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Les insomniaques sont sans doute tombés au moins une fois sur l'émission télévisée Voyage au bout de la Nuit. Un véritable OVNI : sur D8, tous les jours, à partir de trois heures du matin, se produit en effet cette émission littéraire, sans doute la plus originale du PAF.
Le concept de ce programme culturel est d'une simplicité évangélique. Dans un décor minimaliste, une personne, installée sur un divan confortable, lit une œuvre littéraire. Tout simplement.
Ici, pas de commentaires autres qu'une présentation succincte de l'ouvrage, pas de présentateur jouant les Monsieur Loyal, pas de montages sophistiqués et pas d'auteurs invités (à l'exception de quelques artistes venant faire de temps en temps quelques piges : l'essayiste Philippe Meyer, l'acteur, auteur et réalisateur romancier Michael Cohen ou encore... Nabilla !).
Pour Voyage au Bout de la Nuit, le cahier des charges est réduit à sa plus simple expression : un livre, un plan quasi fixe et un comédien, ou plus précisément une (jolie) comédienne.
Les artistes mis à l'honneur ne sont souvent pas des inconnus : Victor Hugo, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Conan Doyle ou Louis-Ferdinand Céline, dont le roman le plus célèbre a donné le nom à cette émission.
Aux sceptiques qui pourraient dire que Voyage au bout de la Nuit aurait plutôt mérité de se nommer Voyage au bout de l'Ennui, le bloggeur rappellera que ce divertissement culturel fait partie des programmes historiques de D8 et pourrait bien s'ancrer définitivement dans notre paysage télévisuel. Une telle idée – un livre, une présence, une voix – est si simple que le miracle opère, même si aller au bout de chaque programme de lecture s'avère ardu.
De grands chefs d'œuvre de la littérature mondiale sont dépoussiérés et trouvent une autre vie et de petits joyaux oubliés sont dévoilés, par la grâce et le glamour d'une présence chaleureuse et apaisante.
À trois heures du matin, les insomniaques peuvent en tout cas trouver le plus intelligent et le plus séduisant spectacle qui soit à cette heure de la nuit. Culte, sexy et fascinant.
Alka sort cette semaine un clip pour son titre D'un amour à l'autre, issu de son premier album, opportunément nommé La Première fois (2013). Ce clip est visible à la fin de cet article et sur ce lien.
Avant son arrivée fracassante sur la scène musicale, Alka Balbir n'était pas une inconnue : mannequin et actrice, elle avait été vue dans plusieurs longs et courts métrages.
Pour cette première réalisation musicale d'Alka, Benjamin Biolay est aux manœuvres. De A à Z, on retrouve la griffe et la sophistication du plus gainsbourien des artistes français. Cette remarque est d'autant plus vraie qu'Alka se révèle être une incarnation parfaite... d'Isabelle Adjani, une des nombreuses muses de Serge Gainsboug.
L'album d'Alka s'ouvre par le sombre, puissant et rythmé Bâtards suprêmes, à l'image du clip tourné pour l'occasion. Ce titre mélodique à souhait nous parle des reclus et des rejetés de la société : "On est la rangée du fond / On est la télé du salon / On prône l'amour vagabond / On finira tous moribonds / (...) Bien fait pour toi / Bien fait pour moi". Le titre suivant poursuit cette même veine sombre : La vie par les deux bouts, moins enlevé, plus sec, plus houellebecquien aussi, semble clore cette première partie engagée.
Dans les tes titres suivants, c'est surtout d'amour dont il est question, d'amour et de séparation : Pas la peine de dire adieu, à la mélodie entêtante et syncopée, se veut la constatation d'une rupture, froidement et non sans un humour grinçant : "Puis t'es venu / Et là tu pars / Hier encore je caressais ta peau nue / Te voilà sur le départ / ... Reprend ton putain de ciel bleu..." Il est encore question d'amour impossible et vain dans le fameux D'un amour à l'autre. Soutenu par un rythme enlevé, une mélodie finement ciselée et une orchestration pop soignée. Alka met sa voix complètement à nu. C'est sur ce titre qu'elle se révèle la réincarnation vocale d'Isabelle Adjani. Les internautes curieux découvriront sur ce lien une interprétation acoustique réussie de ce morceau.
Tu m'aimes mal démarre comme une bleuette, avant de prendre son envol : "Tu m'aimes / Mal / Mais même / Sale / Même coûte que coûte / Même vaille que vaille". Les talents mélodiques de Biolay font merveille. Je m'en veux, peu convainquant, offre tout de même une jolie respiration musicale avant le formidable Qui je suis. Comme pour pour D'un amour à l'autre, l'influence de Gainsbourg et Adjani est criante dans cette chronique d'un amour fusionnel et cruel : "Toi qui sait tout à fait qui je suis / Toi qui vis au travers de ma vie / Toi qui fuis les mystères de l'ennui / Toi qui nuit gravement à ma vie". Alka se livre presque intimement, avec une voix tendue et sensuelle. Qui ne verrait pas une lointaine parenté avec le Pull Marine ? Le clip de cette chanson est visible ici.
Dans La première fois, qui donne le titre de l'album, il est encore question de rupture, de ces premières fois déçues – et des dernières fois. Te satisfaire offre la particularité d'être une déclaration d'amour enflammée et érotique. Il est également question d'érotisme dans La main dans le sac, qui est le constat d'un adultère : "Et toi / Oui toi / Où as-tu passé la nuit dernière ? / Et toi / Oui toi / Tu sens la femelle le foutre et la bière." Si l'influence de Gainsbourg peut être présente, disons qu'il s'agit du Gainsbourg des dernières années : noir, rugueux et provocateur.
Ces deux titres précèdent la formidable ballade Besoin d'autre chose, où il est, de nouveau, question de séparation. La voix fragile d'Alka, soutenue sobrement par un piano, constate la fin d'un amour et encourage le départ de l'homme qu'elle aime à la quitter : "Va t-en si tu l'oses / Reprend la vie en rose / T'as besoin d'autre chose". Alors que Benjamin Biolay excelle là encore dans l'art de créer une mélodie inoubliable, l'interprète se livre avec une fragilité bouleversante, au bord de la rupture. L'album se clôt avec la reprise Les gens bien élevés, à l'origine une chanson interprétée par une autre muse de Gainsbourg, France Gall (cf. ce lien ici). Alka se fait cette fois mutine pour dire tout le mal – mais avec élégance ! – de son petit ami et surtout de celle qui le lui a volé : "Il est parti avec ma meilleure amie / Il l'appelle Mon petit Lutin / Mais c'est une jolie... / Qui a déjà vu passer sur son chemin la diligence l'autobus et le train... / Oui mais on ne s'est pas fâchés... / On est / Entre gens bien élevés."
Cet album sombre et pessimiste se termine sur ce sourire. Que demander de mieux pour La Première Fois ? Une toute première fois réussie, avec la naissance d'une artiste majeure de la chanson. Je prends les paris.
Alka, La première fois, Naïve Music/Naïve, septembre 2013