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Dans la grande famille des cabarets, Bla Bla Blog ne pouvait pas ne pas parler du Diamant Bleu, un lieu de fête sexy qui a ouvert ses portes il y a déjà vingt ans en plein cœur du Gâtinais, à Barville-en-Gâtinais. C'est le cabaret du Loiret par excellence, à une heure de Paris et quelques kilomètres de Montargis et qui n’entend pas se laisser impressionner par les Moulin Rouge, Crazy Horse et autres Paradis Latin.
Non sans raison, Le Diamant Bleu peut se targuer de porter l’étiquette de "plus grand cabaret de Province".
"Plus grand cabaret de Province"
Le rire, le burlesque, la dérision, l’émotion, la créativité, le glamour, les strass et paillettes sont les ingrédients d’une programmation locale autant qu’internationale. Douze artistes internationaux d’Ukraine, de Russie ou d’Italie se produisent sur scène pour des numéros mêlant la danse, le chant ou le transformisme.
Parmi les vedettes de ces spectacles, il faut citer le metteur en scène Patrick Meyer, la meneuse de revue Bégonia, mais aussi Adrien, Amandine, Lady Bain Marie, Yoan, Alison, Caroline, Chloé, Elise, Julien, Céline, Ivan et tou·t·e·s les autres.
Pas de doute : la magie du B’go Cabaret by Le Diamant Bleu entend montrer que le Gâtinais est capable de gratiner nos soirées.
Focus sur une pièce de théâtre visible en ce moment à la Comédie des 3 Bornes à Paris, 11e.
Y’a pire ! – c’est le nom de la dernière création de Coralie Mennella – est un seul en scène dans lequel figure une galerie de personnages rencontrés chacun à un instant décisif de leur vie. C’est un regard porté sur ces situations absurdes ou cruelles qui parsèment notre société, au coin d’une rue, derrière une porte, au comptoir d’un bar : une pauvre petite dame écrasée sous les dettes, une jeune femme sur le point d’être interdit bancaire, une fumeuse, une alcoolique, une SDF pleine de poésie…
L’absurdité est au centre du spectacle puisqu’elle est ce qui nous permet de prendre la distance nécessaire pour créer l’acte théâtral. Et puis, face au désarroi et au "seum", il reste toujours la force de dire : "Y’a pire".
"Ouais j’ai tenté pleins de trucs différents, même l’indifférence. Mais ça fait pas la différence"
"C’est justement parce que ce n’est pas inné que cela m’intéresse. Aller chercher le rire là où on ne l’attend pas et le rendre utile est un objectif que je me suis fixé. Le spectacle a donc ce but de vouloir soulager d’une lourdeur face à certains sujets. Nous voulons que le spectateur sorte de la salle en se disant qu’il a pu rire de quelque chose qui, habituellement, l’inquiétait ou bien le tourmentait" commente, non sans pertinence, Coralie Mennella, auteure et interprète de cette pièce.
L’absurdité, un terme que le théâtre du XXe siècle connaît bien, est au centre d’Y’a pire ! S’il y a pire ailleurs, pourquoi ne pas en rire ? Coralie Mennella entend ainsi remettre les choses à leur place et jouer sur l’apaisement, via le rire. Le spectacle se veut donc humoristique, oui, mais aussi témoin d’une société qui va mal. Un choix artistique louable important mais aussi engagé : "Ouais j’ai tenté pleins de trucs différents, même l’indifférence. Mais ça fait pas la différence. Ça non, ça fait pas la différence. Y’a rien qui fait la différence".
Quel est ce "rêve ridicule", au cœur de la pièce jouée à partir de cette semaine au Théâtre Dunois du 20 septembre au 1er octobre 2022 ? Le Rêve d’un Homme ridicule, adapté et mis en scène par Simon Pitaqaj, est librement inspirée du Rêve d’un homme ridicule, de L’Idiot, Des Frères Karamazov de Dostoïevski et du discours du Dictateur de Charlie Chaplin. La Compagnie Liria la propose en ce moment.
Un homme ridicule, petit et médiocre, veut se donner la mort mais il rate son suicide de finit par s’endormir. Il rêve et, dans ce rêve, il parvient à se suicider et est conduit après sa mort sur une planète paradisiaque. Mais qui finit par devenir un enfer.
Simon Pitaqaj a voulu saisir toute la dimension métaphysique de Dostoïevski qui s’est toujours intéressée à des questions essentielles : "Qu’est-ce que le libre-arbitre pour l'homme ? Quel choix est-il capable de faire pour sa propre vie ? Cet auteur métaphysique ne cesse d'en revenir à la condition humaine pour mieux la décrypter, la comprendre et l'écrire."
Le Rêve d’un Homme ridicule entend interroger le spectateur sur ces prophéties de mondes meilleurs. Simon Pitaqaj poursuit : "Pour nous consoler, nous dirions, comme une évidence, que l’homme est ainsi fait. Qu’il est à la fois le créateur et le destructeur de son propre univers qu’il ne cesse de traiter avec ingratitude. Incapable d’admirer sans posséder ! Incapable de regarder sans toucher ! Je ne cesse de m’interroger et me demande : Est-ce qu’un jour l’homme prendra conscience de sa folie et de son comportement destructeur ?"
L’homme est ainsi fait, à la fois le créateur et le destructeur de son propre univers
L’écrivain et dramaturge Jean-Baptiste Evette résume ainsi : "Trois lignes dramatiques se rencontrent et s’affrontent : au centre, l’homme ridicule que son inadéquation au monde fragilise et distingue à la fois, qui passe des ténèbres à la lumière du paradis, qui retombe dans les ténèbres, mais reste marqué par le souvenir de ce qu’il a vu, au point d’évoquer un instant la figure d’un messie. Il y a ensuite une deuxième ligne interprétée par des jeunes gens, garçons et filles, qui incarnent l’humanité d’avant la chute, en harmonie avec la nature, puis sa décomposition, sa corruption. Et enfin, un mystérieux homme noir, qui semble d’abord jouer le rôle du passeur, comme le batelier des enfers grecs, mais qui se révélera bientôt beaucoup plus inquisitorial et menaçant que ce dernier".
Sous la direction de Simon Pitaqaj, Denis Lavant interprète le rôle central du Rêve d’un Homme ridicule où le spectateur retiendra notamment cette phrase en forme, d’appel : "Si on retrouvait l’union ? Union, qui ferait que chacun d’entre nous, tout en continuant de s’aimer plus que les autres, puissent vivre sans gêner son prochain. Vivre ainsi, tous ensemble, pour ainsi dire, dans une société de concorde ?"
Cela se passera au Théâtre Dunois, jusqu’au 1er octobre.
Le Rêve d’un Homme ridicule Adaptation et mise en scène de Simon Pitaqaj Théâtre Dunois du 20 septembre au 1er octobre 2022 Compagnie Liria Scénographie : Simon Pitaqaj et Julie Bossard, avec : Denis Lavant, Arben Bajraktaraj, Santana Susnja, Valéria Dafarra, Jeanne Guillon Verne, Gaëtan Poubangui, Séraphin Rousseau et Henry Lemaigre Mardi 20 septembre au samedi 24 septembre 2022 à 19 heures Dimanche 25 septembre 2022 à 16 heures Mardi 27 septembre au samedi 1er octobre 2022 à 19 heures https://www.theatredunois.org/la-saison/saison-2022-2023/le-reve-dun-homme-ridicule-2 https://liriacompagnie.com
Un festival campagnard à Paris : voilà ce que propose l’événement "Aux Arts !" L'événement sera proposé les 3 et 4 septembre au Parc André Citroën dans le 15e arrondissement. Dans une arène faite en bottes de pailles, "Aux Arts !" proposera une plongée dans la culture afro-américaine, avec actualité olympique à deux ans des JO de Paris et un focus sur les nouveaux sports de l’olympisme : le breakdance et le skate. Projet labellisé "Olympiades culturelles", le festival programmera des concerts, de la danse et du fooding dans le parc André Citroën. Nous avons voulu interroger les organisateurs du festival au sujet de cette manifestation de la rentrée.
Bla Bla Blog – Bonjour. Musique, danse, sport, cuisine : ce sont les ingrédients du Festival « Aux Arts ! », qui aura lieu les 3 et 4 septembre prochain au Parc André Citroën, dans le quinzième. Quel est donc cet étrange événement ? Aux Arts – “Aux Arts !”, est la déclinaison parisienne du festival Paris New York Heritage qui évolue depuis 6 ans dans le monde ! C’est un événement orienté vers la transition écologique. La musique live étant très polluante, comment en tant que producteur on peut participer à la transition écologique, comment peut- on produire plus propre ? Avec “Aux Arts !” on voulait travailler dans ce sens ! Cette année pour la deuxième édition du festival, le challenge est d’inclure le sport et l’idée de l’olympisme : “l’important c’est de participer !”
"On s’installe sur la pelouse du Parc André Citroën, un lieu iconique, magique et on ramène 135 ballots de paille"
On trouvait intéressant d’ouvrir le festival aux sports qui font parti des cultures Africaines et afro-Américaine (comme le breakdance et le skateboard) et de les associer à notre festival qui est autour des thèmes de la diaspora Africaine/ Afro-Américaine et des courants musicaux et culturels issus de ces cultures. C’est une alchimie originale. On aime bien relever des défis et être original, on est un festival à échelle humaine, on propose une expérience dans des bottes de paille avec un skate park, du breakdance, tout cela sur deux après-midi et soirées à la rentrée !
BBB – Pourriez-vous nous parler du cadre où se déroulera le festival « Aux Arts ! » ? Si je vous dis que c’est la campagne qui s’invite à la ville, est-ce que je me trompe ? AA – C’est en partie ça, mais pas tout à fait... On s’installe sur la pelouse du Parc André Citroën, un lieu iconique, magique et on ramène 135 ballots de paille et on crée une arène en bottes de paille ! Mais la programmation est assez urbaine : musique afro-caribéenne, musique hip-hop, dimanche block-party breakdance, skate… C’est un savant mélange de campagne et d’urbain ! On est dans un écrin de campagne dans un vaisseau en botte de paille !
BBB – Quels artistes y verra-t-on ? AA – Pour l’instant nous n’avons pas toute la programmation, mais nous pouvons vous confirmer la venue de Pat Kalla & le super mojo, Waahli, Raashan Ahmad et enfin Thaïs Lona (TBC) !
Pour la cinquième fois, le lyrisme posera ses valises cet été à Wissant, dans le Pas-de-Calais, du du 1er au 12 août 2022. Mozart, Verdi ou encore Donizetti seront notamment mis à l’honneur pour cet événement que tous les amoureux du classique suivront avec intérêt. Au total, les Estivales Lyriques de Wissant proposeront plus de vingt concerts et représentations, allant du baroque au XXe siècle.
Après un Faust de Gounod à la distribution internationale, suivra un des chefs d’œuvre de Mozart, Les Noces de Figaro, par la compagnie I Giocosi, dans la version qu’elle fit applaudir fin 2019 dans le cadre du festival de la Mairie du 11e à Paris. Après Così fan tutte précédemment et Don Giovanni l’an dernier, Wissant pourra désormais s’enorgueillir d’avoir proposé – et ce n’est pas si courant ! – l’entière "trilogie Da Ponte" de Mozart à ses estivants.
Vrai "laboratoire musical"
Verdi et Donizetti seront ensuite mis à l’honneur à travers plusieurs de leurs pages les plus célèbres interprétées par le baryton Marc Labonette. L’invité régulier de l’Opéra National de Paris parrainera pour l’occasion deux étonnantes jeunes sopranos d’avenir !
Le festival se clôturera avec le concert des artistes de la masterclass. Preuve que ces Estivales de Wisant sont un vrai "laboratoire musical", des chanteurs et des chanteuses de renom s’y sont produits, que ce soit Julie Bailly, Yann Beuron, Jennifer Courcier, Sarah Defrise, Marc Labonnette, Gabrielle Philiponet ou Artavazd Sargsyan.
Une raison supplémentaire pour s’intéresser à ce festival lyrique d’une belle fraîcheur.
Après deux ans d’absence, Dieu habite Düsseldorf revient au Théâtre Lucernaire à Paris, du 11 mai au 3 juillet 2022, du mercredi au samedi à 21h et les dimanches à 17H30.
Les personnages, Monsieur 1 et Monsieur 2 reprennent du service, dans une pièce stigmatisant une "société de contrôle loufoque, implacable et un peu foireuse", comme le disent les créateurs.
Telle une représentation de La Divine Comédie – mais en plus moderne et en plus drôle – Dieu habite Düsseldorf » met en scène deux hommes, Monsieur 1 et Monsieur 2. Des êtres sans nom de famille, numérotés, purs produits d’un monde qui couve, trie et contrôle des inadaptés, des handicapés, des incompétents. Impuissants et lâches, ils déclinent le rapport dominant-dominé en saynètes burlesques. L’ensemble compose un catalogue d’incapacités en sept étapes poussées à leur paroxysme.
Les influences sont à chercher du côté du cinéma ou des séries d’anticipation, à l’instar d’Orange mécanique ou de Black Mirror. Le cauchemar est omniprésent, tout comme l’humour noir, dans une série d’univers où le kitsch côtoie le clinique : un médecin vous handicape, le sexe n’est plus un organe génital mais un accessoire ménager ou on peut être empaillé vivant… Ambiance, ambiance…
Cette farce étonnante est à découvrir au Lucernaire jusqu’au 3 juillet 2022 au Lucernaire.
Dieu habitude Düsseldorf de Sébastien Thiéry, par Renaud Danner et Eric Verdun avec en alternance Manuel Durand Théâtre Lucernaire, Paris Du 11 mai au 3 juillet 2022, du mercredi au samedi à 21h et les dimanches à 17H30 http://www.lucernaire.fr/theatre/3266-dieu-habite-dusseldorf.html
Mal-aimé, faussement léger et finalement génial : Così fan tutte fait partie des œuvres majeures et tardives de Mozart (1790, soit un an avant sa mort). L’argument du livret de Lorenzo da Ponte est d’une grande simplicité : Guglielmo et Ferrando se félicitent devant le cynique Alfonso de la fidélité de leurs fiancées, Fiordiligi, la promise de Guglielmo et sa sœur Dorabella, fiancée à Ferrando. Alfonso moque la naïveté des jeunes hommes et leur propose un pari : tester la fidélité des jeunes femmes grâce à un jeu de séduction et de travestissements : Fiordiligi pourrait-elle tomber amoureuse de Ferrando et Dorabella de Guglielmo. La servante Despina accepte d’aider Alfonso à cette double supercherie.
Voilà pour l’histoire, bien connue des fans de lyrique, qui savent aussi comment Mozart a su s’emparer de ce sujet léger, pour ne pas dire dépassé, pour composer une musique d’une fluidité, d’une élégance et d’une grâce inouïes, non sans ces moments où la douleur et le pathétique peuvent surgir derrière une mesure, une note ou un accent : que l’on pense à l’ouverture, au final du premier acte ("Si mora, sì, si mora") ou aux arias de Despina.
L’Opéra de Paris en a proposé une interprétation inédite en 2017. L’orchestre était dirigé par Philippe Jordan sur une chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Cette version est disponible en DVD et Blu-ray chez Arthaus.
Perplexité
D’où vient cependant cette perplexité à la découverte de cette version du Così fan tutte, un opéra plus complexe que que l’on veuille bien le dire, comme le montre la fin – les noces des deux couples ?
D’abord et avant tout, moins au décor (un entrepôt sans âme ) et à la mise en scène contemporaine – ce qui est maintenant monnaie courant, y compris et surtout dans les œuvres classiques – qu’à la chorégraphie.
En faisant appel à la chorégraphe belge, l’Opéra de Paris a fat le choix d’un spectacle dans lequel le lyrisme serait étroitement lié à la danse. Et il est vrai que les danseurs et les danseuses font presque jeu également avec les chanteurs et chanteuses. C’est simple : ils fonctionnent en duo, soit muet, soit dansant.
Ce qui est une bonne idée au départ devient un spectacle déroutant qui peut séduire comme il peut rendre hermétique. L’importance de ce Così fan tutte est donné autant aux voix qu’aux corps en mouvement, sur une scène vide.
Il y a bien entendu la musique de Mozart, grâce à laquelle on pardonnera tout. Mais il faut aussi souligner l’interprétation pleine de verve de Ginger Costa-Jackson dans le rôle de Despina. Disons-le : c’est elle sans doute la vraie grande surprise de ce Così fan tutte.
Voilà à mon avis un des projets lyriques les plus étonnants de ces dernières années : proposer en une création unique deux opéras du XXe siècle, aussi éloignés l’un de l’autre que Le Château de Barbe Bleue de Béla Bartók et La Voix humaine de Francis Poulenc. Cette production de l'Opéra de Paris est disponible en DVD.
Deux opéras du XXe siècle en un, composés à quelques dizaines d’années d’écart – 1918 pour l’un et 1959 pour l’autre – ayant pour unique point commun de parler de deux femmes piégées par l’amour et la mort : une épouse de Barbe Bleue et une amoureuse éconduite que Poulenc nomme simplement "elle", pour mieux en souligner l’universalité.
Une création unique donc, favorisée par la durée courte de ces deux opéras : grosso modo une heure pour raconter deux tragédies, deux drames amoureux, qui nous parlent de tromperies, de personnages dupés et finalement de mort, à l’instar de l’opéra de Bartók, inspiré d’un célèbre conte.
Krzysztof Warlikowski agence ces deux opéras, comme si l’un répondait à l’autre, au-delà des périodes difdérentes et de leur inconciliabilité apparente – l’adaptation d’un conte d’une part et un drame intimiste et moderne de l’autre. Il est vrai que pour Le Château de Barbe Bleue, le metteur en scène et l’opéra de Paris ont choisi un décor hyper moderne, délaissant le château traditionnel pour un intérieur clinique fait d’écrans HD, de canapé somptueux et de mobilier. Ce choix esthétique colle parfaitement avec le drame intimiste de Francis Poulenc.
Le spectacle commence donc par Le Château de Barbe Bleue. Judith, jouée par une magnétique Ekaterina Gubanova électrisée, est follement amoureuse de son époux Barbe Bleue, l’inquiétant et torturé John Relyea. Tout juste mariée, la jeune femme découvre le château inquiétant du tueur légendaire. Bartók fait de cette demeure un être à part entière : "Ton château pleure", "C’est ton château qui soupirait", "Ton château saigne" : voilà ce que chante la nouvelle épouse de Barbe Bleue. Le lieu de ses crimes prend une figure métaphorique, pour ne pas dire psychanalytique : "J’assécherai les murs humides de mes lèvres" et "Les tristes pierres frémissent de plaisir" dit Judith à son mari, avant de réclamer de visiter le château pour découvrir ses secrets. Mal lui en prendra : "À présent il n’y aura plus que la nuit".
Pour illustrer Le Château de Barbe Bleue, la mise en scène de Krzysztof Warlikowski s’appuie sur un décor glacial et inquiétant, traversé par des explosions de couleurs vives : la robe verte de Judith, la salle de torture rouge et les projections de sang sur les vidéos en noir et blanc de l’enfant. Le surréalisme et l’humour noir ne sont pas absents, à l’image de la boule de Noël, symbolisant l’empire dont se vante le meurtrier. Les projections d’extraits du film La Belle et la Bête de Jean Cocteau viennent donner un contre-point fabuleux à l’opéra de Bartók. Le metteur en scène veut aussi faire le lien avec le deuxième opéra, La Voix humaine, dont le livret a été écrit par Jean Cocteau lui-même.
Le moins que l’on puisse dire c’est que Barbara Hannigan donne complètement de sa personne
Lorsque Le Château de Barbe Bleue s'achève sur l’image des victimes du criminel, une autre femme apparaît sur scène : Barbara Hannigan. La soprano canadienne, sans aucun doute l’une des plus grandes chanteuses lyriques du moment, porte à bout de bras l’œuvre de Poulenc, avec son audace, son engagement total, ses envolées bouleversantes ("J’ai eu un rêve...") et son expressivité, servie par une mise en scène tout aussi baroque. Le moins que l’on puisse dire c’est que Barbara Hannigan donne complètement de sa personne, comme elle l’avait montré dans Lulu de Berg, l’opéra où elle avait éclaboussé la scène de son talent exceptionnel.
Cette version de La Voix humaine restera à coup sûr dans les annales. Pour ce mélodrame épuré – une jeune femme apprend au téléphone que son amant la quitte – Krzysztof Warlikowski choisit la même facture que sa mise en scène du Château de Barbe Bleue. Une audace récompensée : le spectateur oublie à quel point les opéras de Bartók et de Poulenc sont aussi éloignés l’un que l’autre.
Contrairement aux représentations traditionnelles de La Voix Humaine, le téléphone est abandonnée dès le début de l’œuvre pour laisser voir une femme abandonnée et blessée, se refaisant à voix haute l’échange qu’elle a eue avec "lui". En tailleur sombre, chaussures à talons hauts et fard à paupières dégoulinant, Barbara Hannigan traduit toutes les étapes de la rupture : la colère contre elle-même ("J’ai ce que je mérite") ou contre lui ("Regardez-moi cette vilaine petite gueule"), l’incompréhension ("Le coup aurait été trop brutal, tandis que là, j’ai eu le temps de m’habituer, de comprendre… Quelle comédie ?"), la rancœur ("Je te vois, tu sais"), la nostalgie ("Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l'impossible") et l’amour malgré tout (" Dépêche-toi. Coupe ! Coupe vite ! Coupe ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime…").
La Voix humaine fait du téléphone une "arme effrayante", alors qu’une arme – une vraie, celle-là – gît non loin d’"elle". Tout comme Le Château de Barbe Bleue, l’amour et la mort se disputent la première place, avec encore une fois une chanteuse majeure, Barbara Hannigan, à qui le public de l’Opéra Garnier a réservé un triomphe en 2015. Triomphe évidemment mérité.
Béla Bartók et Francis Poulenc, Le Château De Barbe Bleue/La Voix Humaine, opéras hongrois et français, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, avec Barbara Hannigan, Ekaterina Gubanova, John Relyea et Claude Bardouil, Orchestre de Paris dirigé par Esa-Pekka Salonen, Arthaus Musik, 2018 Filmé en direct du Palais Garnier en décembre 2015 https://www.operadeparis.fr https://www.barbarahannigan.com