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Cette semaine, les EODM, survivants de la tuerie dans la salle de spectacles où ils se produisaient, témoignent pour Vice presque deux semaines après les événements du 13 novembre.
L'effroi, le choc et le chagrin n'empêchent pas les artistes de se projeter vers ce qu'ils font de mieux : la musique. Ils promettent déjà de revenir jouer à Paris et même d'être les premiers à rejouer au Bataclan lorsque la salle rouvrira.
Qui sont les Eagles Of Death Metal ? Le 13 novembre 2015, ce groupe de rock californien devenait – hélas ! – mondialement connu, suite à l'attentat au Bataclan, lors d'un de leur concert. Plusieurs terroristes de Daesh y faisaient un carnage, provoquant la mort de 90 spectateurs – jeunes voire très jeunes – et des centaines de blessés. En l'espace de quelques heures, ce groupe, jusque-là d'abord connu seulement des amateurs de rock, accédait à une tragique notoriété, au point sans doute d'entrer bientôt dans les livres d'histoire.
Les Eagles Of Death Metal méritent de s'arrêter sur ce qu'il y ait de meilleur chez eux : leur musique et leurs choix artistiques.
Aux premières heures du drame, nombreux auront été ceux qui les ont identifié comme appartenant à un courant de death metal. Cette confusion a longtemps été assumée par les membres fondateurs d'EODM, Jesse Hughes et Josh Homme, l'ancien leader de Queens of the Stone Age. Jesse Hugues se plaît à raconter que ce nom d'Eagles Of Death Metal est venu après une soirée arrosée au cours de laquelle a été évoqué un croisement musical inédit entre le groupe de country-rock Eagles et le death metal. La notoriété du groupe tient du reste à un perpétuel jeu de fausses pistes, de détournements assumés et de seconds degrés.
Si Eagles Of Death Metal est bien un groupe de rock, caractéristique pour ses guitares saturées, ses batteries testostéronées et ses voix puissantes, c'est pour mieux se jouer et se moquer des archétypes viriles du rock : sexe, drogue et alcool. Les fans des Rolling Stones apprécieront. Les Eagles Of Death Metal symbolisent “le droit naturel de l’homme de se moquer de tout. Des opinions. Des religions. Même de sa propre existence de rocker” comme l'écrit le Süddeutsche Magazin au lendemain des attentats de Paris.
EODM s'est fait connaître du grand public grâce à deux titres tirés de leur premier album Peace, Love, Death Metal et utilisés pour deux publicités : "Don't speak" pour Nike et "I Only Want You" pour Microsoft.
Sorti en octobre, Zipper Down s'avère un excellent disque de rock, susceptible de séduire un large public, en plus de devenir emblématique pour la pire des raisons – l'un des plus terribles attentats que l'Europe ait connu dans son histoire. L'équipe de Jesse Hugues et Josh Homme se livre complètement avec "Complexity", punchy et brut, semblant avoir été enregistré par une bande de potes au fin fond d'un garage, et sans prise de tête : "That it's easier without complexity". Tout aussi rythmé, "Got A Woman" séduit par sa ligne mélodique facilement mémorisable, tout comme l'est d'ailleurs "Oh Girl", plus posé, plus sombre aussi. "Skin-Tight Boogie", revendiquant ses influences hard-rock, est tout en guitares lourdes, complexes et séduisant en diable. Mais impossible de ne pas parler de Zipper Down sans citer leur morceau devenu le plus célèbre : "Save A Prayer". Cette reprise plus que réussie d'un tube de Duran Duran est un savant mélange de rock (bien sûr), d'électro et de new-wave. Les réseaux sociaux et la presse ont largement favorisé l'engouement pour cette chanson, appelée à devenir l'hymne des victimes du Bataclan : "Don't save a prayer for me now, save it till the morning after". Des fans appellent, symboliquement, à hisser ce titre au sommet des charts anglais. La mission est presque remplie et les droits d'auteur de cette chanson devraient être reversés par Duran Duran aux victimes des attentats de Paris.
Eagles Of Death Metal va-t-il continuer après cette épreuve ? Ou bien faire un doigt d'honneur aux soldats de Daesh et choisir de continuer, comme des milliers de ses admirateurs le réclament, avec sa joie de vivre, son exubérance communicative, sa créativité et son humour potache, si caractéristique de ce groupe azimuté ?
Un humour qui était encore présent au soir du 13 novembre. En plein carnage du Bataclan, alors que, terrifiés, ils se trouvaient enfermés dans une loge en attendant le pire, un fan s'adressait ainsi au bassiste du groupe afin de baisser la tension insupportable à ce moment : "Mec, franchement j'ai préféré ton concert de juin à celui-ci".
Le cinéma français consacrait cette année le film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, bouleversant tableau d'un village malien écrasé par l'Islam radical.
Pour traiter du djihadisme international avec une telle puissance et une telle justesse, il fallait une musique à la hauteur. Celle d'Amine Bouhafa parvient à relever le défi haut-la-main. C'est l'ambition qui frappe d'emblée l'auditeur : instruments traditionnels, la voix bouleversante de Fatoumata Diawara, un orchestre à cordes "sublimant" (le mot est du compositeur lui-même) les scènes du film.
L'extrait sans doute le plus inoubliable de Timbuktu est celle de la partie de football, sans ballon, qui mérite de figurer parmi les scènes d'anthologie du cinéma. Le compositeur tunisien a composé et orchestré pour l'occasion un des plus morceaux de sa bande originale. Bouleversant et lyrique, cette partie de foot – et la bande-son qui l'accompagne – est la plus belle réponse aux fondamentalistes interdisant toute forme de distractions – musiques, jeux, sports...
Le 13 novembre, ce sont justement des endroits dédiés aux loisirs, au sport et à la culture auxquels qui ont été pris pour cible par des terroristes islamiques.
Amine Bouhafa, Timbuktu, 2014 Timbuktu, film franco-mauritanien de Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, 2014, 1H48
Pour jouer Lulu, rôle phare de l'opéra le plus célèbre du XXe siècle, combien de sopranos auraient le coffre de s'y frotter ? Or, non content d'avoir relevé le gant pour la Monnaie de Bruxelles en 2012, Barbara Hannigan mérite de voir son interprétation devenir une référence légendaire.
Lulu, l'opéra dodécaphonique en trois actes d'Alban Berg (le dodécaphonisme étant cette technique inventée par Arnold Schoenberg donnant une importance comparable aux douze notes de la gamme chromatique, rejetant de fait toute tonalité), écrit en 1935 et resté inachevé par le compositeur (le troisième acte a été terminé par Friedrich Cerha), conte le destin de Lulu. Celle que l'on nomme et surnomme également Eva, Mignon, Nelly ou Lilith est une beauté légendaire, une femme fatale, "un ange exterminateur" et la "la putain la plus raffinée qui ait jamais ruiné un homme" comme le dit un de ses amants et victimes.
La cruauté de l'amour est au centre de cet opéra, non exempt d'humour noir. Un prologue en anglais présente au spectateur (symboliquement représenté sur scène) cette "vraie bête, sauvage et belle [que l'on ne verra] qu'ici". Lulu, jouée avec ardeur et juste démesure par une Barbara Hannigan complètement habitée par son rôle, passe d'homme en homme tout au long de ces plus de trois heures de spectacle.
Séduite par un artiste (interprété par Tom Randle, peintre devenu photographe dans cette version de 2012), Lulu provoque une crise cardiaque mortelle de son mari qui la surprend. Le photographe devient son mari et se suicide de jalousie en apprenant la vie amoureuse tumultueuse de sa femme. Le Dr Schön (Dietrich Henschel), directeur d'un journal, est témoin de cette mort et craint pour sa réputation, alors qu'il s'apprête à se fiancer. Puis, c'est lui-même qui tombe dans les bras de Lulu à la fin d'acte I, sous les yeux complices et jaloux et son fils Alwa (Charles Workman) – qui pense par ailleurs que cette femme ferait un très beau sujet d'opéra ! Dans l'acte II, le Dr Schön est devenu le nouveau mari de Lulu mais sombre lui aussi dans la jalousie ("Voilà donc le soir de ma vie : la peste à domicile", auquel la belle répond : "Tu as sacrifié tes vieux jours, tu as reçu ma jeunesse en échange" ). Il constate que sa femme séduit la comtesse Gräfin Geschwitz (Natasha Petrinsky), sorte de double positif de Lulu : "Elle ne peut pas vivre d'amour car sa vie est amour". Schön perd tout contrôle de lui-même, s'enflammant pour son épouse tout en la suppliant de se suicider pour le bien de tous : "Sans le savoir tu transformes en criminels les gens qui t'entourent". Mais Lulu refuse, prend le revolver que lui tend son mari et le tue. Arrêtée, la criminelle parvient à s'enfuir grâce au fils de Schön. Le couple se retrouve à Paris. Devenu proxénète (acte III), Alwa est entretenu par Lulu. La prostituée terminera sa triste carrière de séductrice sous la lame de Jack L’Éventreur (Dietrich Henschel, de nouveau). Son amie fidèle et sacrifiée, la comtesse Geschwitz ne parvient pas à la défendre et est tuée elle aussi par le serial-killer.
Drame terrible, l'opéra dodécaphonique et expressionniste de Berg, dirigé par Paul Daniel, prend l'allure d'un spectacle rock et sexy grâce à la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. L'inventivité est omniprésente dans cette version contemporaine : un décor monstrueux composé d'un escalier encadré de toboggans surréalistes, une cage de verre omniprésente, des animaux empaillés, les costumes à l'avenant, l'omniprésence du travestissement, les projections vidéo, des scènes de ballet, des figurants par dizaines peuplant la scène. Le baroque, l'inventivité, la démesure revendiquée et la folie servent les chanteurs, Barbara Hannigan en premier lieu.
Parler d'interprétation exceptionnelle à son sujet n'est pas exagérée. La soprano canadienne se donne corps et âme dans Lulu. Elle incarne ce personnage jusqu'à la démesure, se faisant tour à tour séductrice, romantique, danseuse, junkie, prostituée, bourreau et victime sacrifiée sur l'autel du plaisir. Alwa chante au cours du deuxième acte un hymne à cette femme condamnant chaque homme qu'elle séduit : "Je vois ton corps comme une musique. Ces chevilles un grazioso. Ces rondeurs un cantabile. Ces genoux un misterioso. Et le puissant andante de la volupté." Un aria qui pourrait tout autant s'adresser à Barbara Hannigan, une Lulu pour l'éternité.
Alban Berg, Lulu, dirigé par Paul Daniel, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, avec Barbara Hannigan, Dietrich Henscheln, Charles Workman, Natascha Petrinsky, Pavlo Hunka, Tom Randle, Ivan Ludlow, Rosalba Torres Guerrero et Claude Bardouil, Bel Air Classiques, 2014 http://www.barbarahannigan.com
Après l'album "Chaleur humaine" (voir cet article "La reine Christine"), Christine and the Queens, l'une des artistes de l'année 2014, traverse l'Atlantique.
C'est aux Etats-Uni qu'Héloïse Letissier poursuit sa carrière avec le même premier album, qui a été réécrit en anglais pour le public américain. Dans cet album made in US, deux titres originaux ont été ajoutés, dont Jonathan et No Harl Is Done, avec le rappeur Tunji Ige.
Les fans de Christine and the Queens ne seront pas dépaysés par le clip, épuré et basé sur une chorégraphie qui est la marque de fabrique de l'artiste nantaise.
Les compagnies aériennes KLM et Lufthansa ont retiré les enregistrements de l'artiste des playlists proposés dans leurs avions.
Cette décision fait suite aux protestations de voyageurs (combien ? mystère...), ulcérés, semble-t-il, par les positions engagées (même si elles peuvent être critiquables) de Valentina Lisitsa.
Où il est encore question de liberté d'expression.
Parmi les personnalités fortes de la chanson française figure GiedRé.
On donnerait le bon Dieu sans confession à cette pimpante et (fausse) candide blonde, originaire de Lituanie, arrivée dans le pays de Rabelais dès sa petite enfance. Aujourd'hui, elle est en passe de réussir à faire entendre sa voix à travers une démarche artistique originale qui gagne à être connue.
Car GiedRé – de son vrai nom Giedré Barauskaitsē. – a tracé un sillon relativement peu exploité dans la chanson française : celui de la grivoiserie – un choix encore plus rare chez les femmes. D'autres artistes avant elle s'étaient essayés avec plus ou moins de bonheur, à commencer par Serge Gainsbourg (Love on the Beat).
Le piège de ce genre de répertoires est de s'enferrer dans des compositions et des interprétations lourdes, pour ne pas dire putassières. Or, rien de tout cela avec GiedRé. Que l'on accroche ou pas à cette chanteuse atypique, on ne peut qu'admettre son audace, son sens de la provocation et cette manière candide d'aborder des thèmes graves ou sulfureux (la prostitution, le suicide, la sodomie ou le handicap). Les sujets de GiedRé ne font pas dans la dentelle : On Fait Tous Caca, L'Amour Par Derrière ou Meurs. Derrière ces choix, il y aussi le travail artisanal, la précision des textes, la délicatesse de la voix mais aussi l'engagement féministe de GiedRé (Toutes Des Putes).
J'ai évoqué le terme d'artisanal. Il n'est pas galvaudé. La chanteuse travaille seule, trace son sillon avec pugnacité (six albums produits en deux ans !) et sans se soucier de la bienséance. Elle n'a souvent pour tout accompagnement qu'une guitare sèche et une boîte à rythmes, du moins jusqu'à la sortie du bien nommé Mon Premier Album Avec D'Autres Instruments Que Juste La Guitare (2014). De même, jusqu'à récemment, outre l'auto-production (couronnée de succès), elle assurait elle-même la distribution de ses disques grâce à son site Internet, faisant ainsi la nique aux maisons de disques.
GiedRé a cependant vu les festivals et les plateaux de télévision lui ouvrir leurs portes, en dépit de sa réputation sulfureuse. Car derrière la truculence se cache un talent exceptionnel mais aussi un engagement certain (Pisser Debout, Ode à la Contraception, Et Toc). La grivoiserie au service de nobles causes, en somme.
GiedRé, Mon Premier Album Vendu Dans Les Vrais Magasins, 2013 GiedRé, Ma Première Compil', 2014 GiedRé, Mon Premier Album Avec D'Autres Instruments Que Juste La Guitare, 2014 http://www.giedre.fr
Scott Ross, je l'ai découvert il y a quelques années, à la faveur d'une pièce d'Antoine Forqueray, Jupiter. Un choc inoubliable ! Dès la première écoute, l'auditeur est happé par la puissance de cette interprétation.
Scott Ross, claveciniste américain décédé en France du VIH à l'âge de 38 ans, détonnait par son look de rock-star et a contribué à populariser le clavecin. Oublions deux secondes son allure vestimentaire. Comme pour Glenn Gould, décédé six ans plus tôt (voir aussi cet article), c'est autant ses postures qui ont séduit ses contemporains que ses interprétations inspirées du répertoire baroque. Des interprétations colorées et dépoussiérant un genre considéré à tort comme élitiste et ringard. Grâce à Scott Ross, le clavecin n'était plus cet objet intimidant et vieillot mais un instrument moderne, plein de fougue et de couleurs.
Un disque paru chez Erato, un enregistrement compilant des œuvres de Bach, Scarlatti, Haendel et Soler (mais pas Forqueray) permet de se faire une idée du génie de Scott Ross, l'homme qui est parvenu à faire du clavecin un instrument tour à tour divin et démoniaque.
L'album rassemble des pièces peu connues du grand public, à l'exception peut-être du Concerto italien de Bach. Scott Ross y étale sa virtuosité, son sens du rythme et sa fougue. La Sonate en ré mineur K9 de Domenico Scarlatti invite à découvrir le compositeur fétiche de Scott Ross, qui enregistra ses 555 sonates pour clavecin (en 1984, Ross en écrivit et en interpréta une 556e, un pastiche qui mystifia le public de l'époque). Alors que la passacaille de la Septième Suite de Haendel propose un moment contemplatif, l'air de la Cinquième Suite allie l'assurance à la vivacité. Cet album de compilation de Scott Ross, une excellente introduction à cette "rock-star du clavecin", se termine par deux pièces enlevées et mélodieuses d'Antonio Soler, un compositeur classique espagnol redécouvert par Scott Ross.
Fermez les yeux, plongez dans ce disque et redécouvrez celui qui reste le plus Français des interprètes américains.