And The Queens a à ce point impressionné le public et les critiques que Chaleur Humaine a été salué comme un des meilleurs disques de 2014.
D'où peut tenir la magie d'une œuvre musicale ? Peut-être d'abord à ceci : qu'elle puisse nous faire entrer dans un univers inoubliable et unique. La voix de Christine, fragile et sans fioriture, touche par sa sensibilité. L'interprétation devient poignante et entêtante dans le fabuleux titre "Christine" : "Je fais tout mon make up / Au mercurochrome. / Contre les pop-ups / Qui m'assurent le trône". À lire ce extrait, l'internaute aura deviné l'autre qualité de "Christine" : des paroles travaillées et d'une grande puissance poétique et où le symbolisme, comme l'engagement, ne sont jamais loin. L'auditeur curieux pourra même découvrir sur des forums mille et une interprétation de quelques-uns de ces textes (comme cet extrait de "Nuit 17 à 52" : "Là / Nuit 17 à 52 nous étions là / Toi / Allongé délié d'ornements froids / Moi / Dans une colère qui ne me ressemblait pas"). Qu'une artiste puisse susciter autant de commentaires et de gloses sur ses créations est en soi très bon signe.
Chaleur Humaine parvient, avec un grand sens de l'économie, à allier chanson française, pop anglo-saxonne, influence de la new wave, world music ("Science-Fiction"), slam ou électronique. Tout cela est travaillé avec goût : les violons du titre "Here", les passages slamés dans "Christine", les rythmiques et la voix éthérée dans "Saint-Claude", la simplicité apaisante de "Chaleur humaine" ("Ce gamin-là me montre tout / Et pointe du doigt la non-beauté / Des nudités pour m'initier / Dans un sourire / A la chaleur humaine"), ou encore l'efficacité mélodique de "Nuit 17 à 52".
Rien de révolutionnaire, me direz-vous ? Sauf que cet ensemble marche à la perfection, couronnant sans doute "Christine" comme la reine de l'année 2014.
On connaissait la Lady Gaga de Bad Romance, Poker Face ou de Telephone. Elle a pris tout le monde à contre-pied avec son l'album Cheek to Cheek, sorti il y a quelques mois et enregistré parallèlement à Artpop.
C'est accompagné du crooner américain Tony Bennett, une légende de l'autre côté de l'Atlantique, que la star "sexcentrique" (la "Picasso de la Musique" selon son acolyte) revisiste quelques unes des plus grands standards de jazz et de comédies musicales.
Cette parenthèse est le fruit d'une rencontre a priori improbable entre deux artistes que tout éloigne. C'est cependant vite oublier que Stefani Germanotta – de son vrai nom – est une new-yorkaise pur jus, comme Tony Bennett, en plus d'avoir une culture musicale solide.
L'auditeur se pincera à l'écoute de cet album soigné, romantique à souhait et mettant en valeur la voix toujours assurée du crooner et la sensibilité d'une Lady Gaga que l'on ne connaissait pas. Et force est de constater que les deux stars, certes d'une génération différente (Tony Bennett en est à son 57e album!), sont en parfaite osmose. Le plaisir de chanter de ces deux-là est bien visible.
C'est à un retour musical dans le Broadway de Tony Bennett que nous invite le dernier disque de Lady Gaga : "It Don' Mean A Thing (If It Ain't Got That Swing)", reprise d'un titre de Duke Ellington des années 30, "Sophisticated Lady", le grand classique de Billie Holiday interprété par Tony Bennett en solo, ou encore le standard "Cheek to Cheek", au swing irrésistible.
Cette création brillante à deux voix a été présentée comme une parenthèse dans la carrière de la popstar (si l'on excepte une tournée probable en Europe avec Tony Bennett en 2015) et comme une réussite artistique incontestable.
On aurait tort de faire la fine bouche à l'écoute de Cheek to Cheek, un album sensuel qui invite à danser, joue contre joue.
Lady Gaga et Tony Bennett, Cheek to Cheek, Polydor, 2014
"Il est génial et c'est nous qui l'avons !" Ainsi pouvait se résumer l'état d'esprit de la Columbia lorsque le jeune Glenn Gould, 22 ans en 1955, signa avec avec la major américaine pour son premier disque. Un premier disque qui, au début, laissa perplexe ses producteurs.
Le musicien canadien s'était déjà fait remarquer lors de concerts, autant pour ses choix musicaux hétéroclites et assumés (des compositeurs élisabéthains côtoyaient Beethoven, Webern et, déjà, Bach) que pour sa présence physique reconnaissable entre toutes lors de ses interprétations : position basse sur son siège, virtuosité, jeu non legato, visage hypnotisé, concentration telle que l'artiste allait jusqu'à chantonner durant ses propres exécutions – ce qui n'ira pas sans donner des sueurs froides aux ingénieurs du son !
Devenu un des poulains de la Columbia, Glenn Gould devait enregistrer le premier de ses nombreux enregistrements. Quelle œuvre allait être choisie par le musicien ?
Si le pianiste ne montrait pas beaucoup d'intérêt pour le répertoire romantique, il n'était pas absurde de penser qu'il allait jeter son dévolu sur Beethoven ou Bach. Et si c'est effectivement ce dernier qui fut choisi, ce fut pour une œuvre peu enregistrée jusqu'alors : les Variations Goldberg. La surprise était manifeste.
Ces 30 variations sur un aria (cataloguées sous la référence BWV 988), exercice pour clavier datant des années 1740, étaient destinées selon la légende au jeune Johann Gottlieb Goldberg, claveciniste doué et élève de Jean-Sébastien Bach. Cette série de courts thèmes et variations ne suscitaient pas l'enthousiasme au sein de la Columbia. Qui s'intéressait au début des années 50 à ces Variations Goldberg, du reste peu enregistrées et surtout mal connues du public ?
Mais, les producteurs plièrent. On ne pouvait déjà rien refuser au jeune Glenn Gould.
Contre toute attente, ces trente-deux arias et variations suscitèrent l'enthousiasme critique et surtout public. Les ventes de disques explosèrent. Glenn Gould devint instantanément une star. Comme le commenta son compatriote Norman Snider, "Si une lycéenne possédait un disque de musique classique parmi des enregistrements de Dave Brucecks ou du Trio Kingston, c'était sans doute les Variations Goldberg" ("Indeed, if a college girl had one record of serious music among the Dave Brubecks and Kingston Trios, it was likely to be the Goldberg Variations").
Cette référence à quelques standards de jazz n'est pas anodin. Virtuose, Gould offrait un nouveau souffle à cette œuvre austère, lui donnant du rythme et même, diront certains, du swing. La relecture des Variations Goldberg hérissa le poil de nombreux puristes mais le public ne s'y trompait pas, qui fit un triomphe au pianiste au point de le rendre légendaire.
Mais l'histoire des "Variations Gouldberg" ne s'arrête pas là.
26 ans plus tard, dans la dernière année de sa vie, Glenn Gould offrit une nouvelle version de cette œuvre devenue culte et célèbre grâce à lui. Il choisit cette fois une interprétation lente, sombre et contemplative, plus longue de 13 minutes que l'enregistrement de 1955 ! Le jeune homme impétueux des premières années avait laissé place à un homme mûr, plus intériorisé et d'abord soucieux de comprendre l'essence même de Bach.
Ces deux enregistrement éloignés dans le temps, l'un débutant et l'autre clôturant une carrière exceptionnelle, offrent deux visages diamétralement opposées d'un même morceau. Deux visages, deux chefs-d'œuvres, mais un seul interprète.
Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1955), Sony Classical Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1982), Sony Classical
Alka sort cette semaine un clip pour son titre D'un amour à l'autre, issu de son premier album, opportunément nommé La Première fois (2013). Ce clip est visible à la fin de cet article et sur ce lien.
Avant son arrivée fracassante sur la scène musicale, Alka Balbir n'était pas une inconnue : mannequin et actrice, elle avait été vue dans plusieurs longs et courts métrages.
Pour cette première réalisation musicale d'Alka, Benjamin Biolay est aux manœuvres. De A à Z, on retrouve la griffe et la sophistication du plus gainsbourien des artistes français. Cette remarque est d'autant plus vraie qu'Alka se révèle être une incarnation parfaite... d'Isabelle Adjani, une des nombreuses muses de Serge Gainsboug.
L'album d'Alka s'ouvre par le sombre, puissant et rythmé Bâtards suprêmes, à l'image du clip tourné pour l'occasion. Ce titre mélodique à souhait nous parle des reclus et des rejetés de la société : "On est la rangée du fond / On est la télé du salon / On prône l'amour vagabond / On finira tous moribonds / (...) Bien fait pour toi / Bien fait pour moi". Le titre suivant poursuit cette même veine sombre : La vie par les deux bouts, moins enlevé, plus sec, plus houellebecquien aussi, semble clore cette première partie engagée.
Dans les tes titres suivants, c'est surtout d'amour dont il est question, d'amour et de séparation : Pas la peine de dire adieu, à la mélodie entêtante et syncopée, se veut la constatation d'une rupture, froidement et non sans un humour grinçant : "Puis t'es venu / Et là tu pars / Hier encore je caressais ta peau nue / Te voilà sur le départ / ... Reprend ton putain de ciel bleu..." Il est encore question d'amour impossible et vain dans le fameux D'un amour à l'autre. Soutenu par un rythme enlevé, une mélodie finement ciselée et une orchestration pop soignée. Alka met sa voix complètement à nu. C'est sur ce titre qu'elle se révèle la réincarnation vocale d'Isabelle Adjani. Les internautes curieux découvriront sur ce lien une interprétation acoustique réussie de ce morceau.
Tu m'aimes mal démarre comme une bleuette, avant de prendre son envol : "Tu m'aimes / Mal / Mais même / Sale / Même coûte que coûte / Même vaille que vaille". Les talents mélodiques de Biolay font merveille. Je m'en veux, peu convainquant, offre tout de même une jolie respiration musicale avant le formidable Qui je suis. Comme pour pour D'un amour à l'autre, l'influence de Gainsbourg et Adjani est criante dans cette chronique d'un amour fusionnel et cruel : "Toi qui sait tout à fait qui je suis / Toi qui vis au travers de ma vie / Toi qui fuis les mystères de l'ennui / Toi qui nuit gravement à ma vie". Alka se livre presque intimement, avec une voix tendue et sensuelle. Qui ne verrait pas une lointaine parenté avec le Pull Marine ? Le clip de cette chanson est visible ici.
Dans La première fois, qui donne le titre de l'album, il est encore question de rupture, de ces premières fois déçues – et des dernières fois. Te satisfaire offre la particularité d'être une déclaration d'amour enflammée et érotique. Il est également question d'érotisme dans La main dans le sac, qui est le constat d'un adultère : "Et toi / Oui toi / Où as-tu passé la nuit dernière ? / Et toi / Oui toi / Tu sens la femelle le foutre et la bière." Si l'influence de Gainsbourg peut être présente, disons qu'il s'agit du Gainsbourg des dernières années : noir, rugueux et provocateur.
Ces deux titres précèdent la formidable ballade Besoin d'autre chose, où il est, de nouveau, question de séparation. La voix fragile d'Alka, soutenue sobrement par un piano, constate la fin d'un amour et encourage le départ de l'homme qu'elle aime à la quitter : "Va t-en si tu l'oses / Reprend la vie en rose / T'as besoin d'autre chose". Alors que Benjamin Biolay excelle là encore dans l'art de créer une mélodie inoubliable, l'interprète se livre avec une fragilité bouleversante, au bord de la rupture. L'album se clôt avec la reprise Les gens bien élevés, à l'origine une chanson interprétée par une autre muse de Gainsbourg, France Gall (cf. ce lien ici). Alka se fait cette fois mutine pour dire tout le mal – mais avec élégance ! – de son petit ami et surtout de celle qui le lui a volé : "Il est parti avec ma meilleure amie / Il l'appelle Mon petit Lutin / Mais c'est une jolie... / Qui a déjà vu passer sur son chemin la diligence l'autobus et le train... / Oui mais on ne s'est pas fâchés... / On est / Entre gens bien élevés."
Cet album sombre et pessimiste se termine sur ce sourire. Que demander de mieux pour La Première Fois ? Une toute première fois réussie, avec la naissance d'une artiste majeure de la chanson. Je prends les paris.
Alka, La première fois, Naïve Music/Naïve, septembre 2013
Le deuxième concerto pour piano de Rachmaninov est souvent considéré comme un des summums du répertoire pour clavier, en raison de sa virtuosité.
C'est sur Internet que la pianiste Valentina Lisitsa s'est fait connaître grâce à une interprétation rarement vue et entendue de ce concerto pour piano puisque, à défaut d'orchestre pour l'accompagner, elle l'interprète seul. Un véritable exploit, tant cette oeuvre est riche en couleurs et en variations.
On peut ne pas être sensible à la facture un peu désuète de ce film mais sûrement pas au tour de force de Valentina Lisitsa qui a pris en main un "Everest" de la musique classique avec audace et conviction.
Publication en octobre 1994 de mon tout premier texte, pour la revue Pueri Cantores (avec une pensée particulière pour Pierre Balbous, disparu en 2004) :