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chanson - Page 28

  • Cali transforme l’essai

    Il y avait plusieurs Cali lors de son concert à la salle des fêtes de Montargis, la suite de sa tournée placée sous le signe de Léo Ferré. Son dernier album, Cali Chante Léo Ferré était sorti en octobre dernier. Il restait à l’auteur d’Elle m'a dit de venir sur scène proposer ses adaptations d’un poète qui aurait eu 102 ans cette année.

    Mais d’abord, comment rendre hommage et réinterpréter ces classiques que sont Avec Le Temps, Les Anarchistes ou C’est Extra ? La réponse de Cali a été cet opus électrique, moderne et engagé, une vraie réussite comme nous le disions sur Bla Bla Blog.

    Le passionné de rugby à quinze transformait l’essai sur scène. Avec une énergie et une chaleur incroyable, ce n’est pas un seul Cali qui se livre mais une dizaine, et autant d’adaptations de Léo Ferré.

    Ceux qui s’attendaient à des interprétations arides, désincarnées et austères en ont été pour leurs frais. Après un démarrage sombre et bouleversant avec ces deux standards que sont C’est Extra et L’Enfance, Cali montre un Léo Ferré revitalisé, débarrassé des oripeaux du poète classique étudié à l’école. C’était un Ferré tour à tour pop, folk, rap et même punk. Une quinzaine de Ferré et de Cali différents.

    Le chanteur parvient ainsi à faire se lever le public grâce à une Jolie Môme très pogo. Véritable showman, l’artiste a offert un concert de plus de deux heures. Deux heures avec un Léo Ferré plus d’actualité que jamais.

    Prochaines dates, le 5 décembre à Perpignan
    et le 6 décembre à Saint-Orens (Haute-Garonne)

    Cali, Cali chante Léo Ferré, BMG, 2018
    https://www.calimusic.fr
    https://laviecali.wordpress.com

    Voir aussi : "Cali, métamec"

    © Photo : Jimmy Phan, photographe live Cali

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  • Klervia, une Bretonne à Paris

    Une première question en introduction à cette chronique : qu’est-ce que cette "cage dorée" dont parle Klervia dans son dernier clip ? Pas la peine d’être un critique de Télérama pour lire dans ce nouvel opus l’histoire d’un amour rêvé, un cri du cœur et un appel : "Et moi j’attends devant ta porte fissurée / Je veux m’endormir avec toi / Même s’il n’y a pas d’or là bas / Sans promesses ni pourquoi / Sans contrats ni coups bas."

    Bla Bla Blog pourrait-il s’avancer sur une autre interprétation de ce nouveau single ? Se pourrait-il que Klervia n’ait pas imaginé ce titre pop-folk en pensant à cette cage dorée que pourrait être Paris ? Car voici une artiste tout droit venue de Bretagne – avec une marinière en guise de signature pour cette native de Plougastel-Daoulas – naviguant, dans le clip réalisé par Pydjhaman, à Paris : Seine, métro, station Cité ou au pied de la cathédrale Notre Dame. La Cage Doré est un titre dans lequel, plus que le récit d’un homme désiré, pointe la nostalgie d’une femme partagée entre deux régions.

    Voilà qui rend le personnage de Klervia d’autant plus attachant. Et si je vous que la musicienne est également astrophysicienne (la jeune femme tient un blog sur l’espace et les étoiles), voilà qui devrait vous convaincre de suivre sa carrière.

    Kervia, Cage dorée, septembre 2018
    http://klerviamusic.fr
    http://lafilledanslalune.fr

    Voir aussi : "L’étoile mystérieuse"
    "Sônge d’une nuit d’électro"

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  • Brol d’elle

    "Bordel" ou "Bazar" : c’est la signification flamand du terme "Brol", le titre du premier album d’Angèle. Le brol, explique l’artiste belge dans une récente interview pour Elle, est ce qu’il y a dans son sac : " des clés, un livre, un paquet de chewing-gums, vide, une clé USB… Des choses pas forcément utiles, mais dont je n’arrive pas à me séparer, parce qu’elles rassurent..."

    Grâce à ce premier album aussi personnel et dérangé qu’un sac à main, le moins que l’on puisse dire est qu’Angèle est entrée avec fracas sur la scène musicale française. Quelques mauvaises langues ont parlé d’une pop facile et assez peu révolutionnaire. Mais c’est justement cette simplicité et cet esprit cash qui a permis à Angèle de trouver son public, et même un très large public. N’en déplaise à certaines critiques, la jeune artiste s’impose avec audace grâce à sa voix sans fioriture, son sens de l’autodérision, son franglais bien de son époque mais surtout sa qualité d’écriture.

    Prenez le titre qui l’a fait connaître, La Loi de Murphy. Sur cette chronique talk-over d’une journée de merde, il est à parier que quelques millions de jeunes filles reconnaîtront des situations qu’elles ont elles-mêmes vécues. Angèle se confie d’une voix exaspérée comme si elle s’adressait à de bons potes : "Puis là, c'est trop parti en couilles. Il y a d'abord eu la pluie : la loi de Murphy a décidé d'enterrer mon brushing. Un mec me demande son chemin : gentiment je le dépanne. En fait, c'était qu'un plan drague : ce con m'a fait rater mon tram J'en profite, je passe à la banque, je laisse passer mémé. Si seulement j'avais su qu'elle relèverait tous ses extraits de l'année, je l'aurais poussée et coincée dans la porte automatique." Que du vécu, à l’instar de Flemme, une autre tranche de vie bien ordinaire sur ces journées grises et maussades ("Laissez-moi tranquille / Ce soir, la flemme d'éviter les mauvais regards / Team jogging dans l'appart sans perdre mon portable, ma dignité, mes clés / J'suis dans un mauvais mood, je répondrai plus tard").

    Joli bazar

    Au-delà de ces confessions, Angèle est de notre époque et croque notre société du haut de son insolente jeunesse : la misère des réseaux sociaux (La Thune), le star-system (Flou), l’homosexualité (le délicat Ta Reine) ou le machisme avec Balance ton Quoi.

    On s’arrêtera d’ailleurs plus longuement sur ce titre. Balance ton Quoi s’écoute comme la contribution d’une artiste au mouvement #metoo. Il est aussi une pierre lancée contre le climat étouffant de misogynie jusque dans le milieu de la musique : "Ils parlent tous comme des animaux / De toutes les chattes ça parle mal / 2018 je sais pas ce qu’il te faut / Mais je suis plus qu'un animal / J'ai vu que le rap est à la mode / Et qu'il marche mieux quand il est sale / Bah faudrait peut-être casser les codes / Une fille qui l'ouvre ce serait normal." Quelques amateurs de rap apprécieront.

    Dans ce joli bazar qu’est Brol, Angèle s’impose comme une artiste parvenant, mine de rien, à se démarquer de ses consœurs de la pop. De sa voix fragile et tout en retenue, la chanteuse belge touche l’auditeur au plus près. Usant du "je" et du "tu" dans un souci de proximité et de connivence, Angèle décliné quelques jolis titres sur l’amour : amour inconditionnel (Nombreux), amour virtuel (Tes yeux), amour mort (Les Matins), amour empoisonné par la jalousie (Jalousie) ou amour impossible (Ta Reine).

    Brol serait-il un album au "bazar" rassurant mais pas forcément utile ? Ce serait oublier le résultat soigné qu’offre Angèle. Et puis, peut-on réellement dénigrer une artiste qui ose chanter avec autant de justesse et sans mièvrerie, en duo avec Roméo Elvis, la recherche du bonheur, du vrai : "Le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être heureux" ?

    Angèle, Brol, Angèle VL Records, 2018
    https://www.facebook.com/angeleouenpoudre

    Voir aussi : "Jade Bird, Huh la la !"

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  • Cali, métamec

    2018 aura été marqué par de grandes légendes de la chanson française : il y a eu la découverte il y a un an de Lily Passion de Barbara dans sa version studio inédite, le décès de Charles Aznavour il y a deux semaines et, il y a quelques jours, la célébration des quarante ans de la mort de Jacques Brel. Mais il fait aussi compter sur Léo Ferré, dans l’actualité en ce moment avec la sortie de plusieurs reprises par Cali.

    Sur la pochette de l’album, celui-ci pose avec un chimpanzé, l’alter-ego de Pépée, le célèbre singe de Ferré disparu en 1968 et qui inspira un titre éponyme – mais qui n’est singulièrement pas présent dans cette série d’adaptations.

    C’est extra, Vingt ans, Ni dieu ni maître, Les anarchistes, Joli môme ou Avec le temps font partie des classiques que reprend Cali, dans un souci de dépoussiérer, de moderniser, voire de révolutionner des chansons de Ferré : c’est "une sorte de laboratoire musical" comme il le dit lui-même. Pour l’occasion, il s’est entouré de Steve Nieve au piano et de François Pioggio à la guitare.

    Cali se met au service des textes de Ferré avec le souci de proposer des arrangements parfois désarçonnants mais souvent très convaincants. Le choix de l’acoustique et de la simplicité guident un chanteur qui entend mettre en valeur, plutôt que d’étouffer, les textes de Ferré, que ce soit ceux de La Mélancolie ou de Paris je ne t’aime plus.

    Dans C’est extra, l’orchestration minimaliste est soutenue par des explosions de lumières et des averses de pianos, permettent de voir sous un autre jour un standard archiconnu.

    Cali s’approprie si bien les œuvres de son aîné que l’on penserait que certains titres, à l’exemple d’Ils ont voté, ont été écrits pour lui en 2018 : "A porter ma vie sur mon dos / J'ai déjà mis cinquante berges / Sans être un saint ni un salaud / Je ne vaux pas le moindre cierge /Marie maman voilà ton fils / Qu'on crucifie sur des affiches / Un doigt de scotch et un gin fizz /Et tout le reste je m'en fiche / Ils ont voté... et puis, après ?"

    Pour ce chef d’œuvre qu'est Les étrangers, Cali en fait une adaptation sèche, rythmée et presque ludique. On pourra préférer la version originale mais on n’enlèvera pas la prise de risques de l’interprète. Autre prise de risques : celle avec Vingt ans, cet impertinent, tendre et cruel hymne à la jeunesse : "Pour tout bagage on a vingt ans / On a des réserves de printemps / Qu'on jetterait comme des miettes de pain / A des oiseaux sur le chemin." Là, Cali choisit opportunément la modernité et l’électro. Pour Ni dieu ni maître, c’est le rock qui est préféré dans cette chanson sur l’anarchie et qui renvoie à cet autre titre emblématique, Les Anarchistes, aussi sombre et mélancolique que la version de Ferré pouvait être combative et engagée : "La plupart fils de rien ou bien fils de si peu / Qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux / Les anarchistes / Ils sont morts cent dix fois / Pour que dalle et pourquoi ?"

    Les guitares fument sur un rythme espagnol étouffant

    Outre le joyeux et mutin Joli Môme, un titre qui avait été écrit au départ pour Annie Butor, la belle-fille de Ferré, Cali propose une interprétation de La mémoire et la mer assez proche, dans les gènes, à l’original studio, mais avec une facture lo-fi et des percussions sombres qui lui confèrent une indéniable puissance nostalgique et une singulière patine du temps : "Je me souviens des soirs là-bas / Et des sprints gagnés sur l'écume / Cette bave des chevaux ras / Au ras des rocs qui se consument / Ô l'ange des plaisirs perdus / Ô rumeurs d'une autre habitude / Mes désirs dès lors ne sont plus / Qu'un chagrin de ma solitude."

    Impossible de ne pas parler de l’un des classiques le plus célèbres de Ferré. Avec le Temps renaît grâce un enregistrement audacieux par l’utilisation d’une guitare nue et un admirable jeu d’échos. L’auditeur peut féliciter Cali pour son interprétation sans fioriture, lui permettant de laisser les mots du poète dominer le sujet : "Avec le temps, va, tout s'en va et l'on se sent blanchi / Comme un cheval fourbu et l'on se sent glacé / Dans un lit de hasard et l'on se sent tout seul / Peut-être, mais peinard / Et l'on se sent floué par les années perdues."

    Cali, le "métamec", pour reprendre le titre de l’album posthume de 2000, se fait carrément aventurier pour Le flamenco de Paris qui devient, grâce à lui, une authentique création musicale. Les guitares fument sur un rythme espagnol étouffant, faisant de ce flamenco un vrai chant de mort.

    On s’arrêtera aussi longtemps et plusieurs fois sur ce joyau qu’est Thank You Satan : lumineux, majestueux et d’une belle épaisseur instrumentale et rythmique. Les mots de Ferré renaissent avec lyrisme dans une chanson qui n’est pas forcément la plus connue dans la discographie de Ferré : "Pour la solitude des rois / Le rire des têtes de morts / Le moyen de tourner la loi / Et qu'on ne me fasse point taire / Et que je chante pour ton bien / Dans ce monde où les muselières / Ne sont pas faites pour les chiens."

    L’album se termine avec un titre rare de Ferré, L'amour est dans l'escalier. Ce poème de Léo Ferré, mis en musique par Steve Nieve et François Poggio, est interprété par le Mathieu Ferré, son fils, au timbre de voix si familier. Cali semble quitter cet album d’adaptations réussies sur la pointe des pieds, en laissant le dernier mot à Léo Ferré lui-même. Il aurait eu 102 ans cette année, déjà.

    Cali chante Léo Ferré, BMG, sorti le 5 octobre 2018
    En concert à Paris, le 16 novembre 2018 au Théâtre Dejazet
    https://www.calimusic.fr

    Voir aussi : "Le retour de la femme mimosa"
    "Aznavour, le mal-aimé"

  • Jain, paroles et musique

    Nous parlions il y a quelques jours de Jain et de son album phénomène, Souldier.

    Il y a une autre manière d’écouter et de s’immerger dans l’univers de la chanteuse pop : Delphine Dussoubs, alias Dalkhafine, est la créatrice de ces petits bijoux, produits par Spookland.

    Ces vidéos hypnotisantes dans lesquelles les mots de Jain viennent danser et nous trotter dans la tête sont à découvrir sur Internet. Une vraie curiosité.

    Jain, Souldier, Columbia, 2018
    Chaîne Youtube de Jain 
    https://www.jain-music.com/fr

    Voir aussi : "En-Jain it"

  • Aznavour, le mal-aimé

    Il paraît que le grand regret de Charles Aznanour était que ses textes n'étaient pas mis au niveau de ses contemporains, Léo Ferré Jacques Brel ou Georges Brassens. Une considération injuste pour ce fils d'immigrés arméniens nourri à la culture française et affamé de mots. Dans une interview au Figaro, Robert Belleret (Vies et Légendes de Charles Aznavour, éd. Archipel) rappelle que Charles Aznavour disait : "Mon pays c'est la langue française." Il est singulier de penser qu’à l’instar de Jacques Brel, longtemps traumatisé par l’école, c’est plus à la curiosité et à la pugnacité ("assoiffé, obstiné" confie-t-il dans Les Emmerdes) qu’à son cursus scolaire que l’on doit un trésor musical exceptionnel.

    Dans les années à venir, des spécialistes français se pencheront sur les quelques 1200 chansons d’Aznavour. Tel n’est pas l’objet de ce blabla qui préfère parler d’une forme de désamour d’un artiste, de son propre aveu plus apprécié à l’étranger qu’en France.

    Dans sa discographie, le thème de l’amour a été décliné sous tous les angles – coups de foudre, rencontres éphémères, complicité à deux, étreintes torrides, rêves romantiques, homosexualité ou séparations cruelles. Dans ce domaine, l’auteur d’Il faut savoir a montré une créativité sans faille tout au long de sa carrière, maniant les mots avec élégance et subtilité. Dans Comme des étrangers, le déchirant bilan d’un couple finissant, le texte se déploie dans une prose recherchée  : "Nous tuons le temps. Le temps qui sûrement nous dévore et ravage ce rien de pureté contenu dans nos cœurs. Et nous sommes deux fous qui, croyant être sages, se gorgent d’un passé qui lentement se meure." Dans Qui, c’est la sobriété qui guide une chanson tout en retenue et en maîtrise sur le thème de la jalousie : "Qui / Frôlera tes lèvres / Et vibrant de fièvres / Surprenant ton corps / Deviendra ton maître / En y faisant naître / Un nouveau bien-être / Un nouveau bonheur."

    Aznavour, auteur littéraire et classique ? Cela mérite d’être nuancé. S’il est indéniable que de nombreux standards sont entrés dans les programmes scolaires (La Bohême, Comme ils disent ou Les Comédiens), ce fils de migrants arméniens montre qu’il a d’abord été bercé dans le parler populaire et l’argot parisien. Robert Belleret rappelle, dans son interview au Figaro, qu’il n’a pas ouvert de livres avant l’âge de 35 ans. Il faut aussi ajouter que la critique du milieu du XXe siècle a toisé cet artiste : trop petit, mauvais chanteur et doté en plus d’un gros nez ! Ce qui a conduit Charles Aznavour à se mettre à l’écart de cette élite et à puiser son inspiration dans des sources étonnantes.

    Trop petit, mauvais chanteur et doté en plus d’un gros nez

    Que l’on pense à cet usage du franglais dans le titre décalé et très crooner For Me For Me, Formidable : "You are the one for me, for me, for me formidable / You are my love very very very véritable / Et je voudrais pouvoir un jour enfin te le dire / te l’écrire / Dans la langue de Shakespeare." Tout aussi américain, mais aussi naturaliste, le nerveux Poker nous fait entrer dans une salle de jeu sordide au fond d’un tripot : "On prend les cartes / On brasse les cartes / On coupe les cartes / On donne les cartes / C’est merveilleux on va jouer au poker / On r’prend ses cartes / On r’garde ses gardes / On s’écrit cartes / Et puis on écarte / J’en jette trois / Car j’ai déjà une paire." Dans Je Bois, c’est dans la peau d’un alcoolique déprimé qu’il se glisse : "Je bois pour me donner l’illusion que j’existe puisque trop égoïste pour me péter la gueule."

    Auteur populaire, Aznavour parlait particulièrement à son public lorsqu’il osait utiliser un vocabulaire trivial et peu usé dans la musique : "Mes amis mes amours mes emmerdes", clame-t-il avec acidité dans un retour sur lui-même, sur sa carrière au "sommet" et sur sa "course contre le temps." Shocking ! Voilà qui fait sans doute la singularité d’un artiste sans doute plus en marge dans la chanson française que sont Brel, Brassens ou Ferré – des génies ayant cultivé leur indépendance, sans s'écarter pour autant d’une forme de classicisme. Mais Aznavour, auteur insatiable de ces "émouvants amours," a su, à l’instar de Gainsbourg – singulièrement un autre fils d’immigré de l’Europe de l'est ! –, nourrir ses textes dans le parler de la rue ou un franglais décomplexé.

    Un véritable tour de force pour un artiste qui a su imprégner la culture française de quelques textes tombés dans le langage courant, lorsqu’ils ne sont pas fredonnés. Sans aucun doute, les phrases "La misère sera moins triste au soleil" (Emmenez-moi), "J'ai un numéro très spécial qui finit en numéro intégral" (Comme ils disent) ou "Ils sont venus ils sont tous là" (La Mamma) sont devenus en eux-mêmes quelques morceaux d’anthologie.

    Au terme de cette chronique, l’on ne peut que sourire à l’écoute de son premier grand succès, J’m voyais déjà. Ce chant d’un artiste du show-business mal-aimé sonne comme un grand pied de nez aux critiques de son époque : "On ne m’a jamais accordé ma chance. D’autres ont réussi avec peu de voix et beaucoup d’argent. Moi j’étais trop pur ou trop en avance, mais un jour viendra où je leur montrerai que j’ai du talent."

    Charles Aznavour, Platinum Collection, 3 CD, Parlophone, 2004
    "Le pays de Charles Aznavour était la langue française" in Le Figaro, 2 octobre 2018

    Voir aussi : "Gainsbourg, un enfant de la chance"

     

  • En-Jain it

    Jain : enjoy it! Voilà qui illustrerait au mieux cette chronique sur le deuxième album de la jeune Toulousaine, en passe de devenir une superstar de l’électro-pop, au même titre que Christine and the Queens. Soudier et Chris : en cette rentrée 2018, l’actualité musicale est marquée par deux albums phares de la musique française. Deux albums, mais aussi deux chanteuses d’une vingtaine d’années, deux personnalités attachantes et deux phénomènes hyper douées : Jain et Chris cumulent les points communs et les singularités.

    Singulière, la native de Toulouse l’est sans aucun doute. Souldier était aussi attendu que craint : après le succès de Zanaka en 2015, la pression était sur elle. Son deuxième opus a fait pousser des oufs de soulagement autant que de ravissement à ses fans de plus en plus nombreux.

    En dépit d’un matraquage médiatique tous azimut, Jain ne choisit ni la facilité ni les sentiers battus. Souldier est même du jamais entendu. L’expression "electro world" n’a jamais aussi bien porté son nom dans un album où le son vient piocher dans des sonorités internationales : pop des années 80 (Feel it), arabe (On my way), soul américaine (Flash (Pointe noire)), funk (Oh man), folk (le magnifique Dream), reggae (Souldier, un hommage reggae au Buffalo Soldier de Bob Marley) ou le hip hop avec le fameux Inspecta, remixant le générique du dessin animé Inspecteur Gadget – un vrai hymne à la pop culture !

    Remixant le générique du dessin animé Inspecteur Gadget

    Soudier, sous tes airs d’opus mainstream, sait aussi se singulariser par des titres plus personnels qu’ils paraissent a priori. C’est par exemple le titre qui donne son nom à l’album, et qui est un hommage à la tuerie d’Orlando en juin 2016 (50 morts dans une boîte de nuit de la communauté LGBT) : "He's a soldier / I saw him with my eyes / Bearing roses in his arms / Yeah I saw him with my eyes / Spreading his love all around." La chanteuse offre également un vrai chant d’amour à la ville d’Abu Dhabi : "Pushing the limits of music from the inside / Your arabic sound is driving my mind / The first time I walked down into your town / A new kind of music had blessed my soul" (Souldier). 

    Jain s’amuse dans un album à la fois rythmé, généreux, dansant, coloré, avec ce je ne sais quoi d’irrévérencieux. Les boîtes à rythme sont survitaminées, les mélodies pleines de subtilités (On my Way, Dream ou le archi diffusé Alright) et la voix incandescente de la chanteuse fait tomber toutes les réticences. Sans oublier, dans un opus entièrement en anglais, cet accent français qui devrait faire chavirer le public international.

    Jain est entrée dans la cour des très grands artistes dont les futurs opus – soyons-en sûrs – seront attendus avec enthousiasme : "En-Jain it !"

    Jain, Souldier, Columbia, 2018
    https://www.jain-music.com/fr

    Voir aussi : "La reine Christine"

  • Ce trimestre, dans Hexagone

    Le bloggeur chronique sur Hexagone, le magazine trimestriel de la chanson.

    Dans le numéro de cet automne, vous retrouverez une chronique sur le dernier EP de Fabian Tharin, Fosbury, et une critique de l'album de Dick Annegarn, 12 Villes 12 Chansons.