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Musiques - Page 40

  • Lorsque le saxo résonne

    C’est avec son trio Triple Roots que le saxophoniste Eric Seva a réalisé son album bien nommé  Résonances. "Résonances", comme le rappel de sons venus de loin, aussi bien géographiquement que temporellement.  

    Il est vrai que ce nouvel album est une invitation au voyage autant qu’une ode au dépaysement. Que l’on pense au mystérieux et languide "Luz de Port Coton" et surtout à  "Les roots d’Alicante" qui ouvre l’opus avec son jazz cool et soyeux, pour ce morceau frais comme un matin d’été et sachant s’encanailler. 

    Coloré et teinté de mélancolie

    Pour cet album à la fois coloré et teinté de mélancolie ("Résonances"), le saxophoniste est accompagné par Kevin Reveyrand à la basse et Jean-Luc Di Fraya à la batterie et aux percussions.

    Eric Seva et ses amis de Triple Roots ne prennent pas en otage l’auditeur : ils le prennent délicatement par la main pour une jolie déambulation ("Le village d’Aoyha"). Tout aussi globe-trotteur, "Green Landscapes" a ce je ne sais quoi de délicat dans ce jazz qui vient doucement caresser les oreilles.

    "Canopée", qui vient conclure l’opus du saxophoniste, exprime une superbe mélancolie, comme un atterrissage après un long voyage. Et de jolies vacances.

    Éric Séva - Triple Roots, Résonances, Laborie Jazz, 2021
    https://www.ericseva.com
    https://www.facebook.com/EricSevaofficiel
    https://www.instagram.com/ericsevaofficiel

    Voir aussi : "Ola Kvernberg brouille les pistes"
    "Éloge de la folie"

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  • Vaudou en musique

    Étrange album : avec Pelerinaj, Érol Josué transporte l’auditeur du côté des Caraïbes dans une musique mêlant avec bonheur world , électro, pop, chanson, jazz… et vaudou haïtien.

    Oui, vaudou. Car Érol Josué, chanteur, danseur, conteur, chorégraphe, anthropologue mais aussi prêtre vaudou ("houngan"), fait de son opus aux 18 titres un vrai pèlerinage (d’où le titre de l’album) dans un pays riche, coloré, bruyant, complexe mais aussi blessé. C’est ainsi que l’on doit comprendre le titre créole "Je suis grand nèg" qui est aussi le chant d’un haïtien portant la voix de son peuple et des cinq piliers de ses souffrances :  division, colonisation, division, évangélisation et corruption.

    À l’image de ce pays, c’est le syncrétisme musical qui domine dans cet album riche, solide et cohérent. Syncrétisme car la place du religieux est bien présent, que ce soit dans les chœurs de "Mitolo", dans l’harmonium de "Pèlerinaj fla vodou" ou encore dans cette reprise folk et créole de l’"Ave Maria" de Gounod ("Palave Maria").

    Chanteur, danseur, conteur, chorégraphe mais aussi prêtre vaudou

    Érol Josué a pris son temps pour cet album personnel a plus d’un égard. La voix du chanteur s’envole avec grâce ("Badji") tout en se jouant de tous les registres :  douleur ("Je suis grand nèg"), retenue ("Tchèbè tchèbè"), tendresse ("Avelekete"), sans jamais renier les traditions musicales haïtiennes ("Kafou", "Kase tonèl").

    Le travail sur les sons est remarquable dans cet opus balançant sans cesse entre traditions et modernité. Pour "Gede Nibo" c’est du côté du jazz que s’aventure Erol Josué dans une musique métissée qui ne fait pas l’impasse sur les sons caribéens. "Sim goute w" est sans doute aussi le meilleur exemple de cette pop-folk teintée de musique traditionnelle… à moins que ce ne soit l’inverse.  Quant à "Ati sole", on est dans cette musique vaudou mâtinée de sons rock, au service de l’identité haïtienne. L’électro n’est pas en reste ("Rèn sobo","Ati sole"), pas plus que ces recherches de sons inattendus, que ce soit des riffs de guitares ou des claquements de fouets ("Erzulie").

    L’auditeur s’arrêtera assurément sur le morceau "Kwi a". Tout est là : l’efficacité de l’orchestration, le texte en créole et les percussions irrésistibles de justesse et de subtilité. Envoûtant, Pelerinaj l’est jusqu’aux dernières notes de "Kase tonèl", aux rythmiques envoûtantes. Sans oublier ces chœurs qui font toute la richesse d’un album bigarré, dense et ambitieux. 

    Pour aller plus loin, rendez-vous également sur cette critique de l'album d'Erol Josué par Patrick Dallongeville.

    Erol Josué, Pelerinaj, Geomuse, 2021
    https://www.facebook.com/OfficialErolJosue
    https://www.instagram.com/erol_josue
    https://geomuse.ffm.to/pelerinaj.oyd

    Voir aussi : "Éloge de la folie"

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  • Lignes de fuite

    Retour aux sources pour MØSI – si tant est que le duo originaire de Quimper les ait jamais perdues. Pour leur dernier album Noble dans la défaite, sorti en mai dernier, et après plusieurs années au Québec, c’est en Bretagne que MØSI a fui et posé ses bagages et ses guitares pour un opus très rock. Les frères Marien et Melen Joly signent là un album âpre, musclé mais aussi engagé.

    Car l’engagement, MØSI n’en manque pas, à l'exemple de "Sol Main", un titre mystérieux qui cache en réalité un hommage aux millions de victimes de l’esclavagisme : "La traite, le code et les réserves / La canne à sucre, les coups de fouet / Je ne veux pas oublier".

    Engagement encore en faveur de la planète et de l’environnement dans le morceau "Le bourdon malade" où le duo breton se montre à la fois féroce et désillusionné : "Nous vivons une époque formidable / Je ne vous fais pas un dessin… / À chaque siècle son cycle noir, noir comme la peste / Noir comme la suie, noir comme le carbone que l'on rejette".

    "À nos plumes d'infinies lignes de fuite / Il faudra continuer à faire face"

    Dans cet album rock noisy aux influences lo-fi ne manquent ni les riffs de guitares ni les effets larsen, donnant à l’opus une facture brute à l’image du séduisant "Alaska" ou de l’étonnant et imparable "Sous la pluie Les Deux Sèvres".

    L’album faussement aride et cinglant de MØSI cache en réalité derrière son rock implacable une poésie inspirée et désespérée ("La défaite s’annonce / Mais j’y jette tout mon corps / Il n’y a guère que le temps qui soit compté / Et pour tromper le temps / Comme le font les éléphants / J’ai inventé un sort / Pour dénuder l’aurore / Quand la nuit s’évapore / Je prends la part des anges",  "La part des anges"), lorsqu’elle ne se fait pas mélancolique lorsque le duo parle de son pays dans son dernier single, "Octobre" : "Mon pays ce n'est pas un pays, c'est la pluie / C'est la terre qui nous nourrit / C'est les nuits à l'eau de vie / Pour foutre la paix au ruisseau".

    Nobles dans la défaite, les frères Joly le sont sans doute, mais ils entendent aussi ne perdre ni leur âme ni leurs combats ni leurs origines : "Nous guettions mille après mille / L'horizon et son encre de sel / À nos plumes d'infinies lignes de fuite / Il faudra continuer à faire face."

    MØSI, Noble dans la défaite, Terre Ferme/Inouïe distribution, 2021
    https://www.facebook.com/mosiband
    https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%98SI

    Voir aussi : "À cause des garçons"
    "Le club des cinq sous acide"

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  • Ola Kvernberg brouille les pistes

    Ola Kvernberg : ce nom ne vous dit peut-être rien. Et pourtant, le musicien norvégien avait sorti il y a quatre ans Steamdome, un album alliant jazz progressif et électronique devenu l'un des vinyles les plus vendus en Norvège en 2017, en plus d’être unanimement salué par la critique internationale.

    Voilà donc Ola Kvernberg de retour avec son nouvel opus, tout simplement nommé Steamdome II (et sous titré "The Hypogean").

    Une suite ? Pas vraiment. Car ici, la palette jazz du compositeur et violoniste s’enrichit avec des incursions bien au-delà de l’électro. Prenez "Arpy" par exemple. Les pistes sont brouillées pour ce premier morceau de 9 minutes 32 commençant comme un cantique religieux dans des sons d’harmonium avant de s’émanciper vers des univers parallèles, du côté de l’électronique période Kraftwerk.

    Pour son nouvel album, Ola Kvernberg s’est entouré des meilleurs musiciens de la scène jazz et pop de Norvège. Sans délaisser complètement son instrument fétiche, le musicien a remplacé son violon par une boîte à rythmes et un synthétiseur basse. Parmi ses compagnons, le bassiste Nikolai Hængsle (Band of Ogold, Bigbang, Møster) prend la guitare et Daniel Buner Formo (Trondheim Jazzorchester, Kobert) délaisse son orgue Hammond pour enflammer le paysage sonore avec des machines faites maison.

    Des compositions rythmées et à forte densité

    Steamdome c'est aussi le batteur percussionniste Erik Nylander (Monoswezi, Liarbird, Mechanical Fair), le batteur Olaf Olsen (Bigband, Fra Det Onde) et le percussionniste Martin Windstad (Kurt Nilsen, Todd Terje).

    Ola Kvernberg  se surpasse dans des compositions rythmées et à forte densité. Le musicien norvégien cache bien son jeu (le court "Vault") et sait alterner à merveille jazz, pop-rock, électro, contemporain ou musique électronique, à l’instar de "Get Down" formidable maestria de sons de plus de 10 minutes dans un morceau ouvragé aux petits oignons.

    Pour "Carbonado", Ola Kvernberg redevient violoniste – électronique – et fait de son instrument le véritable héros d’un morceau d’électro-pop scintillant. Tout aussi complexe, le jazzy "Hypogean" est entièrement rhabillé par l’électro inventive et rythmée du musicien norvégien.

    Voilà qui fait une transition impeccable avec le morceau suivant, "Devil Worm" à la rythmique rap. Un son très actuel qui, au fur et à mesure, s’aventure sur des terres peu familières, comme enflammées, pour devenir fun, sinon funk.

    L’auditeur devra absolument s’arrêter sur le magnifique "Diamondiferous", époustouflant morceau virtuose au violon, porté par des vagues romantiques et comme d’un autre monde. Celui d’Ola Kvernberg, justement. 

    Ola Kvernberg, Steamdome II - The Hypogean, PIAS / GRAPPA, 2021
    https://www.olakvernberg.com
    https://www.facebook.com/OlaKvernberg
    https://www.instagram.com/olakvernberg
    https://orcd.co/steamdome

    Voir aussi : "Éloge de la folie"
    "Fiona Monbet a plus d’une corde à son archet"

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  • Emoción à tous les étages

    L'Ensemble Emoción c’est cinq musiciens et musiciennes de cinq pays différents : Joris Laenen, pianiste, trompettiste et arrangeur belge, Christoph Schmitz, violoncelliste vénézuélien, Patrizia Portz, violoniste germano-péruvienne et Ferdinand Schaefer percussionniste allemand. Toutes et tous sont membres de l'Orchestre philharmonique du Qatar. Il faut ajouter à ces instrumentistes la chanteuse de jazz franco-libanaise Sevine Abi Aad.

    Emoción vient de sortir l’album Open your eyes consacré essentiellement au tango, qu’ils revisitent avec flamme. Cette année marque les 100 ans d’Astor Piazzolla : l’occasion était trop bonne pour le groupe de lui rendre hommage à travers plusieurs reprises ("Escualo", "Détresse", "Yo Soy Maria", "Vuelvo Al Sur" et le mélancolique "Oblivion" en bonus).

    Nous parlions de Sevine Abi Aad. La chanteuse franco-libanaise étincelle littéralement dans cet opus. Pour "Open Your Eyes", l’interprète venue du pays du cèdre se fait crooneuse dans ce titre écrit par Joris Lanenen et qui mêle le jazz, la pop et la musique de chambre.

    La chanteuse franco-libanaise étincelle littéralement dans cet opus

    Avec le morceau "Milonga Para Sonja", on est au cœur du projet musical du groupe avec cette entrée dans un tango, inédit là encore, composé par Joris Laenen mais qui marche ici sur les traces d’Astor Piazzolla.

    Emoción ne se contente pas de reprendre des standards du tango : il les transforme avec enthousiasme, talent et audace : "Détresse" de Piazzolla devient un jazz cool autant qu’un tango à l’étrangeté lunaire. Parlons aussi de "Vuelvo Al Sur" interprétée avec délicatesse par  Sevine Abi Aad. Parlons aussi de "La Cumparsita", le classique de Gerardo Matos Rodríguez. Pas du tout impressionné, le groupe choisit de le proposer dans une version enlevée et légère : une danse virtuose, joyeuse et festive.  

    Prouvant qu’Emoción ne se contente pas d’un seul registre, "November" s’écoute comme une authentique création contemporaine (Joris Laenen en est l’auteur) alors que "Lullaby" est porté par la chanteuse franco-libanaise aux magnifiques envolées qui ne sont pas sans rappeler la BO de Dancing in the Dark.

    "Open your eyes", annonce Emoción avec ce premier album. Disons plutôt que c’est à une ouverture des oreilles et des esprits que nous invite ce séduisant groupe sans frontière. 

    Emoción, Open your eyes, 2021
    https://www.emocionmusic.com
    https://www.facebook.com/emocionmusic

    Voir aussi : "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"
    "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"

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  • Éloge de la folie

    Lioness Shape est d’abord un trio de trois musiciennes : Manon Chevalier au chant et aux compositions, Maya Cros aux claviers et Ophélie Luminati à la batterie. Les trois musiciennes ont sorti ce printemps leur premier album Impermanence, un opus de jazz au caractère bien trempé.

    Impermanence revendique son message féministe, "pour que les femmes soient plus que beauté et tranquillité. Pour qu’elles expriment leur art, et développent leur créativité. Pour qu’elles se rendent compte de cette force incroyable qu’elles ont en elles. Force qu’elles s’efforcent de réprimer chaque jour au nom de la beauté". C’est ce qu’exprime à sa manière le premier morceau "Somos tantas" ("Nous sommes nombreuses"), un jazz à la fois méditatif et rythmé – oui, c’est possible ! – et en espagnol s’il vous plaît…  

    Tout aussi voyageur, "El Canto de mi deseo" voit le jazz se teindre là encore d’accents latins, avec un  naturel désarmant. Le groupe Lioness Shape s’aventure sur des terres mariant pop, rock, world et jazz, bien entendu, à l’image de "Self-reliance", au cool porté par la voix chaleureuse, veloutée et chaloupée de Manon Chevalier. 

    Audacieux, fou et intelligent

    Audacieux, fou et intelligent, le trio joue de l’alternance dans un album qui ne cesse d’alterner passages complètement dingues et respirations bienvenues, quand elles ne sont pas zen ("Blue Wooden Chair"). Les musiciennes savent tout aussi bien alterner les langues : l’anglais, l’espagnol et le français et même l’irlandais ("Tóg go bog é").

    Je parlais d’audace. Elle est bien présente dans le titre "L’origine". Ce morceau, d’abord très lent, s’emballe grâce à une singulière composition contemporaine que l’on peut rapprocher du "sauvage" morceau mystérieusement intitulé "Tóg go bog é" dont le titre signifie : "détendez-vous". Tout un programme. 

    Parlons également de "My Tame Bird" qui peut se définir comme un morceau jazz dopé aux percussions et aux sons électro, avec la voix incroyable de Manon Chevalier s’envolant tel un oiseau. Tout aussi enthousiasmant, "Sand World" est enthousiasmant grâce encore à son interprétation aux accents faisant penser à la chanteuse pop islandaise Björk. La chanteuse de Lioness Shape se surpasse encore dans "The Last Lullaby", un titre dans lequel elle se fait crooneuse.

    Au final, Impermanence frappe par son étrangeté omniprésente, à l’instar de "Water" qui vient clôturer cet album étonnant de créativité, de folie et d’enthousiasme grâce à trois filles formidables. 

    Lioness Shape, Impermanence, Laborie Jazz, 2021
    https://www.lionessshape.com
    https://www.laboriejazz.fr/artistes/lioness-shape

    https://www.facebook.com/Lionessshape
    https://www.instagram.com/lionessshape

    Voir aussi : "Deux de jazz"
    "Madeleine Cazenave derrière le piano"

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  • Amitié franco-allemande

    Un album classique a attiré mon attention : les deux sonates pour piano et violon de Richard Strauss et César Franck jouées par Brieuc Vourch au violon et Guillaume Vincent au piano, chez FARAO Classics.

    Il peut paraître étrange de rassembler dans un même album deux compositeurs du XIXe siècle a priori antagonistes : l’un allemand et l’autre français, dans une période marquée par des conflits meurtriers entre ces deux pays. Une objection qui peut facilement être retoquée par le pedigree des deux interprètes : Brieuc Vourch Guillaume Vincent, tous deux nés à Paris mais vivant et travaillant essentiellement de l’autre côté du Rhin, entendent mettre en musique cette amitié franco-allemande à travers ce très joli opus de musique de chambre.

    L’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent commence par Strauss et une œuvre de jeunesse que le compositeur a écrite lorsqu’il n’avait pas 25 ans."Le seul révolutionnaire de son temps" disait de lui Arnold Schoenberg. Il est vrai qu’en dépit de la facture classique et romantique de la sonate opus 18 écrite à l’époque de son poème symphonique Don Juan, Richaud Strauss déploie toute sa technicité et son audace dans le travail sur les timbres comme sur le rythme.

    Au sombre romantisme du premier mouvement (Allegro ma non troppo) succède l’Andante cantabile "Improvisation" avançant à pas feutrés aux deux instrumentistes au diapason et luttant à armes égales dans cette sonate robuste mais équilibrée. L’œuvre de Strauss se termine par le troisième mouvement Andante et Allegro d’abord sec et sombre avant qu’il ne s’envole grâce au violon de Brieuc Vourch. Les solistes font du dernier mouvement un ultime salut aux volutes somptueuses et à l’architecture musicale exigeante. L’allégresse exprimée se mêle de tons mélancoliques dans ce Finale aux multiples reflets. 

    "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus"

    La deuxième œuvre de l’album est la sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. Elle a été écrite en 1886 et dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe. C’est l’une de ses pièces les plus jouée. Quatre mouvements composent cet opus, sans doute moins audacieux que l’œuvre de jeunesse de Strauss. Il faut dire que Franck a 40 ans de plus que son contemporain allemand. Le texte de présentation de l’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent rapporte les mots éloquents  du musicien français à l’époque de la réception, disons fraîche, de sa Symphonie en ré mineur écrite à la même époque : "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus." Franck n’est pas un novateur comme l’a pu l’être Strauss. Son mouvement Allegretto moderato a une facture plus légère, fraîche et éthérée comme un nuage, aux antipodes de la sonate d’airain de Strauss.

    Pour l’Allegro, Franck fait de sa musique un saisissant moment de symbolisme. On croit voir des ondines apparaître grâce au violon hanté de Brieuc Vourch, accompagné par un Guillaume Vincent tout en mesure et en discrétion. C’est l’infinie délicatesse encore qui préside au mouvement Recitativo-Fantasia (ben moderato) avant le dernier mouvement Allegretto poco mosso, une dernière partie presque joueuse et rondement menée par le duo franco-allemand.

    Ce n'est pas la moindre des qualités de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent que de nous faire entrer dans ce répertoire du XIXe siècle avec talent, générosité et un grand sens du dévouement. "La sculpture du son est le seul métier du musicien, son travail est artisanat. Le narcissisme n‘y a pas de place. Seuls le dévouement, la patience et la discipline constituent la trame de la création" disent les deux musiciens en "artisans" de la musique, au service des deux compositeurs les plus créatifs de leur temps.  

    Brieuc Vourch et Guillaume Vincent, Richard Strauss / César Franck, FARAO Classics, 2021
    https://www.brieucvourch.com
    https://www.guillaumevincent.net
    https://www.farao-classics.de

    Voir aussi : "Au salon avec Chopin et Haley Myles"

    © Andrej Grilc

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  • La grande famille de Kira Skov 

    C’est une merveille que je vous invite à découvrir : Spirit Tree de Kia Skov est un album brillant de mille feux. Chaque écoute fait surgir de nouveaux pans de cet opus à la sombre et sensuelle beauté. Et c’est là le propre des très grands albums que vous devez absolument avoir avec vous, et si possible au format CD ou vinyle. Je vous expliquerai en fin de chronique pourquoi.

    Pour l’extraordinaire album de Kira Skov, le moins que l’on puisse dire est que la musicienne danoise s’est offert de magnifiques featurings : Bonnie "Prince" Billy (Will Oldham), Bill Callahan, Mark Lanegan, Lenny Kaye, John Parish, Jenny Wilson ou encore Lionel Limiñana. Excusez du peu. 

    Une vraie famille comme le suggère Kira Skov lorsqu’elle présente ses collaborations dans un arbre "généalogique". Il est vrai que cet album de duos porte le titre de Spirit Tree, ce qui est logique et assumé. Elle dit ceci au sujet de cet opus conçu en pleine crise sanitaire : "Je suis tellement heureuse que tout le monde ait bien voulu participer au projet. L'album est né d'un véritable échange musical : Les bandes son ont toutes été enregistrées en direct à Copenhague, j'ai adressé les chansons aux uns et aux autres sous forme de fichiers audio et chacun y a ajouté sa voix au fur et à mesure."

    Spirit Tree est une œuvre incroyable aux sons folk et aérien, portés par une voix sensuelle, soyeuse et aérienne ("We Won’t Go Quietly", "Pick Me Up", "Tidal Heart"). Il se dégage de l’album une indéniable mélancolie. Lorsque, à l’instar du morceau "In The End" (en duo avec Bonnie "Prince" Billy, à la voix de crooner irrésistible), le désespoir affleure, la musique et les voix se révèlent aussi sensuelles et belles que le légendaire "Where The Wild Roses Grow" de Nick Cave et Kylie Minogue : "Lover anoint me / find me, destroy me / I am the daughter, sister, lover child / show me no mercy / spare me not the detail / I want to suffer for my sins."

    Une élégance désarçonnante dans cette pop-folk faussement désinvolte 

    C’est encore en duo avec Bonnie "Prince" Billy qu’elle se lance dans une magnifique déclaration d’amour, "Some Kinds Of Lovers" ("I wanna walk with you through the forests / Like some kind of lovers / Like many have before us / Hovering above us is a sky of distant stars and memories").

    Il y a une élégance désarçonnante dans cette pop-folk faussement désinvolte, à l’instar de "Horses", un morceau qui commence a capela avant de s’envoler dans une pop rutilante aux voix fragiles. Citons aussi "Burn Down The House" ou la formidable ode aux poètes, "Ode To The Poets", née d’un dialogue imaginaire entre Jack Kerouac et Dylan Thomas et qu’interprètent Kira Skov et Mette Lindberg.

    Il faut aussi parler du lent et lancinant "Love Is a Force", aussi menaçant qu’une plainte sourde, ou encore le sombre, mystérieux et onirique "Deep Poetry", soutenu par les mots en français de Lionel Limiñana : "Ma reine d’Ecosse / Féroce / Je t’ai tellement aimé / Je rêvais… / Anesthésié / De me faire la malle / Un de ces quatre / Avec mon couteau / À cran d’arrêt".

    On s’arrêtera tout autant sur "Dusty Kate" un titre pop qu’elle chante en duo avec Mette Lindberg et qui est un hommage à Kate Bush.  Quant à "Lenny’s Theme", Kira Skov propose un dialogue parlé-chanté avec Lenny Kays : "So, Lenny, tell me / What is it to duet ? / Tell me of the sacred dance / And the mystery of It" .

    Pour être complet sur Spirit Tree, il faut enfin absolument citer Mette Geisler, l’auteure des dessins réalisés pour un album qui est absolument à acquérir dans sa version physique. Une merveille musicale et vocale en même temps que graphique et éditoriale.  Un chef d’œuvre : j’ose dire le mot. 

    Kira Skov, Spirit Tree, Stunt Records / Unavolta Music, 2021
    https://www.facebook.com/kiraskovofficial
    https://www.instagram.com/kiraskov
    https://orcd.co/dustykate

    Voir aussi : "Transformations de Laughing Seabird"

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