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Le philosophe Luc Ferry est aux manettes pour une passionnante collection sur la mythologie en bande dessinée. Voilà une excellente idée, qui vient confirmer l’engouement pour un genre inépuisable. Qui osera dire que les histoires de Zeus, Athéna ou les les Furies font partie des contes à dormir debout ? En réalité, elles ont beaucoup à nous dire.
Prenez Prométhée, ce géant enchaîné au sommet du Caucase, condamné pour l’éternité à voir son foie dévoré par un aigle le jour, avant de repousser la nuit. Son crime ? Avoir offert aux hommes le feu et la technique, au risque de faire de cette race l’égale des dieux.
Avec un solide sens de la narration, et un grand soin dans le dessin, Luc Ferry, Clotilde Bruneau et Giuseppe Baiguera offrent une lecture moderne, rythmée et séduisante du cycle prométhéen. Assez naturellement, les auteurs n'ont n’a pas oublié d’y insérer le mythe de la boîte de Pandore, mettant du même coup en avant le frère de Prométhée, Épiméthée. "Anti-Prométhée" et personnage que les auteurs nous dépeignent en frère naïf, besogneux mais passionné, Épiméthée devient l’un des personnages phares du mythe : celui qui a en charge le peuplement de la terre et qui réussit tellement bien son coup qu'il met son frère au pied du mur en accaparant tous les attributs du règne animal. Il va être également à l’origine des calamités terrestres.
L’exploit de cette BD est d’avoir rendu au mythe toute sa clarté et d’en faire un ouvrage à la fois accessible et séduisant. Une jolie promesse pour la suite de cette collection.
Luc Ferry, Clotilde Bruneau et Giuseppe Baiguera, Prométhée et la Boîte de Pandore, éd. Glénat, 2016, 56 p.
Le café philosophique de Montargis fixe son nouveau rendez-vous le vendredi 24 mars 2017 à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée. Pour cette nouvelle séance, les participants débattront sur cette question : "Suis-je l'auteur de ma propre vie ?"
Une telle question pose en soi une première réflexion : celle de savoir si notre propre vie pourrait être une œuvre dont nous serions les créateurs. Ne serait-ce pas limiter dans ce cas notre existence à un "work in progress" à l’échelle humaine ? Être auteur de sa propre vie c’est au fond assumer notre propre liberté. N’est-ce pas présomptueux ou, pour reprendre Freud, faire preuve "d’égoïsme naïf" ? Cette liberté totale, clamée par Jean-Paul Sartre est-elle tenable ? Quelles en sont les limites ? Notre libre-arbitre peut-il être faussé ? Autrui est-il un obstacle à ma liberté ? Ce sont quelques-unes des questions qui seront traitées au cours de cette séance du 24 mars, à partir de 19 heures à la brasserie du Centre Commercial de La Chaussée de Montargis.
Le 16 novembre 1980, le nom du philosophe Louis Althusser rejoignait la colonne des faits divers. Le brillant intellectuel de la rue d’Ulm, maniaco-dépressif et, ce jour-là, dans un état de démence, étrangla sa compagne Hélène Rytmann. Reconnu irresponsable de ses actes, Louis Althusser passa les dix dernières années de sa vie en traitement, avec interdiction de s’exprimer publiquement. L'affaire judiciaire se conclua par une première mort symbolique du philosophe, avant son décès le 22 octobre 1990.
Étonnamment, le documentaire de Bruno Oliveira, L’Aventure Althusser, visible en replay sur Arte pour encore quelques jours, s’attarde peu sur cet homicide – ou ce "suicide altruiste" comme il a été dit non sans un certain cynisme. Ce qui intéresse le réalisateur c'est le parcours philosophique et politique d’un des intellectuels français les plus brillants de la deuxième moitié du XXe siècle.
La carrière de Louis Althusser est intimement liée à celle du communisme qu’il épousa, en adhérant au PCF, jusqu’à en devenir une figure importante. Ne rêvait-il pas d’en devenir son idéologue, comme le rappelle le film de Bruno Oliveira ?
L’Aventure Althusser retrace le cheminent philosophique de celui qui va relire en profondeur l’œuvre de Marx, et en particulier Le Capital, grâce à un groupe de recherche de l’École Normale Supérieure. Les travaux d’Althusser et de ses élèves vont avoir une influence majeure sur l'histoire de la pensée. Ils contribuent à dépoussiérer le marxisme et le remettre au centre des débats idéologiques. Nous sommes dans les années 60. Après le décès de Staline, Khrouchtchev a procédé à une condamnation virulente de son prédécesseur. En Chine, Mao est le centre d’intérêt d’une partie de la jeunesse européenne, passionnée par une révolution communiste menée tambour battant et avec les escès que l'on connaît : "Pendant la dictature bourgeoise, la bourgeoisie a obligé les travailleurs a ramer dans un certain sens. Maintenant, nous obligerons tout le monde, pas seulement les travailleur, mais aussi leurs adversaires, à ramer dans un autre sens. C’est ça, la dictature du prolétariat" comme l'a affirmé Louis Althusser.
L'auteur de Pour Marx se fait le chantre d’un nouveau communisme, après les règnes violents de ces "philosophes froids" qu’ont été Lénine ou Staline. Or, mai 68 voit le succès des concepts marxistes "marcher contre lui" ! Les témoignages des élèves d’Althusser comme de ses amis sont un rappel du rendez-vous manqué de cette année révolutionnaire. La voix de Louis Althusser est singulièrement absente. Il est vrai que l’homme est déjà malade, sujet de troubles maniaco-dépressifs à répétition qu’une frise chronologique éloquente vient rappeler dans le documentaire.
Ce film sur Louis Althusser est certes insuffisant pour embrasser une carrière philosophique majeure. L’homicide d’Hélène Rytmann reste pudiquement en arrière-plan (pas un mot notamment sur son essai autobiographique posthume L'Avenir dure longtemps, 1992). De même, sa relation sentimentale avec sa traductrice italienne Francesca est seulement dévoilée. Sans doute, y aurait-il matière à faire un second film sur la vie personnelle d'Althusser pour comprendre les motivations d'un meurtre épouvantable. Cependant, le film de Bruno Oliveira reste une passionnante découverte ou redécouverte d’un philosophe majeur du XXe siècle, dont les idées semblent reprendre de la vigueur depuis une dizaine d'années.
En France, nous avons un problème avec l’échec. Voilà quel pourrait être le thème du dernier essai de Charles Pépin (un nom qui ne s’invente pas), Les Vertus de l’Échec (éd. Allary). Alors que, chez nous, le sceau de l’infamie menace celui ou celle qui connaît l’échec, il semblerait que dans les pays anglo-saxons ou en Scandinavie les accrocs dans tel ou tel parcours soient considérés avec plus de philosophie. Philosophe, Charles Pépin l’est justement, et c’est en philosophe qu’il s’interroge sur les rançons... de l’échec.
Le livre s’ouvre par le récit d’une déculottée mémorable. En 1999, en final du Tournoi des Petits As, le jeune Richard Gasquet, déjà qualifié de petit génie de la raquette, "celui que la France attend depuis Yannick Noah", inflige une sévère correction à un jeune talent espagnol (photo). Ce dernier se nomme Rafael Nadal et n’oubliera jamais cette finale perdue. Quelques années plus tard, c’est lui qui s’envole vers le succès, remporte ce tournoi, puis enchaîne les conquêtes. Nadal terminera numéro un mondial, gagnera une série impressionnante de tournois du Grand Chelem, alors que son ancien adversaire de 1999 n’aura jamais la carrière qu’on lui prédisait.
Que cette défaite sportive ait été une leçon pour mieux rebondir ensuite est loin d’être une exception. Les Vertus de l’Échec est d’abord un formidable florilège de destins exceptionnels marqués par des défaites cuisantes : Thomas Edison, Charles de Gaulle, Barbara, André Agassi ou Steve Jobs sont autant d’exemples de parcours marqués par des écueils sans lesquels ces personnalités n’auraient pas eu la vie qu’elles ont eue.
L’échec est inscrit dans nos gènes, dit en substance Charles Pépin. Cette idée, nous ferions bien de la garder en tête. Ce n’est pas parce que nous ratons que nous sommes des ratés. Bien échouer : voilà l’un des messages que nous adresse l’auteur. "Le succès c'est d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme" affirmait Winston Churchill. L’échec est-il cette erreur dont nous serions responsables ? Cette idée très cartésienne et surtout très française, est balayée par Charles Pépin qui nous rappelle que les grandes avancées de la science ne sont souvent possibles que grâce à l’échec de telle ou telle expérimentation. De même, l’histoire des inventions est parsemée de découvertes accidentelles (la tarte des sœurs Tatin, le Velcro ou le Viagra).
Que ceux qui pourraient voir dans Les Vertus de l’Échec un essai plombant, abandonnez cette idée. Charles Pépin insuffle une grande bouffée d’optimisme. Un sportif résume sans doute le mieux cet art de surfer sur l’échec pour réussir. Stanislas Wawrinka, nous dit l’auteur, a tatoué sur lui une citation éloquente de Samuel Beckett : "Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux."
Charles Pépin, Les Vertus de l’Échec, éd. Allary, 2016, 256 p.
Le café philosophique de Montargis fixe son nouveau rendez-vous le vendredi 20 janvier 2017 à 19 heures, à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée. Le sujet de ce nouveau débat portera sur l’échec : "Échec : tomber, se relever".
L’échec : voilà un sujet paradoxalement au centre de nos existences et pourtant relativement peu traité par la philosophie. Les participants du café philosophique de Montargis se réuniront pour discuter de ce que signifie "échouer" et de ce que cela implique. Il semblerait qu’en France, plus qu’ailleurs sans doute, l’échec soit particulièrement stigmatisé. Mais qu’est-ce que l’échec finalement, et doit-il être rejeté en bloc ? Sommes-nous toujours responsables de nos échecs ? Peut-on parler d’échecs justes ou injustes ? Lorsque nous ratons, sommes-nous des ratés ? L’échec peut-il avoir des vertus ? Peut-on "bien" échouer ? Comment l’échec peut-il être dépassé ?
Ce sont autant de points qui seront évoqués au cours de cette nouvelle séance du café philo, le vendredi 20 janvier 2017 à partir de 19 heures à la brasserie du Centre Commercial de La Chaussée de Montargis.
Le café philosophique de Montargis propose une séance exceptionnelle, samedi 10 décembre à partir de 17 heures (et non pas le vendredi à 19 heures comme à l'accoutumée), au Centre d'art Les Tanneries, à Amilly.
Le café philo de Montargis s’installe dans ce lieu consacré à la création contemporaine pour un débat sur l'art, dans le cadre de l’exposition "Histoire des formes". La confrontation d’œuvres réalisées dans les années 50 avec des œuvres réalisées en 2016 situe d’emblée le visiteur face à de multiples façons d’envisager l’œuvre d’art. L’animation du café philo commencera par une visite commentée par Jeanne Pelloquin, chargée des publics du centre d’art. Ces pistes ouvertes par la visite permettront ensuite au public du café philo de débattre autour de la question suivante : "Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ?"
L'époque moderne a, depuis la fin du XIXe siècle, révolutionné les critères de jugement portant sur l’œuvre d’art. Rappelons pour exemple que, pour les contemporains de Claude Monet, les tableaux dits "impressionniste" étaient considérés comme des gribouillages imparfaits, inachevés, flous. Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, la nature de l’art et le métier l’artiste, au sens d’un homme doué de savoir-faire, la définition même de l’œuvre d’art et ses critères de jugement sont remis en question. Depuis l’invention de la photographie, l'imitation du réel dans une œuvre d'art a-t-elle encore un sens ? Quelles sont les critères d’achèvement d’une œuvre ? En quoi son inachèvement, parfois revendiqué par l’artiste, peut-il être une façon de laisser de la place au spectateur ? Depuis l’essor de l’industrie, et aujourd’hui des nouvelles technologies, quelle est la valeur du geste artistique ? Une peinture doit- elle nécessairement véhiculer une émotion ? De quoi "parle" l’artiste à travers son œuvre ? Quelle est la place du spectateur au sein de toutes ces questions qui touchent à la réception de l’œuvre d’art et à des critères de jugement ?
De par leur richesse et leur complexité, ces questions seront surtout l’occasion de premiers échanges partagées entre « spectateur » curieux, dans le cadre exceptionnel des Tanneries. Les animateurs du café philo fixent cette séance spéciale le samedi 10 décembre à 17 heures, au Centre d'Art contemporain des Tanneries, 234 Rue des Ponts à Amilly.
Fascinant et déstabilisant Leonardo Jardim : c’est lui que le journal Le Monde choisit de portraitiser ce week-end dans ses pages Sports.
Arrivé comme entraîneur de l’AS Monaco en juin 2014, Jardim doit, à l'époque gérer une période compliquée pour une équipe de football que certains voyaient jusqu'alors comme un concurrent sérieux du PSG. Las, le club de la Principauté de Monaco est contraint de se serrer la ceinture sous peine d’être taclé par l’UEFA dans son programme de "fair play financier". Voilà donc Leonardo Jardim, successeur de l’emblématique Claudio Ranieri, obligé de gérer la nouvelle politique sportive de son club. Et on ne donne pas cher à l’époque de ce coach, ancien entraîneur à l’Olympiakos Le Pirée et au Sporting Lisbonne pour ses principaux faits d’arme.
L’ambitieux projet de son Président, le milliardaire russe Dimitri Rybolovlev reposaient sur des joueurs clés, James Rodriguez Radamel Falcao en premier lieu, dont le club est obligé de se séparer. Jardim gère cette période de vaches maigres avec un aplomb et un savoir-faire étonnants. Grâce à une pépinière de jeunes joueurs talentueux (Anthony Martial, Djibril Sidibé ou Kylian Mbappé), l’obsession de la stabilité et surtout le travail sur le terrain, celui qui était surtout connu pour son accent français à couper au couteau - souvent, du reste, égratigné par Le Petit Journal - finit par ne plus faire rire personne.
Son succès inespéré contre Arsenal en Ligue des Champions en février 2015 fait grincer quelques dents. Au début de la saison 2016-2017, le club du Rocher prend de l’assurance, parvient à battre le grandissime favori, le PSG, et se hisse à une troisième marche méritée du podium. En Ligue des Champions, le club de Jardim joue crânement sa chance au point d’être premier de son groupe devant Tottenham que le club retrouvera cette semaine.
Rémi Dupré est l’auteur dans Le Monde de ce portrait attachant d’un entraîneur atypique. Modeste, déterminé, empathique avec ses joueurs et concepteur d’une "méthode écologique" : "Tu peux tuer tout le système de ton équipe avec trop de travail physique. C’est la même chose si tu veux changer le biotype d’un joueur de qualité… C’est comme si tu voulais changer le PH d’une rivière." Et le journaliste de s’arrêter sur celui qui demeure l’influence de l’entraîneur de football : le philosophe Edgar Morin. Dans l’intelligence du jeu et du coaching, nul doute que Leonardo Jardim a placé la barre très haut. Mardi, Tottenham pourrait bien faire les frais d’un entraîneur portugais longtemps moqué et d’un philosophe de 95 ans.
Avant de parler de l’essai de Maurice Ulrich, Heidegger et le Golem du Nazisme (éd. Arcane 17), il est sans doute bon de revenir sur la carrière de Martin Heidegger (1889-1976), fréquemment considéré comme le philosophe le plus important du XXe siècle. Ce penseur a été autant admiré pour ses travaux que décrié en raison de son adhésion au parti nazi durant les années 30 et de son zèle patriotique dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir : élu recteur de l’université de Fribourg-en-Brisgau en 1933, il prononce un discours d’allégeance au parti nazi (Le Discours du Rectorat) qui pèse encore lourd sur sa réputation. Pour preuve, en 1945 l’illustre professeur allemand est interdit d’enseignement pendant six années au terme d’un procès de dénazification, et ce en dépit de la défense à son ancienne maîtresse, la philosophe – juive – Hanna Arendt. La publication des Cahiers noirs du philosophe a terni un peu plus sa réputation scandaleusement antisémite.
Martin Heidegger continue pourtant d’avoir ses ardents défenseurs, soucieux de préserver ses apports dans l’histoire de la pensée. En quoi consistent-ils justement ? Voici quelques éclaircissements qui permettront de situer l’ouvrage de Maurice Ulrich.
L'essai de Martin Heidegger, Être et Temps (1926), s’interroge sur la question de l’être : "La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli" écrit-il. Ce sujet, qui intéressait les présocratiques (Parménide et Héraclite, notamment), fait son grand retour dans la philosophie occidentale grâce à Martin Heidegger. Il définit l'Étant comme cet homme empirique doué de paroles et de pensées. Mais Heidegger va utiliser un autre vocable, le Dasein (Être-là), qui est au cœur de l’essai de Maurice Ulrich. Grâce à l‘herméneutique mais aussi la phénoménologie, le Dasein est capable de s’interroger sur son propre être. Sans Dasein, le monde serait en quelque sorte vide, peuplé d’Étants, mais sans Être.
Maurice Ulrich place le Dasein (écrit dans son ouvrage : "D a s e i n") au cœur de son livre Heidegger et le Golem du Nazisme, un essai à la fois pointu, pertinent et féroce sur les concepts philosophiques d’un penseur complexe et controversé.
Dans son avant-propos, l’auteur, "un journaliste qui n’est pas un professionnel de la philosophie", explique sa démarche : plutôt que de "démontrer quoi que ce soit des liens de Heidegger avec le nazisme", Maurice Ulrich, éditorialiste à L’Humanité, entend expliquer, commenter et démonter les ressorts et les concepts philosophiques souvent obscurs de l’ancien élève de Husserl. En un mot : "démolir Heidegger".
Le tour de force de Maurice Ulrich est de prendre à bras le corps dès la première partie ("Heidegger et le Golem") l’œuvre de Martin Heidegger, "Une forteresse vide, fermée sur un désert sans amour, sans sujets et sans liberté." Le concept du Dasein est au centre de son analyse, un concept promis à un avenir brillant, mais qui ne serait en réalité qu’un prête-nom (un Deckname). Le style complexe (pour ne pas dire ampoulé) du philosophe allemand semblerait avoir conduit à un malentendu au sujet de ce Dasein : "Il est vrai que leDasein, entendu comme Être-là, semblait de nature à fournir une base à une philosophie de l’Existence". Mais aurions-nous été enfumés par Heidegger lui-même ? C’est ce que Maurice Ulrich défend avec conviction : "La fumée de l’être sortie de la bouteille va prendre la forme du peuple allemand et de son destin « historial »".
Le heideggérisme n’est pas un humanisme, dit en substance l’auteur. Le "Dasein, vide d’humanité Heidegger va le chercher dans sa glaise pour en faire une créature à sa façon et adaptée à ce qu’il appellera de manière récurrente, la nouvelle volonté allemande. C’est un Golem." Paradoxalement, et non sans ironie, cet être imaginaire et monstrueux, sans conscient, est une créature tirée de la tradition juive. Maurice Ulrich ajoute que, dans un cours de 1933-1934 (Être et vérité), Martin Heidegger parle de "l’extermination totale de l’ennemi intérieur." Mais quel est cet ennemi ? Maurice Ulrich est explicite tout au long de son essai et les heideggeriens ne manqueront pas de s'étouffer.
La deuxième partie de l’essai compile des extraits d’ouvrages du philosophe : Être et Temps (1926), Introduction à la Métaphysique (1935), Apports à la philosophie – De l’Avenance (1935-1936) et Qu’appelle-t-on penser ? (1951-1952). Maurice Ulrich commente Heidegger dans le texte, avec toujours en point de mire ce Dasein, une "aventure partagée" (du peuple allemand), que l’ancien recteur de Fribourg enrobe dans une syntaxe souvent difficile à maîtriser pour un non-spécialiste : "La question en suspens, celle qui porte sur un propre être-entier duDasein et sur sa condition existentiale, ne sera amené sur un sol phénoménal éprouvé que quand elle pourra se tenir à une possible propriété de son être attestée par leDasein lui-même." Les exemples de ce genre sont nombreux. Le lecteur peut remercier Maurice Ulrich de le prendre par la main pour voir plus clair dans les travaux du philosophe allemand.
L’essai aborde frontalement la question de la Shoah et des "usines de la mort". La réputation de Martin Heidegger n’en sort pas indemne. Le plus grand philosophe du XXe siècle se montre d’un cynisme glacial, pour ne pas dire "insensé", lorsqu’il affirme ceci en 1949, lors de la Conférence Le Dis-positif : "L’agriculture est aujourd’hui une industrie d’alimentation motorisée, sans son essence la même chose que la fabrication de cadavres dans les chambres à gaz et les camps d’extermination… la même chose que la fabrication de bombes à hydrogène." Maurice Ulrich écrit plus loin : "La motorisation de la Wermacht" pourrait bien s’apparenter à un acte "métaphysique."
Dans ses dernières pages, particulièrement engagées (le chapitre "Maintenant"), Maurice Ulrich enfonce le clou : "La pensée de Heidegger est bien, quoi que l’on veuille, une philosophie, perverse, mais une philosophie (...) recyclable et peut-être revendiquée par de multiples courants idéologiques qui sont loin de se limiter aux nostalgiques du nazisme en Europe, mais remettent en circulation les thèmes de l’identité, de la souche, des racines qui ne sont jamais que d’autres appellations du Dasein et de la division des « étants »."
Cet essai musclé laisse la parole de fin à Thomas Bernhard : "Heidegger était en quelque sorte un escroc philosophique… Aujourd’hui, Heidegger n’a pas encore été entièrement percé à jour, si la vache Heidegger a bien maigri, on continue toujours à tirer le lait heideggerien." Le portrait cinglant du dramaturge autrichien sonne comme un véritable enterrement de première classe.
Maurice Ulrich, Heidegger et le Golem du Nazisme, éd. Arcane 17, 2016, 153 p.