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Musiques - Page 43

  • Moonage Hooker : “Referme les yeux, t’as encore rien vu !”

    Nous parlions il y a quelques semaines de  Moonage Hooker et de leur étonnant projet musical et technologique autour de leur single "Time". Nous avons voulu en savoir plus sur cette bande de quatre garçons, avec de l'énergie et des idées à revendre. Rencontre exclusive pour un groupe à écouter les yeux fermés, bien sûr !

    Bla Bla Blog – Bonjour les Moonage Hookers. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Et d’abord, d’où venez-vous ?  
    Moonage Hooker – Salut Bla Bla Blog, merci pour cette interview ! Moonage Hookers c’est la rencontre en 2017 de quatre musiciens originaires de région parisienne : Alex, chanteur - Simon, guitariste soliste - Nathan, guitariste rythmique et Yannis, batteur.  On n’avait pas le même âge, pas la même vie, et même pas le même bagage musical mais une symbiose s’est créée immédiatement, comme un alignement des planètes. Sûrement parce qu’on partageait la même passion pour le rock, la même philosophie de vie et la même envie : créer de la musique pour susciter de l’émotion et toucher les gens. Après avoir sorti un premier EP en 2018 on a fait pas mal de concerts sur Paris (Supersonic, International, 6B, Trukel, Gibus, ...) et continué à jammer et composer en parallèle. On a profité de la période compliquée du Covid pour prendre le temps d’affirmer un peu plus notre style un peu hybride entre rock alternatif, progressif et psychédélique, et avons enregistré trois nouveaux morceaux dont “Time”, qui vient de sortir.

    BBB – Votre actualité c’est justement ce titre étonnant, "Time". C’est une vraie expérience technique avec ce système de tracking des yeux. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? Et d’abord, qui a eu l’idée de ce projet artistique et technique ? 
    Moonage Hooker – “Time” est un morceau qui nous tient particulièrement à cœur. On voulait que les gens prennent le temps de l’écouter vraiment et se laissent porter par la musique. Mais aujourd’hui il y a tellement d’artistes, tellement de contenus, de clips, de nouvelles sorties, d’articles, que la tendance est au zapping. Alors à contre-courant, on a décidé de proposer une expérience d’écoute différente, où pour une fois on prend le temps de ressentir. C’est Yannis, notre batteur, qui a eu cette idée un peu folle. Sur le site interactif timetocloseyoureyes.com, le seul moyen d’écouter le morceau, c’est les yeux fermés ! Grâce à la détection des yeux par la caméra, les yeux font office de télécommande : la musique se lance quand l’auditeur a les yeux fermés et se met en pause dès qu’il les rouvre avec un pop up qui apparaît “Referme les yeux, t’as encore rien vu !” Cette expérience est une invitation au lâcher-prise dans cette époque où tout va vite.

    BBB – Quelle technologie est utilisée ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le site timetocloseyoureyes.com ?
    Moonage Hookers – C’était un vrai challenge pour nous de réussir à créer ce projet dans un timing et un budget assez serrés, et sans aucune aide extérieure. On a eu la chance de travailler avec un développeur très doué qui a tout de suite cru au projet et a accepté de nous aider à le mettre en œuvre. Il nous a sorti une version BETA du site en quelques jours : ouf, ça marche et l’expérience fait son effet ! On pourrait croire qu’il a utilisé de la reconnaissance faciale mais en réalité il s’agit de reconnaissance de formes, centrée sur la partie où se trouvent les yeux. Lorsque la caméra détecte des yeux fermés, le son se lance. Dès que cette forme n’est pas détectée, la musique se coupe.

    BBB – Au-delà de l’aspect technique, vos références musicales sont à chercher de quel côté ? Du rock psychédélique ? Quelles sont précisément vos influences ?
    Moonage Hookers – Notre musique respire une certaine vibe des seventies. On est tous inspirés individuellement par tous les grands de cette époque. Pour autant, on écoute aussi énormément de musique actuelle, quel que soit le style : techno, rap, jazz, musique de film, musique classique, electro... On ne se met aucune œillère. Ce serait trop long de vous détailler toutes nos influences ici alors on va plutôt vous partager quelques artistes qu’on écoute beaucoup en ce moment et qui forcément nous inspirent : Sleepy Sun, Archive, Massive Attack, All Them Witches, Sunbeam Sound Machine, Last Train, Gaël Faye...

    "Moonage Hookers c’est comme un shoot d'adrénaline ou une thérapie"

    BBB – Ce single “Time” parle du temps qui passe. Quels sont les autres thèmes qui vous tiennent à cœur ?
    Moonage Hookers – On est quatre jeunes qui ne se retrouvent pas dans le modèle de cette société malade, qui ont du mal à accepter ce système et ces injustices. Alors globalement, on prône une manière de penser et de vivre différente, comme un retour aux sources qui fait du bien. Dans nos morceaux, on aborde les conséquences néfastes du système sur la santé mentale - dépression, burn-out, incompréhension, frustration, isolement... Et on invite à s’émanciper des règles, à sortir du moule pour revenir à l’essentiel : l’amour, la liberté, le sexe, l’entraide, le rêve, le vivre ensemble... À travers ces thématiques, on cherche à toucher profondément les gens, les aider à se sentir mieux et à suivre leurs rêves sans compromis.. Moonage Hookers c’est comme un shoot d'adrénaline ou une thérapie. Un truc qui te fait du bien.

    BBB – Avez-vous d’autres projets pour 2021 ? Et d’autres expériences musicales peut-être ? Des concerts peut-être ? 
    Moonage Hookers – Deux nouveaux singles sortiront d’ici fin juillet, avec d’autres surprises. On ne vous en dit pas plus ! Cet été on a prévu de s’évader pendant un mois dans une maison paumée au milieu de nulle part pour rechercher de nouvelles sonorités et creuser toujours plus loin dans notre imagination.. Le but est de composer et enregistrer un EP sur place, qui sortira à l’automne prochain et qu’on défendra sur scène en France, mais aussi à Bruxelles où le groupe déménagera bientôt. 

    BBB – Merci.
    Moonage Hookers – Merci à vous ! On a hâte de vous partager la suite !

    Moonage Hookers, Time, 2021
    https://timetocloseyoureyes.com/fr
    https://www.facebook.com/moonagehookers

    Voir aussi : "Moonage Hookers, bien dans leur temps"

    Photo :  Moonage Hookers

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  • Que le rituel commence

    Révélée il y a trois ans comme une nouvelle voix de la pop, Tess revient avec son EP, Origin. "Origine" comme celle de cette chanteuse venue tout droit de la Réunion et qui entend bien bousculer les canons de l’électro pop.

    Les 4 titres de son mini-album se veulent, comme elle le dit, une véritable introspection de l’âme mais aussi une ode à la vie, à l’amour de l’être et surtout à l’acceptation de soi. Un message qui parlera évidemment à tout le monde.

    Mais intéressons-nous plutôt au premier extrait d’Origin. "The Ritual" a le mérite de désarçonner l'auditeur avec un sujet fort : réhabiliter nos démons. La chanteuse le dit sans faille dans un clip somptueux, à la fois gothique et sensuel, réalisé par Francis Courbin : "Que le rituel commence… / Je parle à mes démons… J'ai besoin de toi dans ma vie / Je n'ai pas besoin de les appeler / Ils sont là depuis toujours" ("Let the ritual begin /  I talk to my demons / I don’t need to call them/ They’re right here have always been").

    L’univers de Tess et ses choix artistiques sont assumées : voilà qui rend sa découverte si importante.

    Elle sera à suivre coup sûr les prochains mois et les prochaines années. 

    Tess, Origin, EP, 2021
    https://www.facebook.com/TessOfficial
    Lien d’écoute
    @tessofficial
    https://msha.ke/tessoceane

    Voir aussi : "Mémorable évidence"

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  • Forever Bastien et Taly

    On entre dans le premier EP du duo Bastien & Taly avec le sourire, tant la joie de vivre, de danser et d’aimer éclate à chaque note. "Mibalé" s’écoute comme un vrai futur tube de world chaleureux et lancinant, porté par la voix de Taly, originaire de la République Démocratique du Congo et qui chante ici en lingala.

    La musique représente un moyen pour Bastien et Taly de faire passer un message d’acceptation de l’autre. Leur projet musical est aussi l’occasion de constituer un espace d’expression pour intervenir sur la question de la diversité culturelle. Pour, Taly qui chante depuis son plus jeune âge, son art est autant un exutoire qu’un moyen d’expression, comme elle le dit elle-même.

    Avec "Elikia" nous sommes toujours dans une appropriation des sons africains, ce qui ne veut pas dire que leur EP éponyme reste sur les rivages de l’Afrique. Car Fabien et Tally savent se baigner dans le courant pop international avec plaisir comme le prouvent "Thanks", une pop funk intense et aux qualités dansantes indéniables. "Forever", en anglais lui aussi est une chanson qui appelle au lâcher prise, à l’appréciation du moment présent et au retour à soi.

    Bastien & Tali proposent avec leur EP métissé et envoûtant le meilleur des remèdes à la morosité qui viendrait vous clouer sur place. À écouter sans modération.

    Bastien & Taly, Bastien & Tally, EP, Baco Music, 2021
    https://www.facebook.com/Bastien.and.Taly
    https://www.instagram.com/bastien_taly
    Lien digital

    Voir aussi : "50 ans et un double album pour Zaïko Langa-Langa"

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  • Abaji, le chaman bleu 

    C’est à un voyage dépaysant que je vous convie, par un musicien hors-norme. Il s’appelle Abaji, est né au Liban d’une famille arménienne et vit en France depuis plus de 40 ans. Sa musique bouscule les frontières entre Orient et Occident, comme le prouve son dernier album, Blue Shaman.

    "J'ai enregistré le disque Blue Shaman à Glasgow avec Donald Shaw et Michael McGoldrick. Une rencontre shamanique entre mon âme méditerranéenne et leur tradition celte !" explique le musicien virtuose. Blue Shaman est son 8e album.  Pour cet opus, Abaji, à l’œuvre originale sans égal, s’est en effet adjoint les concours de l’accordéoniste écossais Donald Shaw et du flûtiste et joueur de cornemuse Michael McGodrick.

    L’auditeur devine que cette musique vient de loin et est volontairement teintée de mysticisme, à l’instar de "Ararat" et surtout de "Blue Shaman" qui donne son nom à l’album.

    Les couleurs de l’Orient et de son cher Liban sont bien entendu présentes, à l’exemple de "Valley Of Sand" ou de "Nâtir" qui ouvre l’opus. Ce véritable cri du cœur mêle sons orientaux et mélancoliques et chanson française : "Un lit de soie trop grand pour moi / En moi une peine au fond m’entraîne… / J’attends que tu viennes effacer ma peine".

    Rencontre shamanique

    "Nuit turquoise", tout aussi méditatif, peut se lire comme un voyage aux confins de l’Europe oriental, sur les rives de la mer de Marmara, avec une flûte solaire et un accordéon chaleureux.

    Avec "Northbound Caravan", nous sommes en plein désert, chez des bédouins, avec ce violon gémissant. On voit presque les chameaux déambuler, la démarche lente et lourde. "Hot Desert To Cold Sea" est encore un voyage au milieu des dunes, avec cependant des accents celtes et bretons singuliers qui vous feraient presque transporter en quelques instants du Sahel aux côtes finistériennes.

    En effet, le musicien nourri à différentes cultures ne s’interdit pas de piocher un peu partout ses influences, lorsqu’il s’aventure par exemple sur les terres balkaniques ("Balkanik Tango") ou celtes ("Share To Share"), avec une voix inimitable allant chercher une douleur enfouie aux tréfonds, avec toujours ces accents orientaux. Là, il faut aussi absolument parler de "Celtic Blue" : a-t-on déjà entendu une telle fusion entre sons celtiques et orientaux, avec une flûte comme sortie des brumes et la voix éraillée d’Abaji ?

    Il convient encore de s’arrêter sur "Dance For Me", un titre à la pop-folk anglaise mâtinée de français : "Lignes noires sur la feuille / Des courbes au bout des doigts / Et en clin d’œil / Ces lignes bougent pour moi." Il y a aussi "Hilm n°2" derrière laquelle se dessine l’influence de Bob Dylan dans une folk arabe, avec cet indispensable harmonica. Abaji n’oublie pas le métissage jusque dans le choix  des langues – l’arabe, le français et l’anglais – pour ce portrait délicat et consolateur d’une femme. On peut saluer un autre clin d’œil au chanteur folk américain nobelisé avec le titre "Bowing In The Wind" : loin d’être une revisite du chef d’œuvre de Bob Dylan, ce morceau d’Abaji est une pérégrination dans un désert, courbés (c’est le sens du mot "bowing"), sous un soleil ardent et au milieu d’un vent brûlant.

    Inépuisable source d’inspiration, l’Orient est bien entendu omniprésent dans ce magnétique album, à l’instar d’"Ustad" ou du facétieux "For A Cloud", véritable concerto pour voix et flûte.

    Mais Abaji sait également se faire doux et tendre lorsqu’il trace le très beau portrait de cette femme dans le titre "Sehher" : "D’la magie noire / D’la couleur de tes yeux / J’ai beau chercher des beaux / Y’en a pas un de plus beau."

    Abaj, Blue Shaman, Absilone, 2021
    https://www.facebook.com/ABAJIMUSIC
    https://absilone.ffm.to/blueshaman.opr

    Voir aussi : "Dhafer Youssef, la world music des sphères"

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  • Tripes hop

    En un autre temps, si un vocable pouvait s’appliquer à l’EP Dreamers de Purple Ashes, ce serait celui de "trip hop" : même voix éthérée à la Portishead, mêmes sons synthétiques, même travail sur la rythmique. Mais là où le groupe emblématique de la chanteuse britannique Beth Gibbons avait su construire une œuvre mystérieuse et fragile, le duo formé par la Française Clémence de la Taille et son acolyte Syan, avance avec volonté, aplomb et maîtrise ("Get My Way") dans leur nouvel EP.

    Si on reste dans le jeu des comparaisons, il y a de l’Eurythmics dans cette manière de proposer un court album étincelant qu’on s’approprie avec plaisir, à l’exemple du titre pop "Dreamers in Sleepless Night". "Et si les rêveurs ne dormaient plus ?", se demande en substance la musicienne.  Le clip détourne les films Métropolis, Faust et Nosferatu pour nous entraîner dans un rêve, ou plutôt un cauchemar.

    L’auditeur appréciera la sophistication de la composition et les constructions sonores de Purple Ashes, dans une pop-rock sachant puiser dans l’électro ("Nothins Is Better") pour servir des morceaux d’une belle complexité. On sera tout autant sensible au message engagé de Clémence de la Taille dans l’épidermique "Seasons Change" qui va droit aux tripes. Du bel ouvrage. 

    Purple Ashes, Dreamers, 2021
    https://www.ashes.fr
    https://www.facebook.com/purpleashes
    https://www.instagram.com/purpleashes_delataille

    Voir aussi : "Deux de jazz"

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  • Mini Solidays pour les soignants mais maxi générosité

    Solidarité Sida s’est lancé un nouveau défi : faire en sorte que les premiers à fêter le retour des festivals en plein air soient les professionnels de santé. Le symbole est beau et le rendez-vous est pris. Ce sera le 4 juillet à Paris-Longchamp.

    Les pandémies bouleversent le monde tout comme nos certitudes et frappent de plein fouet les plus vulnérables. La Covid-19 nous le rappelle dramatiquement aujourd’hui, comme le VIH l’a déjà fait hier. À chaque fois, les soldats de la première ligne sont les soignants. Pour Solidarité Sida, leur dignité, leur courage et leur dévotion méritent d’être à nouveau salués. Mais cette fois-ci, en musique.

    Voilà pourquoi, le dimanche 4 juillet, l’hippodrome de Paris-Longchamp ouvrira ses portes pour une 23e édition de Solidays inattendue, gratuite et réservée aux femmes et aux hommes qui font vivre la santé. Une dizaine d’artistes seront à l’affiche.

    Pour participer à cette édition spéciale intitulée "Merci aux soignants", il suffit de s’inscrire en ligne à partir du 10 juin sur le site Solidays.org. Un tirage au sort sera effectué. Les heureux gagnants bénéficieront d’une invitation personnelle et non cessible, valable pour 2 personnes.

    C’est un véritable tour de force pour Solidarité Sida d’organiser ce "mini Solidays", décidé il y a à peine quelques jours. Surtout quand on sait que l’association n’est pas remise des difficultés financières liées à la double annulation de son festival. L‘envie de rendre un vibrant hommage aux soignants et la joie de retrouver un peu de normalité dans nos vies, grâce au soutien généreux de partenaires fidèles de Solidays, auront eu raison des dernières incertitudes.

    23e édition de Solidays
    Paris-Longchamp, 4 juillet
    https://www.solidays.org

    Voir aussi : "50 artistes musicaux contre la précarité étudiante"

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  • Une Italienne parle aux Russes

    J’ai choisi de vous parler d’un album classique sorti il y a presque six ans. Au piano, l’Italienne Beatrice Rana proposait deux œuvres du répertoire russes, différents tant par la facture que par la notoriété. À ma droite le célébrissime concerto pour piano de Piotr Ilitch Tchaïkovski au romantisme échevelé. À ma gauche, un opus relativement peu joué de Serge Prokofiev, le concerto pour piano  n°2.

    C’est par cette dernière œuvre que s’ouvre l’album de Beatrice Rana, découverte trois ans plus tôt (lauréate de tous les prix spéciaux au Concours musical international de Montréal) et qui prend visiblement un certain plaisir à s’aventurer sur un terrain étonnant. Ce concerto de Prokofiev a évidemment cette fougue slave et russe, avec un modernisme exalté servi autant par la concertiste que par l’orchestre de l’Académie Nationale Sainte-Cécile conduit par Antonio Pappano. Le jeu assuré, tour à tour aérien et musclé de Beatrice Rana, se déploie avec assurance dans le premier mouvement andantino et allegro de près de douze minutes, ample, tourmenté et aux accents romantiques. En comparaison, le Scherzo (Vivace) est envoyé en un peu plus de deux minutes. Court mais exigeant. Et il est vrai qu’il faut toute la technicité et la virtuosité de la pianiste italienne pour venir à bout de cette partie aussi brève et dynamique qu’elle peut être inquiétante.

    Retour à l’âme russe, aux lointaines réminiscences des Tableaux d’une Exposition de Modest Moussorgski, avec l’Intermezzo (Allegro moderato) de, quand même, six minutes. Faux intermède musical et vraie pièce d’orfèvrerie, cette troisième partie du concerto de Prokofiev est une succession de morceaux de bravoure, de rappels de danses russes, de parenthèses romantiques et rêveuses, de constructions harmoniques osées et de revendications modernistes que Beatrice Rana met en musique avec une belle audace.

    Partition originale partie en fumée pour servir de combustible… pour la cuisson d’une omelette !

    L’opus 16 se termine avec un final de la même longueur que le premier mouvement, rééquilibrant ainsi un concerto faussement bringuebalant. Joué allegro tempesto, le Finale commence, comme son nom l’indique, avec une tempête inquiétante et tourmentée, avant un grand calme. Lorsque l’apaisement vient, c’est là que ce dernier mouvement devient passionnant car le compositeur russe devient expressionniste, romantique mais aussi contemporain. Le deuxième concerto pour piano de Prokofiev, servi par une Beatrice Rana décidément sans point faible dans cette œuvre rare compliquée et qui avait fait scandale à l’époque de sa création en 1913. L’anecdote incroyable rapportée par Jed Distler nous apprend qu’il a été en fait réécrit en 1923 après que la partition originale soit partie en fumée pour servir de combustible… pour la cuisson d’une omelette !

    Nous parlions de romantisme. Voilà qui nous mène à point nommé vers la deuxième œuvre de cet album de 2015 d’un autre géant de la musique russe, Tchaïkovski. Trop écouté sans doute selon quelques esprits chagrins, ce fameux premier concerto pour piano opus 23 (1874) fait partie des "tubes" de la musique classique.

    Autant la pianiste italienne pouvait se faire aventurière dans le second concerto de Prokofiev, autant ici elle sera forcément jugée à l’aune de ses aînés (les Martha Agerich, Charles Dutoit et autres Sviatoslav Richter). Beatrice Rana déploie tout son talent grâce à son jeu tour à tour ample, délicat et tourmenté dans l’impressionnant premier mouvement allegro de plus de vingt minutes. Il faut toute l’intelligence de la musicienne pour venir à bout d’un des sommets de la musique romantique, et sans pour autant tomber dans la mièvrerie ni dans les pièges de la virtuosité qui peuvent vite devenir écrasants.  

    L’auditeur sera porté par la délicatesse du jeu de Béatrice Rana dans un deuxième mouvement fluide et irrésistible (Andantino semplice – Prestissimo).

    L’album se termine en beauté avec un Allegro con fuoco à la facture classique assumée jusqu’au bout des doigts. Beatrice Rana s’en donne à cœur joie – tout comme d’ailleurs  l’orchestre et Antonio Pappano. La virtuosité est bien évidemment une qualité majeure, en particulier pour les dernières mesures d’un final. Sans fausse note, là encore.

    Beatrice Rana, Prokofiev, Concerto pour piano n°2 op.16 et Tchaikovsky, Concerto pour piano n°1 op.23,
    Orchestra Dell’accademia Nazionale di Santa Cecilia dirigé par Antonio Pappano, Warner, 2015

    https://www.beatriceranapiano.com
    https://www.warnerclassics.com/fr/artist/beatrice-rana

    Voir aussi : "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"

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  • Deux de jazz

    C’est en toute liberté, en nomades pour reprendre le titre de leur album (Nomad, Laborie Jazz/Socadisc), que Simon Denizart et Elli Miller Maboungou arpentent les terres du jazz dans leur court opus de huit titres.

    Nomad est le fruit de trois ans de collaboration entre le français Simon Denizart et le pianiste et percussionniste canadien Elli Miller Maboungou qui met en vedette principalement la calebasse (percussion d’Afrique de l’Ouest) dans cet album fin et subtil.

    Les deux musiciens font du piano le vrai héros de cette déambulation à la fois riche, élégante et lyrique, mêlant jazz ("Lost In Chegaga"), world music ("Nomad", "Zoha"), minimalisme contemporain ("Last Night In Houston") et même pop ("Manon"). C'est un univers métissé que proposent Simon Denizart et Elli Miller Maboungou, à l’exemple de "Zoha". Pour ce titre, les musiciens ont insufflé des mélodies et des rythmes venus d’Orient, donnant à ce morceau une immédiate connivence, pour ne pas dire familiarité.

    Dépaysant et nostalgique

    Tout aussi dépaysant et nostalgique, "Oldfield 2.0" est une respiration apaisante aux accents orientaux, avant une seconde partie plus world que jazz.

    Le duo parvient à sortir le jazz de ses derniers retranchements, non sans malice si l’on pense à "Square Viger, un morceau plus nerveux et enrichi d’improvisations enlevées. Pour "Last Night In Houston", les musiciens se font expérimentateurs en lorgnant vers le courant répétitif américain.

    Bien différent, "Manon", plus posé, plus pop et plus nostalgique, c’est du jazz comme on l’aime, attachant et contemplatif, avant qu’il ne se déploie avec générosité.

    "Lost In Chegaga" revient, lui, aux fondamentaux avec rythme et chaleur mais non sans des percussions d’une singulière richesse.

    L’album se termine avec l’étonnant "Outro" : 37 secondes seulement d’une ponctuation enchantée par deux amis décidément osés et aventuriers. 

    Simon Denizart et Elli Miller Maboungou, Nomad, Laborie Jazz / Socadisc, 2021
    https://www.simondenizart.com
    https://www.facebook.com/simondenizartmusic
    https://www.laboriejazz.fr

    Voir aussi : "Madeleine Cazenave derrière le piano"

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